Utiliser les déclarations de patrimoine pour renforcer l’éthique : l’expérience de Maurice
23 juin 2025
Par Rajeev Gobin, chef de la division des affaires internes de l’Autorité fiscale de MauriceToute nouvelle recrue de l’Autorité fiscale de Maurice (MRA) doit déclarer son patrimoine et ses intérêts commerciaux, ainsi que ceux de son conjoint et de ses enfants mineurs (le cas échéant). Cette déclaration doit être refaite tous les trois ans. Ces dernières années, la MRA a fait du contrôle de la véracité des informations fournies dans ces déclarations la pierre angulaire de son cadre éthique, document qui décrit les instruments (politiques et procédures), les structures (comités) et les facteurs culturels (valeurs) relatifs à l’éthique au sein de l’administration. Autrefois lourd et fastidieux, ce processus de contrôle est devenu un puissant mécanisme de détection de l’enrichissement illicite, de la fraude fiscale et des conflits d’intérêts.
Cadre juridique
Le système de déclaration du patrimoine de la MRA repose sur un cadre juridique solide constitué des textes clés ci-après.
- La loi de 2004 sur la MRA qui a créé la division des affaires internes, chargée d’enquêter sur les fautes des agents, notamment les enrichissements illicites, les conflits d’intérêts et les irrégularités financières.
- La loi sur la déclaration du patrimoine et sa loi modificative qui régissent la déclaration du patrimoine dans le secteur public. La loi modificative, adoptée en 2019, élargit la définition des éléments du patrimoine à déclarer et les catégories de personnes qui sont tenues de déclarer leurs actifs et leurs passifs, de sorte à inclure tous les hauts fonctionnaires de la fonction publique.
- La loi de 2023 sur la Commission des infractions financières qui a incriminé l’enrichissement illicite et a transféré la charge de la preuve vers les fonctionnaires. Elle a également habilité la division des affaires internes à enquêter sur les décalages entre le patrimoine déclaré par les fonctionnaires et leur train de vie et à leur demander des comptes s’ils se sont enrichis de manière inexpliquée.
Ensemble, ces textes créent un cadre juridique dans lequel les fausses déclarations ont de vraies conséquences : les déclarations de patrimoine ne relèvent pas de la pure forme, mais sont de vrais outils dans la lutte contre la corruption.
Les « soldats »
Les efforts de Maurice en la matière reposent sur une petite mais formidable équipe dotée de larges pouvoirs d’enquête : la division des affaires internes. Elle est composée de 11 agents spécialistes de la criminalistique financière et des enquêtes sur le lieu de travail, et de 2 agents de soutien, chargés de gérer les documents et de veiller à ce que toutes les déclarations soient reçues dans les délais.
Les membres de cette équipe, pour qui chaque dossier est un pas vers la responsabilisation, ont mis au jour de nombreuses fautes professionnelles, par exemple des déclarations fiscales erronées, des habitudes de jeu excessives et fréquentes ou encore des enrichissements inexpliqués. Des mesures disciplinaires ont été prises à l’égard des agents concernés, allant de l’avertissement écrit à la résiliation du contrat de travail d’agents de différents rangs. Certains dossiers ont même été transmis à la Commission indépendante de lutte contre la corruption (aujourd’hui Commission des infractions financières) et à la police mauricienne aux fins d’enquête pénale.
Cependant, la division des affaires internes ne fait pas qu’enquêter : elle dirige aussi des ateliers de formation à l’éthique et à l’intégrité et réalise des sondages pour comprendre comment la corruption et l’intégrité sont perçues. Elle compte trois experts accrédités par l’OMD et un expert « reconnu » par l’OMD, c’est à dire qui n’a pas suivi le processus d’accréditation, mais dont l’expérience et l’expertise lui permettent de représenter l’Organisation. Ces cinq dernières années, ces quatre agents ont participé à 39 activités de renforcement des capacités de l’OMD.
Procédure
Les étapes à suivre pour la vérification des déclarations de patrimoine et pour la transmission des dossiers aux fins de contrôle fiscal sont décrites dans un manuel.
La vérification comprend deux phases :
- L’évaluation élémentaire des risques qui est réalisée dès que le fonctionnaire prend ses fonctions afin de repérer rapidement les dettes. Cette évaluation suppose d’analyser les déclarations de patrimoine à la recherche de divergences (augmentation du patrimoine plus rapide que celle des revenus déclarés, par exemple) et d’incohérences (forte augmentation inexpliquée du patrimoine déclaré ou patrimoine disproportionné, par exemple). Des outils analytiques permettent une analyse automatique et cohérente des données et une comparaison des déclarations au fil des ans pour mettre en évidence des tendances, des changements ou des anomalies. La vérification de la déclaration de patrimoine va de pair avec l’évaluation du respect des obligations fiscales ; la plupart des informations nécessaires au contrôle fiscal sont disponibles en interne et facilement accessibles aux enquêteurs. Les données relatives au patrimoine sont en outre recoupées avec les données des déclarations fiscales, des registres de propriété, des opérations financières et des transactions commerciales internationales.
- Les enquêtes sur le train de vie qui se concentrent sur les habitudes de dépenses des fonctionnaires ou sur des activités inhabituelles. En cas de décalage entre le patrimoine net du déclarant et son train de vie (possession de véhicules de luxe ou dépenses extravagantes, par exemple), une enquête approfondie est ouverte. Dans ces cas de figure, l’équipe s’entretient avec le déclarant, analyse ses réseaux sociaux et enquête sur le patrimoine des membres de la famille ou des parties liées, au moyen de méthodes secrètes ou non secrètes.
Des enquêtes placées sous le signe de la collaboration
La division des affaires internes travaille en étroite collaboration avec la cellule de renseignement financier et d’autres organismes gouvernementaux pour retrouver les actifs cachés, même ceux qui sont dissimulés à l’étranger. En s’appuyant sur le recueil de renseignements, des techniques de criminalistique financière et des outils juridiques, elle retrouve la trace des enrichissements illicites par-delà les frontières, de sorte qu’aucun gain illicite ne reste dans l’ombre.
Difficultés rencontrées et enseignements tirés
Les déclarations de patrimoine ne suffisent pas : elles doivent faire partie d’un écosystème parfaitement crédible où la vérification est systématique et débouche sur des conséquences réelles. Maurice prouve à ce sujet que même les petits États peuvent être les fers de lance de solutions de bonne gouvernance.
Une des difficultés rencontrées lors de l’analyse des déclarations de patrimoine tient au nombre de faux positifs. Les décalages peuvent s’expliquer par des raisons légitimes, par exemple un héritage ou la richesse du conjoint. Il est donc essentiel de mettre en place un processus de vérification en plusieurs étapes et de mener une enquête approfondie avant de porter des accusations, tout en appliquant des protocoles de confidentialité stricts.
Autre difficulté : la vérification manuelle peut être gourmande en ressources. La MRA a bien progressé dans l’automatisation du processus en mettant en place des solutions fondées sur l’intelligence artificielle, mais d’autres pays pourraient ne pas disposer des outils et de l’infrastructure informatique nécessaires.
Enfin, en fonction du cadre juridique, il peut être difficile de prouver l’enrichissement illicite. La loi sur la Commission des infractions financière a déplacé la charge de la preuve vers les fonctionnaires, mais cette mesure est relativement récente et son application évolue encore. Des problèmes juridiques pourraient encore se poser.
Conclusion
Pratiquement tous les dossiers épinglés aux fins d’un contrôle fiscal par la division des affaires internes ont débouché sur la détection d’une fraude fiscale, d’un enrichissement illicite, de revenus non déclarés, d’une richesse inexpliquée ou de faits de corruption chez des agents de la MRA ou leurs proches collaborateurs ou leurs parents. Cela semble avoir renforcé la culture de l’intégrité. En effet, il ressort des commentaires recueillis auprès d’un large éventail de parties prenantes lors du sondage sur la perception de l’intégrité douanière (SPID) mené en 2024 que les politiques et les pratiques en place sont vues positivement. L’indice d’intégrité de l’organisation est passé de 75,7 à 76,8.
Le Ghana, le Kenya et l’Ukraine ont adopté des cadres de déclaration de patrimoine similaires avec des résultats prometteurs, ce qui donne à penser que le modèle peut être adapté à différents contextes politiques et économiques. La MRA reste à la disposition des administrations douanières qui souhaitent en savoir plus sur son système de déclaration de patrimoine.
En savoir +
Contact the author