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Opération Arena Blanca : les douanes de la région des Amériques et des Caraïbes se mobilisent pour combattre la fabrication d’EEI

17 octobre 2023
Par l’équipe du Programme Global Shield, Secrétariat de l’OMD

La menace d’une attaque à l’aide d’un engin explosif improvisé (EEI) est un problème mondial. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un phénomène récent, l’utilisation des EEI dans les guerres modernes et par les groupes terroristes a connu une croissance exponentielle au cours du 21e siècle. Si les EEI sont si répandus, c’est en partie parce qu’ils sont bon marché et relativement faciles à fabriquer. Ils peuvent être fabriqués à partir d’une série de matériaux, y compris des produits chimiques disponibles dans le commerce tels que le nitrate d’ammonium et le chlorate de potassium – deux produits chimiques utilisés dans la production d’engrais. La plupart des attentats perpétrés à l’aide d’EEI ont une composante transfrontalière, ce qui signifie que certains des matériaux utilisés pour fabriquer ces engins proviennent de l’extérieur du pays dans lequel l’attaque a eu lieu.

Pour aider les douanes à identifier et à endiguer le détournement de ces produits chimiques, l’OMD a mis en place le Programme Global Shield (PGS). L’une des activités menées dans le cadre de ce programme consiste à organiser des opérations de contrôle coup de poing. Ces opérations permettent de faire le point sur la capacité d’une administration douanière à conduire des contrôles efficaces et à collaborer avec ses homologues à cette fin. Ces opérations permettent également aux administrations de tirer des enseignements de leurs stratégies respectives et de partager des informations telles que les modes opératoires. Cet article présente le PGS ainsi que les résultats de l’opération menée il y a quelques mois avec les pays de la région des Amériques et des Caraïbes afin d’établir des contrôles plus stricts sur les matériaux et les composants utilisés pour la fabrication d’EEI.

Programme Global Shield

Lancé en 2010, le PGS est une initiative visant à renforcer les capacités des douanes afin de leur permettre de surveiller les mouvements licites de produits chimiques utilisés comme précurseurs d’explosifs et d’autres composants entrant dans la fabrication des EEI, tout en luttant contre les mouvements illicites et le détournement de ces mêmes produits.

L’équipe chargée du Programme au sein du Secrétariat de l’OMD apporte un appui aux administrations des douanes en entreprenant une évaluation de leurs capacités de contrôle. Elle promeut aussi la coopération entre la douane et la police, maintient un dialogue continu avec le secteur privé, forme les douaniers à la détection et à la manipulation des précurseurs chimiques, partage des informations sur la composition et les méthodes de fabrication des EEI saisis, facilite les enquêtes et organise des opérations « coup de poing ». À cet effet, elle travaille en partenariat avec INTERPOL et avec l’agence de réduction des menaces pour la défense des États-Unis, ainsi qu’avec de nombreux autres experts des douanes et des services répressifs.

Le PGS se donne aussi pour objectif d’accroître l’échange d’informations entre les administrations des douanes et le Secrétariat de l’OMD afin de permettre une analyse exhaustive des commerces licite et illicite des produits ciblés. Pour contribuer à atteindre cet objectif, les administrations ont été invitées à nommer un point de contact national (PCN) travaillant spécialement pour le PGS.

Enfin, les administrations sont encouragées à prendre contact avec les acteurs privés de l’industrie chimique afin de les sensibiliser aux doubles usages potentiels des précurseurs chimiques qu’ils fabriquent, distribuent ou vendent au détail.

Menaces posées par les EEI dans la région des Amériques et des Caraïbes

Entre février 2022 et janvier 2023, 138 attaques à l’aide d’EEI ont été signalées dans la région, faisant 47 morts. Elles ont été perpétrées par divers groupes.

En Colombie, le 2 septembre 2022, sept policiers ont été tués lors d’une attaque menée par des membres de la Colonne mobile Dagoberto Ramos, un groupe dissident des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) démobilisées. Les auteurs de l’attaque ont tendu une embuscade à l’unité de police en ouvrant le feu sur elle après avoir fait exploser un engin.

Au Venezuela, le 6 novembre 2022, des membres du Corps des services d’enquêtes scientifiques, pénales et criminelles (CICPC) de la police nationale ont affronté des membres du gang El Zorrito dans la ville de Barcelone. Trois suspects ont été tués dans la fusillade, dont le chef du gang. L’un d’eux avait menacé d’utiliser un engin explosif contre les agents avant d’être abattu.

Au Mexique, le 4 janvier 2023, un affrontement a eu lieu entre des individus armés et les forces militaires dans la ville de Guaymas. Les individus armés ont lancé un engin explosif sur les officiers. Quatre militaires ont été blessés.

Opération Arena Blanca

Pour aider les pays de la région à réduire le détournement illégal de précurseurs chimiques et autres composants d’EEI, le Secrétariat de l’OMD a organisé deux ateliers en octobre et novembre 2022, a effectué une analyse de la menace que représentent les EEI dans la région, et a coordonné une opération de deux semaines appelée Opération Arena Blanca.

Treize précurseurs chimiques (voir tableau 1), considérés par les experts de ce secteur comme représentant la plus grande menace en termes d’utilisation dans les EEI, ont été au centre de ces diverses activités, de même que les détonateurs et les dispositifs de transmission, un métal (l’aluminium) et les drones commerciaux (sous-position 8525.80 du SH). Sous formes de poudre, de paillettes ou de pâte, l’aluminium peut amplifier l’explosivité des EEI, tandis que les drones disponibles dans le commerce peuvent être utilisés soit pour la livraison des EEI, soit comme engins explosifs en soi, prêts à détoner une fois qu’ils sont pris en main ou examinés.

Précurseurs chimiques visés Numéro CAS Code SH
Nitrate d’ammonium 6484-52-2 3102.30
Nitrométhane 75-52-5 2904.20
Nitrate de sodium 7631-99-4 3102.50
Nitrate de potassium 7757-79-1 2834.21
Chlorate de sodium 7775-09-9 2829.11
Chlorate de potassium 3811-04-9 2829.19
Perchlorate de potassium 7778-74-7 2829.90
Acétone 67-64-1, 7217-25-6 2914.11
Peroxyde d’hydrogène 7722-84-1 2847.00
Nitrate d’ammonium et de calcium double sel 15245-12-2 3102.60
Nitrate de calcium et d’ammonium 15245-12-2 3102.90
Acide nitrique 7697-37-2/43625-06-5/13587-52-5 2808.00
Urée 57-13-6 3102.10

 

En coopération avec l’agence de réduction des menaces pour la défense des États-Unis et le Bureau régional de liaison chargé du renseignement pour l’Amérique centrale, l’équipe PGS du Secrétariat de l’OMD a procédé à une évaluation des menaces régionales et nationales, en analysant les schémas commerciaux, les systèmes de transport, les activités commerciales et industrielles, les niveaux de développement, les zones d’instabilité et la présence d’organisations violentes dans certains pays.

En accord avec les Directives sur la mise en œuvre des opérations de l’OMD au niveau national, les administrations participantes ont été invitées à mener des analyses du commerce légal et de la menace, à rédiger des plans de mise en œuvre nationaux et des profils de risque, à choisir les autres services gouvernementaux devant se joindre à l’opération (police, autorités émettrices de licences ou de permis), à mener des formations, à établir, dans la mesure du possible, des unités de contrôle mixtes à des postes frontières choisis, et à créer un centre de contact national composé de représentants de toutes les agences partenaires.

Durant la phase opérationnelle, il a été demandé aux administrations des douanes et aux services partenaires de renforcer les contrôles pour toutes les opérations légales transfrontalières (importations, transits, exportations) impliquant les marchandises visées, et à travailler sur leurs capacités de ciblage en vue de détecter les tentatives de contrebande. Il leur a aussi été demandé de mener des contrôles sur les utilisateurs finaux pour s’assurer de l’utilisation légale des matériaux visés et de faire rapport de tout mouvement suspect ou de toute utilisation douteuse afin de permettre l’ouverture d’enquêtes en aval. Les renseignements tirés de ces contrôles, qu’ils aient abouti à des saisies ou non, devaient ensuite être notifiés via le CENcomm, la plateforme de communication opérationnelle sécurisée de l’OMD.

Directives sur la mise en œuvre des opérations de l’OMD au niveau national

Ces directives énumèrent les étapes fondamentales que les administrations douanières devraient suivre lorsqu’elles :

  1. a) envisagent de participer à une opération de lutte contre la fraude de l’OMD,
  2. b) s’y préparent,
  3. c) mettent en œuvre les diverses activités demandées à tous les participants, et
  4. d) évaluent les résultats et les actions de suivi.

Elles comprennent, entre autres, une description détaillée du plan opérationnel national que chaque participant est censé développer.

Résultats

Vingt-quatre administrations des Amériques et des Caraïbes ont pris part à l’Opération Arena Blanca et 1 788 envois licites ont été notifiés durant la phase opérationnelle. Parmi toutes les marchandises ciblées dans le cadre de l’opération, le produit le plus échangé a été l’urée, tant au niveau des importations que des exportations, suivie du nitrate d’ammonium et du peroxyde d’hydrogène. Le Mexique a importé le plus grand nombre de produits chimiques et de composants visés, suivi par le Guatemala et le Costa Rica. Le Brésil a exporté les plus gros volumes de produits chimiques et de composants visés, suivi du Honduras.

Les produits ciblés suivants ont été saisis durant l’opération :

  • 830 kg de précurseurs chimiques, dont 800 kg de nitrate de potassium non déclarés saisis au port maritime de Balboa par la Douane du Panama. L’envoi était dissimulé dans un conteneur transportant du nitrate d’ammonium. La Douane a procédé à un contrôle sur la base de ses profils de risque.

  • 20 000 détonateurs ont été découverts par la Douane équatorienne lors d’un contrôle de routine dans le bagage d’un passager péruvien voyageant dans un autocar équatorien. L’enquête est toujours en cours, mais il convient de noter que les détonateurs font régulièrement l’objet de contrebande vers l’Équateur pour servir à l’exploitation minière illégale.

Quelques administrations ont fait rapport de saisies d’autres marchandises illicites, notamment :

  • 14 969 kg de méthamphétamine mélangée à de la tequila, découverts dans un lot qui devait être exporté du Mexique vers les Pays-Bas.
  • 11 892 comprimés de MDMA-ecstasy, découverts dans les bagages d’un passager arrivé au Paraguay en provenance du Panama.
  • 236 pistolets à air comprimé dissimulés dans des meubles importés par conteneur au Guatemala en provenance des États-Unis.
  • 300 munitions à un poste frontière terrestre mexicain, découvertes dans un camion en provenance des États-Unis.
  • 1 060 000 cigarillos dans un port du Panama, découverts dans un conteneur en provenance du Viêt Nam.
  • 6 695 000 pièces de marchandises soupçonnées de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle, découvertes dans un lot importé en Équateur depuis le Panama.
  • 5 650 kg de bouteilles d’eau minérale non déclarées importées de France au Costa Rica.

Lacunes identifiées et recommandations pour les douanes

C’est la première fois que le Secrétariat de l’OMD travaille de concert avec les administrations des douanes de la région des Amériques et des Caraïbes sur les précurseurs et autres composants d’EEI, et il a pu ainsi établir un inventaire des besoins en matière de renforcement des capacités et identifier des possibilités d’amélioration.

Des régimes de licences couvrant tous les produits chimiques précurseurs visés

La lutte contre le détournement de précurseurs chimiques et d’autres composants d’EEI nécessite la mise en place de procédures complètes d’octroi de licences ( notamment de certificats attestant que l’acheteur est bien l’utilisateur final des produits) ainsi que d’audits post-dédouanement pour les entreprises titulaires d’une licence. Seuls quelques pays de la région des Amériques et des Caraïbes ont mis en place de tels systèmes pour tous les précurseurs chimiques couverts par l’opération, alors qu’ils sont essentiels pour améliorer les capacités d’évaluation des risques et d’établissement de profils.

Davantage de données sur la circulation licite des marchandises concernées

Les administrations douanières ont été invitées à soumettre des données sur les marchandises concernées avant l’opération, mais certaines d’entre elles ont rencontré des difficultés pour obtenir les informations demandées. Ces données sont essentielles pour mieux comprendre les mouvements et l’utilisation finale des produits ciblés, et améliorer l’efficacité des contrôles. Les points de contact nationaux PGS devraient envisager de travailler en étroite collaboration avec leurs services statistiques ou informatiques nationaux afin de garantir la soumission des données sur une base mensuelle.

Procéder à des évaluations approfondies des risques

L’évaluation des risques et l’établissement de profils afin d’éviter le détournement de produits légaux exigent beaucoup d’efforts. Il s’agit de conduire des contrôles complets sur les licences attribuées, de réaliserdes audits post-dédouanement, et d’échanger des informations avec d’autres agences compétentes.

Collaborer avec l’industrie chimique et les utilisateurs finaux

Les administrations douanières sont encouragées à prendre contact avec les acteurs privés de l’industrie chimique afin de les sensibiliser au caractère à double usage des précurseurs chimiques qu’ils fabriquent, distribuent ou vendent au détail. Elles devraient également collaborer avec les utilisateurs finaux légitimes, tels que l’industrie minière, et veiller à ce que celle-ci sécurise ses stocks afin d’éviter que ses produits ne tombent entre de mauvaises mains.

Renforcer la coopération entre les douanes et la police

Seules quelques administrations ont confirmé qu’elles avaient pris contact avec leur police nationale et aucune information ni aucun renseignement n’a été fourni par les services de police au cours de l’opération. Il conviendrait de réfléchir à la participation de représentants de la police aux futurs ateliers de l’OMD.

Renforcer la capacité d’établissement de rapports

Bien qu’une formation à l’utilisation de la plateforme de communication CENcomm ait été dispensée et que des formulaires aient été élaborés pour réduire la charge de travail liée à la saisie des données, certaines administrations ont éprouvé des difficultés à partager des informations via la plateforme. Étant donné qu’elles doivent continuer à faire un compte-rendu de leurs saisies via le CENcomm, elles devraient s’assurer que les procédures de notification soient effectivement suivies.

Perspectives

Sous réserve de la disponibilité des fonds, un certain nombre d’activités pourraient être menées par l’équipe du PGS pour continuer à soutenir les pays de la région des Amériques et des Caraïbes. Les capacités de formation des douanes pourraient être renforcées en accréditant des experts et des formateurs de la région. L’équipe PGS pourrait également aider à modifier les réglementations en vigueur et à mettre en œuvre des procédures d’agrément complètes, telles que celles suivies par les États-Unis et l’Union européenne. Enfin, l’équipe pourrait contribuer à l’élaboration de programmes de sensibilisation de l’industrie.

En savoir +
enforcement@wcoomd.org
https://www.wcoomd.org/fr/topics/enforcement-and-compliance/activities-and-programmes/security-programme/programme-global-shield.aspx