Dossier

Les statistiques miroirs, un outil d’aide à l’analyse du risque en douane

20 février 2017
Par Roger-Claver Victorien Gnogoue, Administrateur des Services Financiers, Administration des douanes ivoiriennes

Les défis du 21ème siècle créent des exigences pour les administrations douanières à travers le monde et plus particulièrement dans les pays en voie de développement. Il s’agit pour les services douaniers de  faire preuve d’efficacité et d’efficience afin de répondre aux objectifs de recettes et de facilitation des échanges, objectifs dont la réalisation implique des investissements considérables en matière de réformes, de modernisation et d’amélioration continue.

Face à ce constat et consciente des enjeux, l’Administration des douanes ivoiriennes a entamé un ensemble de réformes destiné à la moderniser en profondeur. Elle se veut désormais moderne, modèle et performante. Le programme de modernisation engagé sous l’impulsion des partenaires au développement que sont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international s’articule plus précisément autour de six projets.

La mission « lutte contre la fraude et la contrebande » est intégrée au processus de réforme au titre du projet n°4. Afin de réduire les risques liés à la chaîne logistique en matière de sécurité et de non-respect des lois et réglementations en vigueur, la Douane ivoirienne a mis en place un ensemble de méthodes et techniques de travail modernes afin d’améliorer et de renforcer les capacités de ses services concernant la gestion des risques, les inspections, les enquêtes et la lutte contre la fraude. Elle a notamment établi un système de contrôle et de sélectivité basé sur l’analyse de risque et instauré le Procès-Verbal Simplifié (PVS) qui institue la saisie informatique des procès-verbaux de contrôle des déclarations, permettant ainsi de disposer d’une base de données des infractions douanières.

Le contexte douanier ivoirien en matière d’analyse de risque

Face à l’accroissement du volume des échanges au cours de ces dernières années, il a fallu rationaliser les interventions et combiner adéquatement les contrôles a priori, qui consistent à vérifier la nature et la valeur de la marchandise avant que l’importateur ou son représentant n’en prenne possession, et les contrôles a posteriori, réalisés après la mainlevée ou le dédouanement des marchandises aux frontières. L’objectif est de contrôler moins mais de contrôler mieux.

Le contrôle a priori, effectué par les services de première ligne, consiste à sélectionner les opérations représentant un risque potentiel de fraude élevé. Pour ce faire, la Douane ivoirienne, avec l’assistance technique du Centre Régional d’Assistance Technique du FMI pour l’Afrique de l’Ouest (AFRITAC), a mis en place un système de contrôle et de sélectivité basé sur l’analyse du risque. Le système a été évalué fin 2015 sur les 12 mois écoulés : 20% des transactions avaient été contrôlées pour près de 70% de constatations de fraudes avérés. Historiquement, moins de 10% des déclarations contrôlées faisaient l’objet de constat de fraude.

Le contrôle après dédouanement, effectué par les services de seconde ligne, a pour objet, quant à lui, de vérifier la régularité des opérations douanières lorsque celles-ci sont achevées. Il s’appuie sur une analyse approfondie à la fois des déclarations et documents annexes d’importation, et peut s’étendre aux trois années fiscales précédant le contrôle. Bien que le choix des secteurs d’activités et des opérateurs à contrôler puisse s’appuyer sur l’analyse du risque, de nouvelles méthodes sont de plus en plus recommandées par l’OMD dont l’analyse des données miroirs. Par définition, l’analyse miroir est un outil d’aide à la décision visant à étudier les écarts au sein du commerce extérieur d’un pays. À cet effet, elle prend en compte à la fois les statistiques sur les importations et les exportations. Cette technique est utilisée afin de renforcer la capacité de l’administration douanière à identifier d’éventuelles irrégularités comme les cas de sous-évaluations, les erreurs de classement (glissement tarifaire), les fausses déclarations d’origine, etc. En d’autres termes, l’ampleur des écarts permet d’orienter les autorités douanières sur les courants de fraudes les plus utilisés durant une période de temps.

Quelques résultats de l’analyse miroir et leurs interprétations

Dans le cas de la Côte d’Ivoire, l’exercice miroir a été conduit sur les données de l’année 2014, dernières données complètes disponibles dans la base UNCOMTRADE (base de données des Nations-unies). Cet exercice a révélé de fortes disparités entres les données extraites de notre système de dédouanement automatisé appelé SYDAM WORLD et les données contenues dans la base de données des Nations-unies. Ces écarts portent sur plusieurs produits et, par ailleurs, sont les plus prononcés pour les pays d’Asie. Deux cas ont particulièrement retenu notre attention. Du fait de leur caractère sensible, nous ne révélerons pas ici d’informations quant aux positions du système harmonisé et pays de provenance des produits incriminés.

Le premier cas concerne un produit que nous identifierons ici par la sous-position tarifaire « X1 » et qui est principalement importé d’un pays d’Asie. La valeur des importations déclarée de 2014 pour cette sous-position dans le SYDAM est de 127,24 milliards FCFA (Franc de la Communauté Financière d’Afrique) contre 211,33 milliards FCFA en valeur miroir, soit un écart négatif de 84,10 milliards. Par ailleurs, les prix déclarés au cordon douanier sont fortement bas comparativement aux prix internationaux (-209 FCFA/kg). Deux opérateurs en particulier déclarent des prix fortement atypiques par rapport à la moyenne des importations du même produit.

Le deuxième cas concerne un produit dit « X2 ». Bien qu’un pays ait déclaré des exportations de ce produit à destination de la Côte d’Ivoire, les statistiques nationales douanières de 2014 révèlent un faible flux de ce type de marchandise cette même année. Ce produit X2 est taxé à un taux de 20%. A contrario, une autre sous-position plus faiblement taxée (10%), que nous appellerons Y2, a fait l’objet de déclarations sur la même période dans des proportions beaucoup plus importantes. Dans ce cas particulier, il pourrait s’agir d’un glissement tarifaire conduisant à éluder une partie des droits de douane. L’enjeu est d’autant plus important qu’avec l’instauration du tarif extérieur commun de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en 2015, les droits de douane du produit X2 sont passés à 35%, ce qui peut conduire à une aggravation des pertes de recettes si des mesures correctives ne sont pas mises en place.

De l’utilisation des résultats d’une analyse miroir

Les conclusions de toute analyse miroir conduisent à la formulation d’hypothèses de fraudes qui doivent être par la suite vérifiées par des investigations sur le terrain ou, à défaut, par des analyses documentaires approfondies. Elles orientent donc les services de douanes vers des pistes de fraudes possibles et permettent d’éviter des enquêtes, parfois lourdes et coûteuses pour les autorités douanières, qui s’avéreraient non concluantes et infructueuses.

Au cours de l’année 2015, 2420 procès-verbaux de fraudes ont été émis par les services de la Douane ivoirienne. La typologie des infractions les plus constatées par les services de premières lignes sont les fausses déclarations de valeur, les fausses déclarations d’espèces et les fausses déclarations de poids qui cumulent à elles seules 83,68% des infractions totales. Quant aux activités des services de seconde ligne, les principales infractions relevées portent sur les fausses déclarations de valeur (29,83%), les importations sans déclaration (17,23%), les fausses déclarations d’espèces (7,32%).

Les résultats des contrôles sont saisis dans le PVS, ce qui permet un contrôle des opérations et une évaluation des agents contrôleurs. Pour rendre le contrôle douanier de plus en plus efficace, les services statistiques qui conduisent l’analyse miroir doivent aussi entretenir des relations étroites avec les services en charge du contrôle douanier. Les produits et les origines ciblés doivent faire l’objet d’un suivi régulier lors des opérations de dédouanement ou de contrôle a posteriori.

En outre, les résultats de l’analyse miroir permettent de corriger les statistiques douanières. Les asymétries dans les statistiques constituent une problématique importante dans la mesure où elles ont une incidence sur la fiabilité de la balance commerciale, de la balance des paiements et des comptes nationaux. L’exercice de réconciliation des données est nécessaire afin d’améliorer la qualité des statistiques du commerce extérieur dont les services douaniers sont en charge dans de nombreux pays.

La qualité des données en perspective et les statistiques miroirs

La recherche de la qualité des données s’impose pour conduire une analyse miroir. Pour assurer cette qualité, les services douaniers doivent collecter des données provenant de différentes sources, notamment des services douaniers étrangers, des autorités portuaires, des pays exportateurs et des entreprises.

De nombreux problèmes liés à l’exactitude des données lors d’une analyse miroir ont été relevés à maintes reprises. Il s’agit d’erreurs de classification des marchandises de la part du pays d’origine, du décalage dans le temps entre les déclarations des exportations et des importations, de la « mauvaise affectation » des importations à un tiers pays et de la volatilité des taux de change. La résolution de ces problèmes réside essentiellement dans le cadre de la coopération douanière.

L’OMD a élaboré un modèle d’accord bilatéral en matière d’assistance administrative dans les domaines traditionnels relevant de la valeur, du classement des marchandises et de l’origine, qui facilite la réalisation de cette coopération essentielle à tout exercice d’analyse miroir. En fonction des écarts révélés par l’analyse miroir, une administration douanière devra, afin de procéder à une réconciliation des données, initier des rencontres avec les administrations des pays concernés. Ces échanges permettront un suivi et une traçabilité des marchandises depuis leur lieu de production jusqu’au pays de destination finale.

Il convient ici de noter que, dans le cadre du Programme d’Appui au Commerce et à l’Intégration Régionale (PACIR), l’Union européenne s’est engagée à appuyer l’intégration régionale au sein de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) à travers l’interconnexion des systèmes informatiques douaniers. Ce projet contient un protocole d’échanges des données et permettra d’assurer ainsi une meilleure gestion des opérations de transit de marchandises.

Par ailleurs, assurer une bonne collaboration entre douane et entreprises et initier en particulier un dialogue sur la fiabilité des données est essentiel. La mise en œuvre d’un programme d’opérateurs économiques agréés peut ici être bénéfique. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, un partenariat public-privé entre la Douane ivoirienne et le secteur privé a été renforcé à travers la création de l’Observatoire pour la célérité des opérations de dédouanement (OCOD). Cette collaboration, qui a déjà produit des résultats intéressants (notamment deux études du temps nécessaire à l’obtention de la mainlevée, des mesures de facilitation des échanges, des recours en matière douanière), pourrait constituer un cadre de départ pour un échange plus accru sur la qualité des données avec certains opérateurs dignes de confiance. En outre, le choix de l’OMD de dédier l’année 2017 à l’analyse des données avec pour slogan « l’analyse des données au service d’une gestion efficace des frontières » constitue une autre opportunité de stimuler les échanges sur la qualité des données douanières et leur utilisation.

 

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