Point de vue

Pourquoi les expressions et formules de rattachement dans le Système harmonisé de l’OMD devraient être amendées

25 juin 2024
Par Omer Wagner

Le Système harmonisé (SH) contient de nombreuses expressions ou formules établissant un lien entre les marchandises et leur utilisation. Ces « formules de rattachement » ajoutent de la complexité au classement des marchandises, dans la mesure où elles ne sont pas toujours bien définies et que la différence qui peut exister entre elles n’apparaît pas toujours clairement. Dans le présent article, nous proposons de garder uniquement quelques termes bien définis et de remplacer ceux qui sont trop vagues ou ambigus.

Question de matière ou d’usage

Les positions et sous-positions du SH font souvent référence à une matière ou à une substance pour décrire les marchandises et quelques-unes invoquent aussi leur utilisation en recourant à de nombreuses formules. Ces « formules de rattachement » se retrouvent un peu partout dans les libellés des codes du SH ainsi que dans les notes légales et les notes explicatives (NE) du SH. Le présent article se penche sur leur utilisation au niveau des codes du SH uniquement.

Utilisation exclusive

Quelques formules sont exclusives et emploient des termes tels que « uniquement ».

Utilisation presque exclusive

L’expression « exclusivement ou principalement » est également utilisée pour rendre l’idée d’un usage presque exclusif.

En 2018, pour régler un différend entre l’autorité douanière et un importateur, un tribunal israélien a décidé que les moniteurs équipés d’un connecteur HDMI (High-Definition Multimedia Interface) étaient du type « principalement ou exclusivement utilisés » avec des ordinateurs. L’arrêt rejetait donc la demande de la Douane, qui arguait que ces moniteurs n’étaient pas destinés à être utilisés uniquement avec des ordinateurs[1].

Utilisation principale

Outre l’expression « exclusivement ou principalement », certaines descriptions utilisent les termes « utilisé principalement ».

Usage spécial

Certains produits se caractérisent par le fait qu’ils remplissent une fonction ou un but spécifique.

Cette rédaction a embarrassé à plusieurs reprises les tribunaux israéliens qui ont pris des décisions parfois contradictoires. Les tribunaux ont débattu de la signification des termes et se sont demandé s’ils supposaient un usage exclusif, principal ou autre.

Les arrêts suivants, qui se fondent sur la nomenclature israélienne de marchandises à 7 ou 8 chiffres, illustrent bien le problème :

  • En 1997, à la question de savoir si un appareil récepteur de radiomessagerie (beeper) était conçu pour un « usage spécial » au travail, un tribunal a jugé que l’expression faisait référence à une utilisation distincte, dominante mais pas exclusive[2].
  • En 2001, sur la base du même argument, un autre tribunal a estimé que les coupleurs pour radio n’étaient pas conçus « pour un usage spécial » dans des véhicules automobiles puisqu’ils pouvaient être utilisés en dehors d’une voiture également[3].
  • En 2009 et en 2011, par contre, à la question de savoir si des machines à repasser n’étaient pas destinées à être utilisées spécifiquement dans le secteur du textile, les tribunaux ont jugé que la signification de l’expression « utilisation spéciale » renvoyait à un usage dominant, principal et spécifique[4].
  • En 2015 et en 2017, les tribunaux se sont penchés sur le caractère « spécial » d’un filtre destiné à être utilisé dans des systèmes de conditionnement de l’air. Pour le tribunal de première instance, le terme « spécial » renvoyait à une utilisation exclusive mais pour le tribunal de district, le vocable traduisait plutôt l’idée d’un usage principal[5].
  • En 2021, un tribunal a été invité à statuer sur un appareil de communication et à décider s’il s’agissait d’un dispositif à usage spécial pour la « réception par câble ». La cour a décidé que l’expression « usage spécial » renvoyait à un usage exclusif ou presque exclusif et que l’appareil de communication à l’examen n’était pas spécialement conçu pour la réception par câble puisqu’il pouvait être utilisé pour d’autres types de connexion internet.[6]
  • En 2023, un tribunal a jugé qu’une machine principalement utilisée dans l’industrie de la boulangerie devait être classée comme étant « spécialement destinée » à ce secteur[7].

Conçu

Le terme « conçu » renvoie à une notion de fabrication intentionnelle, à l’idée d’un usage prévu ou planifié, mais il ne se réfère pas à un usage exclusif, principal ou autre.

Usage prévu

La notion d’usage prévu peut être assimilée à l’idée d’un produit étant « destiné ou conçu » pour une utilisation spécifique. La Cour de justice européenne (CJE) utilise la notion d’usage prévu pour classer les marchandises dans certains cas, tout en l’ignorant dans d’autres[8]. Puisque l’idée d’intention qui sous-tend l’expression d’usage prévu peut être subjective, il peut être tout aussi problématique de s’y référer pour classer un produit.

Autres variantes se référant à l’utilisation

Le SH recourt à d’autres formules comme « de toute espèce à usage » ou encore « utilisables ».

Des types à être utilisés et des espèces utilisées

Dans la vie courante, les expressions « du type » ou « de l’espèce de » ne renvoient pas à l’idée d’un usage principal ou spécial[9].

En 1998, un tribunal a estimé qu’une machine qui ne pouvait pas être utilisée pour vendre des tickets de bus au moment de l’importation, et exigeait de simples ajustements pour être utilisée à cette fin, devait être classée en tant que machine « du type utilisé pour vendre des billets de bus ».[10]

Autres variantes

De simples prépositions comme « de » ou « pour » sont parfois utilisées pour établir le lien. Elles ne dénotent pas une utilisation exclusive, principale, spéciale ou précise. Si le produit peut être utilisé dans le but recherché, alors il peut être classé sous la désignation choisie.

En 2007, un tribunal a décidé que, pour être classée dans la sous-position relative aux « machines et appareils électroniques […] de télévision », la marchandise à l’examen devait pouvoir être utilisée pour la télévision sans qu’il y ait à montrer qu’il s’agissait là d’un usage exclusif ou principal[11]. La décision a fait l’objet d’un recours et la cour d’appel saisie a confirmé le jugement du premier tribunal en 2009.

Formules plus complexes

Quelques formules utilisées dans le SH sont plus complexes ; il s’agit par exemple « des types généralement utilisés », ou encore « spécialement conçus ». On pourrait se demander quelle a été la logique suivie par les auteurs du SH lorsqu’ils ont décidé d’ajouter des adverbes tels que « généralement » ou « spécialement », dans la mesure où ces derniers n’apportent pas beaucoup de clarté et ils ajoutent, à la place, une couche de complexité.

Le SH devrait compter moins de formules de ce genre… voire aucune

Le problème des formules utilisées dans le SH pour établir un lien entre les produits et leur utilisation a trait au fait que ces expressions ne sont pas toujours définies et que la distinction entre elles n’apparaît pas toujours clairement. De plus, certaines sous-positions reprennent au moins deux de ces formules, l’une au niveau du libellé de position et l’autre au niveau de la sous-position. Les importateurs devront bientôt engager des linguistes pour s’assurer de respecter la règlementation, et plus seulement des comptables, avocats et agents en douane.

Le présent article invite les administrations des douanes qui ont ratifié la Convention du SH à réduire le nombre de formules de rattachement à trois groupes, comme suit :

  1. Usage exclusif
  2. Usage principal – les autres expressions se référant à un usage principal, spécial ou prévu, ainsi que les « conçu pour être utilisé » et autre « du type généralement utilisé » devraient être supprimés et remplacés par une référence à l’usage principal.
  3. Toute autre utilisation.

La technologie progresse rapidement et, tous les jours, de nouveaux produits sont inventés, dont une grande partie offre des usages multiples. La question pourrait donc se poser de savoir si, en 2024, il existe encore des marchandises destinées à être utilisées exclusivement à l’une ou l’autre fin.

À défaut d’une meilleure solution et puisque les « formules de rattachement » sont assez subjectives, l’OMD pourrait envisager d’éliminer toute référence à l’utilisation des marchandises et se limiter à appliquer une méthode strictement descriptive.

En savoir +
Les questions abordées dans le présent article sont abordées de manière plus approfondie dans le World Customs Journal (WCJ) : Wagner, O. (2023). The connection formula in classifying goods under the Harmonized System (HS) Convention

[1] H.Y. Electronics and Components Ltd contre l’État d’Israël, 2018. Dossier n° 57133-11-12.

[2] Iturit Communication Services Ltd contre l’État d’Israël, 1997. Dossier n° 2512/93.

[3] AutoPart Ltd contre l’État d’Israël, 2001. Dossier n° 1503/00.

[4] Tam. A.S. Industries Ltd contre l’État d’Israël, 2009, 2011. Dossiers n° 56946/06 et 2285/09.

[5]Filt Air Ltd contre l’État d’Israël, 2015, 2017. Dossiers n° 2846-10-12 et 5676-12-15.

[6] Hot Telecom Limited Partnership contre l’État d’Israël, 2021. Dossier n° 2670-08-15.

[7] Amit Frozen Pastry (2003) contre l’État d’Israël, 2023. Dossier n° 43468-12-21.

[8] « La CJE recourt également à « l’usage prévu » en tant que critère dans ses arrêts interprétatifs au titre de la Règle 1. La Cour argue que ces critères sont trop subjectifs : ils ne constituent pas des caractéristiques intrinsèques des marchandises de sorte que les autorités douanières ne peuvent y recourir au moment de l’importation. » Vermulst, E.A. EC Customs Classification Rules: Should Ice Cream Melt? 15 Mich. J. Int’l 1241, 1994. pp. 1271, 1282, 1283. https://repository.law.umich.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1556&context=mjil. Traduction de l’OMD

[9] « Pour être classées dans la position tarifaire, les importations doivent pouvoir être utilisées avec les marchandises énumérées ou s’y prêter mais il n’est pas nécessaire d’en démontrer l’usage principal ou l’utilisation réelle ». Irish, M., Objectivity and Statutory Interpretation: End Use in the Canadian Customs Tariff (2008) 46 Can YB Intl L 3-53. pages 27, 28. https://papers.ssrn.com/sol3/Delivery.cfm/SSRN_ID2055329_code1086652.pdf?abstractid=2055329&mirid=1. Traduction de l’OMD

[10] Haim Brunstein contre la Douane, Directeur TVA et taxe à l’achat, 1998. Dossier n° 176271/96.

[11] Bi-Sat Ltd contre l’État d’Israël, 2007, 2009. Dossier n° 15119/03. 3507/07.