Panorama

Le Kenya et l’Ouganda s’attaquent au défi que représente l’échange d’images fournies par les scanners

6 mars 2025
Par Kennedy Okwany, Unité de gestion de la scanographie, Département des douanes et du contrôle des frontières, Kenya Revenue Authority

Depuis juillet 2024, les Administrations des recettes du Kenya et d’Ouganda échangent les images générées par leurs appareils d’INI respectifs ainsi que les rapports d’analyse de ces images. Le partage de ce type de données semble avoir accru le niveau de conformité des négociants et fait chuter le nombre de cas de fraude et de commerce illicite détectés.

En 2012, les pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) établissaient un territoire douanier unique (TDU), créant un système commun de dédouanement pour les marchandises à l’entrée et à la sortie de la CAE. A ensuite été adopté un « modèle de destination » selon lequel les marchandises sont contrôlées et libérées au premier point d’entrée après évaluation et paiement des taxes exigibles dans le pays de destination. Au titre du modèle de destination de la CAE, des agents des Administrations des recettes de tous les pays de la CAE sont stationnés aux frontières de la Communauté et peuvent gérer les droits et dédouaner les marchandises à destination de leur pays respectif. Le fret est donc contrôlé à chaque point d’entrée et potentiellement aussi à la frontière, pour vérification.

L’interconnexion des systèmes douaniers a été un élément critique pour l’entrée en vigueur du TDU. Cette interconnexion a été établie sur une base bilatérale pour permettre de partager des informations et de transmettre des notifications en temps réel entre le pays de destination et les premiers points d’entrée. En 2021, un projet a été lancé pour créer une plateforme centralisée du territoire douanier unique permettant au Burundi, au Kenya, au Rwanda, à l’Ouganda, à la Tanzanie et au Sud Soudan, tous États partenaires de la CAE, de partager des déclarations en douane et d’autres informations douanières. Au lieu de relier les systèmes douaniers bilatéralement, chaque administration des douanes a dû mettre au point une interface reliant son système douanier à la plateforme. Opérationnelle depuis juillet 2024, cette plateforme peut à présent être utilisée pour échanger les images générées par les appareils d’INI, le Kenya et l’Ouganda étant les chefs de file de cette initiative.

Échanger les images fournies par les scanners pour empêcher le détournement des marchandises au niveau national

La Kenya Revenue Authority (KRA) et l’Uganda Revenue Authority (URA) ont renforcé leur collaboration au cours des dernières années en vue de mieux réglementer et surveiller les flux commerciaux[1]. En 2023, plus d’un million de conteneurs avaient traversé la frontière entre le Kenya et l’Ouganda et le port de Mombasa, au Kenya, gère plus de 80 % du fret maritime de l’Ouganda ; les deux pays dépendent donc énormément de leur capacité respective à contrôler efficacement les opérations commerciales. La coopération est particulièrement importante pour garantir que les marchandises en transit ou à l’exportation ne finissent pas sur leur propre marché national ou que les articles interdits ou soumis à des restrictions ne circulent pas illégalement entre les deux pays.

En 2019, l’URA et le KRA ont signé un accord bilatéral qui a donné naissance à plusieurs initiatives conjointes[2], notamment à l’intégration de leurs systèmes centralisés respectifs d’activités d’inspection non intrusive (INI) pour faciliter le partage d’images de scanographie des marchandises.

Équipées toutes deux d’équipements d’INI provenant des mêmes fabricants, les deux autorités avaient déjà commencé à travailler sur la centralisation de leurs activités d’analyse des images au niveau national. Elles ont donc demandé à leur prestataire de service de garantir que la solution d’intégration permette de visualiser et d’analyser les divers formats d’images générées par les différents types de scanners, et que chaque machine d’INI puisse créer des images radiographiques dans le format de fichier unifié (UFF 2.0) de l’OMD qui est un format de donnée non-propriétaire pour les données produites par les scanners à haute énergie.

L’intégration des deux systèmes d’INI a été effectuée via la plateforme centralisée du territoire douanier unique. Une fois que les données d’un scanner sont reçues par le système d’une des administrations, elles sont appairées avec les documents commerciaux correspondants. Les données que les deux pays ont convenu de partager sont compilées dans un « message d’image de scanner », qui contient l’en-tête de la déclaration en douane, le rapport d’analyse et les liens renvoyant vers les images UFF stockées dans le système des activités de scanographie. Le message est ensuite envoyé à la plateforme centralisée du TDU, où il est relayé vers les systèmes de l’autre administration.

Cas de figure

Toutes les marchandises entrant sur le territoire ougandais ou le quittant passent par un scanner à haute énergie. Pour mieux comprendre comment fonctionne le processus de partage des données, prenons l’exemple de l’exportation d’un envoi depuis la République démocratique du Congo (RDC) à travers l’Ouganda et le Kenya. Les différentes étapes à suivre s’articuleraient comme suit :

  1. L’exportateur soumet la déclaration en douane et les autres documents exigés via le système électronique douanier de la RDC.
  2. Le camion et son fret sont passés au scanner à la frontière entre l’Ouganda et la RDC par les douaniers de l’URA. L’image et la déclaration en douane sont envoyées au Centre de commandement à Kampala.
  3. Les analystes de l’URA examinent l’image par rapport à la déclaration en douane et tirent leur conclusion, c’est-à-dire qu’ils déterminent si l’envoi est suspect ou pas. Dans les deux cas, un « message d’image de scanner » est téléversé sur la Plateforme centralisée du territoire douanier unique.
  4. Si les analystes concluent que l’envoi est suspect, les douaniers au point d’entrée frontalier procèdent à une vérification matérielle des marchandises.
  5. S’ils concluent que l’envoi n’est pas suspect, le camion poursuit sa route et traverse l’Ouganda pour atteindre la frontière ougandaise avec le Kenya.
  6. À la frontière, les agents de la KRA passent le camion et son fret au scanner. L’image et la déclaration en douane sont envoyées au Centre de commandement de Nairobi.
  7. Les analystes de la KRA examinent l’image par rapport à la déclaration en douane et ont la possibilité de télécharger le « message d’image de scanner » de l’URA.
  8. S’ils concluent que l’envoi est suspect, les douaniers de la KRA lancent la procédure pertinente et contrôlent manuellement le fret.
  9. S’ils concluent que l’envoi n’est pas suspect, le camion poursuit sa route depuis la frontière terrestre du Kenya jusqu’à la frontière maritime, où les marchandises seront exportées.
  10. À la frontière maritime, le camion et les marchandises qu’il transporte sont passés une fois de plus au scanner et l’image et la déclaration sont envoyées au Centre de commandement de Nairobi.
  11. Les étapes 7, 8 et 9 se répètent alors.

Exigences

Le déploiement de la solution a exigé d’investir dans de nouveaux serveurs, des commutateurs et des pare-feux afin de construire les centres de données. Les salles destinées à accueillir les centres de données ont dû être équipées d’appareils de conditionnement de l’air, d’extincteurs d’incendie et de dispositifs permettant de maintenir la température entre 20°C et 25°C (soit 68-75°F) et le taux d’humidité entre 40 % et 55 %. Elles devaient aussi être étanches à la poussière et être équipées d’un sol antistatique. L’URA et la KRA ont également dû accroître la capacité de leur réseau et leur niveau d’alimentation électrique.

Chaque autorité a dû veiller au déploiement des interfaces et des applications en temps voulu, mais aussi à la fourniture des données nécessaires pour tester la solution. Des gestionnaires de projet ont été spécifiquement nommés par chacune et des équipes de projet ont été constituées. Ces dernières ont travaillé avec le prestataire de service pour rédiger les exigences opérationnelles, valider les stratégies et configurer les systèmes. Les gestionnaires de projet ont aussi dû obtenir les permis requis durant l’exécution du projet et se coordonner avec les fournisseurs tiers de services de maintenance pour les systèmes d’INI.

Le prestataire de service s’est chargé de développer la solution et les interfaces qui permettent d’échanger les images radiographiques, ainsi que de fournir le matériel informatique et les logiciels requis. Il s’est par ailleurs occupé d’installer le matériel informatique dans la salle de serveurs des pays respectifs, de déployer et de déboguer les applications et interfaces dans les systèmes des douanes et des tiers, et de mener les essais d’acceptation.

Défis et perspectives d’avenir

Depuis le lancement du nouveau régime, le Kenya a partagé plus de 20 000 images avec l’Ouganda, et ce dernier plus de 8 000 avec le Kenya. Le partage d’images semble avoir augmenté le niveau de conformité des négociants et fait baisser le nombre de cas de fraude et de commerce illicite détectés.

Le système n’en est qu’à ses débuts et les équipes techniques ont à résoudre des problèmes au quotidien. L’un des principaux défis reste le manque d’infrastructures adéquates de stockage. Le problème devra être résolu avant d’entamer la prochaine phase durant laquelle d’autres pays de la CAE devraient rejoindre le projet.

En savoir +
Kennedy Okwany

[1] Voir l’article publié dans l’OMD Actu 92, de juin 2020: https://mag.wcoomd.org/fr/magazine/omd-actualites-92-juin-2020/deepening-customs-to-customs-collaboration-the-ura-kra-story/

[2] Voir l’article paru dans l’OMD Actu n° 92, édition de juin 2020: Renforcer la collaboration douane-douane : l’expérience de l’URA et de la KRA