Point de vue

Les règles d’origine et la durabilité environnementale : incitations, limites et pistes d’avenir

28 octobre 2025
Par Guillaume Gérout Suominen, expert en origine, Programme UE-OMD pour les règles d'origine en Afrique

Dans la Convention internationale pour la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers (Convention de Kyoto révisée), l’OMD définit les règles d’origine comme « les dispositions spécifiques appliquées par un pays pour déterminer l’origine des marchandises et faisant appel à des principes établis par la législation nationale ou par des accords internationaux (‘critères d’origine’). » Lorsqu’elles sont utilisées à des fins de traitement préférentiel, les règles d’origine sont normalement conçues de sorte à empêcher le contournement de tarifs douaniers et à garantir que le traitement discriminatoire soit appliqué aux bénéficiaires visés. Les règles d’origine sont des instruments négociés et, à ce titre, elles sont utilisées par les parties négociatrices pour promouvoir leurs objectifs politiques. Au-delà des intérêts économiques et industriels traditionnels, l’auteur du présent article fait valoir que les règles d’origine peuvent servir des objectifs plus inhabituels comme la durabilité environnementale.

La triple crise environnementale – le changement climatique, la pollution et la perte de la biodiversité – appelle une réponse mondiale. Si le commerce peut être un important vecteur d’innovation, de changements dans les modèles de production et de consommation, et de surcroît, un catalyseur de transformations structurelles, il peut aussi être un puissant moteur de promotion et de dissémination de pratiques plus respectueuses de l’humain et de l’environnement.

Bien qu’elles aient normalement vocation à améliorer l’accès aux marchés, les négociations sur la libéralisation du commerce de produits et de services environnementaux ont gagné en importance à l’échelle mondiale. La signature par les ministres du commerce du Costa Rica, d’Islande, de Nouvelle-Zélande et de Suisse d’un Accord sur le changement climatique, le commerce et la durabilité (ACCTS de son acronyme anglais) en novembre 2024 a marqué une étape importante en ce sens. Au titre de cet accord, les pays signataires se sont engagés à éliminer leurs droits de douane sur un total de 360 produits environnementaux et plus de 100 services connexes, la mesure devant s’appliquer à tous les membres de l’OMC, dans la lignée du principe de la nation la plus favorisée.

Quelques accords de libre-échange (ALE) contiennent également des dispositions spécifiques visant à dynamiser le commerce de produits environnementaux et de leurs intrants, notamment au moyen de droits différenciés appliqués aux sous-positions du SH qui couvrent des produits dits environnementaux, et/ou aux sous-positions comprenant des produits environnementaux et non environnementaux.

Une pratique ouvre également des perspectives prometteuses tout en étant encore peu exploitée : l’utilisation des règles d’origine dans les ALE en tant qu’outil de politique environnementale.

Au-delà de l’incorporation de clauses de durabilité dans les ALE

« Le lien entre la durabilité environnementale et les règles d’origine n’est pas évident. Les accords commerciaux comportant des dispositions relatives aux règles d’origine qui renforcent le principe de durabilité environnementale sont rares. Il est temps que les décideurs politiques fassent preuve de créativité ».

Christopher Wingård, conseiller de politique commerciale, Conseil national du commerce de Suède

La plupart des ALE qui se centrent sur la durabilité tendent plutôt à imposer des exigences supplémentaires sur les biens libéralisés, en ajoutant une couche de normes de durabilité en sus des prescriptions existantes en matière d’origine, au lieu d’inscrire le principe de durabilité dans la détermination de l’origine en soi. Par exemple, l’ALE entre l’Indonésie et la Suisse, qui inclut des obligations orientées vers l’avenir, n’octroie de réduction tarifaire qu’à l’huile de palme certifiée comme n’ayant pas causé de déforestation.

Bien que cette démarche multicouche soit innovante dans la perspective d’une politique commerciale plus sensible aux questions environnementales, elle continue de séparer la détermination de l’origine (dans le but d’empêcher les contournements[1] tarifaires) des normes environnementales (qui visent à protéger l’environnement). Les entreprises doivent en conséquence impérativement être conformes aux deux types d’exigences.

Les règles d’origine ne sont jamais des instruments purement techniques. Elles reflètent des choix politiques sur les activités économiques à encourager, les chaînes logistiques à privilégier ou les objectifs politiques à poursuivre.[2] Une fois cette dimension politique reconnue, il devient possible de concevoir des règles d’origine qui inscrivent des critères de durabilité dans la logique de base suivie pour la détermination de l’origine, plutôt que de les ajouter par superposition, en tant qu’exigences supplémentaires.

Les exemples suivants montrent comment l’intégration de règles d’origine « écologiques » pourrait fonctionner.

  • Articles textiles : Au lieu d’exiger que les articles textiles répondent à une obligation de transformation et s’accompagnent d’une certification complémentaire de durabilité, une règle d’origine écologique pourrait prévoir une transformation à partir de certains intrants. Par exemple, une règle prévoyant la « fabrication à partir de fils OU [la] fabrication à partir de tissus organiques » offre aux producteurs le choix entre un processus à forte intensité de main-d’œuvre, utilisant des intrants conventionnels (soit un double effet de transformation), et un processus plus flexible si les intrants sont certifiés au titre d’un régime de durabilité volontaire (effet de transformation unique). Cette approche permet d’obtenir le statut originaire de plusieurs manières, y compris par les voies conventionnelles, mais l’option plus respectueuse de l’environnement (les tissus organiques) peut donner lieu à une procédure de conformité plus simple.
  • Automobile : Plutôt que d’imposer des seuils de valeur ajoutée uniformes et des normes environnementales séparées, une démarche intégrée pourrait prévoir que « la valeur des matières non originaires ne dépasse pas 60 % du prix départ-usine OU la valeur des matières non originaires ne dépasse pas 70 % du prix départ-usine, à condition que l’acier soit fabriqué en utilisant de l’énergie verte ». Dans les deux cas, cette structure récompense les méthodes de production durables avec un traitement plus favorable en matière d’origine.

Ancrer les principes de l’économie circulaire dans les règles d’origine

Les règles d’origine à vocation environnementale ont particulièrement gagné du terrain dans le cadre des dispositions faisant la promotion des principes de l’économie circulaire. Bien que la littérature sur le sujet reste limitée, nombre d’analystes ont mis en lumière les possibilités qu’offrent les règles d’origine pour ancrer les principes de l’économie circulaire dans les pratiques commerciales, notamment à travers les clauses relatives aux produits reconditionnés[3].

Aujourd’hui, les principes de l’économie circulaire reposent avant tout sur quelques dispositions axées sur la notion de marchandise « entièrement obtenue »:

  • les produits dérivés des processus de fabrication, par exemple les chutes de métaux ou de tissus. Cette démarche est censée encourager la valorisation et la réutilisation de matières qui seraient autrement mises au rebut.[4]
  • les pièces usagées tirées des processus de désassemblage, par exemple, les parties en bon état d’appareils électroniques mis au rebut. L’intention est d’appuyer le développement des industries de la valorisation.
  • les produits remanufacturés, comme les ordinateurs portables, remis en état et fonctionnant à un niveau de performance comparable à celui des appareils nouveaux.[5]

Principaux éléments pour que les règles d’origine soient effectivement au service de la durabilité environnementale

L’intégration de règles d’origine écologiques dans les accords commerciaux remet en cause l’idée traditionnelle que la protection de l’environnement aboutit inévitablement à une augmentation des coûts liés à la conformité. En incorporant, à titre facultatif, des éléments environnementaux dans la structure centrale des exigences relatives à la détermination de l’origine, les règles d’origine « vertes » peuvent contribuer à réduire les coûts d’accès aux marchés pour les producteurs soucieux de l’écologie, tout en maintenant un traitement préférentiel pour les opérateurs conventionnels. Cette démarche peut offrir un avantage compétitif aux fabricants plus sensibles aux questions environnementales. Ce faisant, elle renverse le lien habituellement établi entre la responsabilité environnementale et la compétitivité commerciale.

Pour appuyer effectivement la durabilité environnementale, toutefois, les règles d’origine intégrées doivent impérativement être conçues en fonction de plusieurs critères essentiels :

  • La viabilité économique: Les méthodes environnementales doivent offrir des avantages économiques substantiels par rapport aux pratiques conventionnelles. Il est donc fondamental de calibrer soigneusement les seuils, les exigences et les choix alternatifs en se basant sur les pratiques du marché et les coûts de production.
  • La faisabilité administrative: Les procédures de vérification doivent permettre d’évaluer les critères environnementaux sans créer de charges bureaucratiques prohibitives. Il conviendra dès lors de reconnaître les régimes de certification, les normes industrielles ou encore les labels de durabilité existants et de les exploiter au mieux.
  • La crédibilité de la chaîne de valeur: Les règles d’origine écologiques doivent tenir compte de la diversité des chaînes de valeur mondiales et régionales tout en offrant des incitations claires en faveur de l’amélioration de l’environnement.

Les règles d’origine ne peuvent qu’encourager les pratiques durables

Pour comprendre le potentiel des règles d’origine à l’appui de la durabilité sociale et environnementale, il faut avant tout tenir compte d’un élément fondamental : les préférences sont facultatives et non obligatoires. Les règles établissent des critères d’éligibilité à un traitement préférentiel mais il revient aux opérateurs économiques de décider s’ils souhaitent demander ces préférences ou pas. Cet aspect discrétionnaire a des conséquences importantes sur l’efficacité des règles d’origine en tant qu’outils de politique environnementale.

Les entreprises ne demanderont le traitement préférentiel que si les avantages escomptés dépassent les coûts liés à la conformité. Ces coûts incluent notamment la réorganisation des chaînes logistiques, l’ajustement des modes de production pour satisfaire aux critères d’origine, et la gestion de la charge administrative découlant du processus de démonstration de la conformité[6]. Pour peser sur les décisions commerciales, la conformité environnementale doit être obligatoirement ancrée dans les exigences relatives à l’origine, de façon soit à réduire les coûts du commerce, soit à générer des retours suffisamment élevés pour justifier les investissements environnementaux supplémentaires à consentir.

Cette réalité économique laisse supposer que les règles d’origine ne peuvent fonctionner que si elles apparaissent dans les ALE en tant qu’incitations discriminatoires conçues pour encourager les pratiques durables, et non comme des impositions. Elles ne peuvent pas contraindre les opérateurs à procéder à des changements fondamentaux dans leurs structures de production ou dans leurs décisions d’approvisionnement. Au contraire : elles sont plus efficaces si elles alignent les objectifs environnementaux sur les incitations économiques.

Des codes du SH plus précis permettraient de mieux aligner les règles d’origine sur la politique environnementale

Le classement des marchandises et la détermination de leur origine sont intrinsèquement liés. Dans de nombreux cas, les règles d’origine se fondent sur un changement de classification tarifaire (CCT)[7] au niveau du chapitre, de la position, ou de la sous-position, critère qui exige le classement correct du produit fini et des intrants utilisés pour sa fabrication.

La version 2033 du SH permettrait de faire fond sur les efforts passés en vue de promouvoir des pratiques durables et d’appuyer diverses initiatives intergouvernementales, comme cela a déjà été le cas pour plusieurs accords multilatéraux sur l’environnement. Par exemple, dans le cadre des efforts pour réduire l’empreinte plastique mondiale, le Comité intergouvernemental de négociation sur la pollution plastique, actuellement en cours, a défini les « fuites » (c’est-à-dire la pénétration de matières plastiques dans les environnements terrestres ou aquatiques en raison d’une collecte et d’une élimination inadéquates) en tant que domaine de coopération. Dans ce contexte, certains produits susceptibles de contribuer à ces fuites pourraient faire l’objet d’amendements en matière de classification tarifaire, afin de les rendre plus facilement identifiables dans les nomenclatures et les statistiques douanières et commerciales. Ces mêmes marchandises pourraient alors faire l’objet d’un traitement différencié dans le cadre des ALE, en particulier au niveau des règles d’origine, afin d’orienter le comportement du marché vers des pratiques plus durables et plus favorables.

Dans le même esprit, lors de la Conférence mondiale de l’OMD sur les douanes vertes en 2022, les intervenants ont évoqué le secteur du textile et ont proposé plusieurs pistes de politique générale pour accroître la visibilité du commerce international des fibres durables. Parmi les options envisagées, ils ont notamment proposé de désigner nommément les fibres recyclées dans le SH, de préciser les matières textiles et leur utilisation dans les tissus mélangés tout au long de la chaîne de valeur, et de mentionner plus spécifiquement les machines et équipements utilisés pour le recyclage des fibres.

Pour autant que les marchandises puissent être clairement identifiées aux frontières, un plus grand niveau de détail sur les biens environnementaux dans la structure du SH est susceptible de faciliter la négociation de traitements tarifaires préférentiels différenciés. Il importe toutefois de noter que la désignation des produits environnementaux dans le SH nécessite un examen attentif afin de garantir qu’ils puissent être clairement reconnus à la frontière. Il est bon de rappeler, à titre d’exemple, que des propositions antérieures visant à créer des codes pour les « matières plastiques biodégradables » dans le SH ont échoué en raison de l’absence d’une définition claire et acceptée à l’échelle mondiale. Cela dit, ces propositions continuent de susciter l’intérêt des décideurs politiques en matière de commerce, comme en témoignent les négociations en cours sur les règles d’origine pour les produits textiles en fibres naturelles et synthétiques dans la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).

Conclusion

En passant d’une superposition de normes de durabilité à des exigences de durabilité intégrées, les règles d’origine peuvent transformer la responsabilité environnementale en un avantage concurrentiel. Les administrations douanières peuvent jouer un rôle important dans l’élaboration de règles d’origine plus écologiques. Elles peuvent notamment aider les négociateurs commerciaux à identifier les produits respectueux de l’environnement et à ancrer, dans la mesure du possible, les ambitions internationales de politique environnementale dans les instruments douaniers, notamment, en faisant référence dans le SH aux biens environnementaux par rapport à leurs équivalents conventionnels, s’ils existent ; en tirant parti de dispositions qui restent encore sous-exploitées, telles que le « certificat d’appellation régionale » qui, bien qu’il porte avant tout sur des droits de propriété intellectuelle, a pour effet de circonscrire les marchandises à une zone géographique et partant, de fournir leur origine (même s’il ne passe pas par les preuves d’origine classiques) ; ou encore en incorporant des bonnes pratiques, telles que les marchandises remanufacturées, dans l’Annexe spéciale K de la Convention de Kyoto révisée.

En savoir +
guillaume.gerout@wcoomd.org

[1] Voir, par exemple, Gourdon, J., Gourdon, K., & De Melo, J. A (More) Systematic Exploration of the Trade Effect of Product-Specific Rules of Origin. World Trade Review, 22 (3-4), 2023 ; Inama, S. Rules of Origin in International Trade, 2022 ; CNUCED. Rapport 2019 sur le développement économique en Afrique: Made in Africa – Des règles d’origine pour renforcer le commerce intra-africain Rapport 2019 sur le développement économique en Afrique, 2019; OMD, Recueil de l’OMD sur l’origine, 2017

[2] Sur l’économie politique des ALE et des règles d’origine, voir, par exemple, Chase, K. A. Protecting free trade: The political economy of rules of origin. International Organization, 62 (3), 2008 ; Laaker, D. Preferential Rules of Origin: Deflection or Protection? Working Paper, 2019 ; Angeli, M., Rules of origin in North-South preferential trade agreements. In Rules of Origin in North-South Preferential Trade Agreements, 2023.

[3] Voir Bellman, C., & Sell, M. Options to Incorporate Circular Economy Provisions in Regional Trade Agreements, 2021 ; Wingård, C. Rules of origin for the 21st century – including services, digitalisation, sustainability and a more user-friendly approach, 2020.

[4] Voir Gérout, G., & Addo-Obiri, H.. AfCFTA, value chains and overlapping origin regimes: A complementarity assessment along a segment of the copper value chain in Africa. In D. Luke and J. MacLeod (Eds.), Inclusive Trade in Africa: The African Continental Free Trade Area in Comparative Perspective, 2019.

[5] Voir Kliangpiboon, C. Assessing the Necessity of Integrating Remanufactured Goods Provisions in Regional Trade Agreements: Considerations and Implications for Thailand, 2025.

[6] Cfr Gutierrez, I. The Rules of Origin and Global Value Chains Conundrum, 2022. https://expansion.mx/empresas/2021/09/03/bmw-pago-de-aranceles-exportar-a-eu

[7] Voir OMD, Étude comparative sur les règles d’origine préférentielles, 2022.