Dossier: Commerce Illicite

¬¬Revoir la formation concernant la fouille de véhicules : comment le sens du partenariat et la détermination ont ouvert la voie à l’innovation en Irlande

29 octobre 2024
Par Joe Kavanagh, Revenue Commissioners, Administration des douanes et des accises irlandaise

Le changement se présente sous des formes multiples, mais il est invariablement déclenché par deux facteurs : le désir, qui peut être exprimé par un groupe ou un individu, et la nécessité, lorsque les circonstances font qu’il n’y a pas d’autres options. Il peut arriver que les deux facteurs interviennent en même temps.

L’équipe de formateurs de l’Administration des douanes et des accises irlandaise s’est justement retrouvée dans cette conjoncture alors que le monde se remettait péniblement de la pandémie de COVID-19. Le confinement avait radicalement modifié la manière dont la formation était dispensée en raison des mesures de distanciation sociale, mais ces restrictions avaient également rendu les cours exigeant une participation physique complètement caducs pendant toute la période d’urgence sanitaire. Lorsque le monde a enfin commencé à s’extirper de l’étau de la pandémie, l’équipe s’est dit qu’elle avait une occasion unique de réexaminer les méthodes du passé et de les améliorer.

L’effet du Brexit

La Douane irlandaise a toujours organisé des formations sur la fouille de véhicules mais, malgré tous les efforts déployés par son équipe, des problèmes comme la recherche d’un site permanent de formation et de matériel adéquat l’ont souvent empêchée d’avancer sur ce front. Profitant de l’arrêt total des activités pendant la pandémie de COVID-19, la responsable des formations, Maria Morrissey, et le formateur, Paul Codd, ont entrepris de repenser les contenus pédagogiques pour y incorporer les dernières évolutions et les progrès intervenus au niveau de la technologie et des véhicules. Il s’agissait aussi de répondre à des considérations pratiques. Depuis la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) ou Brexit, le trafic depuis ce pays est considéré comme provenant d’un pays tiers et les véhicules sont soumis à un contrôle officiel plus poussé. Or, les très nombreux nouveaux douaniers recrutés pour faire face aux retombées opérationnelles du Brexit ont vu leur formation totalement perturbée du fait de la COVID-19.

À la recherche de l’étalon-or

Pour les agents Morrissey et Codd, il était essentiel de faire en sorte que la formation réponde aux normes les plus élevées de l’UE et de l’OMD, tout en satisfaisant à un ensemble précis et ambitieux de besoins opérationnels. Les discussions se sont portées sur le développement d’une école de formation pratique sur la fouille de véhicules, la formation qui y serait dispensée pouvant devenir un exemple de ce à quoi une formation douanière pourrait ressembler dans un tel cas de figure. Comme le résume l’agent Codd, « nous (les douaniers) devrions être les champions de la fouille des véhicules compte tenu de la nature de notre travail, et l’Irlande devrait chercher à atteindre les plus hauts niveaux des meilleures pratiques internationales ».

Pour l’agent Morrissey, il fallait avant tout « faire les choses correctement » et créer un cours qui élèverait les normes de la formation douanière. Une fois les grandes lignes définies, les deux experts ont fait appel à un autre formateur, Liam Williams, pour les aider à concrétiser leur vision. Liam avait déjà travaillé avec Paul Codd dans le domaine de la lutte contre la fraude, puis en tant que collègue maître-chien. Les deux hommes partagent un solide passé professionnel et sont liés par une forte amitié. « Je n’ai pas hésité un instant », raconte l’agent Williams. « J’adore les motos, les voitures et les moteurs. Cette formation m’a tout de suite parue très intéressante et je savais que j’y prendrais beaucoup de plaisir ».

Selon Maria Morrissey, d’autres facteurs ont également joué : « Après avoir surmonté l’obstacle du Brexit, nous pouvions enfin nous consacrer à autre chose… Notre ambition était de définir une norme européenne, voire mondiale. Nous savions que cela n’allait pas être facile, mais nous nous sommes dit : pourquoi viser plus bas ? Pourquoi pas nous et pourquoi pas l’Irlande ? Notre objectif était évidemment de servir les intérêts de notre personnel, mais nous savions que nous devions aussi apporter notre contribution sur le plan international. »

S’immergeant dans le monde des joints, des tubulures et des endoscopes, les trois collègues ont passé des mois à rechercher les équipements et les installations dont ils pourraient avoir besoin pour créer une expérience d’apprentissage innovante et un partenariat éducatif à la hauteur de leurs ambitions en matière d’enseignement et de développement. L’étape suivante consistait tout naturellement à trouver l’étalon-or en matière d’expertise concernant les aspects pratiques de la fouille d’un véhicule.

Petit détour par la Finlande

Forte de ses vastes frontières terrestres, la Finlande jouit d’une excellente réputation pour la qualité des cours sur la fouille des véhicules qu’elle dispense aux douaniers européens dans le cadre du Programme commun de formation de l’Union européenne (EU CLEP). À l’instar de l’Irlande, les restrictions imposées par la COVID-19 avaient contraint les Finlandais à interrompre leur formation en présentiel. En 2022, toutefois, ils commençaient déjà à se préparer à reprendre leurs activités, de sorte que Mary Morrissey a décidé de contacter un de ses homologues en Finlande pour lui demander s’il était possible d’envoyer quelqu’un suivre le cours de formation des formateurs sur la fouille des véhicules organisé par la Douane finlandaise. Conscient de l’importance de cultiver des relations entre les différentes juridictions, son homologue a gentiment offert à l’Irlande deux places dans ce programme très prisé.

C’est ainsi qu’en août 2023, les agents Codd et Williams ont passé une semaine au Centre européen d’excellence de Finlande. La Finlande n’étant pas une nation insulaire comme l’Irlande, les agents finlandais sont constamment amenés à fouiller des véhicules. Les deux agents irlandais ont passé la semaine à absorber tout ce qu’ils pouvaient sur la manière de démonter systématiquement les véhicules et, surtout, de les remonter par la suite. Comme le remarque à juste titre Liam Williams, « c’est très bien d’avoir des soupçons suffisamment raisonnables pour arrêter un véhicule et d’avoir la confiance nécessaire pour le démonter, mais il faut aussi être certain de pouvoir réassembler ce véhicule correctement par la suite ».

La formation technique dispensée par les douaniers finlandais n’a pas été le seul élément à avoir contribué au succès de ce voyage d’étude. Originaires des administrations douanières de toute l’Europe, les participants ont échangé connaissances et expériences, chacun apportant sa pierre à l’édifice.

Le voyage a également servi un autre objectif important selon Mary Morrissey : « Le séjour en Finlande a eu un effet boule de neige et l’enthousiasme qu’il a suscité a créé une dynamique en soi. Il nous a permis de concrétiser tous les aspects du projet ».

Mise en route

Au retour des deux agents, le trio de formateurs, épaulé par le nouveau directeur, Iain Timmons, a commencé à intégrer tous les ingrédients du projet. Mary Morrissey et Iain Timmons ont négocié les questions d’organisation, la première s’occupant de la stratégie et de la manière dont le cours s’inscrirait dans la vision de l’Administration fiscale irlandaise, tandis que le second se penchait sur ce à quoi la formation ressemblerait du point de vue douanier. Kate O’Gorman, responsable de l’apprentissage et du développement, a supervisé l’ensemble du projet, s’assurant de sa concrétisation : « La capacité de l’équipe à sortir des sentiers battus a été l’un des éléments les plus importants pour moi. Nous n’avons pas d’école de formation pratique déjà établie, même si cela fait toujours bien partie de nos projets, mais cela n’a pas dissuadé l’équipe pour autant… et j’ai été ravie d’avoir pu contribuer à faire avancer les choses, avec l’aide de nos collègues de l’unité Achats et acquisitions. »

Les recherches se sont poursuivies avec sérieux et, forts de leurs nouvelles connaissances, les agents Codd et Williams ont suivi la formation Electrically Instructed Person sur les véhicules électriques et hybrides dispensée par Hyundai. Ils ont même passé du temps dans un garage appartenant au beau-frère de Paul Codd, où ils ont perfectionné leurs compétences en démontant et en remontant toute une série de véhicules. Il restait encore à trouver les bons outils. Chaque membre de l’équipe a parcouru le pays et Internet pour réunir tous les instruments dont l’Administration aurait besoin pour que le cours soit à la hauteur de ses ambitions croissantes. Tout se mettait donc en place, à l’exception d’un élément fondamental : le lieu.

Trouver le meilleur endroit

Auparavant, la Douane irlandaise avait toujours organisé ses cours sur la fouille des véhicules dans des locaux appartenant à l’Administration fiscale. Comme pour tous les aspects de cette initiative, l’innovation a été déterminante quand il s’est agi de trouver un lieu. Durant leur séjour en Finlande, les agents Codd et Williams avaient observé que la Douane finlandaise était très ouverte à la coopération entre le secteur public et le secteur privé pour certains projets. Avec la bénédiction de sa direction, Paul Codd a décidé de suivre l’exemple des Finlandais et a pris contact avec des entreprises de l’industrie automobile en Irlande susceptibles de collaborer avec la Douane. Certaines entreprises ont rechigné à cette idée, d’autres ont répondu positivement, mais ne correspondaient pas tout à fait au profil recherché. Enfin, un candidat s’est démarqué en cochant toutes les cases, et ce, non seulement en termes de logistique et d’infrastructures, mais aussi en termes d’enthousiasme et de flexibilité.

En tant que propriétaire de 30 % du marché national de l’automobile, le Groupe Volkswagen (VW) jouit d’une formidable présence en Irlande mais sa relation avec le pays n’est pas uniquement commerciale. John Cunningham, responsable de la formation au sein du Groupe Volkswagen  Irlande, est fier des liens qu’entretient l’entreprise avec divers organismes gouvernementaux. « Pour nous, il était tout à fait logique de travailler avec l’Administration fiscale. Lorsqu’un organisme gouvernemental nous sollicite, nous avons l’obligation civique d’essayer de l’aider », explique-t-il. Avec l’approbation du conseil d’administration, VW a ouvert les portes de son centre de formation ultramoderne aux effectifs à la Douane. D’une superficie de près de 2 500 mètres carrés, le centre comprend cinq salles de classe et 12 espaces de formation en atelier, avec plus d’une douzaine de véhicules disponibles pour les cours. L’entreprise a même offert aux agents Codd et Williams une journée de formation avec l’un de ses maîtres techniciens, ce qui leur a permis de se familiariser davantage avec des marques du groupe telles que Skoda, Seat, Audi ou encore Cupra. Selon John Cunningham, Volkswagen se donne pour principe fondamental de former les organismes publics aux dernières technologies et innovations. Commentant la bonne entente qui règne entre les deux parties, l’agent Morrissey confie en riant : « Je crois que John Cunningham a dit oui à tout ce que je lui demandais ! ».

Méthodologie et contenu de la formation

Le cours lui-même se centre sur les dernières évolutions. Pour pouvoir participer à la formation, les candidats doivent au préalable suivre le cours de formation en ligne sur la fouille des véhicules proposé via le portail d’apprentissage (CLEP) de la Direction générale de la fiscalité et de l’union douanière (DG TAXUD) de l’UE. Le premier jour est donc consacré aux aspects théoriques et, compte tenu des risques de blessures, aux procédures de santé et de sécurité. Bien que la formation s’inspire de l’exemple de la Finlande, Paul Codd explique que ses collègues et lui y ont ajouté leurs propres particularités. « La Douane finlandaise suit une approche sur plusieurs niveaux, avec une fouille visuelle, suivie d’une fouille sommaire, puis d’une fouille en bonne et due forme, en fonction du degré de suspicion. Nous avons complété cette démarche en ajoutant un élément de profilage douanier, où nous essayons d’établir un lien entre la légitimité de la fouille et le doute raisonnable en posant des questions telles que : le véhicule correspond-il à la nature du déplacement ? Le contenu est-il en adéquation avec l’opérateur ? L’itinéraire suivi a-t-il un sens ? Enfin, ce genre d’informations ».

Après la partie théorique viennent deux journées intensives d’exercices pratiques sur le démontage et le réassemblage des véhicules afin de les remettre exactement dans l’état où ils se trouvaient auparavant. La complexité des fouilles peut être immense car, comme le soulignent les deux formateurs, tous les véhicules ont des spécifications différentes et offrent un vaste éventail de moyens cachés, d’autant qu’il existe des différences pour un même modèle en fonction de l’année de sa mise en circulation. La formation est conçue pour être aussi immersive que possible. Selon Maria Morrissey, « il s’agit d’un excellent exemple de formation mixte et il était important d’incorporer l’élément pédagogique de l’UE. Nous cherchons à élever nos normes dans tous les sens du terme, mais, en fin de compte, il s’agit de renforcer la confiance en ses capacités ».

Parmi les défis qu’ils ont à relever, les participants à la formation doivent retrouver une marchandise de contrebande dissimulée dans un véhicule. Pendant ce temps, les formateurs Codd et Williams les conseillent, les encadrent et les encouragent en leur transmettant des connaissances qui viennent compléter les exercices pratiques. Il apprennent ce qu’est un soupçon raisonnable au regard de la loi, comment les voitures volées sont fréquemment utilisées pour passer de la drogue en contrebande, comment fonctionnent les caches dans le système hydraulique d’une voiture, comment les découvrir et les reconstituer par ingénierie inverse, comment les voitures « radiées » sont réutilisées, ou même comment les systèmes de navigation par satellite peuvent fournir des renseignements vitaux. Les innovations automobiles sont clairement et minutieusement expliquées, tandis que les deux formateurs enseignent aux participants comment savoir quoi chercher et le trouver.

Ce qu’en disent les stagiaires

Les candidats qui ont déjà participé à la formation proviennent des trois principaux ports d’Irlande (Dublin, Cork et Rosslare) et tous sont unanimement satisfaits du projet. Simon Garvey, basé au port de Dublin, souligne le caractère inclusif de la formation : « Personne ne se sent mal à l’aise, quelle que soit son expérience, et la formation n’est jamais fastidieuse… Elle vous fournit simplement les outils nécessaires pour effectuer un contrôle en toute sécurité, de manière approfondie et justifiable ».

L’inclusivité est tout à fait voulue et tous ceux qui ont participé à la réalisation du projet insistent sur le fait que l’intention n’est pas de prendre les stagiaires au dépourvu mais seulement de les instruire et de leur inculquer des connaissances. L’agent Elaine Roche, basée à Rosslare, se fait l’écho de ce sentiment en déclarant : « En tant que femme, je ne m’y connais pas beaucoup en voitures et, pour être honnête, au départ, je ne voulais pas suivre cette formation justement à cause de ça. Maintenant, la seule chose que je regrette c’est que la formation n’ait pas duré plus longtemps, parce que j’en suis ressortie avec un sentiment incroyable d’autonomisation ».

Le succès du programme est fonction des formateurs eux-mêmes et de l’attitude des apprenants. Dans l’ensemble, les participants n’ont pas tari d’éloges dans leur évaluation. L’agent Nicola Farrell, du port de Dublin, explique : « Je suis plutôt du genre à apprendre sur le tas et, en ça, la formation m’a vraiment plu. On voit que les formateurs ont fait leurs devoirs et leur intérêt pour leur sujet a été apprécié par tous les participants. Tout le monde s’est senti très vite à l’aise et les gens se sont constamment entraidés. »

Et Jimmy Duggan, de Cork, d’ajouter : « C’était un cours absolument superbe et tous ceux qui l’ont suivi disent la même chose. Cette formation est un parfait exemple de transmission de connaissances théoriques et de mise en pratique. Il renforce les compétences et l’efficacité des douaniers dans leur travail et les rend plus conscients de l’environnement et des exigences liées à leur fonction ».

Quant à savoir ce qui se passera une fois qu’il faudra mettre les mains dans le cambouis, au sens propre comme au figuré, Oliver Devlin, de Rosslare, n’a aucun doute sur les retombées potentielles de la formation. « Dès le début de la formation en ligne, on a senti que ce cours allait être quelque chose de spécial. On savait déjà qu’il y avait moyen de cacher de la marchandise dans les voitures, mais la formation nous a fait découvrir des endroits insoupçonnés ».

Préparer le terrain

Les participants n’ont pas été les seuls à acquérir de nouvelles connaissances et de l’expérience. La Douane irlandaise dispose désormais d’un modèle d’apprentissage ou plutôt, comme le dit Iain Timmons, « d’une norme nous indiquant ce que nous devrions toujours nous efforcer de faire ».  La formule imaginée par les agents Morrissey et Codd peut être appliquée à n’importe quel cours, même d’une manière qui n’est peut-être pas imaginable au départ. La démarche méthodique de démontage d’une voiture, où chaque pièce enlevée est placée le plus près possible de l’endroit où elle a été retirée, de manière ordonnée, peut facilement s’appliquer à la fouille de biens, de bagages ou d’autres moyens de transport. De même, la prise en compte des meilleures pratiques et des normes les plus élevées peuvent constituer le socle de n’importe quelle formation future.

Ajoutons à cela la collaboration public/privé et la dimension interinstitutionnelle, qui montrent à quel point ces arrangements peuvent être avantageux et mutuellement bénéfiques lorsqu’ils sont abordés avec intégrité, détermination et professionnalisme.

Comme le note avec fierté l’agent O’Gorman, « ce projet est l’exemple même d’un concept vraiment holistique et innovant du point de vue de l’apprentissage et du développement. Il s’agit à présent de prendre plus systématiquement du recul par rapport aux projets et de réfléchir à la manière d’aborder les choses différemment. Si nous n’avons pas de solution parfaite à proposer, comment nous y prendre pour construire une idée, donner forme à la conception, trouver le bon cadre et continuer à aller de l’avant ? Je pense que ce cours de formation peut jouer un rôle déterminant dans la mise en place d’un parcours de développement pour les douaniers. »

Quoi qu’il advienne à l’avenir, le niveau a certainement été relevé d’un cran.

En savoir +
wco@revenue.ie