La Douane du Brésil et les représentants du secteur privé ont travaillé ensemble pour la mise en place d’un programme de conformité s’adressant spécifiquement aux entreprises du commerce électronique. Lancé en août 2023, le programme illustre la manière dont douane et entreprises peuvent concevoir ensemble des cadres règlementaires adaptés et faire jaillir des solutions novatrices. Les auteurs espèrent que l’exemple du Brésil encouragera d’autres pays confrontés aux défis associés au commerce électronique transfrontalier à adopter une approche et un système similaires.
Depuis plusieurs années maintenant, l’Étude de l’environnement douanier publiée par l’OMD met en évidence l’importance des problématiques liées aux commerce électronique dans le programme de travail de la communauté douanière. En transformant les habitudes d’achat des consommateurs grâce aux avancées dans les technologies de l’information et de la communication, le commerce électronique a fait entrer la plupart des économies dans une nouvelle ère, mettant à l’épreuve dans le même temps les capacités de contrôle des gouvernements.
Abordé initialement dans le cadre des discussions du Groupe consultatif du secteur privé (GCSP)[1] en 2015, le sujet du commerce électronique et de ses incidences sur la douane au niveau du recouvrement des recettes s’est ensuite invité à la réunion de la Commission de politique générale de juin 2015. Conscient que travailler séparément et dans l’isolement limitait les progrès susceptibles d’être accomplis, le Groupe de travail sur le commerce électronique formé au sein du GCSP a proposé, dans un rapport présenté en avril 2016, d’entamer un travail collaboratif entre les douanes et les entreprises sur cette question. L’OMD s’est réjouie de la proposition et a créé un Groupe de travail sur le commerce électronique (GT-CE). Ce dernier s’est réuni pour la première fois en septembre 2016 avec, à sa tête, une présidence bicéphale composée d’un représentant des douanes et d’un représentant du GCSP, marquant ainsi un tournant dans la collaboration entre le secteur public et le secteur privé.
Les travaux entrepris par le GT-CE ont abouti à la rédaction d’un Cadre de normes de l’OMD pour le commerce électronique transfrontalier, approuvé par le Conseil de l’Organisation en juin 2018. Le Cadre témoigne de la collaboration efficace entre les secteurs public et privé en vue d’établir des normes, des systèmes et des processus. Il promeut, du reste, ce type de partenariat au niveau national, moyennant la norme 12 (sur les Partenariats public-privé) qui stipule que : « Les administrations des douanes devraient mettre en place et renforcer des partenariats de coopération avec les parties prenantes du commerce électronique pour développer et améliorer la communication, la coordination et la collaboration, et ce dans le but d’optimiser la conformité aux règles applicables et la facilitation des échanges. »
Dans un livre blanc de 2019, intitulé E-Commerce: Redefining the Cross-Border Trade Paradigm[2], Douglas M. Browning, ancien Directeur général adjoint du service de la Douane et de la protection des frontières des États-Unis (CBP), et Antonis Kastrissianakis, ancien Directeur de la Direction générale de la fiscalité et de l’union douanière de l’UE (DG TAXUD), soulignaient que « l’OMD et ses administrations Membres ont toujours su utiliser et exploiter efficacement les partenariats public-privé pour faire progresser un certain nombre d’initiatives liées à la facilitation des échanges et à la sécurité. Il ne fait aucun doute que la gestion du commerce électronique transfrontalier nécessitera un effort similaire ». Le Brésil est un exemple parfait de la manière dont cette collaboration peut aboutir à un changement effectif.
Tandis que les travaux étaient en cours à l’OMD, le Brésil se débattait avec les problèmes posés par les volumes grandissants de commerce électronique transfrontalier. Le rapport Balanço Aduaneiro 2022 constatait que, si le nombre de colis importés avait connu une hausse vertigineuse de 338,52 % de 2020 à 2022 (de 52 779 466 d’unités à 178 666 498), le nombre de déclarations à l’importation (Declaração de Importação de Remessa ou DIR) pour les envois de commerce électronique avait augmenté de 201,93% (passant de 2 805 702 à 5 665 605), soit à un rythme bien moins rapide.
En 2020, 5,13 % des envois avaient fait l’objet d’une déclaration mais, en 2022, ce chiffre n’était plus que de 3,17%. Les services de courrier exprès et les opérateurs postaux étaient tenus de soumettre une déclaration pour chaque paquet, à travers le système informatique de la Douane du Brésil, le Siscomex Remessa. Toutefois, l’opérateur postal brésilien, qui gère plus de 95 % de tous les envois de commerce électronique, ne disposait pas des informations nécessaires à cet effet, bien qu’il ait passé un accord avec d’autres opérateurs postaux en vue de recevoir des renseignements préalables sur les colis entrants et d’envoyer les données requises pour les envois sortants. La qualité et la fiabilité des données laissaient aussi à désirer, notamment au niveau des informations d’identification fiscale des consommateurs/importateurs,
Un droit forfaitaire de 60 % était imposé sur toutes les marchandises importées par l’opérateur postal et les services de messagerie à travers le régime de dédouanement simplifié, ainsi qu’une taxe sur la valeur ajoutée (Imposto sobre Operações relativas à Circulação de Mercadorias – ICMS), dont le taux variait en fonction de l’État de résidence du destinataire (le Brésil étant, pour rappel, une république fédérale). Les cadeaux dont la valeur restait en dessous de 50,00 dollars des États-Unis étaient exemptés et seuls deux États recouvraient effectivement l’ICMS. On estime que plus de 4,2 milliards de dollars US (soit 21,1 milliards de reals brésiliens) n’avaient pas été recouvrés en ICMS et en droits d’importation durant la période 2020-2022. Cette situation mettait en péril les recettes fiscales et l’intégrité du marché et soulevait le problème de la sous-facturation.
Il est donc clairement apparu que la législation du Brésil, adoptée il y a plus de deux décennies, était inadaptée pour faire face aux volumes du commerce. En 2020, l’Institut Procomex, qui est le bras opérationnel de l’Alliance Procomex (une coalition de 130 associations professionnelles au Brésil), créait un sous-groupe d’étude sur le commerce électronique. une initiative transformatrice qui allait remodeler le paysage du commerce électronique brésilien en rassemblant les principales parties prenantes du secteur privé et les pouvoirs publics.
Le groupe, composé de 28 organisations représentant plus de 80 % du marché, a engagé des discussions actives avec les principaux acteurs, notamment les plateformes de commerce électronique, les services postaux, les sociétés de courrier exprès et les intermédiaires de paiement, en s’assurant de maintenir une représentation aussi complète que possible afin de refléter au mieux la dynamique du secteur. S’appuyant sur le vaste réseau, le travail historique et la réputation de Procomex, il a orchestré, de novembre 2021 à octobre 2023, une série de 31 réunions, dont 13 ont compté sur la participation vitale de la Receita Federal do Brasil (RFB) et, plus particulièrement, de son département des douanes. Les objectifs multiples du groupe comprenaient l’élaboration d’un plan directeur pour une expansion sûre du marché, le respect des meilleures pratiques internationales et l’exploitation des possibilités qu’offrait le commerce électronique pour renforcer les exportations brésiliennes.
Un nouveau programme de conformité volontaire
Les résultats de cet effort de collaboration sont révolutionnaires. Ils englobent la conception méticuleuse de schémas représentant la situation actuelle (« as is ») et la situation idéale (« to be »), un rapport exhaustif présenté à la RFB en novembre 2022 et la définition stratégique du flux relatif au processus de retour des marchandises.
Parmi les mesures clés figure un nouveau programme de conformité volontaire entré en vigueur en août 2023 : le Programa Remessa Conforme (PRC). Ce programme est ouvert aux entreprises nationales et étrangères qui utilisent les plateformes de commerce électronique, ou encore les sites Web ou les outils numériques, pour vendre leurs produits. Les critères pour participer au programme couvrent une série d’aspects qui vont du respect de la règlementation de base à l’engagement pris par une entreprise à lutter contre la contrebande et à surveiller les vendeurs enregistrés.
Les sociétés agréées doivent fournir des informations préalables précises concernant les envois internationaux avant que ces derniers n’arrivent au Brésil. La clé du succès du PRC réside dans l’accent qui est mis sur la fiabilité et la qualité des données tout le long du processus concernant des éléments essentiels comme l’identification du vendeur, la facture, le classement tarifaire du produit, les données de transaction, les détails concernant le transport et les informations en matière d’assurance.
Pour obtenir leur agrément, les entreprises doivent avoir signé un contrat avec l’opérateur postal du Brésil ou avec une société de messagerie, qui prévoit les obligations suivantes :
- a) l’obligation de fournir en temps voulu toutes les informations nécessaires à l’enregistrement de la déclaration d’importation de l’envoi (la DIR), avant l’arrivée, dans le pays, du véhicule transportant l’envoi en cause,
- b) l’obligation pour le destinataire de transférer le montant des taxes exigibles à la personne responsable du dépôt de la DIR dans le système Siscomex Remessa.
Elles doivent également communiquer à l’acheteur sur leur site Web ou sur celui d’une tierce partie :
- l’information selon laquelle les marchandises viennent de l’étranger, qu’elles seront importées et que, dès lors, elles doivent être consignées dans la déclaration d’importation et sont soumises à la fiscalité de l´État fédéral et de l’État fédéré ;
- la valeur du produit, les frais de transport international, d’assurance, de port, ainsi que d’autres coûts, le droit d’importation, l’ICMS et le total à payer.
Elles sont également tenues d’afficher de manière visible leur marque et leur nom commercial sur l’étiquette de l’expéditeur qui accompagne les produits, et elles doivent s’engager à respecter les obligations fiscales et douanières, à lutter contre toute tentative de détournement de fonds et de contrebande, et à appliquer une politique d’admission et de surveillance des vendeurs.
En retour, la RFB leur offre des avantages fiscaux et douaniers, parmi lesquels un droit d’importation zéro pour les envois d’une valeur estimée à moins de 50 dollars US et qui sont vendus à des consommateurs non commerciaux, un dédouanement prioritaire et un taux de sélection réduit à des fins de contrôle douanier.
Incidence de cette politique
Quelques entreprises, représentant une grande partie des envois, sont agréées PRC[3] et les résultats initiaux du Programme sont extrêmement prometteurs. Les premiers envois internationaux couverts par le programme ont commencé à arriver au Brésil vers la fin du mois de septembre 2023. Bien que le programme offre une franchise sur les taxes fédérales pour les envois évalués à moins de 50 dollars US, force est de constater que les recettes ont augmenté dans la pratique, comme conséquence du nombre plus élevé de déclarations déposées. De plus, le programme a rendu plus facile la collecte de l’ICMS. Vers la fin de 2023, le montant total de recettes recouvrées durant la période opérationnelle du programme (d’août à décembre) avait augmenté à hauteur de 222,91 % par rapport à la même période l’année précédente, ce qui représente une hausse substantielle des recettes de quelque 386 millions de reals brésiliens (soit 77 millions de dollars US).
Il convient de noter que, durant cette période, 99,05 % de tous les envois de commerce électronique reçus au Brésil ont été livrés par la poste brésilienne. De plus, s’agissant des déclarations d’importation soumises par des entreprises PRC (les DIR PRC), ces envois postaux représentaient un pourcentage encore plus élevé, atteignant 99,47 %. Le tableau ci-dessous présente une analyse comparée des données sur les livraisons postales pour 2022 et 2023, avant et après le déploiement du PRC, d’août à décembre. Il offre un examen global des livraisons postales au Brésil pour les périodes couvertes, avec un accent particulier sur les DIR déposées. Les envois traités par les services de courrier exprès ou de messagerie ne sont pas pris en compte dans le tableau.
Un programme qui mérite d’être reproduit ailleurs
L’expérience brésilienne du PRC montre que les efforts de collaboration entre le secteur public et le secteur privé peuvent aboutir à la définition d’une solution robuste permettant de gérer les complexités du commerce électronique transfrontalier. La participation des parties prenantes du secteur privé garantit une bonne compréhension pratique de la dynamique du secteur, ce qui se traduit par la mise en place d’un programme efficace et adaptable. L’accent mis sur la conformité, la fiabilité des données et la transparence atténue non seulement les risques, mais crée aussi un environnement propice à un commerce international durable et sûr.
Le Programa Remessa Conforme offre un modèle attrayant pour les pays qui sont aux prises avec les défis associés au commerce électronique transfrontalier, mais la mise en place et la pérennité de ce type de régimes comporte son lot de défis. Tout d’abord, il faut pouvoir compter sur la participation et l’adhésion généralisées des parties concernées et, ensuite, il est essentiel de disposer d’une infrastructure technologique fiable. Il convient néanmoins d’insister sur le fait que les avantages dépassent de loin les difficultés.
Tandis que les pays essaient tant bien que mal de faire face aux volumes croissants des échanges de commerce électronique transfrontalier, les pouvoirs publics ont tout intérêt à envisager d’adopter un programme de conformité similaire à celui déployé au Brésil. En tirant les enseignements de l’expérience brésilienne, ces derniers peuvent non seulement mieux affronter les défis du commerce électronique mais aussi libérer le plein potentiel d’un écosystème commercial international fluide et sûr.
L’OMD pourrait également envisager d’élaborer une norme internationale basée sur ce programme. Elle contribuerait ainsi à couvrir les besoins des douanes face aux défis associés au commerce électronique.
En savoir +
https://www.gov.br/pt-br/servicos/obter-certificacao-no-programa-remessa-conforme-da-receita-federal
[1] Le Groupe consultatif du secteur privé s’est constitué en vue d’informer et de conseiller le Secrétaire général de l’OMD, la Commission de politique générale et les Membres de l’OMD sur les questions relatives aux douanes et au commerce international vues sous l’angle du secteur privé. Cfr https://www.wcoomd.org/fr/topics/key-issues/private-sector-consultative-group/terms-of-reference-for-the-private-sector-consultative-group.aspx.
[2] Le livre blanc a été soumis à l’OMD au nom de l’International Summit on Borders, un groupe du secteur privé qui réunissait tous les ans, à Washington, d’anciens hauts responsables des douanes à l’échelle internationale.
[3] https://www.gov.br/receitafederal/pt-br/assuntos/aduana-e-comercio-exterior/manuais/remessas-postal-e-expressa/empresas-certificadas-no-programa-remessa-conforme