Panorama

Contrôler les intrants intervenant dans la fabrication de cigarettes : explication, défis et recommandations

3 mars 2023
Par Toni Männistö et Dr. Juha Hintsa, Cross-border Research Association (CBRA)

Les usines de fabrication de cigarettes ont besoin de diverses matières premières, de produits intermédiaires et d’équipements de production pour pouvoir fonctionner. Le contrôle du commerce de ces intrants devrait donc faire partie intégrante de la stratégie des douanes dans la lutte contre le trafic illicite de cigarettes. Le présent article passe en revue les différents types d’intrants nécessaires à la fabrication de cigarettes et formule quelques suggestions à l’adresse des douanes. Il contient des extraits du rapport Key inputs of illicit cigarette production – A roadmap to controlling critical raw materials, intermediate goods, and manufacturing equipment.

Les intrants essentiels pour la fabrication de cigarettes

Une cigarette est l’aboutissement d’un procédé de fabrication complexe. Si la liste entière des matériaux entrant dans la fabrication d’un paquet de cigarettes varie d’une marque à l’autre, les principaux composants restent toujours les mêmes : mélange de tabac, bâtonnet filtre, papier à rouler, papier de gainage, papier manchette et divers autres matériaux d’emballage. Ces intrants sont clairement visibles si l’on examine une cigarette standard de plus près.

Une analyse plus approfondie nous montre que ces intrants visibles sont eux-mêmes constitués de diverses matières premières et biens intermédiaires qui ne sont pas observables à l’œil nu. Par exemple, le mélange de tabac résulte de la combinaison de variétés de tabac spécialement préparées, de tabac reconstitué, d’enveloppes et d’arômes. Les filtres des cigarettes sont composés de filaments d’acétate de cellulose et de triacétine qui sert de plastifiant.

Outre les intrants matériels, la fabrication de cigarettes exige des machines spécialisées qui demandent une fourniture régulière de matières – bandes, bandelettes et lames spéciales – pour pouvoir fonctionner. Les machines de fabrication de cigarettes requièrent aussi un entretien régulier ainsi que des réparations occasionnelles et ces activités de maintenance dépendent à leur tour de la fourniture fiable de pièces de rechange.

Diagramme 1 – Principaux intrants nécessaires pour la fabrication d’un paquet de cigarettes

 

Quelques intrants essentiels peuvent être remplacés par d’autres matières, et certains peuvent être utilisés pour la fabrication de produits autres que des cigarettes. Les intrants diffèrent aussi au niveau du nombre de fournisseurs qui les fabriquent et de la facilité avec laquelle on peut les reconnaître en se référant à leur dénomination commerciale et à leur code du Système harmonisé (SH) de l’OMD[1]. Les contrôles douaniers pourraient se concentrer en conséquence sur les intrants qui ne peuvent pas être remplacés par d’autres matières, qui entrent exclusivement dans la fabrication de cigarettes, qui ne sont fabriqués que par quelques fournisseurs et qui sont facilement identifiables moyennant leur code du SH.

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Le lien entre le commerce illicite de cigarettes et les intrants essentiels pour la fabrication de cigarettes

L’accès incontrôlé aux intrants essentiels pour la fabrication de cigarettes alimente différentes filières du commerce illicite, que ce soient celles des cigarettes authentiques ou de contrefaçon, ou encore des « illicit whites ». Pourtant, lorsqu’il s’agit d’étendre les contrôles douaniers pour couvrir le commerce d’intrants essentiels pour leur fabrication, un problème se pose : tous les intrants sont légitimes et sont très largement commercialisés. Une solution pourrait donc être de se concentrer sur les fournisseurs de matériaux et de définir des profils de risque les concernant.

Parfois, la nature illégale des activités d’un fournisseur apparaît de manière évidente. Un fournisseur qui fabrique des matières portant une marque – en particulier les emballages et les papiers à cigarettes – sans l’autorisation du titulaire de la marque est forcément conscient du fait qu’il est en train de commettre une infraction. Un fournisseur peut également enfreindre la loi s’il ne dispose pas des licences commerciales exigées (par exemple, s’il cultive du tabac sans licence, ce qui constitue une infraction dans de nombreux pays).

Les activités des fournisseurs pourraient toutefois entrer dans une zone grise, où les pratiques commerciales sont certes douteuses mais ne sont pas complètement illégales. Un exemple d’activité à la limite de l’illégalité est celle d’un fournisseur qui vend des matières à une usine qui fabrique probablement des contrefaçons.

Le cas des illicit whites est encore plus difficile à évaluer. Un producteur d’illicit whites peut très bien être considéré comme un opérateur légitime dans son pays d’activité. Ce fabricant peut tout à la fois posséder les licences adéquates, respecter le droit local et fabriquer des cigarettes qui sont ensuite passées en contrebande à l’étranger. En tant qu’entreprise légitime de fait, le fabricant d’illicit whites ne rencontre habituellement aucun problème pour s’équiper auprès de fournisseurs de matériaux. En fin de compte, les fournisseurs ne peuvent techniquement pas être tenus responsables du fait que l’usine du client ou encore le distributeur final choisisse de s’engager dans des activités illicites plus en aval dans la chaîne de valeur.

La situation est encore plus complexe s’agissant des cigarettes de marque authentiques mais sous-déclarées. Un fournisseur de matériaux peut savoir que son client s’adonne à des activités de fabrication au noir et non autorisées… mais il peut tout aussi bien ne pas le savoir. De nombreuses questions peuvent se poser, à ce titre. Peut-on attendre du fournisseur qu’il exerce activement un devoir de vigilance et qu’il contrôle chaque client et chaque transaction ? Comment mettre en place un processus de diligence raisonnable rigoureux qui exonère le fournisseur de toute responsabilité au cas où l’usine cliente choisit de mener des activités de fabrication illicites ?

Que peuvent faire les douanes ?

Pour lutter contre le commerce illicite associé à la fabrication de cigarettes, les douaniers doivent évidemment vérifier si les clients des fournisseurs de matériels possèdent les permis adéquats et analyser les données en lien avec le commerce de ces produits. La plupart des intrants sont reconnaissables à leur nom commercial et leur code spécifique de désignation dans le SH. Cette vérification devrait donc figurer parmi les tâches routinières fondamentales qu’entreprend tout douanier.

Mais les douanes peuvent en faire davantage. Voici quelques suggestions :

  • Faire du contrôle de ces produits une priorité: des efforts de sensibilisation sont nécessaires pour faire en sorte que le contrôle du commerce des intrants soit un point à l’ordre du jour des programmes de lutte contre la fraude douanière.
  • Perfectionner les compétences des douaniers: il est important de former les douaniers à l’identification des intrants intervenant dans la fabrication de cigarettes lors des vérifications, surtout parce que tous les intrants ne sont pas faciles à reconnaître sur la base de leurs caractéristiques matérielles. Les douaniers devraient également connaître les itinéraires, ou encore les moyens cachés et les techniques de fraude les plus couramment utilisés pour la contrebande de ces produits.
  • Utiliser les technologies de détection : en investissant dans les technologies de détection et en recourant aux chiens renifleurs, les douaniers pourront plus facilement détecter les envois d’intrants non déclarés ou faussement déclarés, en particulier les feuilles de tabac passées clandestinement. Il est souvent nécessaire de recourir à des analyses de laboratoire pour repérer les matériaux d’emballage falsifiés.
  • S’assurer que les intrants essentiels soient bien assortis d’un code spécifique dans le SH : des codes du SH précis sont une condition sine qua non pour le suivi des flux commerciaux internationaux concernant les intrants clés pour la fabrication de cigarettes. Grâce à des données commerciales fiables, il est facile de vérifier si un pays et une entreprise importent un intrant donné dans des volumes qui dépassent la demande légitime pour ce produit. Des données commerciales de qualité peuvent également permettre de déterminer l’origine des matières qui finissent dans des usines illicites de cigarettes. Le fait que tous les intrants essentiels ne disposent pas d’un code du SH spécifique aujourd’hui représente un véritable écueil. Les bâtonnets filtres, par exemple, sont normalement déclarés sous le code du SH 5601.22, en tant que « ouates de fibres synthétiques ou artificielles et articles en ces ouates », ce qui englobe de nombreux autres produits en fibres, comme les pansements et les produits en pâte de cellulose.
  • Assigner davantage de ressources aux contrôles et aux enquêtes : le manque d’application de la législation prive les services répressifs d’informations précieuses qui pourraient les aider à démasquer les complices, à démanteler les réseaux de trafiquants et à confisquer les avoirs d’origine criminelle.
  • Participer à des opérations internationales de répression de la fraude avec les forces de police et partager les données au niveau international.

Le rapport intitulé Key inputs of illicit cigarette production – A roadmap to controlling critical raw materials, intermediate goods, and manufacturing equipment peut être consulté sur le site ResearchGate.net. Vous pouvez également contacter les auteurs pour en recevoir une copie. Cette étude a été financée par PMI IMPACT, une initiative de Philip Morris International, dans le cadre du projet Precursors of Illicit Cigarette Trade (PRECISE).

En savoir +
toni@cross-border.org

[1] Structure hiérarchisée taxonomique, le Système harmonisé (SH) de l’OMD crée un système ordonné pour la classification des marchandises à travers des codes à six chiffres, où les classes plus générales d’articles contiennent des sous-classes plus spécifiques. Les 156 Parties contractantes à la Convention sur le SH utilisent ce Système comme fondement de leur tarif douanier national et une dizaine d’autres pays y recourent même s’ils ne sont pas signataires de la Convention.