Dossier: Mesurer la performance

Mesurer pour apprendre, innover et s’améliorer en continu

24 juin 2024
Par Ian Saunders, Secrétaire général de l'OMD

Où que je me sois rendu ces derniers mois, j’ai remarqué que de nouvelles technologies étaient déployées, que de nouvelles pratiques étaient appliquées et que de nouveaux projets étaient lancés, le tout dans un même but : celui de transformer des idées en résultats concrets au service de l’intérêt public. La douane est vraiment un univers de changements continus.

Or, pour que cette dynamique soit perceptible, pour montrer que des changements positifs sont en cours, pour mettre en lumière le besoin de procéder à des ajustements et, au final, pour améliorer aussi la prise de décisions des pouvoirs publics, nous devons pouvoir mesurer les résultats, les effets et les répercussions.

La gestion et la mesure de la performance ont de nombreux objectifs : elles témoignent bien sûr d’un engagement en faveur de la transparence, de la responsabilisation et d’une gouvernance efficace, mais leur objectif principal devrait être de servir de soubassements à des améliorations durables. Un bon système de gestion de la performance doit fournir les informations nécessaires pour prendre des décisions éclairées, rallier des acteurs autour d’un changement, ou encore corriger le tir si les objectifs initiaux ne sont pas atteints. La gestion de la performance devrait faire partie intégrante d’un processus d’apprentissage et de rétroaction et être un instrument d’innovation et d’amélioration continue, et non un outil de contrôle de la conformité.

Le mécanisme de mesure de la performance (MMP) de l’OMD

L’OMD a mis au point de nombreux outils d’auto-évaluation permettant aux administrations des douanes non seulement de savoir où elles en sont au niveau de l’adoption des normes et des pratiques recommandées de l’Organisation, mais aussi de surveiller la manière dont le service de dédouanement est assuré et de mesurer, par la même occasion, les effets des réformes qu’elles adoptent concernant les procédures aux frontières.

Bien que l’évaluation soit au centre des discussions entre les donateurs et les Membres de l’OMD depuis des décennies, jusqu’à il y a peu, il n’existait pas d’outil pour jauger l’efficacité douanière de manière plus globale. Pour remédier à cette situation, en 2019, l’Organisation a créé un Groupe de travail sur la mesure de la performance (GT-MP) et, en 2023, les Membres ont adopté le mécanisme de mesure de la performance (MMP) de l’OMD, destiné aux douanes.

Pour une administration douanière qui fait ses premiers pas dans ce domaine, le MMP de l’OMD constitue un excellent point de départ. Il examine quatre objectifs stratégiques douaniers : la facilitation des échanges et la compétitivité économique ; le recouvrement des recettes ; la lutte contre la fraude, la sécurité et la protection de la société ; et enfin, le développement organisationnel. Chaque domaine est divisé en résultats escomptés, assortis d’indicateurs clés de performance ou KPI. Une démarche progressive a été adoptée pour l’élaboration des KPI et la première version du MMP (le MMP v.1) n’inclut par conséquent qu’un ensemble réduit de 23 résultats escomptés, avec leurs KPI correspondants (51 en tout).

De nombreuses administrations ont déjà déployé un mécanisme de mesure de la performance et n’ont plus qu’à y ajouter les KPI qui ne sont pas encore couverts par leurs systèmes respectifs. Les administrations des douanes peuvent aussi choisir de ne pas utiliser un KPI donné, s’il ne peut être mesuré compte tenu des spécificités nationales.

L’OMD a créé une équipe de projet chargée du mécanisme de mesure de la performance (l’EPMP) pour veiller à l’adoption la plus large par les Membres de ce mécanisme qui constitue la pierre angulaire des efforts collectifs visant à mesurer et à garantir l’efficacité, la réactivité et le rayonnement des douanes. Une attention particulière doit être accordée au choix des indicateurs de mesure pour s’assurer qu’ils fournissent des informations utiles, et l’équipe veillera à la sélection et à la conception adéquate des paramètres mesurés. J’encourage instamment tous les Membres de l’OMD à rejoindre cet effort.

Après la conception de l’outil, nous en sommes à présent à l’étape de la mise en œuvre du MMP tout en prenant en compte les besoins et capacités pratiques des administrations douanières. En outre, fin 2023, les Membres de l’OMD ont été invités à participer à la première phase de déploiement du MMP de l’OMD qui consiste à soumettre leurs données via la plateforme du mécanisme en ligne. Nous devrions pouvoir présenter à l’automne de cette année les résultats de cette première phase.

Le MMP devrait être utilisé par le Secrétariat pour évaluer les activités de renforcement des capacités. Le Comité du renforcement des capacités de l’OMD a reconnu que le MMP pourrait potentiellement servir non seulement à l’élaboration de politiques sur la base de données et d’éléments factuels mais aussi à la définition des besoins spécifiques en matière de renforcement des capacités. Pour être plus précis, durant le premier cycle d’évaluation du MMP, il devrait être possible de recenser les lacunes qui existent sur le plan de la performance en comparant les résultats opérationnels aux valeurs de référence régionales ou mondiales. La détermination de ces écarts pourrait à son tour servir de base pour déterminer les besoins d’assistance en matière de renforcement des capacités. À partir du deuxième cycle d’évaluation du MMP, il devrait également être possible de suivre la progression ou la régression dans les domaines recensés, ce qui donnerait une indication des retombées concrètes des activités de renforcement des capacités menées.

Études sur le temps nécessaire pour la mainlevée

Beaucoup de choses ont été écrites concernant l’étude sur le temps nécessaire pour la mainlevée des marchandises (TRS) de l’OMD. Cet instrument, qui a été mis au point au début des années 1990 et qui a été progressivement amélioré depuis, est devenu un mécanisme stratégique reconnu à l’échelle internationale pour mesurer le temps réellement nécessaire pour la mainlevée et/ou le dédouanement des marchandises ainsi que l’efficacité et le rendement des procédures aux frontières relatives au mouvement des marchandises à l’importation, à l’exportation et en transit.

Certains pays mènent régulièrement une TRS et d’autres ont mis en place un système de mesure automatisée du temps de mainlevée dans la lignée de la méthodologie utilisée par l’OMD pour la TRS. Cependant beaucoup restent encore à la traîne. J’enjoins vivement les Membres de l’OMD qui n’y sont pas encore efforcé de mener périodiquement une TRS en étroite collaboration avec les autres services gouvernementaux concernés et avec les parties prenantes du secteur privé.

Sans un diagnostic étayé des problèmes, il n’est pas possible de concevoir de mesures d’amélioration ciblées. Les statistiques générées par la TRS peuvent servir à améliorer les procédés, à appuyer les changements de politique et à alimenter les discussions avec les partenaires commerciaux. Les effets des interventions politiques peuvent être évalués à leur tour lors d’une TRS ultérieure.

La conduite d’une TRS est également recommandée par l’article 7.6.1 de l’Accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur la facilitation des échanges (AFE), qui stipule que « [l]es Membres sont encouragés à mesurer et à publier le temps moyen qui leur est nécessaire pour la mainlevée des marchandises, périodiquement et d’une manière uniforme, au moyen d’outils tels que, entre autres, l’Étude sur le temps nécessaire pour la mainlevée de l’Organisation mondiale des douanes ».

Pour aider les administrations des douanes à mener une TRS, l’OMD a mis au point un Guide sur la TRS ainsi qu’un module d’e-learning, disponible sur sa plateforme CLiKC!. Le Guide est régulièrement mis à jour et la prochaine version couvrira les procédures de pré-dédouanement et fournira davantage d’informations pratiques.

Contenus du Dossier

Dans cette édition du magazine, nous avons demandé à plusieurs administrations douanières d’expliquer comment elles mesurent leur performance dans différents domaines. Elles ont partagé non seulement leurs constatations mais aussi la méthodologie qu’elles utilisent et les enseignements qu’elles ont pu tirer dans l’espoir que leur parcours puisse inspirer et guider d’autres administrations.

La mesure est un exercice courant dans la plupart des administrations douanières mais elle peut devenir aussi un instrument à double tranchant, qui est parfois utilisé pour des raisons de reddition de compte rudimentaires ou pour atteindre un ensemble limité d’objectifs. Dans le premier article de notre Dossier, l’Administration fiscale d’Eswatini (ERS) nous explique comment elle a renforcé son système de mesure de la performance en y incorporant 31 indicateurs clés de performance (KPI) du MMP de l’OMD. L’ERS insiste sur le fait que le recours aux KPI du MMP a mis en lumière certaines failles de ses procédures et le besoin pour elle d’ajuster la manière dont les données sont mises à disposition et extraites des systèmes informatiques. J’espère que cet article encouragera d’autres administrations à observer, à étudier et, au final, à mettre en œuvre les KPI du MMP ainsi qu’à développer leur capacité de gestion des données afin de s’assurer qu’elles puissent régulièrement prendre part au MMP.

Viennent ensuite trois articles sur la TRS : le premier par la Direction centrale des impôts indirects et des douanes de l’Inde, qui fait aujourd’hui figure de vétéran en la matière, le deuxième par une administration « débutante », l’Administrations fiscale de Namibie, et le troisième par les Administrations fiscales d’Eswatini (ERS) et d’Afrique du Sud (SARS), qui n’ont toutes deux qu’une expérience limitée de la TRS et qui ont décidé d’unir leurs forces et d’examiner le processus de dédouanement des deux côtés d’une de leur frontière terrestre commune.

En Inde, les premiers efforts pour mesurer régulièrement les temps moyens de mainlevée ont commencé en 2013 à un port. Ils ont depuis été étendus à quatre ports maritimes, six complexes de fret aérien, trois dépôts intérieurs de conteneurs et deux postes de contrôle intégrés, répartis dans tout le pays et représentant collectivement environ 80 % des déclarations d’entrée soumises dans le pays. L’expérience de l’Inde confirme l’utilité de la TRS en tant qu’outil pour la mise en place d’une politique fondée sur des données probantes, facilitant la formulation de mesures au niveau macro et de changements administratifs au niveau micro pour promouvoir la facilitation des échanges.

L’Administration fiscale de Namibie a mené sa première TRS au port de Walvis Bay en 2023, avec le soutien du Secrétariat de l’OMD et avec la participation de divers organismes gouvernementaux ainsi que des représentants de la Walvis Bay Port Users’ Association. Le projet a été conçu pour renforcer les capacités de tous les participants et l’Administration est aujourd’hui confiante dans sa capacité à mener une TRS avec une assistance technique minimale à différents postes frontières, et ce, à intervalles réguliers afin de lui permettre de mesurer sa performance en continu.

Les administrations fiscales d’Eswatini et d’Afrique du Sud ont décidé de mener une enquête conjointe au poste frontière reliant les villes d’Oshoek en Afrique du Sud et de Ngwenya en Eswatini. Ici aussi, ces deux administrations ont pu renforcer leurs capacités internes avec le soutien du Secrétariat de l’OMD et ont décidé par la suite non seulement de mener régulièrement une TRS conjointe, mais aussi de l’étendre à d’autres points d’entrée.

Le cinquième article émane du Centre de recherche sur la sécurité et la facilitation du commerce Re-code de Pékin qui est un institut de recherche indépendant à but non lucratif évaluant les progrès réalisés par la Chine en matière de facilitation des échanges depuis 2016. Re-code y présente la méthodologie qu’il a utilisée pour ses évaluations annuelles et les changements observés entre 2019 et 2024, ainsi que les quatre mesures qui ont eu un effet avéré sur la performance de la Chine en matière de facilitation des échanges.

Vient ensuite un article qui présente le « sondage de l’OMD sur la perception de l’intégrité douanière » (SPID) et sa mise en œuvre au Salvador et au Mozambique. Le sondage permet de révéler comment une administration des douanes est perçue dans les domaines de la promotion de l’éthique et de la lutte contre la corruption par son propre personnel et par les personnes qui interagissent avec elle. Le SPID est donc un instrument qui peut contribuer à améliorer la capacité des administrations douanières à mesurer leur performance dans ces domaines.

Le SPID représente l’un des nombreux instruments de l’OMD que les administrations des douanes peuvent utiliser pour apprécier leurs performances dans le domaine de l’éthique. Comme je l’ai déjà indiqué, l’OMD a mis au point de nombreux outils de diagnostic permettant aux administrations douanières de déterminer où elles en sont dans l’adoption des normes et des pratiques recommandées de l’OMD. Les diagnostics qualitatifs entrepris dès 2005 sur la base du cadre de diagnostic du renforcement des capacités douanières de l’OMD comprenaient plus de 90 questions dans le domaine de la bonne gouvernance et de l’éthique. En outre, en 2010, en collaboration avec la Banque mondiale, l’OMD a aidé les Douanes camerounaises à mettre en place un système de contrats de performance pour l’évaluation de leur personnel, en utilisant des données statistiques ainsi que divers indicateurs. Les constatations de cet exercice ont été incorporées dans un nouvel outil d’orientation destiné aux Membres de l’OMD : Le pourquoi et le comment de la mesure de la performance et de la contractualisation. Enfin, le Guide pour le développement de l’intégrité de l’OMD, révisé en 2014, vient compléter le cadre de diagnostic et comprend un outil d’auto-évaluation comprenant plus de 245 questions visant à apprécier la situation actuelle relative à l’éthique au sein d’une administration douanière.

L’article suivant, du Service de la Douane et de la protection des frontières des États-Unis (CBP), explique les principaux types de contrôle effectués dans le cadre du Partenariat douane-entreprises contre le terrorisme (C-TPAT), nom donné au programme d’opérateur économique agréé (OEA) aux États-Unis. L’article met en lumière le fait que des évaluations réalisées par des parties diverses et indépendantes sont essentielles au succès des programmes d’OEA. Les audits, les enquêtes et les évaluations permettent de mieux cerner les possibilités d’amélioration qui existent et que les responsables d’un programme d’OEA n’auraient peut-être pas été en mesure de détecter.

Enfin, le Dossier offre un aperçu d’un document de recherche écrit par un doctorant de la Copenhagen Business School qui y examine les niveaux d’utilisation des tarifs préférentiels par les importateurs dans l’Union européenne et tente d’offrir quelques explications à ce sujet. Il nous rappelle qu’il est essentiel d’évaluer la manière dont les instruments de politique commerciale sont utilisés par les opérateurs économiques pour s’assurer qu’ils répondent bien aux besoins de ces derniers, et que la consultation et la coopération avec les chercheurs peuvent être d’une grande utilité.

Comme toujours, je voudrais terminer en adressant mes sincères remerciements à toutes celles et ceux qui ont contribué à cette édition de notre magazine. Ces contributions témoignent non seulement du dynamisme du monde des douanes, mais aussi de la détermination des administrations douanières et de leurs interlocuteurs à contribuer à leur propre amélioration.