Usage frauduleux des carnets ATA : aperçu de l’opération JUBILARIAN II
22 février 2024
Par l’Australian Border ForceComment l’idée de l’opération JUBILARIAN 2 est née
En 2017, l’Australian Border Force (ABF) a mené un projet qui a permis d’identifier un groupe de négociants étrangers en joaillerie suspecté d’abuser systématiquement de carnets ATA[1] aux fins de leurs activités commerciales. Le carnet ATA est un document douanier international qui donne à son utilisateur la possibilité de faire entrer certaines marchandises sous le régime de l’admission temporaire en franchise de droits dans des pays qui font partie du système de carnets ATA, et ce pour une période allant jusqu’à un an. Il peut s’agir d’échantillons commerciaux, de produits destinés à des foires commerciales ou à des expositions, ou encore d’équipement professionnel.
Le projet a été le catalyseur d’une opération baptisée JUBILARIAN, avalisée par l’OMD, dont la première édition a été menée en 2019 – 2020. Le but était que les participants identifient des cas d’usage frauduleux des carnets ATA à des fins d’importation de bijoux et de pierres précieuses et, ensuite, partagent leurs expériences et les enseignements tirés les uns avec les autres.
39 administrations des douanes ont rejoint l’opération, sous la férule de l’ABF. L’opération a mis en évidence des failles dans le système des carnets ATA. L’ABF a constaté de son côté que quatre des cinq entreprises à haut risque qui utilisaient régulièrement des carnets pour importer des bijoux et des pierres précieuses abusaient effectivement du système pour éviter de payer les droits et taxes exigibles.
Une fois l’opération JUBILARIAN conclue, l’ABF a continué à surveiller les abus de carnets ATA aux fins de l’importation de bijoux en Australie afin non seulemùent de lutter contre ce phénomène, mais aussi de cerner l’ampleur de l’évasion fiscale associée à ce système.
Mise sur pied de l’opération JUBILARIAN II
En 2022, l’ABF a proposé à l’OMD de mener une autre opération ciblant le même type de fraude. La proposition a été accueillie avec enthousiasme par le Comité de la lutte contre la fraude qui l’a entérinée lors de sa 43e session en mars 2023.
46 Membres de l’OMD ont participé à JUBILARIAN II de juillet à octobre 2023. Le champ d’application visé par l’opération était plus large que pour l’opération précédente, les objectifs cette fois étant notamment de :
- déceler les cas de blanchiment d’argent sous le couvert d’opérations commerciales impliquant spécifiquement l’importation de bijoux et de pierres précieuses à travers le système de carnets ATA,
- contribuer aux discussions internationales sur les pertes de recettes,
- formuler une stratégie pour permettre d’apporter une réponse adéquate au niveau des activités opérationnelles.
Depuis octobre 2022, l’ABF avait examiné rigoureusement plus de 100 carnets à haut risque portant sur des bijoux et avait sélectionné 13 entreprises considérées à haut risque et devant être ciblées.
Constatations préliminaires
L’opération JUBILARIAN II a permis d’établir que les groupes criminels recourant aux carnets ATA utilisent plusieurs méthodologies pour ne pas acquitter les taxes et impôts dus, notamment :
- les fraudes de type « société phénix » où un directeur crée une nouvelle société pour poursuivre les activités commerciales de son ancienne entreprise alors que cette dernière a été liquidée ou abandonnée, et ce dans le seul but d’éviter de rembourser les dettes en souffrance ;
- la déclaration potentiellement fausse de l’origine consignée dans le carnet au moment de sa délivrance ;
- le transfert électronique de fonds importants depuis l’Australie par des représentants étrangers disposant de comptes bancaires australiens à leur nom, juste avant qu’ils ne quittent le territoire, possiblement pour essayer d’éviter d’être repérés et de tomber sous le coup de la loi de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme de 2006 ;
- l’envoi de bijoux à travers la filière du transport de fret par des titulaires de carnets ATA qui font de fausses déclarations concernant la valeur et la description des marchandises pour éviter de payer les impôts exigibles ;
- Outre les bijoux importés sous le couvert des carnets, le transport d’autres pièces de bijouterie non déclarées par des représentants commerciaux entrant en Australie, pour tenter ainsi d’éviter d’acquitter les taxes dues, et la vente éventuelle des bijoux couverts par les carnets, en violation des conditions d’octroi des carnets en cause.
Durant l’opération, l’ABF a soumis trois réclamations à l’association garante nationale en vue de récupérer les droits et taxes à l’importation qui n’avaient pas été acquittés, pour un montant de 130 000 dollars australiens. Ces réclamations témoignent d’un abus généralisé des carnets ATA et mettent en lumière les difficultés que rencontrent les autorités douanières face à ce fléau, en particulier dans l’environnement aéroportuaire.
Les défis liés à la lutte contre la fraude impliquant des carnets ATA
L’opération JUBILARIAN II a clairement montré que la fraude autour des carnets ATA est très certainement facilitée par le fait que le contrôle des transactions sous carnets est mené dans des environnements opérationnels au rythme très soutenu, comme les aéroports où au grand nombre de passagers s’ajoute la nécessité de mener des contrôles approfondis dans des délais serrés et de jongler avec les priorités. Il est difficile de procéder à un contrôle rigoureux des passagers et de leurs bagages sur le terrain. Les douaniers doivent examiner les informations rapportées sur les carnets et les faire correspondre aux marchandises ligne par ligne.
Lorsqu’ils se voient présenter des articles de joaillerie sous carnet, leur rôle est de confirmer que les marchandises en cause sont bien celles décrites dans la liste générale du carnet. En l’absence d’expertise dans le domaine de la bijouterie ou d’équipement technologique adéquat, il leur est difficile de vérifier l’authenticité des bijoux avant d’apposer le cachet de la douane sur le bon d’importation et la souche. Le même problème se pose lorsque les marchandises sont présentées pour autorisation à l’exportation. Il est difficile pour les douaniers de vérifier l’authenticité des bijoux ou de confirmer que les marchandises présentées à l’exportation sont les mêmes que celles qui ont été importées, avant d’estampiller le bon d’exportation et la souche.
De plus, la plupart des carnets ATA déposés pour des articles de joaillerie par des utilisateurs autorisés contiennent généralement plus de 500 références de bijoux différents. Les contrôles font peser une charge supplémentaire sur les ressources opérationnelles, en particulier lorsqu’un carnet non conforme ne contient pas suffisamment de détails pour pouvoir distinguer un article d’un autre et que la quantité de bijoux est telle que, pris dans leur ensemble, ces bijoux ne constituent plus des « échantillons » au sens de la définition prévue par la Convention internationale visant à faciliter l’importation d’échantillons commerciaux et de matériel publicitaire (Genève, 7 novembre 1952).
De nombreux agents des douanes ont, par ailleurs, très peu affaire aux carnets ATA et ne connaissent pas suffisamment les problèmes liés à la vulnérabilité du système face aux abus. Lorsqu’un voyageur déclare ses marchandises sous carnet à l’arrivée, les douaniers peuvent ne pas être familiarisés avec le document même du carnet ou avec les procédures d’examen permettant d’établir les éléments de non-conformité.
Enfin, outre sa complexité, la législation sur les carnets varie d’un pays à l’autre. Les autorités de délivrance de chaque pays ont des critères d’éligibilité différents, en dépit des orientations spécifiques contenues dans les conventions concernées. Il devient dès lors problématique de déterminer l’éligibilité des marchandises couvertes par un carnet dans d’autres pays et territoires. Au cours de l’opération JUBILARIAN II, les participants ont soulevé la question de savoir quelle quantité constituait un « échantillon » d’articles de joaillerie. Par exemple, un carnet ATA peut être délivré pour 900 articles de bijouterie à titre d’échantillon mais l’autorité douanière du pays importateur peut considérer que ce nombre est trop élevé et qu’un échantillon raisonnable ne devrait couvrir que 150 articles. Une juridiction peut estimer que 25 articles sont une taille acceptable pour un échantillon alors qu’une autre peut considérer qu’un échantillon ne peut inclure que cinq articles tout au plus.
Le partage de connaissances, une richesse inestimable
En réponse aux demandes des Membres de l’OMD en vue de renforcer leur capacité à lutter contre la fraude commerciale, l’OMD a produit un certain nombre de matériels techniques et de documents d’orientation[2].
En outre, un groupe a été créé sur le CENcomm, le système de communication en ligne de l’OMD, pour permettre aux Membres de partager leurs expériences, leurs meilleures pratiques et les cas opérationnels rencontrés aux niveaux national et international. Cette approche renforce le dialogue mondial sur les pertes de recettes et donne aux administrations un accès à des informations actualisées, ce qui leur permet de réagir rapidement, le cas échéant, face aux nouvelles méthodes de fraude.
Le groupe « GTEN – JUBILARIAN » sur le CENcomm a été le principal outil de liaison pour faciliter les opérations JUBILARIAN et JUBILARIAN II. Il a permis le partage d’informations entre les participants à l’échelle mondiale. Les Membres qui ont pris part aux opérations peuvent continuer à échanger directement des informations en utilisant ce groupe CENcomm aussi longtemps qu’il sera disponible.
Une gestion efficace des risques permet aux administrations douanières de déployer leurs ressources de manière économiquement viable et la coopération entre les agences partenaires est essentielle au renforcement de notre capacité à faire respecter les règles commerciales et à garantir le recouvrement effectif de toutes les recettes exigibles au titre de la loi.
En savoir +
Pour plus d’informations ou pour toute demande complémentaire sur les carnets, n’hésitez pas à contacter l’équipe de l’ABF chargée des importations temporaires et des titres (ABF National Temporary Imports and Securities Team) – ntis@abf.gov.au
[1] L’acronyme ATA est la contraction du français et de l’anglais « admission temporaire/temporary admission ». Le carnet ATA est établi en vertu de la Convention douanière sur le carnet ATA pour l’admission temporaire des marchandises (ou Convention ATA) et de la Convention relative à l’admission temporaire (ou Convention d’Istanbul du 26 juin 1990). Pour plus d’informations : https://www.wcoomd.org/fr/topics/facilitation/instrument-and-tools/conventions/pf_ata_system_conven.aspx.
[2]https://www.wcoomd.org/fr/topics/enforcement-and-compliance/activities-and-programmes/revenue-programme.aspx