L’action collective pour favoriser l’éthique dans le secteur maritime
20 juin 2017
Par Martin Benderson, Associé, BSR (Copenhague)Les compagnies qui participent à des chaînes de production au niveau mondial sont confrontées à un certain nombre de pratiques révélatrices d’une corruption systémique, tel que des demandes de paiements dits de « facilitation » ou de pots-de-vin lorsque leurs marchandises passent les frontières. Les législations nationales anticorruption de nombreux pays et plusieurs réglementations extraterritoriales, comme le Foreign Corrupt Practices Act des États-Unis et le Bribery Act du Royaume-Uni, ont exercé une certaine pression sur les acteurs du commerce international pour qu’ils adoptent une position de fermeté face à la corruption. Néanmoins, une entreprise appliquant des politiques internes de tolérance zéro contre ce phénomène risque de perdre des marchés ou de subir des retards, à moins que ses concurrents n’instituent des politiques similaires. Ce désavantage dévolu au « pionnier » incite les entreprises à accepter de donner des pots-de-vin plutôt qu’à y renoncer et à travailler à l’apparition de conditions de concurrence équitables.
Une stratégie a émergé pour aider les entreprises à surmonter cette impasse : « l’action collective ». Elle leur permet d’échanger des informations, de coordonner leurs actions et d’attirer l’attention des gouvernements et de la société civile, sans pour autant menacer leur propre avantage concurrentiel et leur liberté d’agir. Plusieurs entreprises privées et associations ont lancé des actions collectives pour s’attaquer à la corruption ces dernières années, avec le concours essentiel d’institutions publiques clés telles que les autorités douanières. Le Maritime Anti-Corruption Network (MACN), ou réseau maritime anticorruption, fait partie de ces instigateurs.
Initiative du secteur privé lancée en 2011, le réseau poursuit la vision d’une industrie maritime débarrassée de la corruption qui agirait selon des pratiques commerciales équitables au profit de la société dans son ensemble. Il regroupe des armateurs et d’autres entreprises de l’industrie maritime, y compris des propriétaires de cargaison et des prestataires de services. Comptant actuellement plus de 85 membres, le réseau est dirigé par un comité directeur élu et bénéficie du soutien de BSR, un cabinet-conseil sans but lucratif dédié au développement durable.
Depuis sa constitution, le MACN s’est efforcé de renforcer les programmes anticorruption de ses membres en leur proposant des systèmes, des outils, des politiques et des pratiques pour les aider à refuser les paiements de facilitation, usages auxquels sont confrontés notamment les capitaines à leur arrivée dans un port. En promouvant de bonnes pratiques dans l’industrie maritime en vue d’enrayer le recours aux pots-de-vin et aux paiements de facilitation, le MACN tente de développer une culture de l’éthique parmi ses membres et de faire en sorte que toutes les compagnies donnent à leurs capitaines la possibilité de dire « non » aux demandes de paiements de facilitation lors d’escales.
Toutefois, il ne suffit pas de s’attaquer au comportement des entreprises, le « côté approvisionnement » du phénomène, pour enrayer la corruption dans l’industrie maritime. C’est pourquoi le MACN s’engage activement et collabore avec des agences gouvernementales pour dégager des solutions permettant de réduire la fréquence et la gravité des demandes de paiement de facilitation et de pots-de-vin. Les pays visés sont ceux où les membres du MACN rencontrent le plus de problèmes et où, pour le MACN, les conditions nécessaires pour procéder à des changements en collaboration avec des acteurs locaux sont les plus favorables. Il s’agira, par exemple, d’une volonté affichée des milieux politiques locaux de lutter contre la corruption et d’agir en faveur de la facilitation des échanges.
Un principe fondamental de l’action collective telle qu’elle est envisagée par le MACN tient dans le fait que toute solution durable pour lutter contre la corruption doit être conçue et soutenue par les acteurs clés impliqués dans le projet et qui en sont les bénéficiaires. Instaurer un véritable dialogue avec eux est donc un aspect essentiel des projets d’action collective du MACN. Il s’agit d’obtenir l’engagement et l’assentiment des acteurs locaux, et notamment des autorités douanières.
À l’heure actuelle, le MACN a lancé avec succès des partenariats avec les autorités douanières du Nigéria et de l’Indonésie afin de mettre en œuvre, avec leur concours, plusieurs actions visant à améliorer l’éthique et à combattre les risques de corruption. Le retour d’expérience démontre que les mêmes mesures et stratégies sont pertinentes quel que soit le pays. Voici quelques exemples d’activités typiques mises en place en partenariat avec les autorités douanières :
- évaluations des risques : évaluation des procédures de dédouanement des navires et des cargaisons en termes de risques de corruption, en collaboration avec des acteurs clés.
- promotion de la bonne gouvernance : élaboration de procédures et de réglementations transparentes pour le dédouanement des navires et des cargaisons, en collaboration avec des acteurs clés.
- renforcement des capacités : formation à l’éthique et sensibilisation des agents du secteur public et privé.
- promotion de l’échange d’informations via des mécanismes tels que des systèmes d’alerte ou de dénonciation pour les employés des secteurs public et privé.
- promotion du dialogue public-privé : promotion d’une culture du partage des connaissances entre les acteurs gouvernementaux et le secteur privé.
L’étude des projets d’action collective entrepris au Nigéria et en Indonésie donne un aperçu des résultats obtenus dans les pays où le MACN collabore avec les autorités douanières.
Le secteur portuaire nigérian
Le MACN a lancé son premier projet d’action collective au Nigéria en 2012, en collaboration avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Le Nigéria avait été cité comme l’un des pays dans lesquels il était le plus difficile de faire des affaires, les demandes de paiements de facilitation y représentant un risque majeur pour les membres du MACN, avec des cas d’extorsion, voire de menaces de violence. Le MACN a tout d’abord initié une évaluation du risque dans le secteur portuaire en mettant en évidence des formes particulières de corruption et leurs moteurs, ainsi que les solutions possibles.
Les principaux risques dans le secteur portuaire nigérian étaient l’absence de modes opératoires standard, certains fonctionnaires exerçant des pouvoirs discrétionnaires importants, et la faiblesse des infrastructures, aussi bien physiques qu’administratives. L’évaluation a aussi montré que la paperasserie bureaucratique était susceptible de créer un engorgement, créant de nombreuses occasions de demandes de pots-de-vin : l’étude a notamment établi que 142 signatures étaient nécessaires pour traiter une cargaison dans les ports de Lagos.
L’exercice d’évaluation du risque a montré combien la nature participative du processus était importante. Il a donc été décidé de former et de certifier 70 personnes à l’évaluation des risques en matière de corruption. Ces personnes étaient issues du secteur public – niveau fédéral et régional de l’Etat et organismes de lutte contre la corruption – et de la société civile.
Résultats
Le MACN est parvenu à appliquer les recommandations de l’évaluation des risques, en collaboration avec plusieurs acteurs, dont le Conseil des chargeurs nigérians, l’Administration douanière nigériane, la division technique en charge de la gouvernance et des réformes anticorruption, le PNUD, des organisations non gouvernementales locales et l’autorité portuaire nigériane. Les travaux réalisés jusqu’à présent incluent l’organisation d’ateliers de formation aux pratiques d’excellence destinés aux agents des douanes, l’harmonisation des procédures entre les ports et la mise en place d’un mécanisme de traitement des plaintes.
En outre, le MACN a soutenu la mise en place par l’autorité portuaire nigériane d’un système électronique de signalement d’entrée d’un navire, système qui devrait freiner la corruption que facilitait le recours à un système manuel, ainsi que la mise en place d’un modèle de mécanisme de dénonciation, géré par l’Administration douanière nigériane, offrant aux acteurs du secteur portuaire et aux intervenants externes un moyen de rapporter les demandes de corruption. Le MACN a l’intention de poursuivre son engagement au Nigéria ainsi que l’excellente collaboration mise en place avec l’Administration douanière nigériane et d’autres acteurs clés.
Le secteur maritime indonésien
En 2015, le MACN a lancé un projet d’action collective à Djakarta avec le soutien du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni et en partenariat avec trois autorités indonésiennes : la Direction générale des douanes et accises, la société portuaire Pelindo II et la Commission d’éradication de la corruption.
Selon les membres du MACN, l’Indonésie était un haut lieu de la corruption, où les demandes de facilitation illicites étaient courantes et la réglementation ambiguë, autant de problèmes qui ont motivé le MACN à entreprendre une action collective. L’ambition affichée de l’Indonésie de développer un secteur maritime plus compétitif et de lutter activement contre la corruption a permis d’emporter l’adhésion et le soutien d’acteurs gouvernementaux locaux.
Axé sur le port de Tanjung Priok, qui traite actuellement plus de 50 % du fret en transbordement, le projet vise à rendre la réglementation plus transparente et à s’attaquer aux risques de non-respect de l’éthique dans la procédure de dédouanement des marchandises. Le MACN a mené, en partenariat avec des acteurs publics, une évaluation en vue de recenser ces risques d’un bout à l’autre de la procédure de dédouanement. Ils ont ensuite rédigé des recommandations.
Résultats
Depuis 2016, le MACN œuvre avec différents acteurs à l’application des recommandations issues de l’évaluation des risques. Le soutien actif de la Direction générale des douanes de l’Indonésie et sa volonté de faire siennes plusieurs des recommandations ont été essentiels pour inscrire le projet dans la durée et obtenir des résultats. Voici les actions clés menées à ce jour :
- la mise à niveau du système de suivi des conteneurs afin d’en améliorer la transparence et de limiter les interventions humaines dans ce processus.
- la suppression progressive des paiements en liquide dans la procédure de délivrance des permis d’exportation afin de limiter les interactions humaines.
- la sensibilisation aux mécanismes de dénonciation et leur adoption par les entreprises.
- l’organisation d’une « formation des champions de l’éthique » en partenariat avec la Douane.
Selon les acteurs impliqués dans le projet, cette initiative a permis d’améliorer la transparence de la réglementation en matière de dédouanement des marchandises, ainsi que le dialogue entre le secteur public et le secteur privé. Fort du soutien enthousiaste apporté à son travail par la Direction générale des douanes et accises et par les acteurs locaux impliqués dans l’action collective, le MACN a l’intention de poursuivre son engagement en Indonésie.
Rejoignez le mouvement
Le programme d’action collective du MACN est l’expression d’une volonté à s’engager sur le long terme afin d’enrayer la corruption qui gangrène le secteur maritime, en partenariat avec les gouvernements, la société civile et d’autres acteurs.
Ce réseau entend poursuivre la concrétisation de sa vision d’une industrie maritime libérée de la corruption au moyen d’une démarche cohérente, harmonisée et collaborative entre le secteur public et le secteur privé. Les autorités douanières resteront un partenaire clé pour aider le MACN à concrétiser sa vision, et ce dernier est donc enthousiaste à l’idée d’élargir et d’approfondir ses relations avec ces autorités à travers le monde.
Si vous souhaitiez vous impliquer dans le programme d’action collective du MACN, consultez le site www.maritime-acn.org ou envoyez un courriel à macn@bsr.org.
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macn@bsr.org