Évaluer les progrès de la Chine en matière de facilitation des échanges – quelques observations de la part d’un institut indépendant
24 juin 2024
Par Zhou Zhuojian, Directeur adjoint and Li Yaling, chercheuse associée, Centre de recherche sur la sécurité et la facilitation du commerce Re-code de Pékin
Le Centre de recherche sur la sécurité et la facilitation du commerce Re-code de Pékin est un institut de recherche indépendant et sans but lucratif qui se charge notamment d’évaluer les progrès réalisés par la Chine en matière de facilitation des échanges depuis 2016. Les conclusions de cette évaluation sont publiées dans les Rapports annuels sur la facilitation des échanges de la Chine (disponibles en anglais et en chinois). Le présent article se fonde sur les constatations tirées de six rapports en tout, couvrant la période de 2019 à 2024.
Le 4 septembre 2015, la Chine est devenue le 16e Membre de l’Organisation mondiale du commerce à ratifier l’Accord de l’OMC sur la facilitation des échanges (AFE). L’entrée en vigueur de l’AFE en février 2017 a ouvert la voie à d’importantes avancées en Chine, grâce l’adoption d’une série de mesures concrètes comme la simplification des exigences documentaires, l’optimisation des formalités et procédures, l’amélioration de la ponctualité et la réduction des coûts.
Depuis 2016, le Centre de recherche sur la sécurité et la facilitation du commerce Re-code de Pékin (ci-après Re-code), institut de recherche indépendant sans but lucratif, s’est attaché à évaluer en continu la mise en œuvre des dispositions de l’AFE, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, ce qui a abouti à une analyse comparative verticale et a permis aux services gouvernementaux de faire l’inventaire des réussites et des domaines où des améliorations s’imposent.
Brève présentation de la méthodologie utilisée pour rédiger les rapports annuels sur la facilitation des échanges de la Chine
Pour procéder aux évaluations et compiler les données nécessaires pour produire les Rapports annuels sur la facilitation des échanges de la Chine, Re-code a constitué, en 2016, une équipe d’experts, composée aujourd’hui de neuf personnes : deux chercheurs de Re-code et sept volontaires externes, parmi lesquels des responsables en poste ou des anciens cadres de la Douane chinoise, ainsi que des spécialistes de conformité douanière des entreprises.
L’équipe d’experts mène son évaluation tant sur le plan qualitatif que quantitatif.
Évaluation qualitative
L’évaluation qualitative se fonde sur la structure de l’AFE qui inclut 11 articles et 65 paragraphes, dont certains contiennent des points, des sous-points et des sous-sous-points (l’arborescence peut aller jusqu’à cinq niveaux pour un même article), pour un total de 145 éléments spécifiques.
Pour chaque élément de l’AFE, Re-code a procédé à :
Une évaluation du degré d’adéquation de la législation nationale, notamment des lois, des règles et des règlementations ;
Un examen de la mise en œuvre de ces mêmes lois, règles et règlementations, sur la base de l’expérience des experts en tant que douaniers ou en tant que gestionnaires en charge de la conformité des entreprises ;
Un classement des éléments en quatre catégories :
Mise en œuvre adéquate
Mise en œuvre relativement adéquate, mais amélioration partielle exigée
Mise en œuvre inadéquate et amélioration globale exigée
Pas de mise en œuvre
La formulation de recommandations en vue d’améliorer les résultats.
Évaluation quantitative
L’évaluation quantitative est réalisée sur la base des étapes suivantes :
L’établissement d’un système d’indicateurs suivant la structure hiérarchique du texte de l’AFE (11 indicateurs de premier niveau et 64 indicateurs de deuxième niveau, au titre desquels plusieurs indicateurs de troisième, quatrième et cinquième niveaux sont établis) ;
Le calcul de scores pour chaque indicateur de base (au niveau de l’article ou du paragraphe), ces scores étant ensuite traduits en pourcentage ;
La pondération de chaque indicateur :
Des indicateurs du plus bas niveau aux indicateurs de premier niveau, le poids d’un indicateur à un niveau donné est fixé en fonction du ratio entre le nombre d’éléments qu’il inclut et le nombre d’éléments couverts par tous les indicateurs de même niveau (voir exemple dans l’encadré).
Des indicateurs de premier niveau à l’indice de facilitation des échanges final, le poids de chaque indicateur de premier niveau est gradué par l’équipe d’experts ;
Le calcul de l’indice de facilitation des échanges final à partir des scores obtenus pour les indicateurs de chaque niveau.
Exemple de pondération d’un indicateur de deuxième niveau
L’indicateur de premier niveau sur la « Publication et disponibilité des renseignements » est ventilé en quatre indicateurs de deuxième niveau. Chacun couvre un nombre différent d’éléments de base de l’AFE. Les indicateurs 1.1, 1.2, 1.3 et 1.4 couvrent respectivement 11 éléments, 5 éléments, 4 éléments et 1 élément. Ainsi, le poids de l’indicateur 1.1, par exemple, est calculé comme suit: 11:(11+5+4+1) = 0,5238, soit 52,38%.
Les résultats de l’évaluation quantitative pour l’année 2023, telle qu’elle apparaît dans l’édition 2024 du Rapport annuel sur la facilitation des échanges de la Chine, sont présentés dans le tableau 1 ci-dessous.
Changements entre 2019 et 2024
L’évaluation montre que, sur les 145 exigences de l’AFE, 133 ont été mises en œuvre de manière adéquate ou relativement adéquate en Chine, tandis qu’une disposition n’a pas du tout été mise en œuvre et que neuf autres ne l’ont pas été à un niveau adéquat ou relativement adéquat. Durant les six années écoulées entre 2019 et 2024, la part des dispositions de l’AFE mises en œuvre adéquatement est passée de 58.62% à 61.38%, alors que la part de celles qui n’ont pas été mises en œuvre adéquatement ou pas du tout a diminué de 9,66 à 8.28 %.
Le score global de l’indice de facilitation des échanges de la Chine n’a cessé d’augmenter au cours des cinq dernières années, ce qui montre bien que la performance en matière de facilitation des échanges s’est fortement améliorée. Le score pour 2024 est de 87,25, soit une augmentation de 3,33 points par rapport à 2019, où il se situait à 83,92. D’importants changements sont à observer au niveau de la mise en œuvre des articles 1, 2, 6, 7 et 8 de l’AFE comme le montre le graphique n° 2 ci-dessous.
Principales mesures adoptées pour améliorer la facilitation des échanges en Chine
Quatre mesures ont été recensées comme ayant eu une incidence majeure sur la performance de la Chine en matière de facilitation des échanges.
Le lancement d’une « base de données des réglementations douanières » sur le site Web de la Douane chinoise
En janvier 2022, la Douane chinoise a lancé sur son site web officiel une section libellée « Base de données des réglementations douanières » regroupant toutes les dispositions législatives et réglementaires douanières en un format unifié, avec leur texte intégral et les spécifications faisant autorité. Les utilisateurs peuvent télécharger les règlementations en format Word ou PDF. En outre, l’AGDC publie en temps opportun des renseignements sur les dernières politiques et règlementations, ainsi que sur l’interprétation des politiques et législations les plus importantes, à travers des canaux publics comme son site public officiel, ses comptes sur les réseaux sociaux et sur les plateformes vidéos.
Création d’une nouvelle garantie générale
Depuis le 1er décembre 2021, les opérateurs économiques peuvent fournir une garantie générale unique, contractée auprès d’une banque ou d’un assureur, pour couvrir plusieurs transactions sous le régime de la suspension temporaire des droits et taxes, y compris pour l’admission temporaire de marchandises importées et exportées, comme des produits importés pour réparation et exportés pour ouvraison ainsi que pour les articles importés en location. La même garantie peut être utilisée dans tous les bureaux de douane du pays.
Établissement d’un environnement de guichet unique et mise au point de nouvelles fonctionnalités
Depuis juillet 2023, le Guichet unique chinois pour le commerce international intègre 23 types de fonctionnalités de base, comme la déclaration de cargaison, la soumission du manifeste et les demandes de certificat d’origine. Les opérateurs commerciaux peuvent accéder à un portail unique pour gérer, depuis leur propre terminal informatique, toutes les procédures avec les services présents aux frontières. La plateforme permet également de partager des informations et de coordonner les activités commerciales entre les diverses parties impliquées dans une transaction.
Application des technologies de l’information et automatisation
Les demandes et les délivrances de documents tels que les licences d’importation et d’exportation et les certificats d’origine se sont dématérialisées. En outre, le Système d’échange de données électroniques sur l’origine connecte la Douane chinoise et les administrations désignées des 11 pays partenaires qui ont signé un ALE ou un accord commercial préférentiel avec la Chine, leur permettant d’échanger des données électroniques sur la preuve de l’origine pour les marchandises importées ou exportées dans le cadre d’un régime préférentiel. Les certificats d’inspection et de quarantaine pour les marchandises importées sont aussi à présent délivrés par voie électronique. L’intégration profonde de l’intelligence artificielle aux équipements de la douane a également été promue afin de permettre le traitement automatique des images de scanographie et la vérification automatique des documents.
Outre les mesures mentionnées ci-dessus, avant 2019, la Douane chinoise avait également adopté d’autres dispositions, dont la plus importante concernait les décisions anticipées : le décret n° 236 concernant les mesures intérimaires pour la gestion des décisions anticipées rendues par la Douane en République populaire de Chine a été publié le 26 décembre 2017 et est entré en vigueur le 1er février 2018. Il stipule qu’une entreprise peut demander à la Douane une décision anticipée concernant le classement, le prix et l’origine des marchandises trois mois avant leur importation ou exportation. Au 31 août 2023, la Douane avait délivré 7 818 décisions anticipées.
Des améliorations sont encore possibles
L’évaluation a permis de répertorier plusieurs domaines qui exigent une amélioration :
L’article 2 sur les « Renseignements disponibles sur Internet » établit que « Chaque fois que cela sera réalisable, la description mentionnée au paragraphe 2.1 a) sera aussi mise à disposition dans une des langues officielles de l’OMC », c’est-à-dire en anglais, en français et en espagnol. Le contenu couvert en anglais sur le site web de la Douane chinoise ainsi que les délais de mise à jour sont loin d’être suffisants.
Les fonctions du Comité national de la facilitation des échanges chinois ne sont pas assez larges. Il devrait jouer un rôle de catalyseur en matière de communication et de coopération entre les services concernés.
L’article 4 sur les « Procédures de recours ou de réexamen » stipule que « Chaque Membre fera en sorte que la personne visée au paragraphe 1 se voie communiquer les raisons de la décision administrative, afin de permettre à cette personne d’engager des procédures de recours ou de réexamen dans les cas où cela sera nécessaire ». En Chine, les critères pour la détermination des sanctions administratives n’ont pas encore été rendus publics.
L’importation de certaines catégories de marchandises exige une procédure d’accès en deux étapes : la première étape sert à déterminer si les marchandises peuvent entrer au port, et la seconde si les marchandises peuvent entrer sur le marché national pour y être commercialisées ou utilisées. L’inspection menée durant la seconde étape est appelée « inspection à destination ». Cependant, les formalités à suivre pour mener l’inspection à destination n’ont toujours pas été fixées et l’uniformité de leur application doit être renforcée.
La Douane chinoise a promu toute une série de projets pilotes concernant de possibles réformes du régime de transformation, c’est-à-dire « le processus selon lequel des entreprises s’approvisionnent en intrants intermédiaires dans divers pays, les assemblent dans d’autres et les destinent à une consommation finale sur des marchés tiers »[1]. De telles réformes doivent être régies par application de l’article 9 de l’AFE sur le « Mouvement des marchandises destinées à l’importation sous contrôle douanier » qui établit que chaque Membre de l’OMD « autorisera […] le mouvement sur son territoire de marchandises destinées à l’importation sous contrôle douanier d’un bureau d’entrée à un autre bureau de douane sur son territoire d’où la mainlevée ou le dédouanement des marchandises seraient effectués ». Les projets pilotes menés en Chine visent, par exemple, à proroger le délai prévu pour la notification des transferts entre usines en vue d’une ouvraison ou transformation approfondie, à optimiser la gestion des retours et échanges de marchandises transformées, à appuyer le développement de la réparation et de l’entretien sous douane, et à autoriser la libre circulation, l’échange et l’élimination des composants et matières cautionnés entre les entreprises participant à un conglomérat (notamment les entreprises d’un conglomérat situées dans des districts douaniers différents). Ces réformes facilitent le mouvement des marchandises importées sous surveillance douanière sous le régime de la transformation et en réduisent les coûts, mais elles sont pilotées à petite échelle.
Les opérations dites « d’exposition » des marchandises sous douane est une forme novatrice de dédouanement qui permet aux entreprises enregistrées auprès de la Douane dans les zones contrôlées par cette dernière de sortir les marchandises en cause de ces zones pour qu’elles soient exposées autre part. Bien que quelques régions soient en train de tester la possibilité de permettre de telles opérations entre districts douaniers, ces pilotes restent limités à quelques districts et doivent être élargis.
Conclusion
En conclusion, nous aimerions formuler quelques recommandations à l’adresse des organismes qui souhaitent évaluer le niveau de facilitation des échanges de leur pays ainsi que les mesures adoptées à cette fin.
Tout d’abord, ce type d’évaluation devrait incorporer la perspective tant des pouvoirs publics que du secteur privé afin de faire en sorte que l’évaluation ne soit ni trop optimiste ni trop pessimiste.
Ensuite, les experts chargés de l’évaluation devraient non seulement posséder une expérience professionnelle avérée mais aussi des compétences dans les domaines à évaluer.
Enfin, la composition de l’équipe des évaluateurs devrait demeurer aussi stable que possible. En effet, même si la méthodologie utilisée est clairement établie, un même indicateur peut être apprécié différemment en fonction des experts. Le fait de compter sur une équipe stable garantit la cohérence de la procédure au fil des années.