Dossier: Gérer le commerce électronique

De l’action à l’impact : accroître la capacité des douanes à gérer le commerce électronique transfrontalier

24 octobre 2025
Par Ian Saunders, Secrétaire général de l'OMD

Au cours des dix dernières années, le commerce électronique transfrontalier s’est imposé comme l’un des principaux sujets de discussion à l’OMD, témoignant de l’importance de ce modèle commercial pour la plupart des économies et de la variété des défis qu’il pose aux douanes partout dans le monde.

Le comportement des consommateurs a en effet profondément changé. Les habitudes adoptées pendant la pandémie de COVID-19 perdurent et, avec la généralisation des portefeuilles numériques et des systèmes de paiement instantané, des millions de personnes peuvent aujourd’hui acheter plus facilement des produits sur la Toile. Pour de nombreux foyers, l’achat en ligne, que ce soit directement auprès de vendeurs ou via des plateformes, est devenu le principal moyen de faire des emplettes.

L’une des grandes tendances qui caractérisent ce type de commerce est l’explosion des envois de minimis, c’est-à-dire des envois contenant des marchandises dont la valeur est inférieure aux seuils à partir desquels des droits et des taxes sont prélevés, et pour lesquels seules des informations minimales sont requises aux fins du dédouanement. Plusieurs études de cas et rapports internationaux montrent une augmentation à deux chiffres des volumes de colis de minimis, s’accompagnant d’une hausse tout aussi importante des paiements en ligne, au cours des cinq dernières années.

Or, bien que les envois de commerce électronique posent les mêmes risques que les envois conteneurisés sur le plan sanitaire, sécuritaire et économique, contrôler ces flux de marchandises en vue d’empêcher le mouvement de produits frappés d’interdictions ou de restrictions, ou encore de déterminer si ces envois ont été fractionnés et/ou sous-évalués pour éviter de payer les droits et taxes exigibles, représente un défi.

Les tâches liées à la livraison matérielle de produits à travers les frontières restent les mêmes : commander, expédier et payer. Toutefois, le morcellement du mouvement des marchandises en raison du grand nombre d’envois et de destinataires, l’apparition de nouveaux intermédiaires dans la chaîne logistique ainsi que l’imprécision et l’inexactitude des données électroniques fournies par certaines parties prenantes compliquent énormément les opérations de contrôle.

Afin de faire la lumière sur les divers modèles d’entreprise du commerce électronique et de proposer des solutions pratiques et concertées pour gérer le mouvement transfrontalier de marchandises qu’ils génèrent, l’OMD a initié en 2016 le développement d’un Cadre de normes pour le commerce électronique transfrontalier (ci-après Cadre sur le commerce électronique) et d’un Dossier d’outils étayant sa mise en œuvre.  Ce travail a été réalisé en partenariat avec le secteur privé, d’autres organisations internationales, des vendeurs / des plateformes en ligne, les transporteurs express, des opérateurs postaux, des transitaires et des instituts universitaires et de recherche. Le Cadre a été adopté par le Conseil de l’OMD en juin 2018.

16 normes portant sur la gestion des risques orientées données et sur la facilitation des échanges de commerce électronique transfrontalier

Révisé en 2022, le Cadre propose 16 normes mondiales de base axées sur l’échange de données électroniques préalables et sur la qualité des données pour une gestion des risques effective et efficace. Il promeut également le concept d’Opérateur économique agréé (OEA), le recours aux appareils d’inspection non intrusive (INI), l’analyse des données et d’autres technologies de pointe à l’appui d’un commerce électronique transfrontalier sûr, sécurisé et durable. Chaque norme du Cadre s’accompagne de Spécifications techniques qui offrent des orientations quant à sa mise en œuvre.

Un vaste plan de renforcement des capacités a par ailleurs été ajouté au Dossier pour guider les activités du Secrétariat de l’OMD, ainsi que des indicateurs clés de performance (KPI) permettant le suivi de la mise en œuvre des normes de l’OMD et le recensement des besoins en matière de renforcement des capacités.

Dès que le Dossier sur le commerce électronique a été adopté, des ateliers ont été organisés dans chacune des six régions de l’OMD pour présenter les normes du Cadre et ouvrir une discussion entre les administrations des douanes, les opérateurs postaux, les transporteurs express, les plateformes de commerce électronique et les décideurs politiques sur les principales mesures de mise en œuvre à adopter. Des activités de renforcement des capacités ont été organisées pour les administrations qui avaient demandé un soutien technique et qui avaient mené une évaluation basée sur les KPI de l’OMD. La Douane de Jordanie, par exemple, a revu ses processus, les administrations des îles du Pacifique ont travaillé sur la gestion des risques, l’administration de Bosnie-Herzégovine s’est penchée sur de nouveaux modèles de recouvrement des recettes, et la Douane du Honduras a lancé un projet pilote concernant des régimes de dédouanement simplifiés pour les envois de minimis. Toutes ces expériences montrent que des principes mondiaux peuvent être adaptés aux réalités nationales.

Des réformes en cours partout dans le monde

Une analyse des rapports d’auto-évaluation et des études de cas publiées par l’OMD montre que plus de 85 administrations douanières ont revu ou amélioré leur cadre légal ou opérationnel, numérisant leurs processus et lançant des programmes de conformité volontaire, entre autres. Certaines administrations des douanes ont fait état d’une réduction significative du temps nécessaire pour le dédouanement, passant parfois de plusieurs jours à moins de 24 heures, avec des taux de détection plus élevés de produits illicites et une augmentation des recettes recouvrées.

Les gouvernements ont choisi des approches diverses concernant les seuils de minimis. Certains ont éliminé ou ont prévu d’abaisser ou d’abolir le seuil en dessous duquel les produits ne sont plus soumis à la TVA. D’autres en ont fait de même pour les droits de douane. Il convient de souligner que la norme 9 et ses Spécifications techniques offrent des orientations concernant l’application des seuils de minimis et les divers éléments que les gouvernements doivent prendre en compte lorsqu’ils les revoient ou les adaptent.

Les transporteurs express, les opérateurs postaux et les centres d’exécution des commandes ont également fortement investi dans des infrastructures, des systèmes informatiques et des réseaux de livraison optimisés.

Examen collectif des problèmes liés à l’évaluation en douane

En 2023, l’OMD a organisé deux symposiums sur le commerce électronique et l’évaluation en douane, réunissant des administrations douanières mais aussi des organisations internationales et des parties prenantes du secteur privé, en vue de se pencher sur la façon dont la croissance rapide du commerce électronique était en train de remodeler les pratiques d’évaluation en douane et les modèles de recouvrement des recettes. Les discussions ont porté sur les effets profondément transformateurs de la transition vers des transactions Entreprise à Consommateur (B2C) et Consommateur à Consommateur (C2C), sur le recours accru aux systèmes de paiement numériques, sur les difficultés à déterminer la valeur en douane des envois de faible valeur et sur les approches émergentes en matière de collecte de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de la taxe sur les produits et services (TPS). Les nouveaux modèles d’entreprise basés sur l’exécution des commandes[1] (fulfillment en anglais) et le rôle de l’intégrité des données aux fins des contrôles de l’évaluation ont également été abordés. Ces échanges de vues ont incité à l’OMD à lancer les travaux d’élaboration d’un nouvel outil sur le processus d’exécution des commandes et ses conséquences pour les douanes, outil dont le premier jet a été présenté aux organes de travail compétents à l’automne 2024. Les travaux se poursuivront dans les prochains mois sur la base d’une collaboration continue entre Membres avec la participation des parties prenantes.

Des risques associés au commerce électronique mieux connus et ciblés

Force est de constater que, malheureusement, toutes sortes de marchandises illicites, voire parfois dangereuses, sont expédiées via les colis postaux et express. L’analyse des données soumises par les administrations des douanes à la base de données du Réseau douanier de lutte contre la fraude (CEN) montre une augmentation du nombre de saisies de produits illicites transportés par ces opérateurs, mais aussi une hausse des volumes de marchandises interceptées.

Cette tendance se retrouve également dans les résultats des opérations de lutte contre la fraude de l’OMD. Les données recueillies au cours des éditions 2020 et 2021 de l’Opération STOP ciblant les médicaments et les produits médicaux illicites, par exemple, indiquaient que le phénomène se limitait à l’Europe. Les experts du Secrétariat de l’OMD ont alors décidé de mener un travail de sensibilisation et de recentrer l’opération sur le courrier et les colis postaux. Durant l’opération STOP III, en conséquence, les douanes de toutes les régions du monde ont signalé des saisies sur les envois postaux et express. Les résultats de l’Opération de lutte contre les drogues de synthèse (Opération GOALS de son acronyme anglais) menée en 2021 sont également frappants : le courrier postal représentait 83 % des saisies de stupéfiants, les drogues ayant été dissimulées à l’extérieur des colis (sous un timbre, un autocollant ou l’enveloppe plastique contenant les documents), à l’intérieur de l’emballage (parois latérales du colis, enveloppe, etc.) et à l’intérieur des envois (par exemple, dans les marchandises).

Des mesures pour améliorer la qualité et la quantité des données ont été ajoutées à l’édition 2025 du Recueil sur la gestion des risques, notamment l’introduction d’équipements d’inspection non intrusive et l’utilisation de technologies de pointe et leur intégration. Les informations recueillies grâce aux initiatives de lutte contre la fraude de l’OMD nous ont permis de réviser une fois de plus les indicateurs de risque pour les envois postaux et express, qui sont inclus dans le volume 2 du Recueil sur la gestion des risques depuis 2013. Une liste actualisée devrait être publiée en 2026.

J’aimerais profiter de cette occasion pour rappeler aux Membres de l’OMD qu’ils peuvent tous contribuer à cet important travail en soumettant au CEN les données non nominatives sur leurs saisies et en participant aux opérations de lutte contre la fraude de l’OMD.

En novembre 2025, l’OMD organisera un troisième symposium, sur le thème « Éliminer les contrefaçons du commerce électronique » qui permettra de partager les conclusions de l’opération STOP IV ainsi que les pratiques relatives à l’utilisation des données pour détecter les produits portant atteinte à la propriété intellectuelle dans le flux postal et des colis. J’invite les représentants de toutes les parties prenantes de la chaîne logistique du commerce électronique à se joindre à nous pour l’occasion.

Qu’attendre de l’avenir

Le mécanisme de modification du Dossier sur le commerce électronique, qui suit un cycle de révision sur quatre ans, se base sur les expériences des Membres en matière de mise en œuvre du Cadre de normes pour l’élaboration des mises à jour. L’OMD se centre donc à présent sur la consolidation de la mise en œuvre tout en affinant le Cadre et les Spécifications techniques afin qu’ils soient en phase avec ce qui est observé sur le terrain dans cet environnement très dynamique.

Les sujets et les tendances qu’il conviendra d’étudier plus avant incluent notamment les rôles et les responsabilités des diverses parties prenantes, telles que les centres d’exécution des commandes et les plateformes de commerce électronique, et l’octroi aux plateformes de commerce électronique de davantage de prérogatives concernant les aspects et les risques fiscaux et non fiscaux, notamment pour la soumission des données aux douanes. Dans le cadre du dépôt des données électroniques préalables, il a été envisagé de rouvrir les discussions qui se sont tenues par le passé sur l’harmonisation des exigences en matière de données au niveau mondial.

Au cours des quatre dernières années, le Cadre de normes de l’OMD pour le commerce électronique s’est avéré être un outil non seulement applicable mais aussi transformateur. Notre travail n’est pas encore terminé pour autant. À travers l’OMD, les administrations des douanes et les parties prenantes doivent continuer à améliorer les normes et les outils, mais aussi à développer le vivier de connaissances collectives de la communauté concernant les défis et les perspectives auxquels elle est confrontée et à partager les pratiques éprouvées.  Ce n’est qu’en faisant fond sur leur motivation, leur expérience et leurs partenariats que les douanes pourront s’assurer d’être continuellement en mesure de remplir leur mission polyvalente dans le cadre du commerce électronique.

[1] Par « exécution des commandes » (fulfillment), on entend l’ensemble du processus de traitement des commandes, généralement prises en charge par des prestataires de services logistiques (réception des commandes, emballage, affranchissement des envois, envoi au client final, gestion des retours).