Point de vue

L’invisible chaîne du papier dans les flux de documents douaniers aujourd’hui… et comment y mettre fin grâce à l’intelligence artificielle

18 octobre 2023
Par Bram Vanschoenwinkel, Customaite

Comme d’autres secteurs, la logistique a su profiter de la numérisation au cours des dernières années, cette dernière permettant de garantir une circulation plus fluide des marchandises à travers le monde. Cette avancée technologique, qui promettait plus d’efficacité et de commodité, a porté ses fruits à bien des égards. Force est de reconnaître pourtant qu’un volume considérable d’informations essentielles continue de circuler aujourd’hui sous la forme de documents non normalisés envoyés par courrier électronique. Les récents progrès de l’intelligence artificielle s’avèrent toutefois encourageants. En permettant d’extraire des données à partir de documents non structurés et scannés, ils pourraient contribuer à briser enfin la chaîne du papier.

Le secteur de la logistique joue un rôle décisif pour garantir la circulation fluide des marchandises partout dans le monde. Le mouvement continu du fret à travers la chaîne logistique n’est toutefois possible que si les informations le concernant circulent tout aussi aisément entre les diverses parties de la chaîne, ce qui fait de la numérisation une nécessité absolue. Ce constat s’applique en particulier aux procédures douanières, puisque la déclaration de marchandises en douane exige d’avoir facilement accès à des informations de qualité de la part de nombreux acteurs différents. Au cours des dernières années, la numérisation a progressé de façon remarquable à travers le monde, enclenchant une véritable révolution dans la manière dont les données sont échangées entre les secteurs de l’économie. Le secteur de la logistique n’échappe pas à cette tendance : de l’EDI (échange de données informatisé) aux normes relatives aux documents électroniques et aux plateformes de partage de données intégrales recourant aux API (interfaces de programmes d’application), ces avancées, qui promettaient plus d’efficacité et de commodité, ont porté leurs fruits à bien des égards. Toutefois, malgré les progrès engrangés, un volume considérable d’informations essentielles continue de circuler sous la forme de documents non normalisés envoyés par courrier électronique. Par ailleurs, un grand nombre de documents qui pourraient sembler numériques de prime abord (généralement, dans ce format omniprésent qu’est le PDF) cachent un secret surprenant – ils ne sont que de simples documents papier qui ont été scannés… ce qui ne fait qu’aggraver la situation.

Un flux de travaux insolite, difficile à corriger

Dans mes échanges avec les courtiers en douane ou encore avec le personnel chargé des questions douanières dans une entreprise, j’ai souvent observé un flux de travaux insolite : des informations qui sont disponibles en format numérique sont imprimées à un moment donné, sur papier, pour être ensuite scannées afin d’être reconverties en format « numérique ». Les renseignements « coincés » dans ces documents numérisés ne peuvent pas être copiés ou extraits facilement, ce qui force les déclarants à aller puiser manuellement les informations nécessaires, avec le risque de faire des erreurs en cours de route : ils se retrouvent ainsi à devoir passer laborieusement les documents qu’ils ont imprimés à la loupe pour retaper les informations requises dans leur logiciel de déclaration en douane (ou tout autre programme informatique). Même s’ils disposent de documents lisibles non normalisés, comme des documents en format Word ou Excel, le résultat est le même. S’il est possible de copier-coller des informations dans les documents, ces derniers doivent toujours être passés au crible et traités manuellement.

Cette chaîne du papier, qui semble si incassable, pose de réels problèmes aux entreprises et aux douanes, se traduisant par des coûts plus élevés, des inefficacités et des risques accrus. La force puissante de l’intelligence artificielle (IA) pourrait pourtant faire toute la différence et briser cette chaîne du papier, tout en relevant la myriade de défis liés au traitement des documents papier.

Le bourrage papier

Pour apprécier vraiment le potentiel de l’IA dans ce contexte, nous devons d’abord pleinement saisir l’ampleur du problème. Pour des entreprises comme des courtiers en douane, des transitaires, des importateurs et des exportateurs, le recours aux documents papier peut s’avérer coûteux sur de nombreux plans. Les dépenses opérationnelles peuvent augmenter fortement comme conséquence des coûts plus élevés résultant directement des inefficacités et des erreurs qui peuvent se produire quand on puise manuellement les données requises pour remplir des déclarations en douane. Le manque de déclarants qualifiés est un autre problème. Il faut un ensemble de compétences spécialisées pour pouvoir naviguer à travers les méandres de ce labyrinthe de documents papier, ce qui pose une grande difficulté pour les entreprises, qui peinent à trouver et à retenir des individus disposant de l’expertise nécessaire. De surcroît, les conséquences de cette situation s’étendent aux chaînes d’approvisionnement, puisque les erreurs et les retards dans les déclarations en douane peuvent avoir un effet domino et perturber les opérations de logistique, causant au passage des pertes financières et de graves problèmes opérationnels.

Du point de vue des administrations douanières, les défis sont tout aussi colossaux. L’explosion de la charge de travail est un vrai problème, puisque les erreurs dans les déclarations exigent une vigilance et des interventions manuelles accrues, ce qui accroît encore la pression pesant sur les douanes. De plus, le risque de ne pas détecter toutes les erreurs qui se cachent dans les documents papier est toujours latent. Ces pièges invisibles posent une vraie menace, qui pourrait compromettre les mesures de sécurité et le recouvrement des recettes.

Exploiter les possibilités de l’IA

L’intelligence artificielle (IA) représente une solution transformatrice face aux défis associés aux documents papier qui, comme nous l’avons déjà indiqué, ne vont pas disparaître de sitôt. L’IA a en effet la capacité d’extraire et d’interpréter automatiquement les informations contenues dans les documents. En tirant parti des technologies d’IA, nous pouvons réinventer le traitement des documents et réduire les erreurs et les inefficacités, tout en améliorant la vitesse et la précision.

Le traitement de documents basé sur l’IA se fonde sur un éventail de techniques et d’approches allant d’outils de reconnaissance optique de caractères (OCR) de base à des techniques sophistiquées de traitement intelligent de documents (IDP). Décrivons brièvement ce dont ils sont capables. La technologie OCR, qui existe depuis longtemps, comporte ses limites dans la mesure où elle n’est pas en mesure de donner un sens aux textes extraits. Sous sa forme traditionnelle, l’OCR excelle dans la reconnaissance de textes imprimés ou écrits à la main dans des images ou des documents scannés, ainsi que dans leur conversion en un format lisible à la machine. En soi, cette technologie ne comprend toutefois pas le contexte ou la signification du texte qu’elle extrait. Généralement, l’OCR est associée à un logiciel d’automatisation des processus de robotique (RPA), qui permet de donner un sens au texte en donnant explicitement une instruction à l’algorithme quant à l’endroit où il peut localiser les informations spécifiques dans un document. Il suffit à cet effet de créer un modèle prédéfini pour chaque document à traiter, avec sa propre mise en page ou sa structure spécifique, mais cette démarche n’est pas extensible et est sujette à des erreurs.

Le traitement intelligent de documents (IDP) est en train de s’imposer comme paradigme permettant d’aller encore plus loin en matière d’IA. À l’aide d’algorithmes de traitement du langage naturel (NLP), dont les grands modèles de langage (LLM) comme ChatGPT, les solutions d’IDP permettent de passer à la vitesse supérieure en matière de compréhension du contexte et du sens dans les documents. À la différence de l’OCR traditionnelle, les algorithmes de NLP ne dépendent pas de modèles rigides. S’ils doivent eux aussi être instruits sur la localisation de l’information dans les documents, ils possèdent par contre la capacité remarquable de généraliser ces instructions pour les appliquer à de nouvelles structures de documents qu’ils n’ont jamais rencontrées auparavant, ce qui évite de devoir construire de nouveaux modèles prédéfinis pour chaque nouveau document que l’on veut traiter. Les solutions basées sur le NLP n’en sont que plus extensibles et adaptables aux divers types et formats de documents. De plus, il existe des modèles d’algorithmes pré-entraînés, instruits sur la base de grandes quantités de documents utilisés dans la logistique et capables d’extraire et d’interpréter les informations qui sont pertinentes spécifiquement dans ce contexte. Ces modules de NLP pré-instruits offrent des capacités de compréhension du langage très puissantes et rendent l’extraction d’informations depuis les documents de logistique plus facile et efficace que jamais.

Pas touche à mon papier !

Malgré le potentiel énorme et prometteur de l’IA, la mise en œuvre effective de cette technologie est semée d’embûches et exige d’adopter une démarche pondérée. Il convient tout d’abord de bien se rendre compte que l’IA n’est pas infaillible et qu’elle pourrait ne jamais atteindre la perfection. Des erreurs peuvent se produire et, dans certains cas, des informations peuvent manquer, ce qui veut dire qu’il faudra passer beaucoup de temps à chercher les renseignements manquants et à corriger les inexactitudes, au point de compromettre les économies de temps qui avaient initialement motivé le déploiement de l’IA.

Autre écueil potentiel, il est important de comprendre que les données de sortie produites par le modèle d’IA ne sont pas des résultats finaux en soi. Lorsque les modèles d’IA génèrent des informations ayant un sens, ces dernières doivent encore être traitées en aval avant d’arriver à une déclaration en douane en bonne et due forme.

Le troisième obstacle a trait à la nature de « boîte noire » des modèles d’IA. Les employés d’une entreprise ont souvent des réserves ou sont sceptiques par rapport à cette technologie. D’une part, ils ne se fient peut-être pas aux capacités de l’IA et, d’autre part, ils peuvent appréhender les conséquences de cette technologie. De telles craintes peuvent susciter une certaine réticence, voire une opposition à adopter et à utiliser l’IA de manière concrète dans leurs flux de travail.

Au vu de ces obstacles, le risque existe bel et bien que les personnes reviennent aux documents imprimés, ce qui nous ramène à la case départ. Dans ce cas de figure, la chaîne du papier reste en l’état et les avantages à tirer de la mise en œuvre de l’IA ne se réalisent pas. Il est donc essentiel de surpasser ces difficultés pour garantir que l’IA se libère des chaînes des flux de travaux traditionnels et transforme vraiment le traitement des documents douaniers sous format papier.

Briser la chaîne du papier grâce à une IA assistée par l’humain

Pour exploiter pleinement le potentiel de l’IA dans ce cadre, une solution vraiment attrayante s’offre à nous – l’IA assistée par l’humain ou HAAI, de son acronyme anglais. Cette approche se fonde sur le constat que l’IA peut accomplir des tâches de manière autonome, mais qu’il existe des domaines où l’expertise humaine reste indispensable.

Il existe à cet égard une solution de SaaS (de logiciel en tant que service) qui peut automatiser et optimiser les processus de déclaration en douane passant encore par des documents non structurés et numérisés. Cette solution résume bien la vision de l’HAAI, en offrant :

  • Une riche interface d’utilisateur, qui reproduit l’espace de travail (papier) propre au déclarant tout en lui fournissant des outils efficaces mais pleinement numériques pour valider, évaluer et, le cas échéant, corriger les informations extraites. L’idée est d’assurer une transition conviviale et sans solution de continuité vers le numérique.
  • Une intégration dans les processus opérationnels des déclarants, en fournissant un flux de travaux guidé qui simplifie les déclarations en douane et génère des propositions de déclarations exactes.
  • Une intégration ininterrompue dans un environnement informatique existant, comme des logiciels de déclaration ou des systèmes de transport ou de gestion d’entrepôt, et un enrichissement des propositions de déclarations sur la base des données provenant de ces systèmes.
  • Un appui effectif à la gestion du changement, donnant ainsi aux déclarants les moyens de se lancer dans la technologie et d’en tirer le plein potentiel.

Mesure de l’impact

Pour illustrer l’efficacité de la démarche axée sur l’intelligence artificielle assistée par l’humain et les effets transformateurs d’un tel logiciel, une étude comparative a été menée entre les processus manuels traditionnels et la nouvelle procédure automatisée. La performance au niveau de cinq flux de travaux distincts dans le cadre des activités des transitaires a été méticuleusement évaluée. Ces flux englobaient une vaste gamme de tâches liées aux déclarations en douane, chacune présentant ses propres difficultés. Le but était de comprendre comment le logiciel pouvait améliorer l’efficacité et l’exactitude de la procédure tout en permettant de gagner un temps précieux. Dans le cas du processus automatisé, les économies de temps ont été estimées entre 50 % et 75 %, ce dernier chiffre représentant un exploit en soi. Par exemple, une tâche qui prenait 40 minutes auparavant a pu être menée en 10 minutes seulement. La réduction substantielle du temps nécessaire au traitement des données s’est traduite par une efficacité bien plus grande au niveau opérationnel.

Les effets du logiciel vont cependant bien au-delà des gains de temps. La mise en œuvre du logiciel a abouti à une hausse remarquable de la qualité des déclarations en douane. Grâce à l’extraction des données par intelligence artificielle, le risque d’erreurs humaines a été fortement réduit, ce qui a permis de garantir que les déclarations soient systématiquement exactes et conformes. De plus, le temps libéré par l’accélération de la procédure a permis aux déclarants de se centrer sur d’autres priorités. Au lieu de s’atteler à la tâche fastidieuse de retaper l’information, ils ont pu canaliser leur expertise vers des travaux plus importants en lien avec les questions douanières. En l’essence, le logiciel a non seulement changé radicalement la vitesse et l’exactitude des procédures relatives aux déclarations en douane mais aussi libéré le potentiel des déclarants, qui ont vraiment pu utiliser leur expertise douanière de manière productive et améliorer par ce biais la qualité des services offerts et le niveau de satisfaction de leurs clients.

Ce cas d’utilisation témoigne de manière éloquente du pouvoir de l’HAAI et de ses effets transformateurs pour mettre fin à la chaîne du papier et revoir les procédures liées à la déclaration en douane en vue de les améliorer.

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https://www.customaite.ai

À propos de l’auteur

Dès le début de sa carrière, Bram Vanschoenwinkel a pris part à la révolution de l’IA, en obtenant un doctorat en sciences avec une spécialisation dans l’apprentissage automatique et l’IA. Il est l’un des co-fondateurs de Customaite où, en sa qualité de Directeur du développement de produits, il dirige les travaux sur des solutions novatrices d’IA pour l’avenir.