Dossier: Changer la donne

Sécuriser les flux de passagers : la Douane indonésienne renforce sa capacité d’analyse des données RPCV et PNR

6 mars 2025
Par Tri Mulyadi Wibowo et Sandi Putra Pratama, analystes principaux de la Section de soutien aux opérations de renseignement, Direction de la lutte contre la fraude et des enquêtes, Douane indonésienne

Dans un article publié dans l’OMD Actualités en juin 2015, la Douane indonésienne partageait son expérience concernant la mise au point de systèmes de transmission des données tirées des renseignements préalables concernant les voyageurs (RPCV) et des dossiers passagers (PNR). L’Administration y expliquait en détail les difficultés et les défis qu’elle avait rencontrés en cours de route et les étapes qu’elle avait suivies pour mettre au point ces systèmes. Dans le présent article, l’Administration met l’accent sur les dernières évolutions intervenues au niveau de l’analyse des données recueillies par ces systèmes pour contrôler les passagers aériens sur la base du profilage des risques.

Le flux d’informations relatives aux voyageurs entre les compagnies aériennes et les autorités chargées des contrôles aux frontières se divise en deux grandes catégories de données : les renseignements préalables concernant les voyageurs (RPCV) et les dossiers passagers (PNR). Les données RPCV sont générées durant le processus d’enregistrement, tandis que les données PNR le sont au moment de la réservation ou de l’achat du billet d’avion.

RPCV/PNR

Les données RPCV sont collectées au moment de l’enregistrement et incluent toutes les données figurant sur le passeport ou la carte d’identité qui sont nécessaires à l’identification d’un passager ou d’un membre de l’équipage, ainsi que des renseignements plus généraux sur le vol.

Les données du dossier passager (PNR) sont enregistrées par les systèmes de réservation des lignes aériennes pour chaque vol réservé par un voyageur et elles sont utilisées par les compagnies aériennes à leurs propres fins opérationnelles. Ces données permettent à toutes les parties du secteur de l’aviation (notamment aux agences de voyage, aux transporteurs aériens et aux agents des services d’escale) d’identifier chaque voyageur et d’accéder à toutes les informations concernant son voyage, le vol de retour, les vols de connexion et l’assistance spéciale éventuelle qu’il peut exiger à bord.

L’analyse des données permet aux douanes de détecter des anomalies comme des itinéraires impliquant des lieux sensibles ou des détours insolites, un volume suspect de bagages par rapport à la durée du séjour, des formes inhabituelles de paiement, le recours à des agences de voyage suspectes ou encore une combinaison de ces différents facteurs.

Deux systèmes, deux outils analytiques

La Douane indonésienne a mis en place un système d’échange électronique des RPCV avec les compagnies aériennes en 2009, puis un système d’échange électronique des dossiers passagers en 2015 (voir l’OMD Actualités de juin 2015). Si la mise en place du système PNR visait au final à rassembler les données RPCV et PNR sur une même plateforme, cet objectif s’est vite révélé difficile à réaliser.

À l’époque, l’Administration venait de mettre en place de tout nouveaux systèmes de traitement douanier et ces efforts avaient mobilisé beaucoup de ressources financières et humaines. Les ressources disponibles pour le nouveau projet étaient donc limitées. De plus, les RPCV étaient recueillis par plusieurs systèmes distribués au niveau des bureaux de douane locaux chargés de superviser les flux de voyageurs ; pour bien faire, l’Administration aurait dû d’abord construire un système centralisé de RPCV. Par ailleurs, la proposition d’intégration des données RPCV et PNR allait exiger d’énormes capacités de stockage et de gestion des données. Or, il fallait absolument faire en sorte que le système sous-jacent puisse recevoir des flux continus de données tout en restant disponible en permanence. Pour certains domaines de la lutte contre la fraude, les douaniers peuvent faire leur travail même si le système est en panne. Ce n’est toutefois pas le cas pour la gestion des risques relatifs aux voyageurs.

Par conséquent, jusqu’à il y a peu, les agents chargés de l’analyse des passagers aériens devaient ouvrir deux applications séparées pour pouvoir visualiser les données RPCV et PNR, et ils devaient mener une analyse qui exigeait beaucoup de temps et d’énergie. Ils se plaignaient souvent que le volume excessif de données s’affichant sur leur écran « paralysait » leur analyse, créant beaucoup de confusion et de stress. En 2016, durant une réunion de coordination qui a eu lieu quelques mois après le déploiement du système PNR, ils ont convenus qu’il leur fallait une plateforme unifiée.

Intégration

Le projet d’intégration des données RPCV et PNR sur une plateforme unique a été lancé en 2017. La plupart des lignes aériennes en Indonésie utilisent le réseau SITA pour recueillir les RPCV mais certaines recourent aux fournisseurs de RPCV locaux. De plus, différents services mondiaux de distribution (GDS de l’acronyme anglais) sont utilisés pour les dossiers passagers. La Douane indonésienne a donc dû faire appel à plusieurs parties prenantes pour son projet, y compris à trois fournisseurs de GDS.

Le développement d’une infrastructure informatique capable de stocker et d’analyser de gros volumes de données s’est avéré particulièrement compliqué. Sachant que le nombre annuel de passagers internationaux a atteint 23 millions en 2024, il est clair qu’une architecture d’application standard n’est pas adaptée au traitement d’un volume aussi important de données. L’application doit notamment pouvoir traiter rapidement les demandes de renseignement et assurer une grande disponibilité des données. Un système de stockage à deux couches a donc été mis au point : la première couche se concentre sur la réception des données, ainsi que sur les éventuelles redondances, tandis que la seconde stocke les données nettoyées et correctement structurées aux fins d’une recherche et d’une analyse rapides. Cette conception réduit sensiblement les effets d’une éventuelle panne d’application sur le pipeline de données sous-jacent.

Diverses réglementations ont dû être prises en compte pour s’assurer que le projet d’intégration soit pleinement conforme au cadre juridique, parmi lesquelles :

  • le règlement relatif à la protection générale et à la confidentialité des données passagers (2014),
  • les règles de gouvernance des données et de gestion de la sécurité de l’information publiées par le ministère des Finances (2019),
  • les directives sur la gouvernance des systèmes RPCV/PNR de la Douane indonésienne (2021).

Plusieurs obstacles ont surgi durant la phase pilote, principalement au niveau de la transmission des données qui ne s’est pas déroulée aussi facilement que prévu. Alors que les fournisseurs de GDS ont suivi les normes internationales pour la transmission des données PNR, les fournisseurs locaux de RPCV n’en ont pas fait autant. Cet écueil a montré qu’il était important de continuer à approfondir notre compréhension de la transmission des données, cette dernière constituant un domaine de connaissances en soi, et de maintenir un canal de communication ouvert avec les fournisseurs de données en cas de difficultés.

Les travaux d’intégration se sont achevés en 2019 et c’est alors qu’a commencé la formation des analystes chargés de s’occuper des voyageurs aux divers bureaux des douanes situés aux plus grands aéroports internationaux d’Indonésie, comme l’aéroport international de Kualanamu, l’aéroport international de Soekarno-Hatta, l’aéroport international de Juanda et l’aéroport international de Ngurah Rai.

Caractéristiques du système

Des paramètres de contrôle et d’évaluation de l’exhaustivité des données RPCV et PNR ont été établis pour donner au système la possibilité de lancer un message d’alerte concernant les passagers pour lesquels les données sont incomplètes. Des paramètres peuvent également être ajoutés pour sélectionner les passagers en fonction d’un profil donné ou d’un cas de figure spécifique. En outre, les données PNR sont analysées pour relever les similitudes entre les données de différents passagers et mettre en évidence les relations potentielles entre eux.

Un outil de détection des fraudes qui s’appuie sur des techniques d’apprentissage automatique a été développé pour aider les analystes. Le fonctionnement de cet outil est assez complexe. Disons simplement qu’il compare les données à trois niveaux différents afin d’établir les connexions potentielles et de rechercher les ressemblances avec des schémas et des scénarios rencontrés dans des cas précédents.

Le système est également relié à un dispositif de reconnaissance faciale qui collecte des données provenant des caméras de surveillance déployées à des endroits stratégiques aux aéroports, ce qui permet aux douaniers d’analyser le comportement des suspects et de suivre leurs déplacements.

Incidence du système

Si la mission de la Douane indonésienne consiste principalement à faire respecter les lois régissant les mouvements transfrontaliers de marchandises, l’Administration joue également un rôle crucial dans le renforcement de la sécurité aux frontières, notamment en luttant contre les délits liés au trafic de drogues. Le système analytique intégré est utilisé non seulement par les analystes s’occupant des voyageurs mais aussi par les unités douanières chargées de surveiller les opérations de contrebande de stupéfiants et la criminalité transnationale qui aident les agents de l’Agence nationale de lutte contre le terrorisme et de l’Office national des stupéfiants. Tous les services concernés effectuent des analyses parallèles et partagent leurs résultats dans le cadre de groupes de discussion spécialisés.

La plupart des saisies effectuées aux aéroports impliquent des stupéfiants. Pendant la phase de développement du système analytique, de 2014 à 2019, le nombre d’affaires impliquant des narcotrafiquants a semblé se stabiliser. Après son déploiement intégral en 2019, le nombre de contrôles positifs a augmenté de manière substantielle. Bien que le nombre de saisies ait diminué en 2020 en raison des restrictions imposées sur les voyages pour maîtriser la pandémie de COVID-19, le système a globalement apporté une contribution importante à la lutte contre le trafic de drogues par voie aérienne en Indonésie.

Valeur estimée des saisies de stupéfiants effectuées par les douanes, en roupies indonésiennes (IDR)

Défis

Malgré les bons résultats obtenus, force est de reconnaître que le maintien et l’utilisation d’un tel système posent son lot de problèmes, notamment en ce qui concerne la réception systématique et cohérente des données. Bien que les compagnies aériennes aient l’obligation de soumettre leurs données dans un délai précis, certains petits transporteurs ne s’y conforment toujours pas pour diverses raisons (par exemple, parce qu’ils n’ont pas de système de transmission des données ou parce qu’ils ne peuvent pas supporter les coûts financiers de la transmission), et d’autres refusent même de partager les données PNR en invoquant des problèmes de confidentialité des données passagers. Par ailleurs, les opérateurs changent fréquemment de fournisseur GDS, voire de fournisseur de RPCV, ce qui entraîne des problèmes permanents de disponibilité des données, même des années après le lancement du système. Enfin, comme ces opérateurs utilisent différents canaux pour collecter et envoyer les données RPCV et PNR, les données qu’ils fournissent contiennent souvent des incohérences.

Le maintien d’un pipeline de données fonctionnel constitue un autre défi ; parfois, les données reçues sont incomplètes, ne peuvent être analysées que partiellement ou ne peuvent pas être analysées du tout, ce qui donne lieu à des litiges entre les compagnies aériennes qui affirment être en conformité et la partie réceptrice qui affirme que le pipeline de données fonctionne correctement.

Ces questions sont abordées lors des réunions avec les représentants des compagnies aériennes ; l’une de ces réunions a débouché sur un appel à l’action, lancé quelque neuf mois après le lancement du système intégré RPCV/PNR, demandant aux opérateurs des compagnies aériennes de signaler toutes les difficultés rencontrées, de les décrire en détail et de suggérer les moyens par lesquels l’Administration pourrait aider à les résoudre.

Étant donné qu’il existe encore parfois des zones d’ombre dans les données, les bureaux de douane locaux doivent rester en communication avec les autorités aéroportuaires et demander à être informés en cas d’arrivée de personnes présentant un intérêt particulier. Les services d’escale locaux engagés par les compagnies aériennes sont également en contact étroit avec les autorités aéroportuaires, au cas où des informations supplémentaires s’avèreraient nécessaires.

Feuille de route

Afin de renforcer la sécurité aux frontières, il ne suffit pas d’analyser les données relatives aux passagers voyageant via une compagnie aérienne uniquement. Or, très peut d’opérateurs de l’aviation générale et de transporteurs maritimes et terrestres fournissent des RPCV et/ou des PNR (ou leur équivalent) par voie électronique. Auparavant, les données sur les voyageurs arrivant via des ports terrestres transfrontaliers ou des ports maritimes étaient transmises à la Douane par les services d’immigration par voie électronique. Ce flux de données a toutefois été interrompu après un piratage des données à l’échelle nationale en 2024.

Un groupe de travail interne composé de plusieurs membres du personnel de la Direction générale des douanes et accises, des représentants de l’aviation générale, des transporteurs maritimes et des opérateurs de bus internationaux a été créé en vue d’étudier la possibilité de mettre en place un système permettant la transmission électronique des RPCV et des PNR (ou de leur équivalent).

Toutefois, la collaboration avec les modes de transport non réguliers, tels que les jets privés et les navires de croisière, pose un problème spécifique car ces entités n’ont généralement pas d’agents chargés de maintenir la communication avec le gouvernement indonésien ou ont tendance à ne communiquer avec le gouvernement que sur une base ponctuelle. Cette situation complique la normalisation et la numérisation des processus de fourniture de données et pose des problèmes non seulement techniques, mais aussi politiques et bureaucratiques.

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