Point de vue

Systèmes d’information douanier : petit aperçu historique et recommandations

25 juin 2024
Par Pascal Minvielle, Directeur des opérations, Webb Fontaine

Depuis toujours, la douane a pour mission de prévenir l’introduction de marchandises interdites sur le marché local et de collecter les droits et taxes aux frontières. Son rôle est crucial, surtout dans les nombreux pays où elle est la principale source de revenus et où elle permet aux États de se maintenir économiquement stables.

Au cours des 50 dernières années, les administrations douanières ont dû évoluer pour faire face notamment à l’augmentation des volumes du commerce, à la nécessité de sécuriser la chaîne logistique, ou encore pour accompagner l’émergence des unions douanières.

Le rôle de l’OMD a été capital dans cette évolution. En développant des normes internationales, notamment celles de la Convention de Kyoto révisée adoptée en 1999, et en assurant leur mise en œuvre, l’OMD a permis de simplifier et d’harmoniser les opérations de dédouanement entre de nombreux pays.

Cependant, la simplification des processus de dédouanement n’a réellement porté ses fruits que lorsque les avancées technologiques ont pu réellement les soutenir, c’est-à-dire lorsque les déclarants ont pu soumettre leur déclaration en douane et effectuer le paiement depuis chez eux. Cet article offre un aperçu de l’évolution des solutions informatiques qui ont permis à la Douane d’absorber l’augmentation des volumes, de renforcer la conformité aux réglementations et de réduire la bureaucratie.

Informatisation embryonnaire

Par sa complexité, l’informatisation des processus douaniers se distingue de celle, par exemple, des processus relevant des impôts ou de la TVA. Une grande diversité de métiers doit être intégrée au sein d’une même plateforme : prise en charge du manifeste (inventaire des marchandises sur le moyen de transport), inspections, enquêtes, gestion des litiges, recouvrement, gestion du tarif et de la valeur en douane, contrôle des entrepôts sous douane, etc.

Avant 1980, dans la plupart des pays, l’informatisation restait cantonnée à l’utilisation de la machine à calcul pour la détermination des droits et taxes. Les déclarations se faisaient sur papier, avec leurs six copies carbone, et l’utilisation de registres manuels était courante pour consigner la liste des déclarations en douane et leur traitement. Le tarif douanier, qui répertorie les taux des droits de douane en fonction du type de marchandise, trônait sur chaque table de travail. Les déclarants suivaient un itinéraire précis de comptoir en comptoir.

À partir de 1985, des ordinateurs centraux, communément appelés « mainframes », font leur apparition dans de nombreux pays à la pointe de la modernité, permettant au personnel des douanes de saisir les données des déclarations. Puis, progressivement, avec l’avènement des ordinateurs de bureau, option plus abordable financièrement, chaque administration douanière a pu se doter de stations de travail.

Dès la fin des années 1980, le tarif douanier est digitalisé et les données du manifeste sont saisies manuellement. La douane parvient à réduire le temps requis pour le dédouanement et devient pourvoyeuse de statistiques sur le commerce extérieur de plus en plus fiables.

De 1990 à l’an 2000, des ordinateurs sont mis à la disposition des déclarants dans les bureaux, appelées Unités Banalisées de Dédouanement (IBD), ces enceintes leur permettent de saisir eux-mêmes leurs déclarations, les banques ouvrent des succursales dans les bureaux de douane pour accélérer les paiements. Cette évolution a été assortie de dispositions légales rendant la déclaration papier obsolète au profit de la déclaration électronique.

En matière de gestion des risques, un système rudimentaire basé sur des critères statiques oriente les transactions vers divers types de contrôle (inspection documentaire, physique, inspection non-intrusive) ou simplement vers une sortie sans contrôle. Le contrôle de la valeur en douane, visant à vérifier que la valeur déclarée n’a pas été sous-évaluée ou surévaluée, repose essentiellement sur une comparaison avec les prix indiqués sur les factures papier précédemment soumises. La compilation de ces documents de référence et la comparaison sont faites manuellement par les agents.

Connectivité à l’échelle nationale et accès à Internet

Le début des années 2000 marque un tournant majeur avec l’arrivée des réseaux nationaux et de la fibre optique. Grâce à la connectivité des postes-frontières éloignés, il est désormais possible de relier tous les bureaux de douane à un serveur centralisé, facilitant notamment la consolidation des statistiques, l’utilisation d’un manifeste unique sur tout le territoire et la centralisation des comptes de crédit.

Dans les bureaux frontières dénués de toute infrastructure, la saisie des déclarations devient possible grâce à l’utilisation de laptops branchés sur un panneau solaire et d’une simple antenne VSAT les reliant au serveur central grâce à un satellite.

Cette période voit l’émergence des bureaux frontières juxtaposés créés afin de faciliter le passage aux points d’entrée et de sortie terrestres.

Vers 2005, avec l’essor d’Internet, tout déclarant disposant d’un ordinateur connecté a la possibilité de saisir ses déclarations en douane. En éliminant la nécessité de se rendre physiquement à la douane, ces développements sont la source d’une véritable révolution qui a pour conséquence aussi de désengorger les bureaux de douane. Des cybercafés spécialisés émergent également, permettant aux déclarants informels de compléter leurs formalités douanières.

On assite à cette époque à la dématérialisation des documents devant accompagner la déclaration (factures, titres de transport, listes de colisage, etc.) et à l’introduction des moyens de paiements électroniques.

Transit

La gestion des opérations de transit a également profité de l’informatisation des postes-frontières et à leur mise en réseau. Une des fonctions essentielles de la douane est de s’assurer que les marchandises destinées à traverser le territoire pour être dédouanées à l’étranger ne soient pas détournées vers le marché local, évitant ainsi une perte de recettes considérable, un problème courant pour de nombreux pays. Pour y remédier, en l’absence de solution de contrôle électronique, l’escorte de convois de marchandises jusqu’à la frontière a souvent été utilisée, et reste une solution pour les pays sans solution informatique adéquate.

Depuis le début des années 2000, les systèmes douaniers se sont adaptés en associant une garantie bancaire au formulaire de transit. Le montant de la garantie est déduit du compte du déclarant dans le système douanier au départ du camion et est automatiquement restauré à la frontière. Ce dispositif a été particulièrement bénéfique en Afrique australe, où il a été adopté par tous les pays du COMESA.

Cette numérisation du processus s’accompagne d’initiatives bilatérales et régionales visant à connecter les systèmes douaniers nationaux afin de partager les données aux fins des opérations de transit, et ce, via une interface étant donné que les systèmes douaniers automatisés sont parfois différents d’un pays à un autre. Les douanes d’Éthiopie et de Djibouti échangent ainsi quotidiennement leurs déclarations de transit sur une plateforme commune afin que chaque pays puisse générer les formulaires nécessaires à l’arrivée du camion, à partir des informations envoyées par le pays d’origine. Le système SIGMAT permet aux pays d’Afrique de l’Ouest de faire de même, ceux d’Amérique centrale utilisant quant à eux un système appelé SIECA. Les pays du Golfe ont développé un système similaire appelé Maqassa qui permet également de consolider le rapatriement périodique des droits et taxes payés dans le premier pays traversé vers le pays de destination.

La gestion de la garantie ne permet pas d’éviter le déversement partiel du chargement lors du transit, notamment pour les conteneurs dépotés à l’origine. Pour y remédier, bon nombre de pays ont adopté la technologie de l’Internet des Objets (IoT) pour le suivi GPS des camions. Cela permet de contrôler la vitesse, le nombre et la durée des arrêts du camion ainsi que les déviations par rapport à un corridor strictement défini sur une carte. En cas d’arrachement de la balise GPS, il est possible d’immobiliser le camion.

Les douanes utilisent également les mêmes formulaires de transit pour la circulation contrôlée des véhicules, principalement usagers, du port d’arrivée jusqu’aux pays de l’hinterland.

Guichet Unique

Après 2010, les premiers systèmes de Guichet Unique du Commerce voient le jour et les autres processus réglementaires aux frontières, telles que la demande et la délivrance de licences, permis et exemptions, commencent à être digitalisés.

Ces nouveaux systèmes facilitent la coopération avec les divers ministères et agences responsables notamment dans les domaines de l’analyse de risque et des inspections. Un concept de visite collaborative électronique émerge. Les systèmes permettent d’évaluer les déclarations en fonction des critères de sélectivité de la douane et des ministères techniques et de fixer des rendez-vous pour des inspections qui regroupent les inspecteurs de toutes les parties prenantes.

Le Guichet Unique a évolué pour dupliquer certaines fonctions des systèmes informatiques douaniers, telles que la collecte des manifestes ou la saisie des déclarations, et ceci a suscité des débats. Cette évolution a probablement eu comme source d’inspiration les modèles européen et américain où la saisie des déclarations est confiée à une organisation tierce du secteur privé qui interface avec le serveur de la douane. C’est également le cas aux Philippines où les Value Added Service Providers (VASP) fidélisent les déclarants et offrent des formations.

Cependant, le Guichet Unique s’est par la suite recentré sur ses fonctions initiales, à savoir le pré-dédouanement avec notamment la Déclaration Préalable à l’Importation (DPI) qui sert de support à la création automatique de demandes de licences sur les produits régulés. La Déclaration Préalable à l’Importation sert également de base pour créer le document électronique utilisé pour la domiciliation et le contrôle des changes dans de nombreux pays. Ce document est validé par la banque centrale, le trésor ou la banque commerciale qui soutient la transaction commerciale, et est régularisé par la déclaration en douane en fin de cycle.

Le Guichet Unique permet aussi de gérer la délivrance de divers certificats tels que les certificats d’origine à l’exportation, dérivés de la déclaration en douane d’exportation, ainsi que les certificats d’assurance et les certificats phytosanitaires (ePhyto).

Il permet également de mettre en place un système de paiement électronique unique pour tous types de transactions, y compris le paiement des droits de douane. En outre, de nombreux interfaçages ont été établis avec les systèmes d’autres ministères, tels que le ministère des transports après le dédouanement des véhicules, ou le ministère du commerce pour l’enregistrement des entreprises et des déclarants.

Grâce au Guichet Unique, la douane ne fonctionne plus en autarcie.

Logistique portuaire

Chaque envoi de cargaison à l’international implique divers acteurs, tels que les transporteurs, les transitaires, les opérateurs de terminaux, l’administration des douanes et l’autorité portuaire. Ces dernières années, des systèmes de Guichet Unique Portuaires (GUP) ont émergé, permettant d’interconnecter les systèmes informatiques de ces acteurs afin de centraliser les procédures d’autorisation de sortie des marchandises.

Les systèmes échangeant dans le GUP des messages EDIFACT contenant le Bon à délivrer (BAD) du consignataire, représentant local du transporteur, ou les avis de chargement ou déchargement des terminaux. Le déclarant doit lui s’acquitter en ligne de tous les frais portuaires (manutention, consignataire, divers bénéficiaires, dont le port), et obtenir la main levée de la douane.

Cependant, le concept de Guichet Unique Portuaire (GUP) n’étant pas généralisé, les systèmes douaniers ont dû prendre en charge certaines de ces fonctionnalités. Par exemple, les systèmes sont connectés aux systèmes des terminaux portuaires pour confirmer électroniquement que le chargement ou le déchargement d’un bateau a été effectué. La douane reçoit alors le « rapport des différences », document détaillant les écarts entre le manifeste initial et la cargaison effectivement chargée ou déchargée. En outre, dans de nombreux pays, les consignataires, représentant les transporteurs, doivent saisir le Bon à Délivrer (BAD) dans le système douanier pour désigner l’importateur associé au titre de transport. Le port y annonce les dates d’arrivée et de départ des navires, ce qui permet de vérifier si le manifeste a été enregistré dans les délais réglementaires.

Dans les systèmes douaniers les plus modernes, les consignataires peuvent ainsi effectuer les amendements des titres de transport ou les demandes de transbordement, les transitaires gèrent les dégroupages, et les acconiers soumettent les demandes de transfert. La douane n’a alors qu’à approuver ces opérations par un simple clic.

Cependant, dans certains pays, les dispositions du code des douanes obligent encore la douane à effectuer toutes ces opérations elle-même, ce qui affecte les délais de dédouanement. Cela montre l’importance de moderniser les cadres législatifs pour permettre une plus grande efficacité dans le traitement des marchandises, en déléguant certaines tâches aux parties prenantes appropriées.

Gestion du risque et Intelligence Artificielle

Les années qui suivent 2010 voient l’arrivée de systèmes de risque dynamiques basés sur l’économétrie, mettant en évidence le niveau de conformité des acteurs. Vers 2015, l’utilisation de l’apprentissage automatique pour identifier la fraude sur la base des occurrences historiques de fraude avérée représente une innovation majeure.

Ces développements technologiques ont démontré une grande efficacité en matière d’évaluation du risque. Il est essentiel ici que des explications sur les décisions prises par les algorithmes d’IA soient fournies aux inspecteurs des douanes lorsqu’une alerte de fraude est déclenchée, et ce notamment pour renforcer la confiance dans les systèmes automatisés. Une branche de l’Intelligence Artificielle (IA) essaie justement de répondre à ce défi : l’Intelligence Artificielle Explicable.

Pour des systèmes évolutifs

Au fil des années, les systèmes douaniers ont intégré de nombreuses nouvelles fonctionnalités. Aux fonctions de base que sont la gestion de caisse, du manifeste, des déclarations en douane, des risques ou encore de sortie des marchandises, ont été ajoutés la gestion du cautionnement, du transit et des infractions. Dans certains pays, les systèmes douaniers gèrent également le contrôle des flux entrant et sortant des manufactures et des zones franches, la déclaration des accises, ou encore les déclarations douanières produites par les passagers. Certaines fonctionnalités, comme la génération de rapports et tableaux de bord, ont également été perfectionnées, tirant parti des technologies du Big Data.

Du fait de la multiplicité des fonctionnalités d’un système informatique douanier, le temps nécessaire à son développement est si long que la technologie utilisée pour le créer est souvent déjà obsolète lorsqu’il est déployé. Étant donné qu’il est économiquement impensable de recréer un système à chaque fois qu’une nouvelle technologie émerge, les systèmes existants sont maintenus et enrichis grâce à l’intégration de nouvelles fonctionnalités, par exemple, par l’ajout d’une interface mobile alors que la technologie native ne le permet pas.

Le problème réside dans le fait que la plupart des systèmes ont été conçus de manière monolithique, avec toutes les composantes regroupées dans un seul « package ». Cela est notamment vrai dans les pays parmi les plus développés, qui utilisent des systèmes vieux de 15 ou 20 ans. Toute modification d’un module, comme la fonction de recouvrement par exemple, pourra entraîner des instabilités dans l’ensemble du système.

Pour éviter de tels problèmes, il est nécessaire de développer un système douanier sous forme de systèmes co-existants et indépendants, chacun dédié à un corps de métier spécifique (par exemple, l’inspection) et communiquant entre eux par échange de messages sécurisés. Une telle architecture facilite la maintenance du système, favorise une disponibilité continue, et permet une évolutivité technologique. Chaque module, ou micro-service, peut être développé, testé et déployé indépendamment, ce qui réduit les risques d’instabilités et accélère le cycle de développement. De plus, l’utilisation de protocoles de communication sécurisés garantit l’intégrité et la confidentialité des données échangées.

En séparant le backend (qui gère la logique et les données) du frontend (qui gère l’interface utilisateur), l’architecture résultante permet d’optimiser le temps de développement et de modifier l’un sans toucher à l’autre. Cette flexibilité est essentielle pour répondre aux exigences changeantes des utilisateurs et aux avancées technologiques, y compris celle des interfaces mobiles. L’expérience utilisateur est primordiale, surtout lorsqu’il en va des besoins de milliers d’usagers de la communauté économique.

Pour les gouvernements qui décident de se doter d’un nouveau système douanier, il est crucial de s’assurer qu’il réponde à des exigences techniques qui lui permettront d’évoluer. En plus de remplir ces critères, le système doit être suffisamment générique pour s’adapter aux réglementations locales tout en respectant les exigences de l’OMD en termes de processus et de codification des données.

L’évolution technologique est constante et les douanes doivent pouvoir plus que jamais être agiles et en tirer parti pour continuer à contribuer à protéger la sécurité des populations ainsi que les intérêts économiques et commerciaux des États, tout en facilitant les échanges commerciaux et les voyages.

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Pascal.minvielle@webbfontaine.com

À propos de l’auteur

Pascal Minvielle a joué un rôle essentiel dans les opérations mondiales de Webb Fontaine, en concevant et en mettant en œuvre des solutions commerciales dans le monde entier, aux côtés des fonctionnaires des douanes, des gouvernements et du personnel de Webb Fontaine. Fort de ses 35 ans d’expérience dans le domaine de la facilitation du commerce, de sa connaissance du secteur et de sa capacité d’innovation, Pascal joue un rôle essentiel dans l’orientation stratégique et les réalisations de la société. En tant que directeur des opérations, il s’engage à garantir la satisfaction des clients en établissant des normes exigeantes et une technologie innovante, ce qui renforce considérablement la position de Webb Fontaine à l’échelle mondiale. Avant de rejoindre Webb Fontaine en 2008, Pascal a consacré deux décennies de sa carrière à Genève, à la Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), où il a contribué à la création et au lancement du système Sydonia.