Concernant la structure organisationnelle, l’AGD est pourvue d’une direction générale et de directions techniques et administratives, ainsi que de dix-sept bureaux de douane extérieurs chargés des opérations et formalités de dédouanement dont 12 sont situés dans les ports et les aéroports et quatre le long de la frontière terrestre. L’administration dispose également de neuf bureaux de douane de proximité dans les zones douanières spéciales communément appelées parcs industriels ou zones franches. En outre, six postes de contrôle routier surveillent les mouvements de marchandises, des personnes et des moyens de transport afin de réprimer la fraude et le trafic illicite.
Durant la période d’octobre 2022 à avril 2023, l’AGD a géré 35 171 conteneurs de marchandises représentant un poids de 1 880 513 tonnes.[1] Dans le cadre de sa mission fiscale, elle perçoit les droits de douane et taxes à l’importation des marchandises, les droits à l’exportation ayant été supprimés. Elle collecte pour le trésor public environ huit milliards de gourdes par mois (plus de 50 millions de dollars américains[2]), soit 56% des impôts, droits et taxes collectés par l’État.
Une mission sécuritaire renforcée
Avec la montée de la criminalité, la mission sécuritaire de la douane s’est grandement renforcée. Les douaniers doivent procéder à la visite systématique des marchandises importées afin d’éviter notamment que les gangs ne soient alimentés en armes et en munitions. Certains opérateurs économiques en effet dissimulent des produits illégaux dans des cargaisons légitimes et les réseaux criminels opèrent parfois sous couvert d’institutions bénéficiant de franchises. Au mois de juillet 2022, par exemple, 17 fusils d’assaut et des munitions ont été découverts au port de Port-au-Prince dans une importation destinée à une institution religieuse. Le bureau de douane de Port-de-Paix a lui saisi 14 armes à feu et 434 munitions. Pour le seul mois de juillet 2022, la Police et la Douane ont mené cinq opérations au cours desquelles des armes et des munitions ont été confisquées et les importateurs, ainsi que des intéressés à la fraude, arrêtés et traduits devant la justice.
La crise actuelle et les acteurs violents en présence
Tout État a pour mission d’assurer la sécurité et le bien-être des citoyens. Malheureusement, en Haïti, l’organisation des élections, la prise et l’exercice du pouvoir ne sont pas toujours réalisés dans des conditions transparentes et respectueuses de la loi. Depuis 2005, à l’approche des élections, certains acteurs politiques ont distribué des armes à leurs partisans pour empêcher leurs opposants de remplir leur obligation citoyenne le jour du vote. Les élections une fois terminées, les armes n’ont pas été récupérées par les forces de police.
Nombreux sont ceux qui détiennent dès lors illégalement des armes. Selon le journal en ligne Ayibopost, « environ 500 000 armes à feu illégales circulent dans le pays. » Des groupes armés se sont constitués, certains se transformant en gangs qui rançonnent, violent et kidnappent. Ils organisent aussi toutes sortes de rackets et détournent les camions de marchandises importées. Certains groupes sont d’ailleurs utilisés par des hommes d’affaires pour sécuriser les convois de marchandises. La situation est devenue si grave que des pays comme les États-Unis d’Amérique, le Canada et la République dominicaine sur demande de l’ONU[1] ont adopté des sanctions contre les politiciens et les hommes d’affaires qui auraient des rapports avec les gangs.
Au moins cinq gangs sont installés tout le long du littoral de la baie de Port-au-Prince où se trouvent le port, ses terminaux, le bureau de douane, les magasins entrepôts, les aires de dédouanement et les entrepôts gaziers. Deux autres contrôlent la route qui mène vers le bureau de douane frontalier de Malpasse, situé à la frontière entre la République d’Haïti et la République dominicaine à 50,4 km de la Capitale.
Enlèvements
La situation sécuritaire actuelle en Haïti n’est pas sans conséquence sur les conditions de travail de l’AGD et de ses agents. Selon un communiqué de presse du haut-commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, « au moins 846 personnes ont déjà été tuées au cours des premiers trois mois de 2023 auxquelles s’ajoutent plus de 395 enlevés au cours de la période, soit une augmentation de 28 % de la violence par rapport au trimestre précédent. »[7] Les douaniers sont aussi ciblés, et « des bandits armés ont enlevé en l’espace de deux mois une quinzaine d’employés de la Douane de Port-au-Prince. »[8]
Lorsque les gangs ont pris le contrôle de la zone portuaire de Port-au-Prince, la Direction générale a transféré tout son personnel au bureau de douane de l’aéroport. Peu après ce départ, les bandits prenaient d’assaut le bâtiment logeant le bureau du port, emportant tout avec eux. Si le pillage a représenté une perte énorme, certains équipements avaient heureusement déjà été déménagés au bureau de douane de l’aéroport.
La crise sécuritaire perdurant, la Douane haïtienne a développé plusieurs autres mesures pour s’adapter dont :
- le travail à distance pour ceux utilisant le système douanier automatisé et ne pouvant rejoindre leur espace de travail.
- le contrôle physique au domicile des opérateurs quand ces derniers peuvent assurer une prise en charge des agents dans des véhicules blindés.
Un impact psychologique à ne pas négliger
On peut imaginer la charge émotionnelle qui pèse sur les douaniers. Ceux travaillant au port ont été privés de leur bureau et obligés de se mettre à quatre dans des espaces réduits. Ils sont aussi contraints de se rendre au port à bord de véhicules blindés. Selon Alis David et AL, ce genre de situation engendre « de la gêne, de la pénibilité, de l’inconfort, et ces éléments peuvent devenir plus ou moins directement des facteurs de risque d’accidents de travail ou de maladies professionnelles. »[9] En Haïti, la crise affecte la capacité de travail des douaniers. Au moins cinq cas de troubles émotionnels ont été recensés par la Direction des ressources humaines de l’AGD.
Ralentissement des opérations
Les douaniers affectés au Port sont obligés d’effectuer de nombreux allers-retours entre les terminaux et leur nouveau bureau à l’aéroport. Le fait qu’ils ne sont plus présents constamment sur place ralentit considérablement les opérations de dédouanement, même si le volume des flux commerciaux a diminué.
Un effet moindre sur les recettes
Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, les recettes au cours de ces derniers mois ont nettement augmenté. Selon la Direction de Recherches et de Statistiques de l’AGD, en dépassant en février 2023 la barre symbolique des 8 milliards de gourdes (environ 55 millions de dollars américains), l’AGD a enregistré une performance record en termes de recouvrement. Le montant des recettes affiche une progression de 91,2 % par rapport à février 2022, il a donc pratiquement doublé.
L’explication tient au fait que les difficultés rencontrées dans les bureaux de douane comme ceux de Port-au-Prince et de Malpasse ont conduit bon nombre d’importateurs à se diriger vers d’autres bureaux de douane. On observe ainsi une nette augmentation des flux commerciaux au niveau des autres ports que ceux de la baie de Port-au-Prince. Or les activités de contrôle y ont été renforcées, ce qui a permis de conclure des affaires remarquables ayant engendré au cours de la période d’octobre 2022 à février 2023 des recettes additionnelles.
Quatre mesures phares sont à mentionner :
- la création d’un comité stratégique de la valeur en douane chargé de soutenir les équipes de lutte contre la fraude commerciale ;
- la création d’un corps de contrôleurs de la valeur en douane des marchandises ;
- le recrutement de nouveaux cadres pour la direction de contrôle ;
- une communication sur le code d’éthique pour rappeler les règles de bonne conduite et pour lutter contre la corruption.
Quelques pistes de réflexion
Plusieurs autres mesures sont envisagées pour mieux répondre à la crise.
Renforcer la Direction de la surveillance douanière
La Direction de la surveillance vérifie la conformité des opérations du commerce international au regard de la législation douanière, contrôle les frontières et pourvoit à la sécurité du personnel douanier et des bâtiments. Elle est composée de plusieurs brigades mobiles. L’AGD étudie la possibilité d’augmenter le nombre de brigades, de les doter en armement et en équipements (drones, lunettes d’observation, matériels d’inspection non-intrusive).
Un nouveau code des douanes
Un nouveau code douanier a été publié par décret au journal officiel Le Moniteur dans son numéro spécial du mardi 21 mars 2023. Il permettra une modernisation de la douane et la mise en place d’un ensemble de facilitations pour les opérateurs économiques.
Pour améliorer le ciblage des contrôles, faciliter l’échange d’informations et l’assistance technique entre douanes de pays voisins est crucial. Des accords en ce sens pourraient être conclus entre la Douane d’Haïti et les Douanes de la communauté caribéenne (CARICOM), l’organisation intergouvernementale qui réunit 15 États des Caraïbes. Signalons que des accords ont été déjà signés avec la République dominicaine. L’un d’eux porte sur le renforcement de la coopération douanière via notamment la connexion des systèmes informatiques des deux administrations douanières.
S’ils continuent à remplir leurs missions, les douaniers haïtiens font jour après jour face à des risques de plus en plus élevés. Espérons que le gouvernement pourra rapidement trouver une solution à la crise actuelle qui permettra à l’AGD de reprendre son fonctionnement normal et de continuer sa modernisation.
En savoir +
https://www.douane.gouv.ht
reginaldtimmer@gmail.com
[1] Code douanier de 1987, article 301
[2] Source : AGD « Rapport sur le personnel » Direction des Ressources Humaines
[3] Source : AGD « Rapport sur le personnel » Direction des Ressources Humaines
[4] Source : AGD, Direction des Technologies de l’Information
[5] Taux de change 156 gourdes pour un dollar américain
[6] Résolution 2653 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 21 octobre 2022
[7] https://www.lorientlejour.com/article/1336887/violences-plus-de-600-personnes-tuees-pour-le-seul-mois-davril.html
[8] https://lefacteurhaiti.com/haiti-kidnapping-dau-moins-15-employes-de-la-douane-en-lespace-de-2-mois/
[9]Alis David et AL « GRH Une approche internationale », Bruxelles, Groupe De Boeck s.a., 2011, p. 649.