Dossier: Gérer les connaissances

S’attaquer aux défis liés à la main-d’œuvre : il est grand temps !

2 mars 2023
Par Tobias Sattler, Directeur exécutif and Claire Monari, Directrice, People & Organisation Consulting, PwC Suisse

Les défis relatifs à la main-d’œuvre auxquels les dirigeants, tous secteurs confondus, sont confrontés partout dans le monde s’accumulent. De récents travaux de recherche empirique menés à travers l’une des plus grandes études sur le marché du travail jamais menées au niveau mondial offrent une image plus détaillée et nuancée de la situation – et proposent des moyens concrets pour y répondre.

Que se passe-t-il sur le lieu de travail ?

Les médias récemment ont beaucoup parlé de la grande démission. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Ce phénomène est-il vraiment en train de se produire ?

La réalité est plus complexe que ce que ne suggèrent les gros titres des journaux. Si de nombreuses entreprises peinent effectivement à trouver les bonnes recrues, l’incertitude sur le marché touche les zones géographiques et les secteurs différemment. Les entreprises de haute technologie, par exemple, licencient leur personnel alors que les secteurs des services professionnels et des biens de consommation ont beaucoup de mal à attirer les talents dont ils ont besoin.

Nous constatons avant tout une pénurie de personnes qualifiées, et ce dans les pays du monde entier, à quoi vient s’ajouter un taux de chômage à la hausse. De nombreuses personnes entre 15 et 24 ans ont des difficultés à acquérir les compétences qui leur sont exigées sur le lieu de travail. Les cadres supérieurs, tant au niveau des institutions publiques, comme les douanes, que dans le monde des affaires, doivent impérativement réfléchir aux effectifs de demain et commencer à développer les talents nécessaires aujourd’hui, au sein de leurs propres rangs.

Il faut également tenir compte d’un autre facteur, à savoir que les salariés ont à présent des attentes croissantes et changeantes. Partout dans le monde, les employés envoient le même message : ils ne veulent plus être pris pour acquis. Leur confiance en soi dans un monde du travail en constant changement s’accroît. Ils appellent leurs employeurs à les écouter, à apprendre et à coopérer avec eux.

 

Ces défis s’étendent au secteur public. Tout comme leurs homologues des autres secteurs, les dirigeants des organisations gouvernementales et des services publics sont confrontés à des problèmes complexes liés à la numérisation, l’automatisation, la diversité de la main-d’œuvre, l’égalité et l’inclusion, la culture et la durabilité. La grande variété de ces pierres d’achoppement potentielles fait qu’il est important de se pencher dans toute organisation tant sur les éléments financiers que sur le capital humain. En même temps, les entités publiques doivent faire face à la pression croissante de leurs effectifs et de l’opinion publique afin qu’elles fassent preuve de cohérence dans l’application pratique de leurs valeurs et qu’elles joignent le geste à la parole s’agissant des questions du personnel.

Dans une perspective d’avenir, les organisations devront comprendre comment développer le plein potentiel de leurs effectifs et comment mieux s’adapter à leurs attentes si elles veulent prospérer. La recherche exhaustive menée dans le cadre de l’étude Workforce Hopes and Fears Survey 2022 de PwC (disponible en anglais uniquement) offre quelques informations précieuses sur la manière de relever le défi.

Stratégies de rétention du personnel : un bon salaire et un travail qui a du sens

Un salaire juste et équitable semble être une condition sine qua non pour retenir un salarié. Mais cela ne suffit pourtant pas selon les personnes qui ont participé à l’étude et qui ont presque toutes cité d’autres facteurs immatériels, comme le sens du travail que l’on fait et sa finalité. L’épanouissement professionnel et la capacité à rester fidèle à soi-même arrivent en deuxième et troisième positions dans le classement des priorités des personnes interrogées qui envisagent de changer d’emploi.

Les cadres et les dirigeants qui sentent que ces éléments entrent en jeu, ou en tout cas qu’ils commencent à compter, doivent prendre les mesures nécessaires pour refaçonner l’expérience de leurs collaborateurs et collaboratrices. Pour faire en sorte que le travail soit gratifiant, les cadres doivent faire montre d’une profonde empathie et doivent être capables de traduire l’objectif global de l’organisation en actions et en comportements spécifiques, de manière à ce que leurs équipes puissent comprendre comment leur travail contribue à cet objectif.

Autonomisation, spécialisation et pénurie

Bien que les organisations investissent de plus en plus dans leur personnel, la pénurie de compétences reste un problème majeur pour beaucoup d’employeurs. Les personnes possédant des compétences et des savoirs spécialisés sont très demandées. Il est donc nécessaire de prévoir des formations plus ciblées pour développer les aptitudes. Par ailleurs, nous constatons que le perfectionnement constitue l’une des mesures les plus fortes pour outiller les personnes. L’étude montre, par exemple, que les personnes qui estiment avoir des compétences rares ou très spécialisées ont davantage confiance en soi et sont également plus satisfaites et plus susceptibles de recommander leur entreprise auprès d’autres personnes.

Dans un tel contexte, les dirigeants d’entreprise ou d’organisation doivent anticiper les besoins. Alors que l’environnement mondial devient de plus en plus incertain, la planification dynamique des effectifs devient de plus en plus importante – et plus difficile – que jamais. Les organisations peuvent accroître leur agilité et leur résilience en envisageant différents scénarios potentiels d’avenir et en tirant les conclusions qui s’imposent concernant leurs effets sur elles-mêmes et leurs collaborateurs et collaboratrices – pour ensuite incorporer ces informations dans leur stratégie de personnel. Pour y arriver, elles peuvent recourir à des analyses qualitatives sur la main-d’œuvre et investir dans la formation. Elles peuvent aussi faire preuve de leadership en encourageant la requalification professionnelle, l’apprentissage continu et le développement des compétences du personnel.

Parallèlement à cela, les responsables RH et les cadres ont la possibilité de réduire l’écart de perception qui peut exister entre eux en travaillant plus étroitement ensemble pour élaborer une stratégie commune du personnel, pleinement intégrée à la stratégie plus globale de l’organisation, en la déployant et en assurant son suivi. Les politiques de mise en place de nouvelles technologies sont plus pérennes lorsqu’elles sont co-créées et déployées en mettant les personnes en leur centre et c’est pourquoi les organisations doivent également se préparer en conséquence et s’équiper de technologies axées sur l’humain. Ce faisant, elles pourront maximiser les effets et la valeur de leurs investissements technologiques en leur propre sein.

Politique et questions sociales

Aujourd’hui, les discussions sur les questions politiques et sociales sont devenues monnaie courante sur le lieu de travail. Peu à peu, il devient possible d’évoquer des sujets politiques et sociaux sensibles au travail, sans qu’ils ne soient la cause de divisions ou de polarisations que les cadres auraient pu redouter auparavant. Au contraire, les conclusions de l’étude Hopes and Fears indiquent que, de l’avis des personnes interrogées et qui entretiennent des discussions sur des thèmes politiques et sociaux, les aspects positifs – une meilleure compréhension entre collègues, un environnement plus ouvert et participatif et une empathie accrue – priment sur les côtés négatifs.

Bien qu’il ne soit pas facile d’encourager les discussions dans le respect des sensibilités de chacun, les cadres supérieurs peuvent créer des espaces qui permettent d’orienter ces discussions dans un sens positif. Ils peuvent également faciliter les avancées dans ce domaine en établissant des normes, en offrant des ressources et en contribuant à faire en sorte que ces discussions se déroulent dans un environnement sûr, où personne ne porte de jugement. Cet environnement doit mettre l’accent sur l’écoute – il ne doit pas s’agir d’arriver à des solutions ou à un consensus – et représente en cela une occasion pour tous d’en sortir grandis, notamment pour les cadres supérieurs qui sont souvent plus à l’aise lorsqu’il s’agit de proposer des solutions à certains problèmes. Le rôle d’un leader dans ce cas n’est pas d’apporter des réponses mais bien d’aider l’organisation à créer un espace sûr pour le personnel et à apporter du sens, de l’humanité et une contribution au niveau social.

Objectifs sociétaux : la transparence avant tout

Les gens veulent que les organisations ou entreprises prennent position et exigent des employeurs qu’ils se projettent au-delà des résultats financiers pour tenir compte plus largement de considérations éthiques, sociales et de gouvernance (ESG), surtout concernant la transparence. Les participants à l’étude ont indiqué que le domaine le plus important en ce sens est l’historique de l’organisation en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Cette préoccupation est certainement liée, en partie, à la pandémie et au besoin de recréer un environnement de travail sous la perspective de la santé publique. Toutefois, l’étude montre aussi que les conséquences économiques, la diversité sur le lieu de travail et les effets sur l’environnement (notamment sur le climat) constituent des priorités presque tout aussi importantes pour les personnes sondées.

Pour rester attrayantes en tant qu’employeurs par rapport à la concurrence, les entités doivent faire preuve de transparence dans la publication de leurs informations et se montrer responsables dans leurs actions ESG. De plus en plus d’organisations et d’entreprises investissent dans des mesures qui ont pour but d’évaluer l’incidence environnementale, économique et sociale de leurs activités et elles font régulièrement rapport des résultats de leurs efforts au personnel, afin de le tenir informé et engagé. Pour faciliter ce processus, les organisations peuvent élaborer des plans d’action spécifiques visant à améliorer et à protéger continuellement la santé et la sécurité des travailleurs, ainsi qu’à garantir la diversité et l’inclusion sur le lieu de travail. À ce niveau, il est fondamental que les organisations adoptent une politique de communication claire concernant leurs promesses et qu’elles montrent concrètement qu’elles passent à l’acte.

Travail hybride : trouver le compromis avec le personnel

Les approches flexibles ont la cote au sein du personnel. La majorité des personnes interrogées croient qu’au cours de l’année prochaine, leur employeur leur offrira des modalités de travail qu’elles apprécient. 62 % des répondants, auxquels la fonction permet de le faire, préfèrent mélanger travail en présence et à distance, tandis que 63 % s’attendent à ce que leur organisation leur propose ce type d’approche au cours des douze prochains mois, contre 72 % dans l’étude de 2021.

Cela dit, il est également crucial de ne pas oublier les personnes qui ne peuvent pas travailler à distance. Les salariés qui n’ont pas la possibilité de travailler depuis chez eux sont également bien moins susceptibles que les autres de trouver leur emploi satisfaisant, de croire que leur équipe se soucie de leur bien-être, de sentir qu’ils sont récompensés financièrement à leur juste valeur ou encore qu’ils peuvent être créatifs dans leur travail. Alors que les organisations revoient leurs stratégies de personnel, elles doivent tenir davantage compte de ces collaborateurs et collaboratrices. De plus, dans le cadre de leur mission plus large de responsabilité sociale, les employeurs doivent réfléchir à la contribution des personnes ne pouvant pas travailler à distance dans les réponses globales apportées à la pandémie. Après tout, toutes ces personnes jouent souvent un rôle incontournable dans la société, en offrant des services qui ne peuvent pas être fournis en mode virtuel.

Investir dans l’expérience des employés – un retour sur investissement

Les responsables RH et les chefs d’entreprise savent qu’il est toujours positif d’améliorer l’expérience des employés, tant pour le personnel que pour les entités en soi. Mais par où commencer ? Comment les organisations peuvent-elles mieux hiérarchiser leurs investissements pour obtenir des résultats meilleurs et plus prévisibles ? Dans toutes les organisations incluses dans l’étude, les investissements consentis dans le bien-être mental et physique des collaborateurs et collaboratrices ont produit les plus hauts retours. La formation et le développement de carrière sont arrivés en deuxième et troisième place, respectivement.

L’élément-clé consiste à affecter les ressources là où elles sont le plus utiles. Avant d’investir d’importants moyens dans l’expérience des employés, il est vital de travailler en étroite collaboration avec les responsables RH pour examiner les forces et les faiblesses du personnel et recueillir ses réactions honnêtes et franches, en vue de prendre des décisions raisonnées sur les investissements à consentir. Pour attirer et retenir les effectifs les plus compétents, il est indispensable de tisser des liens de confiance pérennes entre la haute direction et le personnel. En même temps, les organisations peinent encore à créer et à maintenir une culture d’entreprise qui renforce la confiance à tous les niveaux et qui élimine les difficultés de communication.

Conclusion : Il est temps de prendre des mesures ciblées, dynamiques et éclairées

Alors que le contexte géopolitique mondial ne cesse de changer lui aussi, les entités tant publiques que privées doivent plus que jamais s’adapter en continu et accroître leur réactivité dans le déploiement de leurs ressources et programmes partout dans le monde. Des accords trop modestes ou des mesures trop timorées n’auront pas les effets requis pour susciter à nouveau la confiance et s’attaquer aux plus grands risques auxquels la main-d’œuvre est confrontée aujourd’hui.

Les dirigeants sont le plus susceptibles de réussir s’ils prennent des mesures fortes et rapides pour renforcer la capacité de leur organisation à répondre aux défis urgents d’aujourd’hui et à se préparer au monde du travail de demain. Il est également important de tenir compte des facteurs qui tendent à faire obstacle aux progrès pour pouvoir les surmonter.

Dans notre étude, les cadres supérieurs ont déclaré que les pierres d’achoppement qu’ils rencontrent le plus souvent, s’agissant de changer leur stratégie sur l’avenir du travail, sont la culture d’entreprise, certains facteurs échappant à leur contrôle, comme les contraintes juridiques ou règlementaires, par exemple, et le manque de capacités de la part de la haute direction à outrepasser ces obstacles.

Les dirigeants devront nouer le dialogue avec l’ensemble du personnel, notamment sur le sens du mot confiance. Il s’agira aussi de créer une culture d’entreprise qui favorise la sécurité, la croissance, la productivité et l’ouverture aux changements technologiques. Les facteurs qui échappent au contrôle de la direction doivent être anticipés et, le cas échéant, évalués, afin de tirer le plus grand parti des éléments qui peuvent être maîtrisés et capitalisés.

En savoir +
https://www.pwc.ch/en/services/people-organisation/workforce-of-the-future.html

Au sujet de l'étude

Avec 52 195 employés sondés en ligne dans 44 pays, l’étude Global Workforce Hopes and Fears Survey 2022 de PwC est l’une des plus vastes jamais conduites sur le monde du travail. L’étude couvre l’Europe (18 558 participants), l’Amérique du Nord (7 301), l’Amérique latine (4 694), le Proche et le Moyen-Orient (1 565), l’Asie (15 906), l’Océanie (2 086) et l’Afrique (2 086), et se fonde sur des tailles d’échantillon établies en fonction de la contribution de chaque pays ou territoire au PIB mondial.

La taille d’échantillon moyenne par territoire était de 1 200 personnes interrogées. Globalement, 42 % des répondants étaient de femmes, contre 57 % d’hommes. 46 % des répondants appartenaient à la génération Y (des milléniaux), 30 % à la génération X, 13 % à la génération de baby-boomers et 17 % à la génération Z. Parmi les personnes interrogées, 84 % travaillent à plein temps, 73 % occupent une fonction professionnelle ou administrative, 15 % sont des ouvriers qualifiés, et 12 % des travailleurs manuels semi-qualifiés ou non qualifiés.

Toutes les tailles d’organisation ont été couvertes, depuis les entités n’employant qu’une seule personne à celles de plus de 10 000 salariés.

La couverture au niveau des secteurs représentés était également exhaustive : 26 % des répondants travaillent dans l’industrie manufacturière, 21 % dans le secteur du détail et des biens de consommation, 15 % dans l’administration et le secteur publics, 12 % dans la technologie, les médias et les télécommunications, 10 % dans le secteur de la santé, 9 % dans les services financiers, et 5 % dans le secteur de l’énergie, des services d’utilité publique et des ressources.