Point de vue

Devoir de diligence : quelques réflexions sur les défis rencontrés par les PME

22 février 2024
Par Eduardo N. B. Leite, fondateur du Trade and Compliance Institute for Trade Facilitation, Electronic Business and Sustainability

Appliquer le principe de la diligence raisonnable peut être problématique pour les PME et le législateur a tout intérêt à en tenir compte lors de la conception de programmes et d’initiatives axés sur la conformité.

Les entreprises et les institutions impliquées dans le mouvement transfrontalier des marchandises doivent appliquer le principe de la diligence raisonnable pour s’assurer de respecter les règlementations douanières et commerciales, qui sont très nombreuses, très complexes et parfois aussi très opaques. Or, elles ne sont pas toutes égales en termes de ressources et de capacités. Le présent article met en lumière certains des problèmes rencontrés et offre quelques réflexions pour aider les entreprises, en particulier les PME, dans leurs efforts de conformité.

Connaître ses clients – un exercice compliqué et financièrement lourd

Prenons l’exemple d’un des aspects du devoir de vigilance au niveau des opérations commerciales internationales : les contrôles à mener auprès des clients et des fournisseurs. Les grandes compagnies soumettent leurs clients et leurs fournisseurs à une procédure d’homologation communément appelée KYC (de l’anglais Know Your Customer – Connaissez votre client) et KYS (Know Your Supplier – Connaissez votre fournisseur). Des enquêtes sont menées à cette fin. Elles exigent une connaissance des questions douanières, une expertise commerciale, des compétences juridiques et, dans certains cas, le recours à des laboratoires et à des experts (économistes, ingénieurs, etc.). Une fois qu’un client ou un fournisseur a été validé, il devra faire l’objet d’une surveillance continue.

Pour mieux appréhender ce que cet exercice implique, penchons-nous sur ce que le HM Revenue & Customs, le service britannique des recettes et des douanes, attend des agents en douane (cette liste n’étant pas exhaustive[1]) :

  • Vérifier où l’entreprise est établie
  • Apporter la preuve que l’entreprise possède son (ses) propre(s) compte(s) bancaire(s)
  • Fournir un jeu de ses comptes annuels, notamment les comptes d’exploitation et les bilans
  • Apporter la preuve de la solvabilité et de la capacité d’emprunt de l’entreprise, notamment pour savoir si elle est soumise à une procédure de liquidation ou de redressement
  • Apporter la preuve que la société ne tombe pas sous le coup d’une procédure de faillite ou d’une décision judiciaire pour dettes impayées
  • Vérifier que le client dispose des certifications et licences nécessaires avant que les marchandises ne soient importées, selon le type de produits concernés
  • Vérifier que l’opérateur commercial a pris les dispositions nécessaires pour s’assurer que sa chaîne logistique ne soit pas impliquée dans des activités frauduleuses.

Outre ces exigences, d’autres aspects doivent être investigués, notamment en lien avec la lutte contre la corruption. Il faut apporter la preuve de l’existence, en fait et en droit, de l’opérateur étranger et de l’identité de ses contrôleurs et administrateurs, ou encore du statut d’acheteur, d’auteur de la commande ou de vendeur effectif des marchandises. Il faut aussi enquêter sur les spécifications des marques de commerce et sur la légitimité des droits de reproduction utilisés pour les marchandises, etc.

Aujourd’hui, la procédure de vérification d’un client ou d’un fournisseur est compliquée et financièrement lourde compte tenu de la diversité des systèmes d’enregistrement des entreprises et des normes relatives aux produits. En ce sens, l’introduction de normes et de systèmes unifiés d’identification des entreprises et des marchandises dans les chaînes logistiques commerciales changerait complètement la donne pour toutes les entités impliquées dans le commerce international, y compris pour les douanes. L’existence de systèmes d’identification numériques et de cadres règlementaires permettant à une entreprise de prouver son identité en ligne pourrait changer les modalités afférentes aux transactions transfrontalières. Or, il n’existe pas encore de régime d’identification unique mondialement reconnu ni pour les sujets (personnes physiques ou morales) ni pour les objets (matériels/marchandises et immatériels/actifs incorporels).

Les outils existants pour les entreprises et les gouvernements ne se centrent pas sur les questions douanières et peuvent être coûteux

Il existe des outils pour faciliter la gestion de la conformité. Certains génèrent notamment des rapports pour permettre aux entreprises de décider si elles peuvent travailler avec une partie ou non, et de savoir si cette partie est bien ce qu’elle prétend être, si elle respecte les normes environnementales, sociales et de gouvernance, si elle peut s’acquitter de la tâche qui lui est confiée, si elle partage les mêmes valeurs et le même code de conduite, si elle est susceptible de causer un préjudice financier ou exploiter à mauvais escient les données qui lui sont confiées, etc.

Bien que le prix d’un rapport standard/de base soit assez bas pour les cas relativement simples, il peut être très élevé pour les cas plus complexes qui exigent l’intervention d’experts. Les grandes entreprises se tournent généralement vers des prestataires de services pour mener cet exercice à bien, tout comme les gouvernements, mais de nombreuses MPME ne disposent pas des ressources nécessaires à cet effet.

Selon une enquête menée auprès de trois multinationales qui analysent les bases de données mondiales pour déterminer les risques en matière de conformité, un abonnement mensuel comprenant un nombre déterminé de rapports coûte en moyenne 1 000 dollars des États-Unis (USD) par mois. Pour une utilisation à la demande, le prix d’un rapport se chiffre autour des 100 USD mais il augmente en fonction de l’exhaustivité des recherches à effectuer.

Les rapports de conformité de ce type ne couvrent pas spécifiquement les questions douanières, mais les outils d’exploration des données permettent aujourd’hui d’inclure facilement dans l’analyse des informations provenant des douanes et des autorités de réglementation. En outre, les rapports fournissent souvent des informations, des données et des statistiques commerciales anonymisées, dans la lignée de ce que peut offrir le Global Trade Helpdesk[2], et ils attestent ou certifient des renseignements sans pour autant partager ceux qui sont commercialement sensibles, comme les certificats d’origine préférentielle numériques. Les concepteurs de ces rapports peuvent ainsi incorporer toutes sortes d’informations utiles à leurs clients, qu’ils soient des entreprises privées ou des douanes, et plus particulièrement à leurs unités chargées de la gestion des risques.

Par exemple, l’analyse des données financières d’un fabricant potentiel peut apporter des preuves substantielles sur sa capacité effective de production dans le pays déclaré comme l’État d’origine des marchandises ou sur l’existence éventuelle d’opérations triangulaires passant par des paradis fiscaux ou par des territoires offrant des régimes fiscaux privilégiés. Un rapport de conformité peut également indiquer si une société fait l’objet de sanctions ou non.

Cela dit, le volume de données et de statistiques que ces rapports fournissent sur les sociétés peut parfois être tel qu’il peut s’avérer difficile d’interpréter toutes les informations qu’ils contiennent. Le nombre de sociétés à surveiller vient encore ajouter une couche de complexité.

Les programmes d’opérateur économique agréé (OEA) et les régimes douaniers ne sont pas adaptés aux ressources de toutes les entreprises

Les gouvernements ne se limitent pas qu’à punir les contrevenants. Ils encouragent aussi la conformité en offrant des facilitations aux opérateurs qui détectent les risques éventuels en lien avec leurs activités, leurs clients et leurs fournisseurs, prennent les mesures qui s’imposent à cet effet et peuvent se prévaloir de bons antécédents de conformité par rapport à des règlementations spécifiques et à la loi en général. Dans la lignée des instruments de l’OMD, de nombreuses administrations des douanes ont mis sur pied des programmes de certification de la conformité, comme les programmes d’OEA, dans le but de construire un écosystème de confiance. Quelques programmes d’OEA vont au-delà des exigences préconisées par l’OMD en matière de sécurité et couvrent la prévention de la corruption et du travail forcé, par exemple.

Certains régimes douaniers, en particulier ceux qui offrent une franchise, voire une suspension de taxes, imposent également des obligations aux bénéficiaires les forçant à être plus vigilants dans leurs activités. Il peut s’agir notamment du paiement correct et en temps opportun des taxes dues, par exemple. Dans certains cas, les entreprises concernées peuvent aussi se voir obligées d’établir des relations commerciales uniquement avec des partenaires qualifiés.

Malheureusement, ces régimes ne profitent pas à toutes les entreprises de la même façon. Dans son ouvrage intitulé Supporting SMEs through trade facilitation reforms, le Centre du commerce international explique que « les PME restent souvent exclues des régimes d’opérateurs de confiance, comme les programmes d’opérateur économique agréé (OEA), car elles ne satisfont pas aux exigences en matière de sécurité et de garantie. De même, les PME profitent rarement de la possibilité d’obtenir la mainlevée avant le dédouanement au même titre que les grandes entreprises, tout simplement parce qu’elles doivent fournir des formes de cautionnement qui sont plus coûteuses pour elles. »[3]

Des normes et des directives plus inclusives – un impératif

Les normes et directives internationales jouent un rôle primordial pour le commerce international, au bénéfice tant de ceux qui établissent les règles que de ceux qui doivent les appliquer. Toutefois, les limites et les contraintes propres aux MPME et aux pays moins avancés devraient être prises en compte lors de l’élaboration de ces outils, qu’il s’agisse de lignes directrices, cadres, recommandations, spécifications techniques, orientations, livres blancs, recueils, documents de recherche ou rapports.

Il serait utile de disposer de données sur les pratiques en matière de gestion des risques

De nombreux gouvernements externalisent les activités qui peuvent être mieux menées par le secteur privé. Parmi ces activités, citons la garde et le contrôle des marchandises dans les entrepôts sous douane ainsi que de nombreuses procédures relatives aux inspections, comme le pesage, le scannage et le contrôle de contaminations éventuelles aux drogues ou aux médicaments.

Avec l’apparition des outils d’apprentissage automatique et des mégadonnées (big data), la gestion des risques s’externalise également, surtout dans les pays en développement et moins avancés. Les sociétés privées peuvent remplir les lacunes en matière d’informations, en construisant des bases de données sur la valeur des marchandises, la propriété des entreprises et les relations commerciales, tout en utilisant les données ouvertes et officielles qui ne sont pas traitées par les logiciels de gestion des risques des autorités douanières.

Sur ce plan encore une fois, la transparence s’impose au niveau de la méthodologie de contrôle afin de promouvoir le respect des règles. Certaines administrations des douanes sont tout à fait transparentes dans leurs rapports annuels sur les contrôles qu’elles ont effectués et sur les enseignements qu’elles en ont tirés. Elles donnent ainsi aux entreprises la possibilité de mieux comprendre ce qui leur est exigé en matière de conformité.

En savoir +
eduardoleite@tradeandcompliance.org

[1] https://www.gov.uk/guidance/due-diligence-when-making-customs-declarations

[2] L’initiative Global Trade Helpdesk (GTH) est une réponse multi-agences du CCI, de la CNUCED et de l’OMC qui vise à simplifier les études de marché pour les entreprises, notamment les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) grâce à la création d’un guichet unique en ligne rassemblant des informations sur le commerce et les entreprises.

[3] https://intracen.org/resources/publications/supporting-smes-through-trade-facilitation-reforms-toolkit-for-policymakers