Désengorger les frontières terrestres : une TRS conjointe met l’Afrique du Sud et l’Eswatini sur la bonne voie
25 juin 2024
Par Michael Lekala , du South African Revenue Service (SARS) and Nhlanhla Ntshakala , de l’Eswatini Revenue Service (ERS)
La frontière d’Oshoek/Ngwenya
Les postes frontières reliant les villes d’Oshoek en Afrique du Sud et de Ngwenya en Eswatini sont connus pour leurs longues files de camions, qui finissent inévitablement par bloquer la circulation routière, au détriment des voyageurs et des négociants. Près de 120 camions passent tous les jours par Oshoek, transportant essentiellement du charbon et des minéraux transformés (30 %), des produits manufacturés (15 %) et du sucre (12 %), contre quelque 300 camions par jour à Ngwenya, transportant principalement du charbon et des minerais (50 %) ainsi que des produits ménagers et de détail (25 %).
La situation a attiré l’attention non seulement des chefs respectifs des Services des recettes d’Eswatini et d’Afrique du Sud, mais aussi des hauts représentants gouvernementaux, parmi lesquels le premier Ministre d’Eswatini qui a demandé à ce que le problème des encombrements aux frontières soit traité à titre prioritaire. Compte tenu des gros volumes commerciaux passant par les deux postes frontières (50 % des échanges transfrontaliers pour l’Eswatini et 8 % pour l’Afrique du Sud), toute amélioration aura des retombées substantielles sur l’efficacité globale du commerce dans la région.
Discussions à haut niveau
La question a été débattue avec l’ancien Secrétaire général de l’OMD, Kunio Mikuriya, durant sa visite en Eswatini en mai 2023, ainsi que lors de divers forums nationaux et régionaux. Les différentes discussions ont abouti à un consensus sur la nécessité de mener une étude sur le temps nécessaire pour la mainlevée des marchandises (TRS) en vue de recenser les goulets d’étranglement tout au long des processus de dédouanement, de traitement et de mainlevée.
Pour ses précédentes TRS, focalisée sur la douane, le Service des recettes d’Eswatini (Eswatini Revenue Service – ERS) avait recouru à un cabinet de conseil, de sorte qu’il ne disposait d’aucune capacité en interne pour mener l’étude cette fois-ci. Le Service des recettes d’Afrique du Sud (South African Revenue Service – SARS) avait quant à lui mené une TRS au port de Durban, mais l’étude avait été réalisée durant la pandémie de COVID-19 et avait buté sur de nombreux problèmes, en faisant davantage une expérience d’apprentissage qu’un exercice d’analyse probant.
Tant l’Afrique du Sud que l’Eswatini sont des pays partenaires du Programme Accelerate Trade Facilitation de l’OMD, financé par le Service des recettes et des douanes (HMRC) du Royaume-Uni. Le renforcement des capacités de l’OMD faisait partie du partenariat stratégique pluriannuel du Programme avec les deux pays.
Préparatifs
Conformément à ce que préconise le Guide de l’OMD sur la TRS, les deux pays ont établi des groupes de travail techniques sur la TRS (GTT) en vue de piloter la conduite de l’étude conjointe, avec un mandat et une mission clairs. Les deux GTTS sont composés de membres permanents et de membres « ad-hoc ». Les membres permanents devront participer à toutes les TRS futures pour garantir la continuité des travaux et la préservation des connaissances institutionnelles, tandis que les membres ad-hoc sont spécifiquement choisis en fonction du poste frontière et de la modalité à l’examen. Les personnes invitées à prendre part aux travaux ont diverses compétences, expériences et responsabilités dans les procédures de dédouanement.
L’ERS a créé un GTT sous l’égide du Comité national de la facilitation des échanges (CNFE) pour garantir la collaboration, la mobilisation et l’adhésion des autres autorités publiques. Le CNFE sud-africain ayant un champ d’action limité, le SARS a impliqué dans l’étude la Border Management Authority (Autorité sud-africaine de gestion des frontières ou BMA) qui est une instance regroupant le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Agriculture, de la réforme agraire et du développement rural, le ministère de l’Environnement et le ministère de la Santé.
Par ailleurs, le SARS et l’ERS ont respectivement désigné une personne de référence pour gérer le projet au niveau national, pour garantir l’alignement des activités relatives à la TRS entre les deux pays et pour s’assurer que les Membres des GTT comprenaient bien les principales attentes de leur haute direction.
L’un des principaux objectifs de la TRS était de renforcer les compétences et les capacités de l’Afrique du Sud et de l’Eswatini pour qu’ils puissent mener ces études de manière autonome à l’avenir et ne plus dépendre autant des partenaires de développement internationaux ou des consultants. L’alignement des deux pays sur l’article 7.6 de l’Accord sur la facilitation des échanges de l’Organisation mondiale du commerce en sera ainsi renforcé. Le Secrétariat de l’OMD a apporté son concours à la conduite de la TRS en organisant des ateliers de renforcement des capacités à distance et sur place, en guidant les deux GTT dans l’élaboration des questionnaires de l’étude, en saisissant les données dans le logiciel TRS de l’Organisation et en vérifiant l’exactitude des questionnaires avant le début de la collecte des données. En outre, dans le cadre des échanges entre les pairs prévus par le programme Accelerate Trade Facilitation, des experts en TRS des autorités fiscales de Namibie et de Zambie ont été invités à partager leurs expériences et les enseignements qu’ils en ont tirés.
Déploiement
La TRS a été lancée lors d’un événement public auquel ont participé de hauts représentants des différentes parties prenantes impliquées dans l’étude. Cet événement a donné un élan considérable au projet.
L’étude a été menée sur une période de quatre jours, du 14 au 17 novembre 2023, entre 07h00 et 23h59. Pendant toute la durée de l’étude, les données ont été collectées manuellement par des agents recenseurs à l’aide des questionnaires conçus avec l’assistance du logiciel TRS de l’OMD. Des données supplémentaires ont également été recueillies à partir des systèmes informatiques des administrations douanières respectives et des autres organismes de réglementation. Toutes les données ont postérieurement été saisies dans le logiciel TRS en vue de les analyser.
Les statisticiens ont choisi d’utiliser une taille d’échantillon de 20 % pour les importations et les exportations, estimant que ce pourcentage était suffisamment représentatif. L’étude a ainsi pris en compte les données relatives à 1 295 déclarations douanières déposées au cours de la période de quatre jours pour les exportations sud-africaines/importations eswatiniennes et 205 déclarations pour les exportations eswatiniennes/importations sud-africaines.
Principales conclusions
Le rapport final de la TRS, qui présente les conclusions et décrit la voie à suivre concernant les réformes souhaitées, a été présenté le 20 mai 2024 lors d’un événement public. Toutes les parties prenantes ont convenu de leur responsabilité partagée dans l’amélioration des processus frontaliers et de la nécessité de mener régulièrement une TRS pour évaluer les progrès accomplis. L’événement a également été retransmis en direct afin de toucher un public plus large.
S’exprimant lors de l’événement, le Directeur général Nkambule a déclaré que « la réalisation de la TRS conjointe souligne notre engagement à considérer la frontière comme un pont entre nos nations plutôt que comme une ligne de démarcation, démontrant ainsi que nous incarnons pleinement la devise de l’OMD selon laquelle les frontières séparent, les douanes rapprochent ».
Edward Kieswetter, Directeur général du SARS, a insisté sur l’importance de la facilitation des échanges et a souligné que la collaboration entre les administrations douanières et les autres autorités publiques ouvre effectivement la voie à des améliorations concrètes.
La TRS au poste frontière d’Oshoek/Ngwenya a permis d’établir que les délais moyens d’exportation étaient d’une heure et 24 minutes à Oshoek et d’une heure et 1 minute à Ngwenya. Pour les importations, les délais étaient de 34 minutes à Oshoek et de 43 minutes à Ngwenya. L’étude a également révélé que 25 % des déclarations en douane ne font pas l’objet d’un pré-dédouanement, ce qui peut considérablement retarder le processus.
Dans ce contexte, le Directeur du SARS a appelé à renforcer la coopération entre les administrations douanières et les autres agences gouvernementales afin d’améliorer la facilitation des échanges. Une telle coopération serait cruciale pour la mise en œuvre réussie de la ZLECAf, qui peut considérablement stimuler la croissance économique en Afrique.
La TRS conjointe a mis le doigt sur plusieurs goulets d’étranglement majeurs, notamment au niveau des processus d’immigration, de récupération des camions et de vérification des importations du côté sud-africain qui contribuent aux périodes d’attente prolongées auxquels les chauffeurs de camions sont exposés.
En outre, le rapport de la TRS a permis de formuler les recommandations suivantes pour une mise en œuvre immédiate :
l’attribution de couloirs réservés aux procédures d’immigration et aux démarches douanières pour les chauffeurs de camions, afin de réduire les temps d’attente des voyageurs qui déclarent des marchandises ;
l’amélioration de l’infrastructure du réseau de communication ;
l’optimisation du processus de vérification des importations afin d’accélérer le dédouanement ;
l’établissement de points de reprise des véhicules désignés pour rationaliser le processus de récupération des camions.
Les mesures stratégiques recommandées à long terme prévoient notamment :
la désignation éventuelle du poste d’Oshoek en tant que poste frontière à arrêt unique (PFAU), ce qui permettrait de regrouper les procédures et les services de dédouanement du côté sud-africain en un seul lieu ;
la mise en œuvre d’un système de déclaration douanière régionale unique pour permettre aux opérateurs commerciaux de soumettre leurs déclarations une seule fois, les déclarations étant partagées entre les pays concernés par l’intermédiaire du système.
Réalisation des bénéfices
On ne saurait trop insister sur les bénéfices découlant de la conduite d’une TRS. L’exercice a permis d’établir des liens solides entre les organismes compétents des deux pays et de renforcer la confiance dans leur capacité et leur volonté de simplifier et d’harmoniser les procédures de part et d’autre de la frontière commune.
La mise en œuvre des mesures convenues en aval de la TRS devrait permettre de réduire les coûts relatifs au commerce et de créer des conditions commerciales favorables pour les entreprises légitimes, ce qui contribuera grandement à accroître la prévisibilité du processus de mainlevée ou de dédouanement et à améliorer notamment la gestion des stocks et les livraisons « juste à temps ».
Implications en termes de coûts
En formant leurs propres fonctionnaires avec le soutien de l’OMD, l’ERS et le SARS ont pu maintenir les coûts de la TRS à un niveau relativement bas. Les frais encourus par l’Eswatini pour mener à bien la TRS en 2024 ont été inférieurs de plus de 70 % à ceux de 2021, lorsque le Service avait engagé un cabinet de conseil. Une partie des économies peut être attribuée au fait que l’ERS n’a pas eu à fournir de logement à l’ensemble des 20 agents recenseurs qui ont été mis à contribution. Les seuls coûts que l’ERS a dû supporter ont été l’hébergement des agents qui n’avaient pas de possibilité de logement près de la frontière, l’organisation de l’événement de lancement, l’impression des matériaux écrits de l’ERS et la publication du rapport, les indemnités de subsistance et le transport aller-retour des agents entre la frontière et leur hôtel. Au total, les dépenses ont été inférieures à 180 000 emalangeli (soit environ 9 000 euros).
Quant au SARS, il a encouru des frais de 220 000 rands (soit environ 11 000 euros) couvrant les frais de voyage, la location de voitures, les vols, l’hébergement et les indemnités journalières de huit douaniers mobilisés aux fins de l’étude.
Il a été estimé que ces coûts auraient doublé si le programme Accelerate Trade Facilitation de l’OMD n’avait pas fourni l’assistance technique et le soutien nécessaires pour faciliter la formation des membres des GTT sud-africain et eswatinien.
Voie à suivre
Forts du succès de la TRS pour les postes frontières d’Oshoek/Ngwenya, l’Afrique du Sud et l’Eswatini prévoient de mener d’autres projets de TRS en vue de continuer à améliorer l’efficacité des échanges commerciaux. Les deux pays maintiendront leurs groupes de travail techniques et leurs chefs d’équipe TRS pour superviser les futures TRS qui serviront d’outils de diagnostic et de mesure de la performance pour les éventuelles réformes basées sur les données qu’ils devront entreprendre à l’avenir. Il incombera à l’ERS et au SARS, ainsi qu’aux groupes de travail techniques respectifs, d’institutionnaliser les connaissances et les capacités acquises, tandis que le Secrétariat de l’OMD pourra offrir des conseils et servir de caisse de résonance pour les initiatives futures en matière de TRS.
À l’avenir, le SARS a l’intention de mener une TRS à la frontière avec le Lesotho et le Mozambique au cours de l’exercice 2024/2025, tandis que l’ERS prévoit de mener une étude régionale impliquant le Mozambique et l’Afrique du Sud.
Facteurs de réussite
Il convient de ne pas sous-estimer la complexité de la conduite d’une TRS. L’un des principaux défis consiste à s’assurer de la participation et du soutien des autorités publiques et d’autres parties prenantes de premier plan, y compris du secteur privé, qui devront fournir des données.
Les facteurs de réussite sont notamment :
Un soutien et un engagement à haut niveau
Le soutien des Directeurs généraux respectifs du SARS et de l’ERS a joué un rôle essentiel dans la réalisation de la TRS. Ils ont supervisé le projet et ont réaffirmé leur enthousiasme et leur soutien à de multiples occasions. En outre, les Directeurs des douanes des deux Services, Mme Gugu Mahlinza pour l’ERS et M. Beyers Theron pour le SARS, se sont rencontrés régulièrement pour suivre les progrès accomplis et tous deux se sont fortement mobilisés pour maintenir l’engagement des parties prenantes en vue d’achever l’analyse et de publier les rapports.
L’organisation d’un événement de lancement
La publication de l’étude lors d’un événement de lancement a permis non seulement d’informer le public, mais aussi de susciter un intérêt autour de la TRS et de faire en sorte que les différentes parties prenantes s’approprient le projet et ses résultats. Des responsables à haut niveau des différentes parties prenantes ont assisté à l’événement, confirmant leur engagement envers le projet auprès d’un large éventail de représentants du gouvernement, de la société civile, de la communauté commerciale et des médias.
Des capacités internes solides et l’affectation de ressources adéquates
Le renforcement des capacités et de l’expertise des douaniers et des parties prenantes pour entreprendre une TRS garantit la cohérence et l’efficacité des études futures et contribue également à limiter les coûts associés à leur réalisation. Certaines activités, telles que la collecte de données, nécessitent une bonne affectation des ressources et il est important de veiller à ce qu’un nombre suffisant d’agents soit alloué à la conduite d’une TRS afin d’éviter que les effectifs ne se sentent épuisés et stressés durant l’exercice.
L’octroi au coordinateur TRS de moyens d’action suffisants
Le responsable de la TRS doit jouir de la marge de manœuvre suffisante pour faire avancer le projet et doit donc pouvoir rendre compte directement à l’encadrement supérieur, en particulier lorsqu’il est nécessaire de prendre des décisions immédiates.
Souplesse et flexibilité
Il est impératif de faire preuve d’une grande capacité d’adaptation et d’être prêt à relever des défis propres aux différentes frontières et modalités. À cette fin, adapter la TRS aux conditions locales peut renforcer l’efficacité d’une étude.
Un climat de collaboration
Toutes les parties prenantes, les autorités publiques et les acteurs du secteur privé doivent rester mobilisés à tout moment pour garantir la réussite du projet. Il est impératif que la TRS soit perçue comme un projet national profitant à l’ensemble du pays, plutôt que comme un simple exercice douanier. Favoriser un climat de collaboration et de dialogue en organisant des réunions régulières, ou en envoyant des courriers électroniques pour faire le point de la situation et examiner les progrès accomplis, est tout aussi essentiel au succès d’une TRS. Cela permettra en particulier de veiller à ce que les recommandations résultant de l’étude soient mises en œuvre, en particulier celles relatives aux processus qui ne relèvent pas de la responsabilité des douanes.
La validation des constatations à haut niveau
Les conclusions de la TRS doivent être rendues publiques et validées officiellement par toutes les parties prenantes concernées, et ce au niveau de leur direction afin de garantir que les recommandations soient soutenues par des personnes influentes et effectivement mises en œuvre.
Expérience partagée
Les pays partenaires du programme Accelerate Trade Facilitation de l’OMD se réunissent régulièrement avec l’équipe du programme et les experts de l’OMD pour partager leurs expériences et les enseignements tirés. Lors de la réunion des correspondants nationaux de juin 2024 qui a rassemblé tous les pays partenaires, l’ERS et le SARS ainsi que les autorités fiscales de Namibie et de Zambie ont partagé leurs expériences de la TRS. Ces réunions constituent une occasion importante de mettre en lumière les défis mais aussi les lacunes et les besoins, autant d’éléments qui iront alimenter les futures mises à jour du Guide de l’OMD sur la TRS.
Conclusion
La réussite de cette TRS découle d’une réunion tenue lors de la réunion de la Commission de politique générale et du Conseil de l’OMD de juin 2023, au cours de laquelle des discussions sur les longues files d’attente constituées par les camions à la frontière Oshoek/Ngwenya se sont tenues pour la première fois entre le Directeur général de l’ERS, Brightwell Nkambule, le Directeur du SARS, Edward Kieswetter, et Mme Donia Hammami, la responsable du Programme Accelerate Trade Facilitation de l’OMD. Toutes les parties ont convenu à cette occasion qu’une TRS devrait être menée en tant que programme prioritaire pouvant aider à trouver des solutions aux problèmes et inconvénients subis par les commerçants et les voyageurs. Bien que le fait de réaliser une TRS conjointe coule de source aux frontières terrestres, ce n’est pas chose courante compte tenu la complexité de l’entreprise, et la TRS Oshoek/Ngwenya est d’ailleurs la première étude conjointe de ce type jamais réalisée dans l’Union douanière d’Afrique australe.