Contrebande de cigarettes : comment l’Ouzbékistan a réussi à renverser la vapeur
5 mars 2025
Par M. Akmalkhuja Mavlonov, Président du Comité des douanes, Ministère de l'économie et des finances d’OuzbékistanLe présent article présente les mesures adoptées par l’Ouzbékistan pour lutter contre la contrebande de tabac, qui ont permis de réduire sensiblement le nombre de saisies douanières en 2024 tout en augmentant le volume des importations.
Selon les chercheurs de l’Université d’économie d’État de Tachkent, 576 millions de paquets de cigarettes ont été vendus en Ouzbékistan en 2024 : 500 millions avaient été produits localement, 24 millions avaient été importés et les 52 millions de paquets restants avaient été introduits en contrebande dans le pays. Même si les importations officielles de produits du tabac se sont multipliées par huit depuis 2019, le volume estimé de cigarettes de contrebande entrées sur le territoire national reste extrêmement élevé.
Face à ce problème, le Comité des douanes a pris plusieurs mesures au cours des récents mois, visant à accroître les capacités de contrôle, principalement des opérations de transit, et qui se sont révélées très efficaces. De fait, les données commerciales montrent, par exemple, que le volume de cigarettes saisies par la Douane a rapidement augmenté de 2017 à 2023 avant de diminuer en 2024, tandis que le volume de cigarettes entrant dans le pays sous le régime du transit a diminué et le volume des importations a augmenté (voir le tableau ci-dessous).
Améliorer le contrôle des opérations de transit
L’Ouzbékistan est un pays enclavé entouré par le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Afghanistan. Situé le long de la Route de la soie, il a été pendant des siècles un carrefour du commerce en Asie centrale et reste aujourd’hui un pôle commercial phare entre l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient.
Les contrebandiers importent illégalement des cigarettes dans le pays en les transportant vers les pays voisins sous le régime du transit, puis en les faisant repasser la frontière en contrebande. Ce mode opératoire est particulièrement courant au Kirghizistan, d’où certains de ces envois sont « réexportés » vers l’Ouzbékistan.
En 2024, le Comité des douanes a adopté plusieurs mesures pour améliorer la surveillance des chargements de cigarettes entrant dans le pays sous le régime du transit.
Aujourd’hui, les documents suivants doivent obligatoirement être envoyés par voie électronique à la douane et présentés au poste frontière d’entrée et de sortie :
- L’attestation confirmant que les timbres fiscaux de l’État destinataire ont été apposés sur les paquets de cigarettes, à moins que cet État ne l’exige pas.
- Le certificat d’origine, un contrat (une convention) de livraison et un planning de transport si les cargaisons en transit sont fractionnées en plusieurs envois avec des destinations différentes.
- L’attestation confirmant que le paiement des droits de douane pour les produits en transit a bien été effectué sur le compte de dépôt de l’administration douanière. Les droits doivent être acquittés dans les cinq jours ouvrables après la sortie des marchandises du pays.
En outre, les véhicules transportant des produits du tabac ne sont autorisés à passer que par des postes frontières équipés de systèmes d’inspection et de scanographie. Enfin, la coopération avec les pays voisins a été renforcée et les données sur les envois de produits du tabac sont échangées afin de vérifier que les marchandises arrivent bien à leur destination finale.
Le volume de produits du tabac entrant en Ouzbékistan sous le régime du transit a fortement diminué, passant de 10 467 tonnes en 2023 à 1 772 en 2024. Au cours des 11 premiers mois de 2024, les droits de douane perçus sur les importations de tabac ont augmenté de près de 12 fois par rapport à la même période en 2023. De plus, 138 tonnes de produits du tabac ont été renvoyés en Ouzbékistan, leur importation n’ayant pas été approuvée par l’administration des douanes du pays de destination.
Renforcer les capacités de gestion des risques
Le Comité des douanes a amélioré son système de gestion des risques en mettant au point de nouveaux indicateurs de risque pour la détection des mouvements illicites de produits du tabac et en les incorporant dans son module de profils de risque. Ces indicateurs se fondent sur les données historiques stockées dans le système d’information sur les infractions constatées, qui est relié au système de gestion des risques, sur le Recueil de l’OMD sur la gestion des risques en matière douanière et sur les recommandations formulées par les administrations des douanes du Japon et de l’Allemagne.
Le Comité des douanes a également mis au point divers outils de détection de la menace qui ont été déployés pour être utilisés avec des scanners aux postes frontières d’entrée et de sortie. Ces outils permettent aux systèmes d’inspection non intrusive (INI) de reconnaître les produits du tabac ou les anomalies entre ce qui a été déclaré et ce qui apparaît à l’image, et d’envoyer des alertes aux douaniers en conséquence. L’utilisation de ces outils s’est déjà avérée très efficace. Par exemple, un wagon de train chargé de cigarettes qui avaient été déclarées comme étant du thé a été repéré au poste douanier de Khojadavlat à la frontière avec le Turkménistan.
Avec l’aide du ministère ouzbek de l’Intérieur, la Douane d’Ouzbékistan a également connecté son système informatique au réseau national de caméras de surveillance de la circulation routière. Géré par l’Autorité de la sécurité routière, ce réseau compte plus de 10 000 caméras. Lorsque des produits et des véhicules sont placés sous contrôle, le système d’information du Comité des douanes détermine le meilleur itinéraire à suivre pour arriver à l’entrepôt national, via Google Maps et Yandex Maps. L’information est envoyée au système informatique de l’Autorité de la sécurité routière, qui suit les véhicules visés et recense toute déviation par rapport à l’itinéraire et à l’horaire prévus. Si le chemin pris diffère énormément de l’itinéraire fixé par la Douane, un signal est envoyé au système douanier de gestion des risques et l’équipe travaillant au centre de ciblage douanier prend les mesures nécessaires pour localiser les véhicules et pour déterminer la cause de leur déviation, en coopération avec les unités de terrain travaillant dans la zone concernée.
Saisies
Depuis 2019, le nombre de saisies de cigarettes a fortement augmenté. Si les trafics illégaux étaient principalement détectés à l’intérieur du pays et liés au non-respect des règles et réglementations régissant le stockage et la vente de marchandises, y compris le dépassement des franchises douanières, de nouvelles tendances sont apparues en 2023 et 2024 puisque les contrebandiers ont commencé à soumettre de fausses déclarations ou à dissimuler les paquets de cigarettes dans différentes parties des véhicules.
En 2024, 510 infractions liées à la circulation illégale de cigarettes ont été constatées par la douane aux postes frontières, dont 96 (soit 29%) portaient sur des produits dissimulés dans des valises ou des sacs à double fond, ou encore dans des caches à bord de conteneurs, de véhicules et d’autres moyens de transport. Tous les produits détectés ont été confisqués. En 2024, conformément à une décision de justice, 1,3 million de paquets de cigarettes ont été détruits.
Trois grandes saisies ont été effectuées pour un total de 2 millions de paquets de cigarettes :
- Le 19 janvier 2024, 402 000 paquets de cigarettes non déclarés ont été retrouvés dans un wagon de chemin de fer au poste frontière de Sariosiya, près du Tadjikistan sur l’axe Iran – Turkménistan – Ouzbékistan – Tadjikistan.
- Le 19 juillet 2024, 866 000 paquets de cigarettes ne portant pas de timbre fiscal et déclarés comme étant des matières premières de tabac ont été retrouvés dans un camion au poste frontière d’Olot, près du Turkménistan, sur l’axe EAU – Iran – Turkménistan – Ouzbékistan – Kirghizstan.
- Le 14 septembre 2024, un chargement de 706 000 paquets de cigarettes déclarés comme du thé noir a été retrouvé dans un wagon de chemin de fer au poste frontière de Khojadavlat sur l’axe Iran – Turkménistan – Ouzbékistan – Kazakhstan.
Tous ces envois ont été sélectionnés sur la base de profils de risque, des contrôles avec des appareils d’inspection non intrusive ayant été menés pour confirmer les soupçons des douaniers.
La plupart des cigarettes saisies avaient été fabriquées aux Émirats arabes unis et en Corée sous divers noms de marque, notamment « Milano », « Esse » et « Oris ».
Coopération avec les fabricants de cigarettes
L’Ouzbékistan compte trois grands producteurs de tabac.
- JSC « UZBAT », qui fait partie du groupe British American Tobacco et qui détient 74,7% du marché.
- JTI TURON INC, qui fait partie du groupe Japan Tobacco et qui représente 13,8% du marché.
- Philip Morris International, qui détient 11,5% du marché.
Un protocole d’accord a été signé entre le Comité des douanes et JSC UZBAT, qui est le plus grand producteur de cigarettes du pays, par lequel JSC UZBAT s’engage à fournir au Comité des douanes des technologies modernes pour détecter les cigarettes de contrefaçon et à organiser des séminaires et des ateliers afin de renforcer les capacités douanières.
Informer le public
À Tachkent, un paquet de cigarettes Milano se vend en moyenne pour 15 000 sums ouzbeks sur le marché noir contre 12 000 sums sur le marché légal, tandis qu’un paquet d’Esse se vend à 45 000 sums sur le marché noir, contre 25 000 sums sur le marché légal.
Plusieurs raisons peuvent potentiellement expliquer que les cigarettes importées illégalement soient plus chères que celles vendues licitement :
- Les cigarettes vendues sur le marché noir proviennent de stocks restants qui ont été achetés par les contrebandiers à un prix qui était inférieur au prix des cigarettes légales à l’époque, mais ce prix a augmenté depuis.
- Les paquets de cigarettes importées illégalement ne portent pas de message d’avertissement ou d’image sur les effets nocifs du tabagisme, et certains acheteurs préfèrent peut-être les acheter pour cette raison.
Une analyse effectuée par le laboratoire central des douanes d’Ouzbékistan montre que les cigarettes vendues sur le marché noir contiennent souvent plus des substances nocives, comme du goudron, du monoxyde de carbone, du plomb et de l’arsenic et, dans certains cas, jusqu’à 500% de cadmium toxique en plus. La contrebande nuit également au budget de l’État et constitue une menace pour la sécurité nationale, dans la mesure où elle représente un moyen de financement pour les groupes criminels, qui utilisent cet argent pour soudoyer les fonctionnaires.
Le Comité des douanes a lancé une campagne de communication pour sensibiliser le public aux effets pernicieux de ce commerce, participant entre autres à des émissions de radio et publiant du matériel pédagogique. En 2024, il a organisé plusieurs événements publics durant lesquels 1,3 million paquets de cigarettes ont été détruits.
Une récompense pour les informateurs
Une récompense financière est octroyée aux personnes qui dénoncent des activités de trafic de produits du tabac. Les informations peuvent être communiquées en ligne via la plateforme « Tax Partner » qui a été créée par le Comité du fisc de l’État d’Ouzbékistan. N’importe quel citoyen peut utiliser la plateforme pour signaler des infractions fiscales, économiques et financières.
Voie à suivre
Pour endiguer le tabac illicite de produits du tabac en Ouzbékistan, plusieurs mesures complémentaires sont à l’étude.
La première vise à améliorer les capacités de détection en renforçant l’échange de renseignements au niveau intergouvernemental, en surveillant les ventes de tabac en franchise de droits via un système informatique et en intégrant le système d’étiquetage numérique au système de délivrance des timbres fiscaux.
Mis au point par le Comité du fisc, le système d’étiquetage numérique exige des importateurs de cigarettes qu’ils obtiennent un numéro de série unique par le biais d’un crypto-code pour chaque paquet de cigarettes qu’ils souhaitent importer. Tous les codes sont émis et stockés par l’intermédiaire d’un système informatique. L’importateur transmet les codes au fabricant, qui les convertit en codes Data Matrix (codes-barres bidimensionnels à haute densité qui peuvent codifier une grande quantité de données en utilisant un minimum d’espace, ce qui les rend parfaitement adaptés pour l’étiquetage de petits articles) et qui les imprime sur les emballages individuels des paquets de cigarettes destinés à la vente au détail. Les cartons et les caisses sont également étiquetés avec des codes uniques attribués par le fabricant. Des timbres fiscaux de l’État destinataire doivent être apposés sur tous les paquets de cigarettes, à moins que cet État ne l’exige pas. Une fois les paquets de cigarettes dédouanés, la Douane envoie la liste des codes au Comité du fisc. Chaque achat étant enregistré, il est possible de suivre le parcours d’un paquet depuis le lieu de sa fabrication jusqu’au détaillant et au consommateur, tout au long de la chaîne de distribution, et de s’assurer ainsi que tous les droits et taxes ont été acquittés. La mesure envisagée vise donc à relier le système informatique utilisé pour gérer ce régime au système de délivrance des timbres fiscaux, question de permettre à la Douane de contrôler plus efficacement les mouvements des cigarettes.
La deuxième mesure vise à renforcer le régime de responsabilité et de sanctions pour la contrebande illégale de tabac, y compris l’introduction de sanctions pour la vente et l’achat de tabac illégal et pour la vente de produits du tabac à des mineurs, conformément à l’article 1er de la Convention de l’OMS pour la lutte antitabac.
La troisième mesure consiste à maintenir le taux des accises et des droits de douane, ainsi que celui de la taxe sur la valeur ajoutée sur les produits du tabac. Tout changement devrait être étayé par des analyses économiques et économétriques approfondies.
Enfin, la quatrième mesure consiste à poursuivre les activités de sensibilisation afin d’informer le public des effets néfastes du commerce illicite.
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