Point de vue

Exploiter l’IA à des fins de classement douanier

18 octobre 2023
Par Thibo Clicteur et Dries Bertrand

L’efficacité des outils d’aide au classement tarifaire fait l’objet de nombreuses discussions. Dans le présent article, nous soutenons qu’un outil basé sur l’IA, s’il est bien conçu et correctement utilisé, peut devenir un précieux allié pour les experts en classement, leur permettant de concentrer leur attention sur les produits inhabituels et difficiles à classer.

Depuis les premiers jours de l’histoire de l’informatique, les scientifiques se sont efforcés de rendre les machines aussi intelligentes que les humains, en développant ce que l’on a appelé en 1956 des capacités d’intelligence artificielle (IA). Les systèmes d’IA « grand public » utilisés aujourd’hui sont en fait des systèmes d’IA réactive, qui n’ont ni la capacité de se créer des souvenirs ni d’utiliser des expériences passées pour étayer les décisions actuelles, et des systèmes à mémoire limitée, qui peuvent utiliser les informations du passé pour améliorer leurs réponses.

En 1997, une étape importante a été franchie pour l’IA, lorsque le superordinateur Deep Blue a battu le meilleur joueur d’échecs au monde, attestant ainsi ses nombreuses possibilités. De la voiture autonome en 2005 au système de réponse Siri en 2011 ou à l’introduction du ChatGPT en 2022, la technologie de l’IA s’est invitée dans de nombreuses sphères de notre société et ne cesse de se développer pour atteindre de nouveaux sommets.

L’essor de l’IA a également eu un effet profond sur le commerce international et la croissance économique. Le monde des affaires commence à cerner sous un éclairage nouveau ce que signifie faire confiance aux machines, reconnaissant que, ce qui comptera à l’avenir, c’est de savoir qui sera capable d’utiliser l’IA le plus efficacement. Ce point représente une étape essentielle dans la mise en œuvre des outils d’IA et de la législation qui l’accompagne.

Les entreprises qui utilisent l’IA de manière intensive dans le cadre de leurs activités sont plus performantes que celles qui ne l’utilisent pas, et elles semblent en être conscientes puisque 73 % des entreprises déclarent que l’IA est un composant essentiel de leur réussite.[1] Cependant, près de la moitié d’entre elles estiment que leur organisation reste à la traîne en matière d’IA.

Le présent article se concentre sur l’utilisation de l’IA aux fins du classement tarifaire des produits qui représente un pilier fondamental permettant à de nombreuses entreprises d’assurer leur conformité par rapport aux règles du commerce.

Processus de classement

Les pays ou entités géographiques utilisent le Système harmonisé (SH) de l’OMD comme base de leur nomenclature des marchandises. Ils mettent au point leur propre système de classement en élargissant les catégories de produits du SH à six chiffres à huit lignes tarifaires, voire plus, aux fins d’une plus grande spécificité.

Classer désigne en douane l’art d’attribuer un code de classement correct à un produit à des fins douanières. Pour ce faire, il convient de respecter les règles générales de classement (les Règles générales pour l’interprétation du SH), ainsi qu’une pléthore d’autres règles et sources au niveau national. Le portefeuille de produits nécessitant d’être classés peut être important, en particulier pour les entreprises dans certains secteurs tels que l’automobile, l’habillement, la vente au détail ou le commerce électronique. Par exemple, si une voiture se compose de 30 000 pièces et peut être vendue dans 170 pays à travers le monde, elle pourrait en théorie représenter, à elle seule, un total de 5 100 000 pièces détachées à classer.

En principe, les experts en classement tarifaire classent les marchandises en recueillant autant d’informations que possible sur les produits, notamment les fiches techniques, les spécifications, les méthodes de production, l’utilisation du produit, etc. Le produit est ensuite classé sur la base de ces informations objectives, en suivant les règles et les avis de classement. Ces experts disposent souvent d’outils de gestion des flux de travaux, de systèmes de gouvernance des données maîtres (données de base indiquant tous les matériaux achetés, fournis, fabriqués et conservés en stock), de solutions de gestion du commerce mondial, d’arbres de décision, de centres de livraison mondiaux, etc.

Dans la réalité, néanmoins, il n’est pas rare que les entreprises soient confrontées à toute une série de défis en matière de classement. Tout d’abord, il n’est pas toujours facile de trouver des experts qualifiés en classement douanier. Ensuite, les informations et les données sur les produits permettant de déterminer les codes de classement ne sont pas forcément centralisées au sein de l’entreprise, et sont parfois éparpillées dans diverses bases de données et autres systèmes. Enfin, il se peut aussi que les données de base pour le classement des produits n’aient pas été correctement tenues à jour, qu’elles soient désuètes ou ne soient plus disponibles.

Illustration 1 – Les problèmes cachés de la classification

Une erreur de classement tarifaire peut entraîner des pénalités (financières), un calcul erroné des droits de douane et des dysfonctionnements dans la chaîne logistique ; elle peut par ailleurs avoir des répercussions sur d’autres domaines liés au commerce et à la fiscalité. Les autorités douanières ont lancé une série d’initiatives reposant sur des technologies telles que l’analyse prédictive et des outils analytiques sophistiqués pour le contrôle des déclarations en douane. Il est donc plus que jamais essentiel de mettre en place un processus solide de gouvernance des données sur les produits qui garantisse la conformité avec les règles de classement ainsi qu’avec les réglementations commerciales et douanières.

Classement par l’IA

Afin de relever les défis susmentionnés, qui sont intrinsèquement liés au classement de gros volumes de marchandises, les experts en classement peuvent exploiter les possibilités qu’offre l’IA et accroître considérablement la précision et la rapidité de leur travail.

Nous avons acquis ces dernières années une certaine expérience dans le classement des marchandises à l’aide de l’IA.[2] Le processus de classement commence habituellement par une évaluation préliminaire de la qualité des données, qui peut aboutir à un nettoyage éventuel des données maîtres concernant les produits. En effet, il est de la plus haute importance que la base de référence soit correcte et que les problèmes de qualité et les incohérences de classement soient résolus pour tous les groupes de produits, à travers les juridictions et les systèmes.

Dans une étape ultérieure, un ensemble représentatif de produits classés, comprenant leur description, les données maîtres de leurs attributs, des images, des dessins, etc. est téléversé dans la solution d’IA à des fins de formation. Enfin, une fois que la solution d’IA a été correctement « formée », de nouveaux produits peuvent être soumis à l’outil, après quoi l’IA génère des recommandations de classement que l’expert peut examiner. L’expert joue un rôle crucial dans le processus puisqu’il lui revient de valider ou de corriger ces recommandations, permettant ainsi à la solution d’IA d’affiner ses futures recommandations de classement.

Ce processus permet d’obtenir des algorithmes qui peuvent aider l’expert en classement, en lui renvoyant des recommandations de classement possible, assorties de niveaux de fiabilité, pour un large éventail de produits. En réalité, les algorithmes d’IA peuvent évaluer les tendances et « se former » à partir de données historiques de classement, ce qui permet à l’IA de produire des recommandations de codes SH adaptées aux paramètres déterminés par l’entreprise.

Conclusion

L’IA peut être considérée comme une technologie d’appui pour les experts en classement, qui pallie les multiples inconvénients que posent les activités manuelles à travers l’automatisation. Le classement tarifaire de gros volumes de données étant une activité qui prend du temps et qui entraîne des coûts opérationnels élevés, l’utilisation de l’IA peut aboutir à des gains d’efficacité opérationnelle, à des économies de temps et d’argent, à une réduction des taux d’erreur et à une atténuation des risques. L’IA permet aux experts en classement de se concentrer sur les produits inhabituels et difficiles à classer, tout en ajoutant de la valeur au classement d’autres gammes de produits plus faciles à ranger dans les différentes positions tarifaires.

En savoir +
https://www2.deloitte.com/be/en/pages/tax/solutions/trade-classifier.html
dbertrand@deloitte.com

[1] Whitepaper-State-of-Ai-2020-Final (1).pdf (deloitte.com)

[2] TRADEclassifier, Deloitte, https://www2.deloitte.com/be/en/pages/tax/solutions/trade-classifier.html