Comment la tomographie muonique peut contribuer à l’écosystème des données douanières
31 octobre 2024
Par Kevin Davies, Decision Sciences International Corporation (DSIC)Les menaces à la sécurité et au bien-être général des personnes partout dans le monde ne font que s’accroître. Compte tenu de l’internationalisation des chaînes logistiques aujourd’hui, la lutte contre ces menaces exige des gouvernements qu’ils contrôlent rigoureusement les opérations commerciales à l’importation, à l’exportation et en transit. À ce titre, la détection d’envois contenant des marchandises prohibées ou passées en contrebande est un problème récurrent qui fait dire aux douaniers qu’ils ont souvent l’impression de chercher une aiguille dans une botte de foin.
Pour renforcer leurs capacités dans ce domaine, les administrations des douanes s’appuient depuis quelques temps sur les technologies d’inspection non intrusive (INI), notamment sur les systèmes conventionnels de rayons X à haute énergie. Une technologie d’INI récemment utilisée aux fins des contrôles de fret offre des possibilités nouvelles et uniques : la tomographie muonique. Cette technologie possède une capacité de pénétration inégalée pour contrôler efficacement les matières et les marchandises les plus denses, dépassant de loin les possibilités des systèmes à rayons X sans pour autant être nocive pour les êtres humains et sans exiger le moindre blindage. Qui plus est, elle tire parti des algorithmes d’apprentissage profond en vue de détecter de manière précise les anomalies dans le fret.
La tomographie muonique, qu’est-ce que c’est ?
Les rayons cosmiques primaires s’écrasent dans l’atmosphère terrestre pour produire un flux continu et inoffensif de muons et d’électrons. Ces particules tombent en permanence depuis l’atmosphère sur la surface de la Terre, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. En moyenne, au niveau de la mer, plus de 5 000 muons et 2 000 électrons traversent notre corps chaque minute, ce qui équivaut à 1 muon par centimètre carré par minute.
La tomographie muonique permet d’exploiter les caractéristiques de ces deux particules pour produire des images tridimensionnelles riches en données, en toute sécurité et sans avoir à utiliser de protection contre les rayonnements.
Le niveau d’énergie naturelle des muons est en moyenne 1 000 fois supérieur à celui des plus grandes machines à rayons X, de sorte que les muons pénètrent même les matières les plus denses, comme le plomb, l’acier, le ciment, la pierre, l’uranium et le minerai de fer, ce qui n’est pas possible avec les rayons X.
Quant aux électrons, leur impulsion est inférieure à celle des muons et ils se dispersent donc bien plus facilement. Lorsque des muons et des électrons passent à travers une matière, ils s’éparpillent (ou peuvent être arrêtés dans le cas des électrons) sur des trajectoires qui varient en fonction de la densité et de la composition chimique de la matière en cause. L’analyse des schémas de diffusion des muons permet de distinguer les matières de haute densité et celle des schémas de diffusion (ou d’arrêt) des électrons, les matières organiques de faible densité. Des algorithmes de reconstruction et des techniques d’IA sont utilisées pour analyser les trajectoires et les interactions des muons et des électrons avec les objets et les matières, ce qui permet de générer une image unique en 3D.
Les algorithmes d’apprentissage profond
Les systèmes de tomographie muonique sont dotés d’algorithmes d’apprentissage profond, une classe d’algorithmes d’apprentissage automatique qui utilisent des réseaux neuronaux convolutifs (CNN) pour générer des prédictions. Les CNN sont une famille de réseaux neuronaux artificiels qui permettent actuellement d’obtenir des résultats de pointe pour certaines tâches de vision par ordinateur et, à ce titre, ils sont de plus en plus utilisés pour l’imagerie dans les systèmes d’INI. Ces algorithmes d’apprentissage profond sont au cœur du système d’imagerie muographique. Ils permettent aux analystes d’images de repérer les anomalies mises en évidence par la machine, à l’aide d’outils tels que le VOI (volume d’intérêt), un outil de marquage dans un environnement 3D qui équivaut au ROI (région d’intérêt) des systèmes d’inspection par rayons X existants.
La tomographie muonique est utilisée pour créer des images à trois canaux, avec des canaux qui utilisent à la fois les informations des muons et des électrons (ce qui est non négligeable) pour générer des reconstructions séparées, comme indiqué plus haut, qui sont ensuite concaténées. Seules quelques entreprises privées ont réussi à développer des applications axées sur les technologies modernes de vision par ordinateur et l’apprentissage profond pour les reconstructions basées sur les muons et à incorporer ces modèles dans un système d’inspection… et une seule est parvenue à commercialiser un produit qui est désormais disponible sur le marché !
Les modèles d’apprentissage profond sont entraînés sur des jeux de données propriétaires, collectés, étiquetés et conservés par le développeur de manière fédérée pour garantir l’intégrité des données et faciliter les exigences en matière de cybersécurité. Cette bibliothèque comprend des modèles développés à l’aide de méthodes et de techniques basées sur la segmentation sémantique, la détection d’objets et la régression d’image :
— Segmentation d’images : une étiquette est attribuée à chaque pixel d’une image, de sorte que les pixels ayant la même étiquette partagent certaines caractéristiques. Cette technique est généralement utilisée pour délimiter les objets et les contours (lignes, courbes, etc.) dans les images.
— Accélération de l’image : technique d’amélioration de l’image utilisée pour accélérer la génération d’une reconstruction (qui prend normalement plus de temps), réduisant ainsi considérablement le temps que les marchandises doivent passer sous le détecteur.
— Détection des anomalies/régions d’intérêt : un détecteur de pointe est utilisé pour résoudre ce qui peut se présenter comme un problème de détection d’objets. Chaque voxel (pixel 3D) est supervisé ou analysé individuellement afin d’améliorer la précision et la qualité des données d’imagerie. Cette méthode est particulièrement avantageuse pour les petits jeux de données et permet d’aboutir à de solides résultats qui ne sont généralement possibles qu’en utilisant des détecteurs plus complexes.
Coûts
Les coûts initiaux pour l’achat d’un système de tomographie muonique à des fins d’inspections douanières non intrusives seront environ deux fois plus élevés que pour un système standard de rayons X à haute énergie. Je pense toutefois que le facteur le plus important à prendre en considération à cet égard est le coût du cycle de vie du matériel. Le système de muographie ne comporte aucune pièce mobile et ne nécessite aucun mur ou bâtiment de protection contre les rayonnements ; les frais d’entretien annuels sont minimes, l’expérience montrant qu’ils ne représentent en moyenne que 30 % environ de ceux d’un système classique de radiographie à haute énergie. Cette réduction significative des charges annuelles représente une économie considérable pour les administrations des douanes. Si l’on examine l’ensemble des coûts d’exploitation et d’acquisition, le système à rayons X conventionnel et le système de tomographie muonique affichent un niveau de coût comparable au cours de la cinquième année du cycle de vie moyen attendu pour ce type d’équipement, soit 15 ans, le système à muons coûtant ensuite nettement moins cher en termes réels d’année en année, avec tous les avantages qui en découlent : aucun rayonnement nocif, des images en 3D et un taux de pénétration inégalé, qui garantit une haute probabilité de détection.
Études de cas
Les applications des algorithmes d’apprentissage profond dans le domaine de la tomographie muonique sont très réelles et elles sont déjà disponibles aujourd’hui.
La photo de gauche montre un exemple simple de segmentation d’image appliquée aux données obtenues par tomographie muonique : les modèles ont été entraînés à distinguer les voxels remplis de matières de ceux remplis d’air uniquement, ce qui a permis au système de nettoyer les bavures du signal et de produire une image beaucoup plus claire. Les images montrent une vue latérale de la partie arrière d’un conteneur et d’une remorque. Les deux roues et les essieux de la remorque sont visibles en bas de l’image et directement au-dessus d’eux se trouve une palette de gravier, et à l’avant, un bloc de granit de trois tonnes. Dans l’image brute, les matières apparaissent entourées comme d’un nuage. Il s’agit d’un effet des algorithmes de reconstruction utilisés pour produire l’image. Dans l’image segmentée, les matières ont été dissociées de l’air environnant et les bavures ont été supprimées, produisant une image beaucoup plus nette que l’opérateur peut alors analyser.
L’image de gauche montre un exemple d’application de la technique d’accélération d’image aux données obtenues par tomographie muonique. Elle montre deux palettes de gravier vues de haut. La palette inférieure est entièrement constituée de gravier, tandis que la palette supérieure contient un substitut de fentanyl. L’image brute a été créée à partir de l’analyse des données muoniques recueillies pendant 60 secondes. Elle présente une variation significative du niveau d’intensité du signal, ce qui lui donne un aspect « bruité ». L’image accélérée a été créée en appliquant les modèles d’imagerie accélérée. La variation du signal est considérablement réduite, ce qui permet à l’opérateur d’obtenir une image d’une qualité et d’une clarté bien supérieures.
La saisie de plus de deux tonnes de marijuana par le service de la Douane et de la protection des frontières des États-Unis (CBP) au point d’entrée de Mariposa, le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, est un exemple concret d’utilisation de la technique d’accélération d’image. Dans ce cas précis, les contrebandiers avaient choisi de dissimuler la drogue dans des contenants métalliques, qui avaient ensuite été soudés et dissimulés à l’intérieur de grands rouleaux de tôle. Ce processus sophistiqué permet de créer de grands espaces intérieurs pour cacher les produits de contrebande et les envelopper dans du métal, ce qui rend la détection par les systèmes à rayons X encore plus difficile.
Le camion a été soumis à un contrôle aux rayons X de 6 MeV qui a généré une image ne montrant qu’une zone noire et dense. Il est également passé par un système de muographie qui a abouti à l’image de droite montrant clairement une anomalie dans la structure interne des rouleaux d’acier. La reconstruction d’une image ne prend que 30 secondes et est disponible en trois minutes sur le poste de travail de l’opérateur.
À gauche, deux images de l’un des rouleaux d’acier. Une fois de plus, l’image brute présente un aspect « bruité », tandis que l’image accélérée est beaucoup plus claire. La structure interne des rouleaux d’acier est clairement visible pour l’opérateur du système muographique.
Les modèles d’apprentissage profond basés sur la méthode des régions d’intérêt et des volumes d’intérêt ont un champ d’application assez large, puisqu’il existe de nombreuses raisons de considérer qu’une région présente un « intérêt ». Un volume présentant un objet identifiable ou une autre sous-structure particulière qui peut être révélatrice d’une anomalie peut être considéré comme digne d’intérêt. Un volume ou une région peuvent également présenter un intérêt s’ils se distinguent des autres volumes d’un conteneur. Une fois que les données du manifeste seront disponibles et intégrées à l’analyse, il sera possible d’identifier des articles ou des matières qui n’apparaissent pas sur le manifeste.
La méthode VOI est particulièrement intéressante pour détecter la présence d’êtres humains. Les personnes produisent une signature reconnaissable lorsque les muons et les électrons les traversent et un modèle d’apprentissage automatique a été mis au point pour détecter leur présence éventuelle dans un chargement de marchandises. L’image de gauche montre un exemple de cette fonctionnalité. Trois hommes se tiennent dans différentes positions à l’intérieur d’un conteneur rempli de palettes de matériel. Les images reconstituées du conteneur montrent clairement les trois silhouettes humaines en rouge.
En utilisant des modèles d’apprentissage profond et des techniques avancées de traitement d’images, la tomographie muonique peut détecter rapidement et précisément des anomalies dans le fret, réduisant ainsi les fausses alertes et augmentant les probabilités de détection. À mesure que la technologie qui les sous-tend continue d’évoluer et que les autorités donnent accès aux données pertinentes, ces systèmes passifs, qui s’inscrivent dans le droit fil du Cadre de normes SAFE, promettent de jouer un rôle essentiel pour préserver le commerce mondial et garantir la sécurité des personnes ainsi que de l’intégrité et la sûreté des chaînes logistiques.
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