Améliorer l’éthique: ce que nous avons appris et ce qui nous reste à apprendre
20 juin 2017
Par Kunio Mikuriya, Secrétaire général de l’OMDPar la nature même de leurs activités, les administrations douanières sont vulnérables à diverses sortes de corruption, du pot-de-vin à la fraude à grande échelle. Depuis l’adoption de la Déclaration d’Arusha en 1993, qui a ensuite été révisée en 2003, l’OMD a élaboré plusieurs outils pour aider ses Membres à identifier les risques de corruption, à mettre en œuvre des mesures pertinentes pour limiter ces derniers, et à élaborer une stratégie en matière d’éthique.
L’OMD conduit en outre divers types de missions à la demande des Membres. Il peut s’agir de missions d’évaluation de l’éthique, d’un accompagnement en vue de mettre en place un système de mesure de la performance ou encore de missions d’assistance ponctuelle, telle un appui dans le cadre de la révision d’un code de conduite, d’une stratégie en matière d’éthique, d’un plan de formation ou d’aide en matière de cartographie des risques de corruption.
Dans le dossier de cette édition du magazine, nous avons choisi de nous concentrer sur l’utilisation de «l’action collective» pour lutter contre la corruption, une démarche apparue suite à la nécessité de trouver une approche innovante pour aborder les problèmes liés à l’éthique.
Mais, avant d’examiner plus en détail ce qu’est l’action collective, je voudrais partager avec vous les résultats de l’analyse réalisée par les experts de l’OMD qui ont fourni une assistance au cours des cinq dernières années à 26 pays à travers le monde afin de les aider à combattre la corruption et à améliorer l’éthique de leurs services.
Tendances identifiées
Examinons donc quelques-unes des mesures «traditionnelles» visant à lutter contre la corruption. Les experts de l’OMD ont signalé plusieurs tendances et fait part de leurs observations et réflexions sur des pratiques et politiques critiques, telles que l’automatisation, la mesure de la performance ou les procédures de dédouanement, qui sont brièvement rapportées ci-dessous.
Automatisation
Bien que toutes les administrations dans lesquelles l’OMD s’est rendue possèdent un système de dédouanement automatisé, dans la plupart des cas, l’automatisation n’est pas totale : certaines tâches sont toujours opérées manuellement et de nombreux documents papiers circulent toujours car la technologie utilisée ne permet pas de soumettre tous les documents par voie électronique. Ceci ralentit le processus et multiplie les contacts avec les usagers.
L’autre aspect négatif est que toutes les étapes du dédouanement qui ne laissent pas de trace dans le système ne peuvent pas être vérifiées ou mesurées dans le cas des projets de la mesure de la performance.
En outre, dans certaines administrations, deux systèmes informatiques de dédouanement automatisés fonctionnent en parallèle, ce qui rend les contrôles plus difficiles et l’analyse quasi impossible. Cela pose également des problèmes au niveau de l’éthique et de la sécurité.
Mesure de la performance
Dans le cas des missions d’un appui en matière de mesure de la performance, il a été remarqué que, très rapidement, lorsque des mesures sont prises par la hiérarchie pour stopper certaines pratiques identifiées comme étant de mauvaises pratiques, les comportements changent irrémédiablement.
Toutefois, même après des années de mise en œuvre de cette approche, il est nécessaire de constamment évaluer la situation et de faire le point pour identifier les problèmes persistants et revoir les indicateurs dans la pratique afin de rectifier les comportements de ceux qui essaient de contourner les indicateurs afin de poursuivre leurs mauvaises pratiques. A ce propos, je vous invite à lire l’article écrit par la Douane camerounaise en page 52 de ce magazine.
Fait intéressant, même lorsqu’une administration ne s’est pas engagée dans l’analyse régulière des données du système de dédouanement automatisé dans le contexte de la mesure de la performance, elle a tout de même recours à l’analyse de ces données aux fins de l’inspection des services et de l’audit interne, ce qui permet une analyse des comportements et des procédures.
Procédures
Les équipes de l’OMD ont également remarqué, lors des visites de bureau de douanes aux frontières terrestres ou maritimes où elles ont suivi le processus de dédouanement, que certaines étapes du dédouanement étaient superflues et n’ajoutaient rien au processus si ce n’est une étape supplémentaire. Parfois pour des raisons sociales, certaines fonctions obsolètes persistent afin de ne pas supprimer des emplois, car les fonctionnaires qui occupent ces fonctions n’ont pas toujours les capacités d’en exercer d’autres. Ces étapes supplémentaires ou cette multiplicité de contrôles à la frontière peuvent contribuer à créer des opportunités de corruption.
Communication
Un grand manquement dans la plupart des administrations ayant sollicité l’assistance de l’OMD est l’absence d’une politique de communication visant à communiquer en interne et en externe les décisions prises par l’administration en termes de renforcement de l’éthique, s’agissant notamment des sanctions prises et des avancées réalisées dans ce domaine. Sur les 26 pays concernés par cette analyse, seuls quatre ont indiqué avoir un service de communication. Une politique de communication aux fins de la transparence, telle que la préconise la Déclaration d’Arusha révisée, sert non seulement à donner une image positive de la douane aux usagers, mais également à informer le personnel.
Dispositif de plaintes
La plupart des administrations ont mis en place un dispositif permettant aux fonctionnaires et aux usagers de rapporter des faits de corruption, mais la peur des représailles fait que ce dispositif de plaintes n’est pas toujours utilisé à bon escient car les fonctionnaires ne sont pas assurés de pouvoir compter sur une protection (légale) en cas de dénonciation et, dès lors, n’y ont pas recours, même lorsqu’il est possible de préserver l’anonymat.
Salaires
Comme l’a souvent rappelé l’OMD dans ses publications, l’augmentation des salaires n’est pas nécessairement un gage de respect de l’éthique. Cependant, dans 20 % des pays ayant fait l’objet de missions de l’OMD portant sur l’éthique, pour des raisons de changements politiques, les fonctionnaires ont vu leur salaire réduit de moitié, voire de deux tiers. Ces fonctionnaires se retrouvent dans des situations très précaires, ce qui peut poser problème en termes de respect de l’éthique.
Recrutement
Même dans les cas où l’administration a développé des profils de postes correspondant aux normes internationales, le recrutement est très souvent soumis à des interférences politiques. Une telle pratique met à mal toute politique de recrutement basée notamment sur des tests en matière d’éthique et peut faire naître frustrations et conflits au sein de l’administration.
Système de rotation
L’absence d’un système de rotation transparent et équilibré est récurrente, avec un impact plus ou moins sérieux sur l’éthique au sein de l’administration en fonction de l’ampleur de la corruption dans le pays concerné.
Stratégie
Malgré le fait que la plupart des administrations ont mis en place des mesures pour lutter contre la corruption, l’absence d’une stratégie de lutte contre la corruption est commune à 90 % des pays ayant fait l’objet d’une mission de l’OMD.
Sensibilisation
Lorsque les administrations ont un programme de formation ou de sensibilisation en matière d’éthique, qui se résume dans la plupart des cas à une séance d’information pour les nouvelles recrues, l’accent est toujours et uniquement mis sur l’application du Code de conduite, des règles existant en la matière, et des sanctions encourues en cas de non-respect.
Les aspects incitatifs et l’explication des raisons qui doivent pousser les fonctionnaires à être respectueux de l’éthique ne doivent pas se résumer à l’unique peur des sanctions. Il est important de faire valoir les avantages qui existent, pour des individus et pour une administration, à se montrer respectueux de l’éthique. Mettre en place une politique de mesure de la performance objective et bien ancrée, et organiser des forums d’échanges sur les questions de l’éthique et de la corruption, peut être utile dans ce domaine.
Relation entre la douane et le secteur privé
Dans 80 % des pays visités, il existe des dispositifs pour rencontrer et communiquer avec le secteur privé qui sont plus ou moins efficaces mais pas nécessairement officialisés et qui, dès lors, manquent de rigueur. Toutefois, une nette amélioration du climat de confiance entre le secteur privé et la douane s’est fait sentir au fil des années. En témoignent la signature de protocoles d’accord individuels avec des associations du secteur privé dans plusieurs pays d’Amérique latine, ainsi que l’essor des rapports entretenus entre la douane et ses partenaires qu’ont observé les experts de l’OMD lors de leurs missions.
Action collective
L’OMD préconise depuis toujours la mise en place de partenariats afin de lutter contre la corruption et renforcer l’éthique, notamment avec le secteur privé. Cela est clairement stipulé dans la Déclaration d’Arusha révisée (élément 10). Or, l’une des tendances identifiées par les experts est la construction de partenariats nouveaux ou innovants avec le secteur privé, qui pourraient correspondre à ce qu’on appelle aujourd’hui une «action collective anti-corruption».
Le terme « action collective » fait référence à des actions entreprises par des individus et/ou des groupes à des fins communes. Comme je l’ai expliqué au début de cet article, les organisations internationales, le secteur privé et la société civile utilisent l’expression « action collective pour lutter contre la corruption » pour désigner une approche visant à lutter autrement contre la corruption, une nouvelle méthode face à l’échec de certaines mesures dites « fragmentaires ». Figurent au titre de ces actions l’élaboration conjointe de normes, les initiatives unissant plusieurs intervenants et les partenariats public-privé.
Vous allez apprendre dans les articles qui composent ce dossier comment l’action collective pour lutter contre la corruption peut s’appliquer au contexte douanier. J’espère que cela inspirera certains Membres de l’OMD à examiner la pertinence et la possibilité de s’engager dans de telles formes de relations. Malheureusement, il existe encore très peu d’exemples d’administrations douanières ayant travaillé dans ce domaine, ce qui signifie que nous avons encore beaucoup à apprendre.
Comme cela est souvent réitéré dans les documents de l’OMD, il convient d’adopter une approche multifacettes pour mieux lutter contre la corruption, de ne pas se contenter uniquement des approches standard, mais de faire preuve d’imagination. L’action collective permet d’envisager des partenariats d’une portée plus large que ceux généralement utilisés par la douane.
En étendant son approche multifacettes à l’action collective, la douane se positionnera en chef de file et renforcera son image dans le contexte de la lutte contre la corruption. Même si les actions sont initiées par un acteur extérieur à la douane, par exemple des représentants de l’industrie ou un autre service gouvernemental, la douane aura probablement tout avantage à faire partie d’une telle initiative.