Dossier: Gérer les connaissances

Gestion des connaissances : quelques pratiques intéressantes des agents en douane

2 mars 2023
Par Enrika Naujokė, directrice de l’Association des praticiens douaniers lituaniens

Les agents en douane et les administrations douanières sont confrontés à des problèmes semblables s’agissant de rassembler et de partager les connaissances. Le présent article met en lumière quelques-unes des pratiques dans ce domaine auxquelles recourent les agents en douane basés en Lituanie.

Gérer les connaissances dans la chaîne logistique et le rôle des agents en douane

Pour garantir le mouvement fluide des marchandises à travers les frontières, les professionnels de la douane doivent comprendre les caractéristiques spécifiques des chaînes logistiques qu’ils gèrent et les nombreuses parties prenantes qui y déploient leurs activités, être au courant des évolutions intervenant dans le paysage commercial et maintenir un haut niveau de connaissances des réglementations douanières et commerciales dans les pays et régions qu’ils couvrent.

À ce titre, ils sont confrontés à de nombreux problèmes. La chaîne logistique internationale est un environnement complexe pour la gestion des connaissances dans la mesure où elle réunit plusieurs entités privées et publiques entre lesquelles il n’existe aucun lien de propriété ou de hiérarchie[1], qui poursuivent des politiques et des missions parfois opposées et qui disposent de ressources différentes. Il s’agit aussi d’un environnement variable, où les règlementations et procédures changent souvent et où apparaissent régulièrement de nouvelles dispositions – notamment un nombre croissant de règles non douanières.

Dans un tel contexte, on comprend aisément pourquoi les entreprises confient souvent leurs formalités douanières et commerciales à des agents en douane. Dans de nombreux pays, ces derniers jouent un rôle déterminant en tant qu’intermédiaires entre la douane et les entreprises ; par exemple, plus de 80 % des déclarations à l’importation et à l’exportation en Lituanie et en Bulgarie sont déposées par des agents en douane[2]. Le rôle de l’agent en douane est pluriel. Comme l’explique le Rapport d’étude de l’OMD sur les agents en douane[3], « il existe un large éventail de modèles relatifs au recours aux agents en douane. Les activités réalisées par ces derniers varient également, allant de la préparation des documents relatifs à la mainlevée et au dédouanement, à l’offre de service durant un contrôle a posteriori ou de conseils en vue de satisfaire différentes prescriptions réglementaires, ou encore à la représentation de clients en cas de litige. »

Quid des conditions d’entrée ?

Si les agents en douane arrivent à se frayer un chemin dans les méandres du commerce international, c’est en partie grâce aux systèmes informatiques mais la capacité de ces derniers à résoudre les problèmes reste limitée dans la mesure où elle dépend, au final, des compétences des personnes qui les exploitent. Comme dans d’autres professions, l’atout le plus stratégique pour un agent en douane n’est pas l’information mais bien la connaissance.

Si le rôle d’un agent en douane est si exigeant et que les enjeux (en matière de conformité) soient si grands, on peut se demander pourquoi la profession dans la plupart des pays est autorégulée. Selon une enquête menée sur LinkedIn, la grande majorité (89 %) des 97 individus sondés estiment que les agents en douane devraient être soumis à un régime de licence qui devrait inclure un système de test ou d’examen pour vérifier ou tester leurs connaissances concernant la législation douanière et les règlementations connexes.

Le rapport d’étude de l’OMD indique que quelques pays, dont certains ne prévoient pas de système d’examen, recourent à d’autres moyens pour vérifier les connaissances douanières des agents en douane. « Parmi ces autres moyens […] figurent faire passer un entretien (en Australie et en République démocratique du Congo), achever un « programme d’étude approuvé » (Australie) ou un programme d’études en douane (Fidji), suivre un cours de formation spécifique (Malte), exiger d’avoir cinq années d’expérience professionnelle en matière douanière (Mexique) et effectuer une « évaluation de l’aptitude et de l’honorabilité de l’intéressé » reposant sur l’éducation, l’expérience professionnelle et les connaissances du secteur (Seychelles). » Il convient de noter que, dans de nombreux pays où l’activité de l’agent en douane n’est pas soumis à un système de licence, l’obtention d’un agrément au titre d’un programme de conformité (par exemple, un statut semblable à celui d’opérateur économique agréé (OEA) de type « simplifications douanières »), constitue la seule preuve formelle de la qualification professionnelle.

Même lorsqu’il existe des conditions d’entrée à la profession ou un autre système d’évaluation ou de vérification des connaissances, ces derniers peuvent ne pas suffire ou manquer de pertinence, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, pour comprendre quel est le niveau de connaissances validé par un examen, il faut se pencher sur ce qu’implique la préparation à ce même examen. La situation varie grandement d’un pays à l’autre. En Lituanie, par exemple, les cours de formation proposés aux personnes qui ne possèdent aucune connaissance douanière préalable s’étendent sur deux à trois semaines. Il est évident que, si un apprenant peut acquérir en si peu de temps des connaissances de base sur la façon de remplir une déclaration en douane, il sera loin d’être un professionnel en matière de douane.

Par ailleurs, le fait d’être titulaire d’une licence d’agent en douane ne signifie pas forcément que l’on possède des connaissances actualisées. En Lituanie, une fois l’examen d’agent en douane réussi, il n’existe aucune condition formelle concernant la réévaluation régulière des connaissances ni aucune obligation de suivre des cours de perfectionnement professionnel continu.

Enfin, les régimes de certification, comme les programmes d’OEA de type « simplifications douanières » ou encore d’opérateur de confiance, exigent généralement du candidat qu’il apporte les preuves de ses « compétences professionnelles » mais, souvent, la notion ne fait pas l’objet d’une définition claire. L’UE, par exemple, impose cette condition mais le Code des douanes de l’Union ne fournit pas énormément d’explications sur le sens qu’il faut donner à ce concept. En Lituanie, la licence d’agent en douane représente en soi la preuve des « compétences professionnelles », de sorte qu’il suffit de terminer la formation de deux ou trois semaines et de réussir l’examen.

Dans les milieux professionnels, plusieurs propositions circulent à ce sujet, dont deux présentent un intérêt particulier :

  • la création de la profession agréée de « consultant douanier »[4] ;
  • la mise sur pied d’un régime spécial d’agrément pour les représentants en douane axé sur les simplifications douanières qui permettrait d’évaluer les connaissances des candidats concernant les questions douanières et commerciales.

Pratiques intéressantes de gestion des connaissances

Heureusement, de nombreux agents en douane ont adopté des procédures et des pratiques qui leur permettent d’approfondir et de partager leurs connaissances. La Lithuania Customs Practitioners Association (LCPA ou Association lituanienne des praticiens de la douane) rassemble des opérateurs allant de très petites entreprises (jusqu’à 10 salariés), dont l’activité principale est le courtage en douane, à de très grandes sociétés se consacrant principalement à la logistique. Nous les avons interrogés sur certains aspects de la gestion des connaissances, notamment sur le recrutement et l’accueil des nouvelles recrues, les meilleures pratiques concernant le partage de connaissances, l’évaluation des progrès du personnel et les résultats. Nous leur avons également demandé de nous donner leur avis sur ce que la LCPA offre à ses membres. Nous présentons ci-dessous un bref récapitulatif des réponses fournies.

Accueillir les nouvelles recrues : parrainage, formation et possibilités d’apprentissage

Les entreprises consultées ont attiré notre attention sur le manque de spécialistes qualifiés et compétents sur le marché. Elles préfèrent dès lors chercher parmi leurs effectifs les salariés qui ont le bon profil et les inviter à rejoindre l’équipe des agents en douane. Pour ce qui a trait à l’accueil et à l’intégration des nouveaux collègues, toutes les sociétés interrogées ont indiqué qu’elles ont mis en place un système de « parrains » pour assurer la transmission informelle des connaissances, de la culture et des valeurs de l’entreprise. Toutes affectent des collègues expérimentés à la prise en charge des nouveaux venus et certaines ont même élaboré des matériels de formation. Les participants à l’enquête ont souligné à quel point il est important que les nouveaux agents en douane comprennent non seulement leur propre domaine de travail mais aussi les activités des autres départements de la société, dont la tâche aura une incidence sur leur propre fonction de courtage.

Les entreprises interrogées ont évoqué plusieurs problèmes. Les jeunes tendent à changer d’emploi, voire de secteur professionnel, assez fréquemment et, pour éveiller leur curiosité et susciter leur intérêt pour ce qu’ils font, certaines entreprises leur offrent la possibilité d’entreprendre des activités, comme participer à des groupes de travail, organiser des événements ou créer des bulletins d’information. Le travail à distance pose aussi problème dans la mesure où il ne permet pas de créer un véritable esprit d’équipe. Certains répondants ont souligné qu’il est important de mettre en place un environnement de travail agréable et positif, où les collègues échangent activement leurs connaissances et expériences.

Séances de remue-méninges, études de cas et réunions d’équipe

De l’avis des entreprises interrogées, la façon la plus efficace d’apprendre consiste à « se remuer les méninges » en analysant ensemble des solutions pratiques – en discutant du problème rencontré, des risques qu’il présente et des effets d’une non-conformité sur toutes les parties prenantes. Il s’agit ensuite de retranscrire le contenu de ces discussions et de le téléverser dans le système de gestion des connaissances (qu’un répondant appelle « outil de saisie d’expérience ») afin que tous les salariés puissent avoir accès à ces informations, en cas de besoin.

Plusieurs entreprises participantes ont également mis l’accent sur le fait qu’il est important d’organiser régulièrement des réunions pour échanger les expériences et connaissances nouvellement acquises. L’une d’elles nous a expliqué qu’elle organise des réunions mensuelles qui suivent toujours le même ordre du jour. Les réunions commencent par un tour d’horizon des récents changements intervenus au niveau juridique, suivi d’une discussion sur les erreurs éventuellement identifiées ou sur les domaines qui mériteraient des améliorations et qui ont été répertoriés durant l’audit interne. Ensuite viennent les exposés par un ou deux collègues sur des sujets précis (tous les employés doivent présenter au moins un exposé par an). Enfin, les participants partagent ce qu’ils ont appris entre les réunions, en travaillant sur le cas d’un client particulier ou au cours de leur lecture des journaux spécialisés.

Il est aussi particulièrement intéressant de partager avec les collègues les connaissances acquises lorsqu’on a participé à un séminaire ou à un événement. L’idée est de faire en sorte que le partage d’informations entre collègues devienne une habitude.

Revoir le travail et organiser des enquêtes

Pour mesurer les effets des politiques de gestion des savoirs, il est utile de se pencher sur la qualité du travail des employés, en particulier lorsque les tâches à exécuter exigent un haut niveau de connaissances. À cet égard, certaines entreprises passent en revue les déclarations en douane et les analysent pour détecter les erreurs éventuelles. L’un des répondants a expliqué que son entreprise a mis au point un questionnaire pour déterminer comment les employés perçoivent le partage du savoir en interne et quelles sont les connaissances qu’ils aimeraient approfondir.

Rejoindre une association professionnelle d’agents en douane

Les petites entreprises qui n’ont pas mis en place de processus formalisé de gestion des connaissances ont indiqué qu’elles délèguent une grande partie de cette tâche à leur association d’agents en douane. La LCPA organise des conférences, des webinaires et des formations ; elle publie également le Customs Compliance & Risk Journal. Elle s’assure que ses membres aient accès aux informations en temps opportun et leur donne la possibilité d’approfondir leurs connaissances sur des sujets complexes en travaillant avec des experts émanant d’entités publiques et privées. En favorisant les échanges entre agents en douane et représentants des douanes et d’autres institutions concernées, la LCPA veut également aider les parties prenantes du commerce à mieux comprendre les points de vue et les défis des uns et des autres. L’Association gère aussi activement un forum sur son site Web qui permet aux membres de partager leurs solutions sur toutes les problématiques qu’ils veulent soulever.

En savoir +
www.lcpa.lt/en

[1] Sartori, Jeanfrank (2021). Gestion des connaissances organisationnelles dans le contexte de la chaîne d’approvisionnement 4.0 : une revue systématique de la littérature et une proposition de modèle conceptuel. https://fr.jeanfranksartori.com/km-in-sc40

[2] Dr Momchil Antov (2021). ‘The role and importance of customs representation in Bulgaria’, Customs Compliance & Risk Management journal. https://www.customsclearance.net/en/articles/the-role-and-importance-of-customs-representation-in-bulgaria

[3] https://mag.wcoomd.org/fr/magazine/omd-actualites-81/agents-en-douane-apercu-des-conclusions-de-letude-de-lomd/

[4] Michael Tomuscheit, co-auteur de l’article ‘Customs broker’s profession: views and news’, Customs Compliance & Risk Management journal, 2022. https://www.customsclearance.net/en/articles/customs-brokers-profession-views-and-news