Dossier: Changer la donne

Surmonter le défi de l’enclavement : le cas de la Bolivie

5 mars 2025
Par Rómulo Alvarez Antezana, Douane nationale de l'État plurinational de Bolivie

La Bolivie est un pays situé au cœur de l’Amérique du Sud dont la topographie est variée, des terres basses et des plaines s’étendant à l’est tandis que de hautes chaînes montagneuses couvrent l’ouest du pays.

Sa localisation géographique lui offre un potentiel stratégique qui pourrait lui permettre de jouer un rôle clé dans l’intégration économique entre la Communauté Andine (CAN) et le Marché commun du Sud (MERCOSUR) et de relier océans Pacifique et Atlantique.

Cependant, sa situation de pays enclavé et son relief contrasté augmentent les coûts associés au mouvement transfrontalier des marchandises. Ces coûts peuvent être classés en deux catégories :

  • les frais associés au transport de marchandises qui exige des véhicules spécialement équipés et des chauffeurs hautement expérimentés ;
  • les frais associés aux procédures d’importation, d’exportation et de transit.

Pour surpasser les difficultés découlant de sa topographie et de sa situation de pays enclavé et promouvoir un commerce plus compétitif, la Bolivie a adopté diverses mesures. Elle a plus particulièrement mis l’accent sur les investissements dans les infrastructures routières et douanières, ainsi que sur la numérisation des procédures, l’approfondissement de la coopération avec les pays voisins et l’échange électronique de données. Ces mesures ne seront pas seulement profitables aux opérateurs commerciaux, elles contribueront aussi à la croissance économique du pays.

Investissements dans les infrastructures routières, douanières et logistiques

Au cours des dernières années, sous la férule du président Luis Alberto Catacora et de la Directrice générale de l’Administration nationale des douanes, Karina Liliana Serrudo Miranda, le gouvernement bolivien a privilégié les investissements dans le réseau routier et douanier du pays.

Le couloir est-ouest est un bel exemple de ce type d’investissements, avec ses 2 585 kilomètres de routes, ses 35 tronçons et ses 2 embranchements reliant les principales villes de la Bolivie au Brésil et au Chili, et à leurs ports maritimes. Au cours des trois dernières années, des millions de dollars des États-Unis ont été investis dans l’amélioration des infrastructures en vue de garantir qu’elles puissent assurer des conditions de transport optimales.

En 2023, la Douane a inauguré le centre douanier polyvalent de Cañada Oruro – Infante Rivarola, à la frontière avec le Paraguay. Ce centre, qui s’étend sur 22 hectares et a exigé un investissement de plus de 21 millions de dollars, a été conçu pour offrir un meilleur service aux opérateurs du commerce extérieur et pour faciliter la coordination avec les autorités de contrôle.

D’autres financements importants ont été consentis au bureau de douane de Bermejo, au sud du pays à la frontière avec l’Argentine, ce qui a permis d’améliorer également les installations pour les opérateurs de commerce extérieur. La Douane a investi, en tout, plus d’un million de dollars des États-Unis pour moderniser les infrastructures douanières au sud du pays.

2024 a également marqué l’inauguration de la zone de contrôle intégré de la Douane de Pisiga, à la frontière avec le Chili, près du centre douanier polyvalent de Tambo Quemado. La zone offre une infrastructure moderne et des services logistiques efficaces. Ces installations bénéficient d’une position stratégique dans le corridor bi-océanique qui relie la Bolivie au Chili. L’investissement s’est élevé à plus de 45 millions de dollars des États-Unis.

Grâce à la modernisation des infrastructures de tous ces postes douaniers, les opérateurs ont aujourd’hui accès :

  1. à des zones spécialisées réservées aux inspections et à l’entreposage qui permettent de gérer plus facilement les flux de marchandises et de réduire les risques de dommages ou de pertes tout en rendant les contrôles plus agiles ;
  2. à une technologie avancée dans les bureaux de douane, notamment à des systèmes automatisés de contrôle du fret et des véhicules, améliorant la transparence tout en réduisant les erreurs humaines.

Gestion coordonnée des frontières

Les systèmes informatiques des organismes nationaux de contrôle, tels que la Douane, les services d’immigration et les autorités phytosanitaires, sont à présent interconnectés et les services concernés partagent non seulement les mêmes installations, mais aussi les coûts liés à leur entretien et gestion. Ce mode de fonctionnement permet d’appliquer les procédures requises simultanément et plus rapidement.

Au niveau international, les négociations avec l’Argentine, le Brésil, le Chili, le Paraguay et le Pérou ont permis de déployer des mécanismes de contrôle intégré qui donnent lieu à des inspections conjointes et qui facilitent le transit de marchandises sans devoir entreprendre des démarches redondantes.

Entre 2023 et 2024, des commissions binationales des frontières ont été créées entre la Bolivie et ses voisins pour établir de nouveaux protocoles communs en vue de gérer efficacement les flux de marchandises. Ces commissions ont pris plusieurs mesures, établissant notamment les inspections conjointes et des mécanismes de coordination des opérations de transit. Elles ont également ajusté les horaires des postes frontières et ont promu la mise en place de guichets uniques dans chaque pays pour faciliter le processus d’inspection entre les autorités au niveau national.

Ces actions ont permis de réduire sensiblement les délais pour le transit terrestre. Par exemple, le temps nécessaire pour aller de La Paz, en Bolivie, au port d’Arica au Chili, a diminué de 25 %, passant de 48 à 36 heures. De même, les coûts logistiques ont diminué de 100 USD à 80 USD, selon les données fournies par les transporteurs.

Par ailleurs, les heures d’ouverture des bureaux aux frontières avec le Chili et avec le Paraguay sont passées de 12 heures à 24 heures par jour, 7 jours sur 7, et les négociations à ce sujet se poursuivront avec d’autres pays limitrophes.

Modernisation de la Douane

La Douane bolivienne a déployé un ensemble de technologies sophistiquées pour améliorer son efficacité et la sécurité aux frontières. Parmi ces technologies, citons les scanners d’inspection non intrusive des véhicules et un système de reconnaissance automatisée des plaques d’immatriculation (RAPI) qui saisit des images statiques et vidéo des plaques ou numéros d’immatriculation des véhicules traversant la frontière pour entrer sur le territoire national.

De plus, la Douane a mis sur pied un système informatique pour la délivrance de décisions anticipées en matière d’origine et de nomenclature douanière, système qui est géré par le biais d’une plateforme en ligne.

Les travaux pour la création d’un mécanisme de certification numérique de l’origine avancent également. La mise en place d’un tel système représentera un saut qualitatif et quantitatif certain pour le commerce extérieur bolivien, puisqu’il devrait aboutir à une réduction importante des coûts pour les opérateurs.

La Bolivie est le seul pays à être membre des deux principales initiatives d’intégration économique en Amérique du Sud, à savoir la CAN (composée de la Bolivie, de la Colombie, de l’Équateur et du Pérou) et le Mercosur (constitué de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay). Elle fait également partie de l’Association latino-américaine d’intégration (ALADI) qui est une entité de libre-échange plus large incluant des pays d’Amérique latine et des Caraïbes.

Dans la lignée de l’Accord dit de « complémentarité économique » n° 36 (ACE 36) entre la Bolivie et le MERCOSUR, des essais pilotes pour la numérisation des certificats ont été menés avec succès avec le Paraguay et avec le Brésil. La délivrance et la réception de certificats d’origine numériques ayant une pleine validité juridique devraient devenir effectives au cours du premier trimestre de l’exercice 2025. Durant cet exercice, l’Administration bolivienne espère aussi pouvoir lancer l’échange de certificats avec l’Argentine et l’Uruguay.

En outre, dans le cadre de la Communauté andine (CAN), la Bolivie commencera à échanger des certificats d’origine numériques avec la Colombie à partir du 28 février 2025 à travers la plateforme INTERCOM, la plateforme d’interopérabilité communautaire de la CAN. Il est aussi prévu d’élargir l’échange de certificats à l’Équateur et au Pérou durant l’exercice 2025. De même, un régime bilatéral d’échange de certificats numériques avec le Chili devrait entrer en vigueur à la fin du mois de juin 2025. Le but est d’arriver à échanger des certificats numériques d’origine avec les 13 États membres de l’ALADI.

Enfin, le 30 septembre 2024, la Bolivie a lancé son guichet unique de commerce extérieur (VUCE de son acronyme espagnol) dont la mise sur pied a été possible grâce au soutien du Secrétariat de l’OMD. À cette occasion, la toute première procédure a été exécutée via la plateforme. Il s’est agi de la délivrance, par l’Institut bolivien de métrologie (IBMETRO), du premier certificat électronique destiné à un importateur et à une agence de courtage en douane. Quatre autres entités publiques émettrices rejoindront le guichet unique, l’incorporation d’autres institutions au VUCE devant se faire graduellement.

Recenser les goulets d’étranglement et mesurer la performance

Sur la base de la méthodologie et du logiciel de l’OMD et grâce au soutien de ses experts, des études sur le temps nécessaire à la mainlevée (ETNM) ont été menées à divers points de passage, dont le poste-frontière de Yacuiba avec l’Argentine, le poste-frontière de Puerto Suárez/Puerto Quijarro avec le Brésil et le bureau de douane de la ville de Santa Cruz de la Sierra, à l’intérieur du pays.

Les ETNM ont permis de mettre le doigt sur tous les facteurs causant des retards et sur les possibilités d’améliorer le temps nécessaire à la mainlevée et l’efficacité opérationnelle à ces endroits. Un Plan d’action a été élaboré en conséquence, comprenant 24 activités spécifiques pour le poste-frontière de Yacuiba, 20 pour le bureau de douane de Santa Cruz, et 24 pour le poste-frontière de Puerto Suárez/Puerto Quijarro. Toutes les mesures sont gérées par les diverses institutions impliquées et par le Comité national de la facilitation des échanges. D’autres études seront menées à l’avenir pour permettre d’évaluer la mise en œuvre effective des mesures prévues par le plan d’action.

Échange de données entre pays andins

En 2019, alors qu’elle assurait la présidence pro tempore de la Communauté andine, la Bolivie a encouragé la mise en place de la plateforme d’interopérabilité communautaire de la CAN, baptisée INTERCOM.

La plateforme s’inscrit, tant au niveau du matériel informatique que du logiciel spécialisé, dans le cadre du projet de Stratégie numérique andine. Elle permet aux organismes des pays de la CAN de se connecter pour partager des documents structurés et harmonisés tels que le document douanier unique, la déclaration andine de la valeur en douane, la notification sanitaire obligatoire, les certificats d’origine, les certificats phytosanitaires et les certificats de santé animale.

Les travaux de développement de la plateforme ont été achevés fin 2024 et, le 28 février 2025, la Bolivie commencera à échanger des certificats d’origine avec la Colombie, ce qui marquera le début de la mise en service d’INTERCOM.

Perspectives

La Bolivie a réalisé des progrès significatifs en matière d’infrastructure, de modernisation technologique et de coordination interinstitutionnelle, consolidant ainsi sa position en tant que partenaire privilégié de l’intégration économique sud-américaine et des flux commerciaux mondiaux, et affirmant son engagement à construire un avenir plus prospère et mieux connecté pour ses citoyens.

L’OMD a joué un rôle essentiel dans ce processus en portant appui à des initiatives concrètes pour la mise en œuvre de l’Accord de l’OMD sur la facilitation du commerce (AFE). Toutefois, ces initiatives ne porteront leur fruit qu’à condition que le rythme des investissements dans les infrastructures se maintienne, que la formation du personnel douanier reste adéquate et qu’une coordination effective puisse être garantie entre les entités publiques et privées.