Panorama

Passage au numérique : l’expérience d’un courtier tanzanien

21 juin 2017
Par Charles Bwaira, directeur général, Trinity Logistics (T) Ltd

La Tanzanie compte 600 sociétés de courtage en douane. Par rapport à la taille et à la population du pays, ce nombre peut paraître relativement élevé. L’explication tient au fait que la Tanzanie possède trois ports maritimes, à savoir Dar es Salaam, Tanga et Mtwara, qui sont également utilisés par les importateurs et exportateurs des pays limitrophes enclavés.

Mais ce nombre pourrait diminuer dans un avenir proche avec l’instauration du Territoire douanier unique, dernière étape de la construction de l’Union douanière de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE). En effet, avec la création de ce Territoire douanier unique, une entreprise de courtage qui détient une licence dans l’un des six États appartenant à la CAE pourra exercer son activité sur l’ensemble du territoire de la CAE. Le dispositif menace donc la survie de bon nombre de sociétés de courtage en douane de Tanzanie.

Si les dispositions liées à la mise en œuvre du Territoire douanier unique soumettront les courtiers tanzaniens à davantage de pression encore, l’environnement dans lequel ces derniers évoluent est déjà extrêmement compétitif et les oblige :

  • à améliorer leurs connaissances de la gestion d’entreprise et à adopter des méthodes de travail modernes ;
  • à s’assurer que leur personnel est suffisamment qualifié et à mettre en place un programme de formation afin de le tenir au courant de toute évolution de la réglementation et des procédures douanières (par exemple, comprendre comment introduire une déclaration via le Système informatique de la douane tanzanienne nécessite formation et pratique) ;
  • à se servir des systèmes informatiques de pointe qui sont à leur disposition pour accroître leurs performances opérationnelles et contribuer à réinventer leurs méthodes de travail.

Toutefois, pour mettre en place de telles mesures, il faut avoir des ressources financières et parvenir à convaincre une institution financière que l’activité est viable, ce qui n’est guère chose aisée pour les entreprises de courtage – souvent des petites et moyennes entreprises – dont les licences doivent être renouvelées chaque année.

Comme dans de nombreux pays, la Douane de Tanzanie est l’autorité qui délivre les licences aux courtiers en douane. Afin qu’une entreprise puisse offrir des services de courtage, il faut que l’un de ses directeurs ou actionnaires ait réussi un examen dans le cadre du processus d’obtention de la licence. Lorsqu’elle souhaite renouveler sa licence, une entreprise de courtage doit mettre à jour ses informations commerciales et verser 400 dollars des Etats-Unis de droit de licence.

Créer une entreprise numérique

En janvier 2016, j’ai monté ma propre société de courtage après avoir officiellement obtenu une licence auprès de l’Autorité fiscale tanzanienne. Parfaitement conscient du degré de concurrence qui règne sur le marché, je savais que ma capacité à me positionner sur celui-ci allait être déterminée par mon aptitude à gérer ma société dans le plus grand respect des lois et dans la plus grande transparence.

Après avoir lu l’édition de février 2016 du magazine OMD Actualités qui était consacré au thème du « passage au numérique », j’ai eu une révélation : je devais développer une solution informatique qui me permette de numériser toutes mes procédures professionnelles afin de faciliter la gestion du personnel, des finances et de la relation avec les clients. Il fallait que l’une des fonctionnalités d’un tel système permette à mes clients de se connecter à un portail web pour consulter le suivi de leurs marchandises, tous leurs documents et d’éventuelles factures en attente de paiement.

J’ai ensuite recruté un informaticien pour concevoir et créer le logiciel. Il fallait qu’il comprenne de quelle façon le personnel de la société travaille afin de pouvoir numériser nos procédures, aussi avons-nous passé des heures à cartographier les processus et à tenter de trouver comment les améliorer et les numériser. En fin de compte, après deux mois de dur labeur, « Clickers Auto Agent » – un logiciel web de gestion destiné aux courtiers en douane – a vu le jour.

Grâce à l’automatisation de toutes les procédures internes, le logiciel nous permet d’informer nos clients par courriel ou SMS à chaque étape du dédouanement de leurs envois. En tant que responsable, je peux me servir de ce logiciel pour assurer le suivi de mes clients, sauvegarder et trouver les documents facilement et méthodiquement ainsi que gérer la facturation et les finances, par exemple les dépenses courantes et le bilan, à l’aide d’un programme de comptabilité.

Les membres du personnel ont tous un profil et un compte. Ils se connectent au système dès qu’ils se mettent au travail et se voient assigner des tâches par un superviseur auquel ils doivent ensuite faire rapport, une fois leurs tâches finalisées. La gestion des flux de travaux avec un tel système permet d’assurer une meilleure visibilité et, moyennant une évaluation systématique de la performance, d’obtenir une analyse rapide de ce que fait le personnel et de voir s’il le fait bien.

Une fois le logiciel mis au point, j’ai pris contact, aux côtés du développeur, avec d’autres parties prenantes et courtiers pour leur présenter notre outil, leur demander ce qu’ils en pensaient et comment nous pouvions l’améliorer, et évoquer la possibilité de le mettre à leur disposition. Au cours de cet exercice de marketing et d’ouverture, certains acteurs du secteur ont suggéré que nous reliions notre logiciel au système TANCIS de l’Autorité fiscale tanzanienne et au système informatique de l’Autorité portuaire tanzanienne afin d’améliorer la qualité des informations recueillies par ces systèmes.

Nous avons eu un dialogue constructif avec des représentants du corridor de Dar es Salaam à propos d’un éventuel interfaçage entre notre logiciel et celui qu’ils développent actuellement dans le souci d’améliorer les résultats du corridor grâce à un meilleur suivi de questions telles que le coût de l’utilisation du corridor, la durée du transit, le temps d’immobilisation à la frontière, la sécurité et la sûreté. Des représentants des secteurs public et privé, notamment des fonctionnaires de la Douane ainsi que des courtiers en douane et des logisticiens participent aux ateliers qui sont organisés sur ce thème.

Après avoir signé un accord de vente avec le développeur, j’ai mis l’outil à la disposition d’autres courtiers, qui sont d’ailleurs nombreux à s’en servir à l’heure actuelle. De plus, cet outil fournit une interface avec les sociétés de transport et les postes-frontières, qui peuvent s’y connecter et avoir accès à certaines informations. L’idée est de le relier, dans un avenir proche, au TANCIS et aux systèmes informatiques d’autres acteurs, comme l’Autorité portuaire tanzanienne, afin de faciliter les opérations, de renforcer la transparence et d’assurer un meilleur respect des lois en offrant un accès direct aux données sur les transactions des opérateurs commerciaux.

Renforcer l’intégrité

En Tanzanie, c’est à la Douane qu’il incombe d’octroyer les licences et de vérifier la conformité des courtiers en douane. Toutefois, il est actuellement question de mettre en place un comité autonome dont les membres, choisis parmi les courtiers, seraient chargés de superviser toutes les exigences déontologiques. La décision est entre autres motivée par le souci d’accroître le professionnalisme et l’éthique des courtiers.

Le manque d’éthique est patent chez de nombreux courtiers et leur a d’ailleurs coûté leurs entreprises et leurs licences. Un bon nombre de hauts responsables de la Douane ont aussi perdu leur emploi pour la même raison. Je suis convaincu que la numérisation améliorera l’efficacité, encouragera la transparence et renforcera l’éthique parmi les fonctionnaires de la Douane et les courtiers. Pour toutes ces raisons, il est temps d’adopter des méthodes de travail et des pratiques commerciales modernes.

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bwairajr@gmail.com