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Dossier: Commerce Illicite

Entrée interdite : Comment la CBP lutte pour empêcher la peste porcine africaine d’entrer aux États-Unis

29 octobre 2024
Par Marcy Mason, service de la Douane et Protection des frontières (CBP) des États-Unis

En juillet 2021, alors que la plupart des pays du monde restaient concentrés sur la pandémie de COVID-19, une dangereuse maladie animale étrangère est apparue dans l’hémisphère occidental. La peste porcine africaine (PPA), une maladie virale hautement contagieuse et mortelle touchant les porcins, venait d’être détectée en République dominicaine, puis en Haïti. La maladie, qui a été documentée pour la première fois au Kenya en 1909, faisait déjà l’objet d’un suivi particulier du service de la Douane et de la protection des frontières (CBP) des États-Unis. Les experts en agriculture de la CBP l’avaient dans leur ligne de mire depuis 2018 lorsqu’un premier cas de PPA avait été découvert en Chine, pays le plus grand producteur de viande de porc au monde, puis dans plusieurs États voisins d’Asie peu après.

Bien que la maladie ne soit pas dangereuse pour la santé humaine, elle peut avoir de sérieuses conséquences. La PPA se répand rapidement auprès des populations de Suidés domestiques et sauvages et elle est mortelle. Il n’existe à l’heure actuelle aucune vaccin ni aucun traitement. Si la maladie était détectée aux États-Unis, elle représenterait une véritable menace pour le bétail porcin du pays, avec des effets catastrophiques pour l’industrie. « Il suffirait d’un seul cas positif de peste porcine africaine aux États-Unis pour mettre immédiatement fin à toutes les exportations », indique John Sagle, directeur exécutif en exercice de la division des programmes pour l’agriculture et la liaison avec le secteur privé de la CBP. « Nous voulons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher la PPA d’entrer sur le territoire des États-Unis ».

Selon le National Pork Producers Council, qui représente les producteurs de porc et d’autres parties prenantes du secteur aux États-Unis, l’industrie de la viande porcine représente plus de 573 300 emplois et contribue à hauteur de plus de 62 milliards de dollars au produit national brut de l’économie étatsunienne. En 2023, les exportations américaines de porc ont dépassé les 8,2 milliards de dollars et plus de 2,7 milliards de kilogrammes de porc ont été exportés vers d’autres marchés, faisant des États-Unis l’un des deux plus grands exportateurs de porc à l’échelle mondiale. « Le secteur représente entre 25 % et 30 % de tout ce que nous produisons à l’exportation », signale Liz Wagstrom, vétérinaire en chef du National Pork Producers Council. « L’arrêt des exportations serait une véritable catastrophe, qui entraînerait une chute du prix de la viande de porc et une offre excédentaire aux États-Unis. »

 

En outre, l’élimination de la maladie serait coûteuse. « Si nous étions touchés par la PPA et qu’elle devenait endémique aux États-Unis, il nous faudrait plus de 10 ans et quelque 80 milliards pour éliminer la maladie, et ça rien que pour l’industrie porcine », ajoute Jack Shere, directeur-adjoint du Service d’inspection de la santé animale et végétale du Département de l’agriculture des États-Unis (USDA). « Les économistes peuvent dire tout ce qu’ils veulent mais si cette maladie se déclarait chez nous, ce serait grave. Je dirais même très grave. Ça risque de nous coûter cher ! ».

En juillet 2021, lorsque les premiers cas de PPA ont été détectés en République dominicaine, la CBP a redoublé d’efforts pour empêcher que la maladie ne se répande aux États-Unis. La proximité entre les deux pays a été un facteur supplémentaire de préoccupation. « Pour la première fois en 40 ans, le virus touchait l’Occident », explique le docteur Shere. « La maladie est à notre porte et, même si nous n’importons pas de viande de porc de pays comme la République dominicaine, elle se rapproche de nous. »

La proximité du foyer de la maladie a ouvert de nouvelles voies de contamination. « Nous luttions déjà contre la menace provenant d’autres pays », indique John Sagle. « Les voyageurs et les marchandises étaient les principaux vecteurs potentiels de la maladie mais, à présent, les spécialistes en agriculture de la CBP se focalisent également sur les plus petits bateaux, les navires et les aéronefs. Tous les modes d’entrée aux États-Unis pour les personnes et les marchandises présentent un risque éventuel ».

Au port de New York/Newark, 20 000 kilos de saucisses de porc ont été saisis grâce à des renseignements fournis par un industriel. Ci-dessus, des spécialistes de l’agriculture du CBP découvrent des gâteaux de lune de porc de contrebande lors d’un examen au port maritime. Photo par Thomas Broking

Circulation et propagation de la maladie

La circulation et la propagation de la peste porcine africaine préoccupent les autorités au premier chef. « La PPA est une maladie hémorragique hautement infectieuse et contagieuse qui ne touche que les Suidés », explique Jack Shere. « Il existe de nombreuses souches, dont la gravité va de la mort rapide à la maladie chronique, mais la quasi-totalité des porcs qui la contractent finissent par en mourir. »  La PPA se propage principalement par les excréments, mais toute excrétion provenant d’un porc ou d’un sanglier porteur, notamment les sécrétions nasales ou la toux, peuvent infecter d’autres porcs domestiques ou sauvages sains. « La maladie se transmet par contact de porc à porc », ajoute le docteur Shere. « Elle peut également se propager indirectement à travers des objets contaminés. Le virus peut se loger dans les excréments qui collent aux chaussures, ou dans les vêtements ou sur les mains et si je passe d’une porcherie avec un cochon infecté à une autre où les cochons sont en bonne santé, je contribue à propager la maladie ». Le virus peut également se répandre à travers les véhicules qui roulent sur de la terre contaminée.

Les cochons qui mangent de la viande de porc infectée peuvent attraper la maladie également. « Même si elle ne représente pas un danger pour la santé humaine, la viande de porc crue peut contenir des traces du virus. Les cochons peuvent manger n’importe quoi et, si on leur sert ce type de déchets alimentaires, le virus peut se propager », explique Sherrilyn Wainwright, épidémiologiste vétérinaire principale et analyste des risques pour le service d’inspection de la santé animale et végétale de l’USDA, qui surveille la propagation mondiale de la peste porcine africaine et d’autres maladies ayant des conséquences sur l’économie et la santé publique aux États-Unis.

Le virus de la PPA est résistant. Il peut survivre dans des produits comestibles, comme dans la viande réfrigérée pendant au moins 15 semaines, dans la viande congelée pendant plus d’un an et jusqu’à trois à six mois dans les jambons et saucisses transformés qui n’ont pas été cuits ou fumés à haute température, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

Historiquement, le virus était plus au moins confiné au continent africain jusqu’en 2007, lorsqu’un bateau en provenance d’Afrique et transportant de la viande de cochon infecté par la PPA est entré dans un port de la République de Géorgie. « Les déchets alimentaires crus de ce bateau, y compris la viande de porcs contaminés, ont été donnés aux cochons ou consommés par des sangliers », ajoute Sherrilyn Wainwright. « Le virus s’est introduit en Géorgie et s’est répandu ensuite à l’Azerbaïdjan et à l’Arménie ».

À partir de là, la PPA s’est propagée en Russie, en Europe de l’Est, en Europe de l’Ouest, en Chine et dans d’autres parties d’Asie. « 2018 a été l’année de la plus vaste propagation de la maladie. Une fois que le virus est entré en Chine, il s’est répandu comme une traînée de poudre à travers le pays, tuant des millions de cochons », raconte Jack Shere. « C’est à ce moment-là que tout le monde a commencé à s’inquiéter. » Depuis que la PPA a été détectée pour la première fois en Chine en août 2018, 17 pays asiatiques ainsi que Hong Kong, Chine, ont tous signalé des cas d’infection pour la première fois.

« Le virus continue de circuler et c’est inquiétant », ajoute le docteur Shere qui fait observer que la négligence humaine et les sangliers sont deux des principaux vecteurs qui ont contribué à la propagation de la PPA partout dans le monde. « Les sangliers ne s’arrêtent pas aux frontières des pays », remarque Sherrilyn Wainwright. « Ils les traversent et infectent d’autres animaux en cours de route. Dans de nombreux cas, on suppose que c’est comme ça que le virus s’est répandu à travers l’Europe. »

L’arrivée de la peste porcine africaine en République tchèque en 2017 et en Belgique en 2018 illustre bien comment les êtres humains peuvent contribuer à véhiculer l’infection. « On pense que la PPA est passée de la Pologne à la République tchèque et à la Belgique parce que des personnes transportant de la viande contaminée s’en sont débarrassées dans des zones où vivaient des sangliers », nous explique l’épidémiologiste. « Dans les deux pays, le virus n’a touché que les sangliers et les autorités ont pu l’éliminer systématiquement en adoptant un plan stratégique pour confiner les sangliers dans une zone spécifique et les exterminer ». La Tchéquie s’est déclarée indemne de la maladie en avril 2019 et la Belgique a fait de même à l’automne 2020. « Ce sont les deux seuls pays à avoir réussi à éradiquer la peste porcine africaine depuis le début de cette épidémie mondiale », indique-t-elle.

La République dominicaine et Haïti sont actuellement les deux seuls pays à avoir été touché par la PPA dans l’hémisphère occidental. « Nous voulons éliminer le virus avant même qu’il ne se propage dans d’autres pays et, surtout, avant qu’il n’atteigne les États-Unis », indique Jack Shere, dont l’agence coordonne les efforts menés par le gouvernement américain à cet effet. « Le rôle de la CBP en matière de protection et d’interception des viandes infectées est énorme. Sans ce partenariat, c’est comme si on laissait les portes des exploitations agricoles ouvertes et qu’on mettait en danger l’ensemble de la population porcine des États-Unis. Ce que fait la CBP est très important pour nous ».

Mise en place d’un plan d’action

Lorsque la peste porcine africaine a été détectée pour la première fois en République dominicaine en juillet 2021, les spécialistes en agriculture de la CBP à l’aérport international John F. Kennedy (JFK) ont immédiatement mis en place un plan d’action pour répondre à la menace croissante posée par le virus. Le plan visait principalement à monter dans les avions en provenance de la République dominicaine et d’Haïti pour s’assurer de l’élimination adéquate des déchets réglementés. « Les experts en agriculture qui travaillent dans notre équipe de contrôle du fret s’assurent que les personnes qui s’occupent de la restauration et du nettoyage des avions fassent leur travail dans le respect des accords en vigueur », explique Paul Gunther, chef adjoint des spécialistes en agriculture de la CBP à l’aéroport JFK.

« Nous parcourons la cabine et vérifions les sièges pour nous assurer que les passagers n’ont pas laissé des restes de nourriture. Nous retrouvons souvent des fruits et des légumes ou des sandwichs qui n’ont pas été consommés et qui peuvent contenir du porc. Nous veillons à ce que tous ces aliments soient ramassés et éliminés conformément à la réglementation sur les déchets », explique-t-il. « Toutes les poubelles qui sortent de l’avion doivent être placées dans un compacteur de déchets placé en quarantaine. Le compactage est ensuite acheminé vers un incinérateur ».

Debout sur une passerelle de l’aéroport JFK, un spécialiste de l’agriculture du CBP vérifie que des ordures réglementées sont bien retirées d’un vol en provenance de la République dominicaine. Les spécialistes de l’agriculture de JFK surveillent 41 cuisines, traiteurs et transporteurs d’ordures pour s’assurer que les ordures réglementées sont traitées conformément aux accords de conformité de l’USDA. Photo par Michael Nicholas

Les spécialistes de l’agriculture à l’aéroport JFK surveillent les activités des 41 cuisines, traiteurs et sociétés d’élimination des déchets ayant passé des accords de conformité avec l’USDA. « Lors de l’apparition de la PPA en République dominicaine, nous avons déployé des efforts concertés pour sensibiliser toutes ces entreprises », explique l’agent Gunther. « Nous avons insisté sur l’importance de sécuriser les déchets et de bien respecter ce qui est stipulé par les accords », ajoute-t-il. « Les déchets réglementés constituent un facteur de risque majeur et nous les contrôlons pour prévenir l’introduction aux États-Unis de toutes maladies animales, pas seulement de la peste porcine africaine. »

Des spécialistes de l’agriculture sont également venus prêter main forte aux équipes de la CBP déployées dans les locaux destinés aux sociétés de messagerie à JFK. « Nous savions que des produits porcins provenant de pays touchés par la peste porcine africaine risquaient d’être envoyés par courrier express. En octobre 2021, nous avons donc affecté davantage de personnes à l’inspection d’un plus grand nombre de colis », raconte Paul Gunther. « Avant, nous menions des contrôles au service du courrier express, mais nous n’avions pas d’équipe dédiée pour y travailler sept jours sur sept. »

Durant l’exercice 2021, 12 500 inspections avaient été menées dans les locaux réservés aux colis express. En 2022, dès la mi-mai, grâce aux renforts, ce chiffre était déjà atteint. « Sur ces contrôles, nous avons procédé à 1 100 saisies de produits d’origine animale, dont 133 étaient des produits porcins provenant de pays touchés par la PPA », poursuit l’agent Gunther. « En sept mois, nous avons intercepté plus de 500 kilos de produits porcins interdits à destination de plusieurs États du pays. » Le nombre d’inspections a augmenté en 2023 pour atteindre 47 934 vérifications. Les saisies ont augmenté en conséquence pour atteindre 5 531 produits d’origine végétale et animale, dont 1 116 contenaient du porc.

La contrebande aux ports maritimes

Les plus grandes quantités de produits porcins interdits entrent cependant en contrebande dans des chargements conteneurisés arrivant aux ports maritimes. « La contrebande de produits carnés interdis n’a rien de nouveau dans l’environnement maritime, mais nous avons clairement constaté une augmentation dans les quantités de produits d’origine animale que l’on tente de faire entrer en contrebande sur le territoire des États-Unis, en particulier le porc », nous explique Peter Wawrzyniak, spécialiste agricole principal de la CBP au port maritime de Los Angeles/Long Beach, le plus grand port maritime du pays. « La plupart des produits que nous retrouvons sont cachés dans des envois contenant des produits achetés en ligne qui sont répartis dans quantité de cartons, entre 1 000 et 3 000 boites pouvant se trouver dans un conteneur de 80 pieds ».

Près de 104 000 kilos de produits dérivés du porc ont été saisis dans le port maritime de Los Angeles/Long Beach au cours de l’exercice 2021. Plus de 90 % des expéditions provenaient de Chine et de pays d’Asie du Sud-Est et les produits étaient souvent non déclarés. « Il arrive souvent qu’après avoir ciblé une cargaison, on se rende compte que 60 à 80 % du contenu sont des produits carnés. Ces dernières années, et plus particulièrement les 18 derniers mois, il y a une augmentation de ces envois de viande de porc et de produits carnés interdits non déclarés », ajoute l’agent Wawrzyniak.

Fin avril 2022, par exemple, un envoi provenant de Chine déclaré comme contenant des « pièces détachées en plastique » a été ciblé aux fins d’un contrôle agricole au port maritime de Los Angeles/Long Beach. « L’importateur avait pour habitude d’importer des produits carnés interdits, en particulier de la viande de porc, de sorte que la cargaison a attiré l’attention de la CBP et de l’USDA », raconte l’agent Wawrzyniak.

Lorsque la marchandise est arrivée, les spécialistes en agriculture de la CBP l’ont examinée avec l’unité de lutte contre la contrebande et de respect des règles commerciales de l’USDA. « Le poids de la marchandise était énorme », poursuit-il. « Le chargement contenait environ 4 tonnes de viande de porc non déclarée ainsi que d’autres produits carnés interdits ».

Des spécialistes de l’agriculture du CBP saisissent et mettent en quarantaine des produits de porc interdits découverts lors d’une inspection au port maritime de Los Angeles-Long Beach, le plus grand port maritime des États-Unis. Photo par Eric Hakopian

L’importance du renseignement

La CBP se base sur le renseignement pour empêcher les envois interdits. Une saisie remarquable a eu lieu au port maritime de New York/Newark en octobre 2021 grâce à une information du secteur privé concernant l’arrivée imminente de plusieurs envois contenant des produits agricoles de contrebande en provenance de Chine. « Dans la majorité des cas, ces produits sont passés clandestinement en contrebande dans d’autres envois et sont mélangés avec de la marchandise légitime pour éviter d’être détectés », nous dit Basil Liakakos, chef de la section agriculture de la CBP au port de New York/Newark.

Dans ce cas-ci, les envois étaient déclarés comme contenant des rideaux de douche. À la place 700 boîtes de saucisses de porc qui pesaient quelque 9 000 kilos en tout et étaient destinées à un centre de distribution à Jersey City, dans le New Jersey, puis à une adresse à Flushing, dans le Queens, où se trouve le plus grand quartier chinois de la ville de New York. La valeur déclarée de la cargaison était de 4 000 dollars, ce qui est bien en dessous de la valeur estimée des marchandises, qui s’élevait à 340 000 dollars.

« C’est vraiment de la criminalité transnationale », ajoute l’agent Liakakos. « En fait, nous avons découvert que des individus travaillent collectivement dans tout le pays pour faire entrer ces importations, que ce soit par notre port ou via le port de Los Angeles-Long Beach ou de Houston. Ces réseaux sont identiques aux réseaux de contrebande de stupéfiants ou de produits enfreignant les droits de propriété intellectuelle. Il s’agit d’un business, d’un commerce très lucratif car ces syndicats du crime réalisent des profits illicites énormes et évitent délibérément de payer les droits de douane ».

L’ensemble du lot de saucisses interdites a été saisi et détruit. « Nous avons pu intercepter des produits en provenance d’un pays touché par la peste porcine africaine qui auraient pu contaminer notre industrie de la viande porcine », conclut-il. « Ça arrive quotidiennement mais cette saisie-là était de grande envergure et elle aurait pu causer un préjudice important aux États-Unis. »

Intercepter les produits de porc interdits

Une grande quantité de produits porcins interdits sont également interceptés au port de Cincinnati, la principale plate-forme de messagerie express pour les envois en provenance de Chine et d’Asie du Sud-Est. « En 2019 et 2020, après que la PPA a déferlé sur la Chine et que la pandémie a frappé, nous avons remarqué une baisse générale des importations de produits alimentaires en provenance d’Asie mais, maintenant, nous retrouvons beaucoup plus de porc, ce qui veut dire que le risque est plus élevé », nous raconte Barbara Hassan, spécialiste principale de l’agriculture de la CBP au port de Cincinnati « La plupart des envois de porc passés en contrebande proviennent de Chine et de Hong Kong mais nous constatons aujourd’hui aussi une augmentation de colis arrivant du Vietnam, de la Corée et de la Thaïlande, qui sont tous des pays touchés par la PPA ».

Les experts en agriculture de la CBP à Cincinnati utilisent plusieurs méthodes pour détecter les envois de porc interdits. « La politique de la CBP prévoit que chaque paquet soit passé aux rayons X ou scanné », ajoute Barbara Hassan. « Cela dit, grâce à leurs nombreuses années de formation, nos experts peuvent en fait choisir une caisse en sachant qu’elle contient quelque chose de suspect ». Les spécialistes en agriculture apprennent également à déchiffrer les symboles chinois. « Parfois, l’emballage indique en anglais que l’ingrédient principal de la marchandise est du poisson tout en portant le symbole chinois du cochon ». Les membres de l’équipe « agriculture » se fient également à leur odorat. « Si vous saviez le nombre de fois qu’on voit un collègue penché sur un colis et en train de le renifler en marmonnant ‘c’est du porc… Non, c’est du bœuf…. Ah non, c’est du poulet !’ », nous raconte-t-elle.

En janvier 2022, l’un des experts en agriculture au bureau de Cincinnati a retrouvé un cochon de 42 kilos, arrivé en plusieurs envois depuis Hong Kong. Les envois avaient été déclarés comme contenant des « ustensiles de cuisine », mais ne contenait que des produits alimentaires. Dans le premier envoi, l’expert de la CBP a retrouvé 7 kilos de porc, dans le deuxième, 5 kilos et, dans le dernier, à son grand étonnement, 30 kilos. « Parfois, les gens envoient un petit colis juste pour voir s’il sera intercepté et, ensuite, ils en envoient un plus grand », nous explique Barbara Hassan. « Si notre expert n’avait pas insisté, il n’aurait pas pu procéder à la saisie de ce gros envoi. C’est pourquoi nous devons toujours rester très vigilants dans notre ciblage ».

Barbara Hassan nous raconte que cet expert a commencé à avoir des soupçons après avoir vérifié les adresses physiques de destination des marchandises. « Le premier colis était destiné à un immeuble résidentiel avec des magasins au niveau de la rue », se souvient-elle. « Le deuxième portait une adresse manifestement fictive qui correspondait à l’emplacement d’un champ à proximité d’une autoroute à Brownsville, au Texas. Le troisième, qui était aussi le plus grand, était adressé à un salon de manucure dans un centre commercial à Champaign, dans l’Illinois. Pour autant que je sache, l’expéditeur n’a pas été retrouvé », poursuit-elle.

Près de la source

Dès que la peste porcine africaine a été signalée en République dominicaine, des dispositions ont été prises au port de San Juan, à Porto Rico. « Nous sommes dans une position assez unique puisque nous sommes tout près du foyer de l’épidémie. La majorité des voyageurs que nous accueillons et dont nous nous occupons viennent de République dominicaine et il est donc fondamental que nous centrions et mobilisions nos ressources pour empêcher l’entrée de produits à base de porc », nous explique Keyvan Santiago, chef de la section agriculture de la CBP pour le port de San Juan. « Porto Rico n’est qu’à 128 kilomètres de la République dominicaine et nous avons 4 ou 5 vols directs par jour provenant de là-bas. »

Dans le cadre de sa stratégie, le port a augmenté le nombre de ses experts en agriculture à l’aéroport international Luis Muñoz Marín de San Juan, qui est le seul aéroport international de Porto Rico. Grâce aux effectifs supplémentaires, la surveillance a augmenté ainsi que le nombre de passagers sélectionnés pour un contrôle secondaire approfondi.

De juillet 2021 à la mi-juin 2024, la CBP a contrôlé plus de 128 840 passagers arrivant à l’aéroport de San Juan depuis la République dominicaine. « Nous sommes loin du nombre de passagers qui arrivent à New York, Newark, Chicago ou Miami, mais, comme nous sommes tout près de l’île d’Hispaniola et qu’il y a beaucoup de Dominicains qui habitent à Porto Rico et qui veulent se procurer des produits typiques de leur pays, le niveau de risque est beaucoup plus élevé », explique l’agent Santiago.

Un spécialiste de l’agriculture du CBP manipule des morceaux de porc saisis en préparation à sa destruction à San Juan, Porto Rico. Le porc a été retrouvé dans les bagages d’une passagère d’un ferry après qu’une radiographie a révélé la présence d’une substance organique dans son sac. Photo par Ehrling Restrepo

Des ferries arrivent également trois fois par semaine à San Juan depuis la République dominicaine. « Nous contrôlons aux rayons X absolument tous les bagages qui sont déchargés des bateaux », poursuit l’agent Santiago. « On y retrouve des couennes de porc, du porc frit, des pasteles, c’est-à-dire des petites galettes contenant de la viande cuite à l’intérieur, ainsi que de gigantesques saucisses dominicaines et d’autres types de viandes de porc. » Les ferries transportent également des véhicules contaminés au contact de la terre. « La terre peut être un vecteur de nombreuses maladies, de sorte que nous contrôlons également les véhicules automobiles », ajoute-t-il. Les agents et les experts en agriculture de la CBP montent à bord de la plupart des bateaux pour vérifier les procédures portant sur les déchets réglementés. « Toutes les poubelles des bateaux doivent rester à bord », indique l’agent Santiago. « Nous ne pouvons pas permettre qu’elles soient débarquées à Porto Rico ou qu’elles soient acheminées vers les États-Unis ».

Les embarcations illégales comme les yoles sont également un autre vecteur potentiel de la maladie. Les yoles, qui viennent de République dominicaine et d’Haïti, sont des bateaux de pêche rudimentaires sur lesquels s’entassent les migrants. « Ils mettent des provisions dans les bateaux et essaient d’atteindre les zones côtières de Porto Rico », explique-t-il. « Tout ce qu’ils transportent avec eux peut présenter un risque de contamination ».

La fine truffe d’un beagle

L’un des alliés les plus puissants pour empêcher que la PPA n’entre aux États-Unis est la Beagle Brigade. Les beagles, qui sont déployés dans tous les plus grands aéroports internationaux des États-Unis, ainsi qu’à Toronto, se servent de leur odorat pour détecter les articles interdits d’entrée, notamment les fruits, les légumes, les viandes, les fleurs et les plantes. « Nous ne voulons pas de produits qui peuvent potentiellement transporter des maladies végétales et animales ou des nuisibles qui peuvent devenir envahissants », nous explique Charron Byndloss, conseillère régionale responsable de la brigade canine agricole de la CBP aux bureaux de Seattle, San Francisco et Portland.

La CBP compte actuellement 160 beagles en service actif mais leur nombre est en augmentation. « La CBP aimerait doubler le nombre de chiens sur le terrain. La PPA en est l’une des principales raisons », nous explique Charron Byndloss. Les beagles sont initialement dressés pour reconnaître cinq odeurs de base – de pomme, de mangue, d’agrumes, de bœuf et de porc. « Certains de ces aliments peuvent être cachés dans une valise, un sac à main, un porte-bébé, une poussette ou sur la personne elle-même. La plupart des gens entrent avec ces produits par inadvertance mais certains individus essaient de les importer en cachette », ajoute-t-elle.

Une fois qu’un des chiens sent l’une de ces odeurs, il s’assied à côté du passager en cause pour prévenir son maître-chien. « Le beagle peut détecter ces produits plus rapidement qu’une personne et peuvent donc passer en revue beaucoup plus de bagages et de marchandises que leur maître-chien », explique l’agent Byndloss.

Ci-dessus, un beagle du CBP admire la tête d’un porc rôti qu’il a trouvé dans les bagages enregistrés d’un passager. Photo de Jenny Matute

La CBP a également créé une fonctionnalité sur son appli pour téléphone portable afin d’aider les voyageurs qui ramènent des articles qui peuvent exiger un contrôle. Il peut s’agir de chaussures qu’ils ont portées lorsqu’ils ont visité une ferme à l’étranger, de matières biologiques destinées à des travaux de recherche ou encore d’un chien, d’un chat ou d’un oiseau de compagnie. Cette fonctionnalité, qui fait partie de l’application CBP One™ pour appareil portable, permet aux voyageurs de lancer une demande d’inspection jusqu’à 72 heures avant l’arrivée de leur vol à un point d’entrée aux États-Unis. « Nous avons conçu cette fonctionnalité dans l’idée d’accélérer le processus, afin de faciliter la vie des voyageurs », indique Suzette Kelly, directrice de la protection de l’agriculture et de la gestion des risques à la CBP. « Nous voulons faire du public un partenaire pour nous aider à empêcher la peste porcine africaine d’entrer dans le pays. Beaucoup de gens ne se rendent pas compte des dangers et nous voulons donc faire en sorte qu’ils en prennent conscience. »

Si pendant des décennies il a semblé impossible de trouver un remède contre la PPA, il semble aujourd’hui qu’un vaccin soit sur le point de voir le jour. « Le service de recherche agricole de l’USDA a mis au point plusieurs vaccins potentiels différents. L’un d’eux est en cours de développement dans le cadre d’un accord conjoint avec une société au Vietnam », signale Liz Wagstrom du National Pork Producers Council. « Le vaccin a été testé sur le terrain au Vietnam et sa production commerciale a à présent été pleinement approuvée », ajoute-t-elle. « Les travaux de recherche sont prometteurs. Pour la première fois, nous pouvons espérer avoir un vaccin qui assure un certain niveau de protection. Mais ce n’est pas la panacée », nuance-t-elle. « Le fait de pouvoir compter sur la CBP pour empêcher que la PPA entre sur le territoire national reste notre meilleur espoir pour pouvoir poursuivre nos activités et continuer à faire du commerce », conclut-elle.

En savoir +
www.cbp.gov