La Douane irlandaise fête ses 100 ans
3 mars 2023
Par Gerry Harrahill, Directeur général des douanes, Office of the Revenue Commissioners d’IrlandePeu après que l’Irlande eut accédé à son indépendance en décembre 1922, le nouvel État souverain irlandais établissait, le 23 février 1923, sa propre Administration fiscale, l’Office of the Revenue Commissioners. Près de cent ans plus tard, l’Office, placé sous la tutelle du ministre des Finances, se donne pour mission de servir la communauté en recouvrant équitablement et efficacement les droits et taxes et en déployant des contrôles. L’Office se compose d’un Conseil de trois directeurs ou Commissioners, dont l’un en assure la présidence. Les trois directeurs actuels sont Niall Cody, Président du Conseil, Gerry Harrahill et Ruth Kennedy. Gerry Harrahill, qui est le Directeur général des douanes, s’est fait connaître à l’OMD pour ses contributions au Conseil et dans d’autres forums. Le présent article vise à donner un aperçu de l’évolution de la Douane irlandaise au cours des cent dernières années.
Les contrôles douaniers sur l’île d’Irlande
L’île d’Irlande est divisée en 32 comtés (ou circonscriptions administratives) : la République d’Irlande en compte 26 tandis que les 6 autres, dans le nord-est de l’île, composent l’Irlande du Nord, nation constitutive du Royaume-Uni. Des contrôles douaniers ont été introduits le long de la frontière terrestre séparant la République d’Irlande de l’Irlande du Nord le 1er avril 1923. Ces contrôles ont été maintenus pour les marchandises traversant la frontière jusque fin décembre 1992, lorsque la République d’Irlande et le Royaume-Uni ont rejoint le marché unique européen. Il convient de noter, toutefois, qu’en vertu d’un accord passé en 1922 entre les deux pays instaurant une zone de voyage commune (Common Travel Area ou CTA), aucune restriction n’a jamais pesé sur le mouvement des citoyens à la frontière entre la République d’Irlande et le Royaume-Uni.
Évolution des contrôles douaniers
Au début de l’existence de l’État irlandais, l’économie nationale était protégée par une série de droits de douane. À partir des années 1960 et sous l’impulsion de son entrée dans la Communauté économique européenne (CEE) en 1973, l’Irlande s’est transformée en une économie ouverte. De nombreux secteurs industriels fortement mécanisés et à forte intensité de main-d’œuvre, comme la construction automobile et la fabrication de pneumatiques, ont disparu en conséquence et, dans les années qui ont suivi, l’industrie du vêtement s’est également fortement réduite. Compte tenu de sa position à la périphérie de l’Europe et en marge des grands centres urbains, l’Irlande s’est concentrée à la place sur la production de marchandises à forte valeur ajoutée en faibles volumes, comme les produits pharmaceutiques, les appareils médicaux et les circuits intégrés. Des procédures de contrôle douanier modernes ont permis d’attirer plus facilement les investissements directs étrangers.
La Douane irlandaise a notamment privilégié les contrôles a posteriori des entreprises par rapport aux vérifications matérielles in situ qui sont habituellement associées aux contrôles douaniers, et, ce faisant, elle a largement contribué au développement de la grande zone franche de Shannon, sur la côte ouest du pays, dans une région où il était vital d’attirer l’industrie. Le mécanisme de contrôle utilisé par l’Administration a ensuite été intégré au Code des douanes de l’UE.
Depuis sa création, l’Administration douanière irlandaise a constamment dû s’adapter aux changements, notamment lorsque l’Irlande est passée d’une économie protégée par des droits de douane vers une économie ouverte, comme mentionné plus haut. La création du marché unique européen a éliminé la frontière intérieure de l’île à des fins économiques, ce qui a abouti à un redéploiement du personnel de l’Administration dans des domaines tels que la taxe d’immatriculation des véhicules, l’échange d’informations sur la TVA et l’assistance mutuelle. Les Revenue Commissioners se sont généralement efforcés de maintenir les effectifs douaniers à leur poste habituel, préférant transférer le personnel non douanier vers les lieux de travail concernés.
Pour répondre à l’environnement exigeant et en constant changement dans lequel elle a toujours évolué et continue de déployer ses activités aujourd’hui, l’Administration a notamment dû se concentrer sur le développement de la TI, l’automatisation du dédouanement, la modernisation des régimes et des procédures, la mise en place de techniques d’analyse du risque et de profilage, la coopération internationale et la mise en œuvre d’un tarif commun européen.
L’Irlande a introduit un Système automatisé de traitement des données (AEP de son acronyme anglais) en avril 1991. Le système a remporté un succès immédiat et, très vite, un pourcentage élevé des déclarations à l’importation et à l’exportation a été déposé par voie électronique. En novembre 2021, le Système d’importation automatisé (AIS) est venu remplacer l’AEP en vue d’assurer la conformité avec les dispositions actualisées du Code des douanes de l’Union (CDU). L’AIS permet de garantir que les entreprises puissent importer des marchandises légalement depuis des pays non-membres de l’UE, moyennant le processus le plus efficace possible. L’AIS répond aux exigences des entreprises au niveau des livraisons « juste à temps ».
L’Irlande en tant que frontière terrestre extérieure de l’UE
Conséquence du retrait du Royaume-Uni de l’UE, l’Irlande partage à présent une frontière avec un pays tiers. Entre la moitié des années 1960 et 1998, date de la signature de l’Accord de Belfast dit du Vendredi saint, l’Irlande du Nord a vécu une période de violences et de conflit (appelée les Troubles), au cours de laquelle plus de 3 500 personnes ont perdu la vie et plus de 30 000 ont été blessées, dont certaines très gravement. Avec l’avènement du marché unique, en 1993, la frontière physique séparant la République d’Irlande du Royaume-Uni a disparu, du moins jusqu’à la sortie du Royaume-Uni de l’UE le 1er janvier 2020. Le protocole sur l’Irlande du Nord, qui fait partie de l’accord de retrait du Royaume-Uni, vise à empêcher qu’une frontière physique ne divise l’île d’Irlande et à assurer l’intégrité du marché unique européen. Dans la pratique, l’Irlande du Nord demeure dans le marché unique pour les marchandises, de sorte que les produits peuvent aller et venir entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord, sans contrôle, ni paperasse ni droit de douane. La règlementation douanière de l’UE concernant les produits alimentaires continue de s’appliquer aux denrées arrivant en Irlande du Nord depuis le reste du Royaume-Uni. Les aspects concernant l’application des dispositions du protocole sur l’Irlande du Nord font l’objet d’un dialogue dynamique entre le Royaume-Uni et l’UE.
Drogues
Les 3 000 kilomètres de côtes accidentées que compte l’Irlande, avec ses nombreuses petites criques et baies isolées, sont une aubaine pour les trafiquants de drogues qui y voient de nombreuses possibilités pour se livrer à leur commerce. Afin de lutter contre le trafic de stupéfiants, la Douane patrouille les zones côtières et fait appel aux communautés qui y vivent mais aussi aux gens de mer et aux adeptes de la navigation à voile pour qu’ils lui apportent leur concours dans le cadre du Customs Drugs Watch Programme (programme douanier de surveillance concernant les drogues). Outre l’excellente collaboration avec l’An Garda Siochana (service de la police et de la sécurité nationale) et avec le Service naval irlandais, l’Irlande compte un douanier en détachement au Centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (MAOC–N) situé à Lisbonne, au Portugal. L’Irlande partage également des informations avec d’autres États membres de l’UE à travers le système d’information des douanes et prend part à plusieurs initiatives de l’OMD et de l’UE pour combattre le trafic de drogues.
L’Irlande et l’OMD
L’Irlande contribue activement aux travaux de l’OMD depuis la création de l’Organisation en tant que Conseil de coopération douanière en 1952. Le pays a d’ailleurs participé à la première réunion du Conseil, le 26 janvier 1953, aux côtés des 16 autres nations qui y avaient adhéré à l’époque. Comme les lecteurs le savent certainement, l’OMD s’est à présent élargie à tous les continents et compte aujourd’hui 185 Membres, qui représentent au moins 98 % du commerce mondial.
L’Irlande compte à son actif deux représentants élus au poste le plus important et le plus prestigieux de l’Organisation : Bartholomew Culligan a été Président du Conseil de 1967 à 1969, et Josephine Feehily de 2011 à 2014. L’Irlande a aussi organisé une réunion de la région Europe de l’OMD en 2008 et une réunion de la Commission de politique générale en décembre 2013. Elle participe régulièrement à une grande variété de réunions, notamment à tous les comités de l’OMD. La législation irlandaise est alignée sur la Convention internationale pour la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers, ou Convention de Kyoto révisée, et se fonde sur un vaste éventail d’autres recommandations de l’OMD.
En 1998, conscients des exigences grandissantes et de l’importance de participer aux réunions de l’OMD et de l’Union européenne, les Revenue Commissioners irlandais ont nommé, avec l’accord du ministère des Affaires étrangères, un Attaché douanier à part entière au sein de la Représentation permanente de l’Irlande auprès de l’UE, à Bruxelles. L’Irlande compte aujourd’hui deux Attachés à Bruxelles, Eoghan Ryan et Sarah Joyce, ainsi qu’un sous-Attaché, Mark Newman, tous versés dans les questions douanières. Leur présence témoigne de la volonté de l’Irlande d’apporter sa contribution et d’assurer sa collaboration au sein des nombreuses entités où les questions douanières sont débattues et où des décisions sont prises pouvant avoir une incidence sur le commerce mondial et la sécurité de la chaîne logistique.
L’Administration douanière et fiscale irlandaise est également très satisfaite de voir que plusieurs de ses membres ont été recrutés à divers postes au sein de l’OMD, ce qui atteste de son expertise en douane. En effet, au fil des années, un Directeur adjoint et deux Administrateurs techniques ont été engagés au sein de la Direction de la facilitation, un Administrateur technique au service informatique et, plus récemment, un Chef de l’Administration et du Personnel, Ray McDonagh, que tous les Membres de l’OMD connaissent bien.
L’Irlande continue d’appuyer l’OMD et se réjouit de poursuivre sa coopération au plus haut niveau. Le Directeur général des douanes, Gerry Harrahill, explique que « l’Irlande reconnaît et apprécie le rôle important que joue l’OMD, non seulement en vue d’établir des normes visant à régir le commerce international mais aussi parce qu’elle offre à ses Membres de nombreuses occasions de se rencontrer, de collaborer et de partager leurs expériences et parce qu’elle promeut l’objectif de la facilitation des échanges internationaux légitimes et la protection des citoyens et de la société vis-à-vis des produits et substances interdits, dangereux et illégaux. L’Irlande continuera à apporter sa contribution active et constructive aux travaux et au développement de l’OMD dans les années à venir ».
Conclusion
La Douane irlandaise a énormément changé depuis la création de l’Office of the Revenue Commissioners il y a cent ans. Elle a joué un rôle essentiel durant les premiers jours de l’État souverain irlandais, en s’assurant que les fondations économiques du pays nouvellement indépendant soient solides et efficaces, et en permettant la libre circulation des biens légitimes. L’environnement dans lequel la douane déploie ses activités aujourd’hui est plus international dans sa portée et les attributions de la douane n’en sont que plus larges. L’appui de l’OMD, à travers l’accent qu’elle met sur une plus grande efficacité et productivité des administrations douanières et sur la collaboration entre elles, continuera d’être une importante contribution pour l’évolution de la Douane irlandaise, alors qu’elle entame son deuxième centenaire.