Panorama

Comment le déploiement aux frontières de scientifiques contribue à endiguer le flux d’opioïdes et d’autres drogues dangereuses aux États-Unis

21 juin 2022
Par Marcy Mason, journaliste, Bureau des douanes et de la protection des frontières des États-Unis d’Amérique

Il y a cinq ans, alors que le nombre de décès par surdose d’opioïdes commençait à augmenter aux États-Unis, le Bureau des douanes et la protection des frontières (CBP) découvrait de plus en plus souvent de grandes quantités d’une substance inconnue dans le courrier et les colis provenant de l’étranger. Les agents du CBP soupçonnaient qu’il s’agissait d’une drogue illicite. Ils avaient bien un outil pour identifier les substances suspectes, mais celles qui n’avaient jamais été identifiées auparavant ne se trouvaient pas dans la bibliothèque de l’équipement et il n’était dès lors d’aucune aide. Ils devaient donc attendre que les laboratoires régionaux du CBP fassent une analyse. Verdict : la substance inconnue était du fentanyl, un stupéfiant opioïde hautement dangereux et addictif. Le processus d’identification étant trop lent et inefficace pour les environnements de courrier et d’expédition express, les laboratoires et les services scientifiques du CBP ont proposé une solution innovante : déployer des scientifiques sur place dans les ports d’entrée américains.

Lorsqu’il s’agit d’empêcher des drogues illicites de pénétrer sur le territoire des États-Unis, le facteur temps est absolument essentiel. Voilà pourquoi le Bureau des douanes et de la protection des frontières (CBP) a décidé il y a cinq ans de déployer des scientifiques de laboratoire aux points d’entrée du pays dans le cadre d’une opération spéciale baptisée « Operation Sustain ». À l’époque, le pays, aux prises avec une véritable crise des opioïdes, avait comptabilisé plus de 47 600 décès par overdose en une seule année. L’opération avait donc pour but d’endiguer le flux de fentanyl et d’autres stupéfiants dissimulés dans des envois qui transitaient par des services de courrier international et de messagerie express. L’idée était la suivante : plus vite les scientifiques pourraient analyser les substances suspectes, plus vite les agents du CBP pourraient les saisir et détruire, ou collaborer avec d’autres organes tels que le Homeland Security Investigations (HSI). Ces derniers pourraient alors effectuer des livraisons sous surveillance susceptibles de déboucher sur des arrestations de revendeurs et conduire au démantèlement de réseaux.

Fin octobre 2016, lorsque Tom Pagano, agent du CBP, a commencé à travailler au centre postal international de l’aéroport international John F. Kennedy dans le Queens, à New York, où sont traités 60 % du courrier international américain, il n’y avait pas de scientifiques sur place. C’était aussi la première fois que la route de M. Pagano croisait celle du fentanyl. « Je n’avais jamais entendu parler du fentanyl. Quand nous avons commencé à en trouver, cela a piqué ma curiosité. Je me suis dit : Qu’est-ce que c’est que ça ? Après en avoir trouvé encore quelques fois, nous avons reçu une mise en garde : Hé, attention. C’est une drogue mortelle. »

Pagano et les autres agents du CBP actifs au service postal international avaient des outils pour tester les substances inconnues à des fins d’analyse initiale ou présomptive, mais la technologie dont ils disposaient était limitée. Si une substance n’avait jamais été identifiée auparavant, les outils ne permettaient pas de l’associer à des drogues ou médicaments inclus dans la bibliothèque de l’équipement. Les agents devaient donc recueillir des échantillons des substances suspectes et les envoyer à un laboratoire régional du CBP. Les laboratoires mettaient ces échantillons en file d’attente avec d’autres produits à tester. Le processus pouvait prendre entre 30 et 45 jours pour une analyse présomptive et entre six mois et deux ans pour une confirmation définitive.

« Je pouvais chercher toute la drogue que je voulais, les laboratoires n’étaient pas prêts à faire face. Il faut dire que j’en trouvais énormément. À l’époque, il suffisait que j’entre dans la salle du courrier et que je sélectionne 10 colis, et je pouvais être sûr que tous contenaient de la drogue », se souvient M. Pagano. « Je n’étais autorisé à soumettre que 20 échantillons par jour, mais il arrivait que je trouve 200 ou 300 colis suspects. Ceux-là devaient attendre. Cela créait un arriéré et nous n’avions nulle part où stocker les colis. »

Pendant un certain temps, un scientifique du CBP a été affecté au service postal international un jour par semaine. « Lorsque nous avions des échantillons que nous pensions être du fentanyl, nous les lui donnions », explique M. Pagano. « Lorsqu’il était sur place, il était en mesure de nous fournir des conclusions présomptives tout de suite. Mais si nous trouvions quelque chose un jour où il n’était pas là, nous devions attendre qu’il fasse les tests pour éventuellement avoir une réponse. Pour peu qu’il prenne un jour de congé, il fallait parfois attendre deux semaines pour avoir un retour sur la nature de la substance en question. »

Pagano et les autres agents ont commencé à observer que, si le nombre de décès dus aux opioïdes continuaient d’augmenter, c’était aussi le cas des interceptions au service postal international de JFK. « Nous saisissions de plus en plus de colis contenant des stupéfiants. Et il n’y avait pas que du fentanyl. Il y avait là toutes les drogues possibles et imaginables », explique M. Pagano. « Nous saisissions du LSD, du PCP, de la marijuana, des champignons magiques, des sels de bain et d’autres drogues synthétiques. En gros, toutes les drogues illicites que vous pouvez imaginer passaient par là, et nous les trouvions. »

L’essor du fentanyl

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Shelby Stotelmyer, experte du CBP, ajoute un solvant à un échantillon de drogue présumé pour extraire la substance à des fins d’analyse au laboratoire avancé de Memphis. Photo de Jerry Glaser

Le port de Memphis, où se trouve le centre mondial de FedEx Express, était en butte à des problèmes similaires. Dès 2014, lorsque les échanges entre la Chine et les États-Unis se sont intensifiés, les agents du CBP ont commencé à remarquer des substances inconnues dans les envois. « Nous avons observé une augmentation du fret international sur les vols directs en provenance de la Chine et de Hong Kong. Et avec cette augmentation, nous avons commencé à voir arriver des poudres et des liquides inconnus », relève Lori Breakstone qui était à l’époque directrice adjointe du CBP pour le secteur du port de Memphis. En 2016, une hausse substantielle a été constatée. « Jusque-là, nous trouvions des stupéfiants traditionnels comme la cocaïne, l’héroïne, la méthamphétamine, la marijuana ou le haschich. Nous n’avions pas l’habitude du fentanyl ou des opioïdes de synthèse », précise-t-elle. « Lorsque nous avons commencé à voir du fentanyl, nous n’avions aucune idée de ce que c’était. »

À l’instar du centre postal international de JFK, le port de Memphis n’avait ni laboratoire permanent sur place ni outils pour identifier le fentanyl. « Nous devions emballer les échantillons séparément, les envoyer par courrier au laboratoire régional du CBP à Houston, puis attendre les résultats », se souvient Mme Breakstone. « Lorsque nous avons commencé à intercepter de plus en plus de cargaisons, le laboratoire de Houston n’a plus été en mesure de suivre, et nous non plus. »

Les envois étaient retenus dans une zone de stockage jusqu’à ce que les résultats de l’échantillon reviennent du laboratoire. « Il fallait parfois des semaines, des mois, voire parfois plus d’un an pour obtenir un résultat. En moyenne, nous avions 400 à 600 envois qui traînaient sur les étagères », ajoute Mme Breakstone.

Cette longue attente avait une incidence sur les mesures répressives. Le HSI était réticent à prendre les cargaisons interceptées pour effectuer des livraisons sous surveillance, et refusait la plupart d’entre elles. « Nous faisions des saisies et empêchions les stupéfiants d’entrer aux États-Unis, mais nous ne perturbions pas le trafic de drogues », déplore Mme Breakstone. « Les enquêteurs n’avaient pas les moyens de casser les réseaux et de les démanteler à l’étranger, d’où provenaient les cargaisons. Le déroulement des enquêtes est étroitement lié aux laboratoires. Ceux-ci jouent un rôle capital dans un contexte d’envois express. Si un colis n’est pas livré, les trafiquants de drogue savent qu’il y a un problème. »

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Dans le cadre de son travail au laboratoire avancé du CBP à Chicago, Neele Shepard, experte médico-légale au CBP (à gauche), assiste des agents du CBP au centre postal international de Chicago. Ici, l’agent superviseur du CBP Dwayne Washington consulte Mme Shepard au sujet d’un colis suspect qui est arrivé au centre postal. Photo de Ralph Piccirilli

Mme Breakstone a contacté les laboratoires et les services scientifiques du CBP pour plaider en faveur de la création d’un laboratoire sur place. M. Pagano avait déjà fait de même pour le service postal international de JFK. En juin 2018, l’opération Sustain a été lancée sur ces deux sites. « C’était notre réponse à la crise des opioïdes », déclare Patricia Coleman, directrice générale adjointe des laboratoires et des services scientifiques du CBP. « Nous avons détaché des scientifiques au centre postal international de JFK et au centre FedEx Express de Memphis pour évaluer l’efficacité d’un soutien sur place à nos agents lorsqu’ils saisissent des substances inconnues. » L’opération, qui s’est déroulée jusqu’en septembre 2018.

Quelques semaines après le lancement de l’opération Sustain, en juillet 2018, une cargaison déclarée comme « lot de pigments organiques » est arrivée de Chine au centre FedEx Express de Memphis. À l’intérieur de l’emballage se trouvait un pot rempli d’une poudre blanche inconnue. Un scientifique du CBP a testé la substance sur place et a identifié la poudre comme étant du butyryl fentanyl, un puissant opioïde de synthèse décelé dans des cas de morts par overdose. « Nous avons testé la substance et l’avons saisie la nuit-même », déclare Victor Watson, agent en chef du CBP qui supervise les opérations du CBP au centre FedEx Express. « Il a fallu 10 minutes au laboratoire sur place pour établir ce qu’était la substance en question. »

La létalité du fentanyl est très préoccupante. « Jusqu’à l’installation de ce laboratoire sur place, nous n’avions pas conscience du danger que représente cette drogue », explique M. Watson. « Le fentanyl est mortel même à petite dose. Nous examinions des cargaisons qui étaient composées presque à 100 pour cent de fentanyl pur, potentiellement extrêmement mortelles. Un agent qui ouvre un colis sans savoir que c’est du fentanyl pourrait accidentellement le toucher ou l’ingérer, et ainsi mettre sa vie en danger », explique M. Watson. « En ayant le laboratoire ici, nous sommes en mesure d’identifier que c’est du fentanyl et de suivre les protocoles de sécurité en place pour le contenir rapidement. Avoir un scientifique sur place a considérablement amélioré la sécurité de nos agents de première ligne. »

Jackpot

La présence d’un laboratoire sur place a également multiplié les chances d’arrestations lors des livraisons sous surveillance. Les agents peuvent désormais prendre des mesures répressives rapidement, ce qui est primordial dans un contexte de courrier express. « Il s’agit du principal centre de tri international de FedEx. Et c’est l’un des cinq plus grands aéroports de fret au monde en volume », explique M. Watson. « Chaque nuit, environ 250 000 cargaisons internationales transitent par ce site dans un créneau de 4 heures et demie à 5 heures. Nos agents n’ont donc que peu de temps pour inspecter et dédouaner les colis avant que les envois ne soient acheminés vers leur destination suivante. Si les vols sont retardés, cela perturbe l’activité des entreprises. Par conséquent, les délais de ciblage et de test des expéditions sont essentiels pour le succès des livraisons sous surveillance. »

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Shannon Vonn Dyke (à gauche) et Terra Cahill, expertes au CBP, analysent des données sur le fentanyl au laboratoire avancé de Nogales, en Arizona. Le laboratoire de Nogales a été l’un des premiers à observer une augmentation constante des flux de fentanyl en provenance du Mexique pendant la pandémie. Photo de Jerry Glaser

Un fait survenu en septembre 2020 montre l’importance cruciale que peut avoir un laboratoire sur place. Une cargaison en provenance de Chine, déclarée comme 1,5 kilo de « dioxyde de silicium », du sable donc, avait été choisie pour examen au centre FedEx Express de Memphis. « Cet envoi n’avait pas de sens pour moi », explique Michael Hughes, l’agent du CBP qui a ciblé ce colis évalué à 10 USD. « Qui irait dépenser 10 dollars pour commander 1,5 kg de sable en Chine alors que l’envoi lui-même coûterait plus cher que ça ? »

À l’intérieur du colis, l’agent examinateur du CBP trouve un petit sac argenté qui contient de la poudre blanche. Il l’apporte au scientifique du CBP sur place qui découvre que ce n’est pas du sable mais de la xylazine. « La xylazine est un sédatif pour les animaux d’élevage. Il est approuvé pour un usage vétérinaire, mais la FDA ne l’a pas autorisé pour un usage humain », explique Shelby Stotelmyer, l’experte principale du laboratoire avancé du CBP à Memphis. « Les trafiquants de drogue l’utilisent comme agent de remplissage pour l’héroïne, le fentanyl et d’autres stupéfiants, pour augmenter la quantité qu’ils peuvent vendre et pour en renforcer les effets. »

Le colis est saisi et le HSI à Memphis avisé pour voir si les enquêteurs souhaitent effectuer une livraison sous surveillance. Les résultats sont aussi envoyés au siège, avec le rapport quotidien. À Washington, Michael McCormick, scientifique de l’Office of the National Drug Control Policy à la Maison Blanche et agent de liaison du CBP, l’étudie et déclenche une alerte. « Nos partenaires chargés de l’application de la loi dans le New Jersey avaient signalé de grandes quantités de xylazine dans la toxicologie de victimes d’overdose d’héroïne et de fentanyl, et ce colis était destiné à Philadelphie, à un jet de pierre du New Jersey », se souvient M. McCormick qui a transmis les informations au Centre national de ciblage du CBP pour voir si d’autres informations étaient associées au colis, à l’expéditeur ou au destinataire. « Le Centre national de ciblage s’est penché sur la question », explique M. McCormick, « et a renvoyé l’affaire au HSI pour une enquête plus approfondie. »

À Philadelphie, l’affaire retient l’attention de Ryan Landers, agent spécial du HSI qui supervise une équipe spéciale d’enquête sur la cybercriminalité. Celle-ci s’intéresse principalement au trafic de drogues sur le darknet. M. Landers est parfaitement au courant des tendances concernant la xylazine et décide d’agir. « Normalement, nous ne prenons pas d’affaires comme celle-là », précise M. Landers. « Les livraisons sous surveillance concernent généralement des substances contrôlées, comme les drogues illicites ou les médicaments sur ordonnance réglementés par le gouvernement. La xylazine n’est actuellement pas une substance contrôlée aux États-Unis. Nous avons donc adopté une approche non conventionnelle et effectué une livraison sous surveillance pour une substance non contrôlée. »

L’équipe de M. Landers livre le colis FedEx Express contenant la xylazine à l’adresse indiquée sur le manifeste et a effectué une surveillance. Peu de temps après, un individu se présente à cet endroit dans un véhicule et récupère le colis. Des agents spéciaux du HSI le prennent en filature jusqu’à une maison située à une deuxième adresse qu’ils placent sous surveillance. Plus tard dans la journée, l’individu sort de la résidence en affichant un comportement très suspect et part dans son véhicule. Les forces de l’ordre locales, qui travaillaient en tandem avec le HSI, l’arrêtent à un feu et fouillent le véhicule.

Et avec quel résultat ! L’individu, qui avait déjà un casier judiciaire, a été arrêté, et le HSI et la police d’État ont saisi près de trois kilos de fentanyl, une arme à feu volée et intraçable avec une quantité considérable de munitions, une forte somme en devises américaines, et le colis de xylazine qui avait été livré à la première adresse. « Prendre une substance non contrôlée et la relier à un réseau de distribution de drogues mortelles à base de fentanyl est inhabituel », relève M. Landers. « Cette affaire revêt une grande importance pour le HSI à Philadelphie et, plus généralement, pour la guerre que nous menons contre la drogue. »

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Alexander Cheung, scientifique du laboratoire avancé du CBP à San Ysidro, en Californie, photographie un échantillon d’une substance inconnue prélevé dans le cadre d’une saisie de drogue présumée au point d’entrée. Photo d’Emmanuel Albrecht

Le rôle du laboratoire a aussi été crucial, souligne M. Landers. « Les laboratoires sur site sont essentiels pour nos activités. Leur rapidité d’intervention et leurs capacités de test sont déterminantes pour l’intégrité de nos enquêtes », insiste M. Landers. « Si quelque chose traîne pendant des semaines ou des mois à un point d’entrée, cette piste est morte pour nous, du point de vue de l’enquête. »

De même, M. Landers attribue le succès de cette affaire au partenariat entre le HSI et le CBP. « Le HSI ne peut pas faire grand-chose sans le concours du CBP. Que ce soit le Bureau des opérations sur le terrain ou les scientifiques des laboratoires avancés, nous sommes tributaires, au quotidien, de bonnes relations de travail, axées sur la collaboration et la coopération, avec le CBP », affirme M. Landers. « Lorsque nous enquêtons sur le trafic de drogues international ou sur des importations de stupéfiants, il est impératif que nous travaillions main dans la main avec les agents qui sont en première ligne à la frontière pour inspecter les flux de marchandises entrants et sortants. Ce sont nos yeux et nos oreilles sur les lignes de front de ce point d’entrée. Nous ne pouvons pas faire ce que nous faisons sans cette relation et ce partenariat. »

Des laboratoires sur les sites à haut risque

En 2019, les laboratoires et les services scientifiques du CBP ont pleinement adopté le concept de ces laboratoires avancés et ont commencé à en installer davantage dans les endroits à risque élevé. Bon nombre d’entre eux ont ainsi été créés le long de la frontière sud-ouest, mais aussi dans des villes telles que Chicago, Miami, Detroit, Los Angeles et Porto Rico. Le CBP dispose actuellement de 14 laboratoires avancés opérationnels.

Ces laboratoires offrent de nombreux avantages, notamment en aidant le CBP à identifier les tendances. Ainsi, à partir d’octobre 2020, les laboratoires avancés ont commencé à voir une quantité accrue de N, N-diméthyltryptamine, ou DMT, une substance hallucinogène, franchir la frontière clandestinement. « Le DMT était la drogue no 1 observée dans les laboratoires avancés du CBP. Elle arrivait d’Amérique du Sud », explique M. McCormick. « Dès que nous l’avons repérée, nous l’avons signalée à nos partenaires étatiques et locaux, afin qu’ils puissent mettre en place des normes appropriées pour détecter cette substance dans les drogues de rue. »

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Sur la base des tests effectués sur place, Shelby Stotelmyer, experte médico-légale du CBP, a déterminé qu’une substance brune collante trouvée à l’intérieur d’un colis au centre de messagerie express de Memphis était du DMT, la principale drogue observée dans les laboratoires avancés du CBP. Photo de Jerry Glaser

Autre tendance récemment relevée par les laboratoires avancés : l’arrivée d’un nouvel analogue du fentanyl qui passe par la frontière sud-ouest. Un analogue du fentanyl est une substance conçue pour imiter les effets pharmacologiques du fentanyl, mais avec une structure moléculaire juste assez différente pour qu’elle ne puisse pas être détectée dans les tests standard. Elle peut donc échapper aux restrictions légales sur les substances interdites. « Les analogues du fentanyl commencent à affluer du Mexique », précise M. McCormick. « Nous ne savons pas grand-chose à leur sujet sur le plan pharmacologique, mais ils sont probablement aussi dangereux que le fentanyl, voire plus dangereux encore. Ce qui est inédit ici, c’est que nous avions une fois décelé cet analogue spécifique dans une cargaison en provenance de Chine, mais qu’après une interdiction générale des analogues du fentanyl en 2019, empêchant toute substance présentant la structure centrale du fentanyl d’entrer aux États-Unis, les envois d’analogues en provenance de Chine se sont presque totalement effondrés. C’était donc étrange de les voir soudainement réapparaître à la frontière mexicaine. »

Le laboratoire avancé du port de Nogales, en Arizona, à la frontière mexicaine, a été l’un des premiers laboratoires à relever cette tendance. Avant la pandémie de coronavirus, la méthamphétamine était la principale drogue introduite clandestinement via ce port. Mais en mars 2020, lorsque les déplacements non essentiels ont été restreints à la frontière entre les États-Unis et le Mexique pour prévenir la propagation de la COVID-19, les scientifiques du port ont observé un changement. « À la fin du mois de mars 2020, nous n’avons plus trouvé aucun stupéfiant. Un peu comme si le cartel avait pris une semaine de congé pour envisager la suite des opérations. Ensuite, nous avons commencé à voir de plus en plus de fentanyl franchir la frontière », se souvient la scientifique Terra Cahill, conseillère spéciale des laboratoires et des services scientifiques du CBP qui travaillait au laboratoire de Nogales. « En janvier 2020, 46 % des échantillons testés étaient de la méthamphétamine et 18 % du fentanyl. En mars 2021, cependant, le nombre d’échantillons de fentanyl avait plus que doublé et représentait 52 % de tous les échantillons que nous testions. »

Pour Mme Cahill ce changement est à attribuer aux restrictions à la frontière. « Les saisies de méthamphétamine étaient généralement effectuées dans des véhicules conduits par des Mexicains, mais le cartel a perdu cette solution », précise Mme Cahill. « Des citoyens américains sont alors devenus leurs passeurs, parce qu’eux pouvaient franchir la frontière. C’était pour la plupart des mules, ils transportaient la drogue sur eux ou à l’intérieur de leur corps. »

Une perspective plus large

Selon Mme Coleman, les informations provenant des laboratoires permettent au CBP d’avoir une meilleure vue d’ensemble. « Nous pouvons déceler ce qui nous arrive plus rapidement et mieux que nous ne pouvions le faire par le passé », explique-t-elle. « Avant, il fallait parfois des semaines, voire des mois, avant que nous ne sachions exactement ce que les agents du CBP avaient intercepté. Cela retardait donc la collecte d’informations, les rapports de renseignements, et la décision de savoir si oui ou non nous allions poursuivre quelqu’un. Plus vite nos scientifiques peuvent nous fournir des résultats de laboratoire, mieux nous sommes à même de faire face à la menace qui pèse sur nous, qu’il s’agisse du trafic de drogue, d’activités terroristes ou de toute autre menace pour le territoire. »

Qui plus est, rien n’est statique, comme le souligne Mme Coleman. « Le trafic de drogue est en évolution constante, et les informations en temps réel que nous recueillons auprès des laboratoires avancés nous permettent de comprendre des choses que nous aurions auparavant comprises au bout de plusieurs années. Ou que nous n’aurions peut-être jamais comprises parce que nous n’envisagions pas les choses sous le même angle », se réjouit Mme Coleman.

Grâce à la présence des scientifiques sur place, les agents peuvent se concentrer davantage sur leurs tâches répressives, et les expéditions légitimes peuvent aussi poursuivre leur route plus rapidement. « L’experte de police scientifique que nous avons ici est très efficace et très rapide. Je lui donne une substance et, la plupart du temps, elle peut la tester et me dire de quoi il s’agit dans les 20 secondes, et je n’exagère pas. Elle est aussi rapide que ça », s’extasie M. Hughes, l’agent du CBP au centre FedEx Express de Memphis. « Si la cargaison est légitime, elle repart la nuit-même. »

Les scientifiques jouent également un rôle capital dans la guerre contre les narcotrafiquants. « Les trafiquants innovent sans cesse. Ils utilisent des méthodes créatives pour cacher la drogue », explique Mme Stotelmyer. « L’autre soir, les agents ont apporté du miel au laboratoire pour que je le teste parce qu’ils n’ont pas l’équipement nécessaire pour distinguer la drogue et la substance dans laquelle elle est dissimulée ». Mme Stotelmyer a extrait la drogue, du citrate de sildénafil, en utilisant différents solvants pour dissoudre le miel. « C’est la substance contre les troubles de la fonction érectile utilisée dans le Viagra », précise Mme Stotelmyer. « Les trafiquants trouvent des moyens créatifs de dissimuler ces drogues illicites, et nous devons, nous aussi, en tant que scientifiques, être créatifs pour les démasquer. »

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www.cbp.gov