Quelques tendances intéressantes concernant les programmes universitaires douaniers
2 mars 2023
Par David Widdowson, Professeur, PDG du Centre d'études sur la douane et les accises à l’université Charles-Sturt en Australie et Président de l’INCULe métier de la douane est extrêmement complexe et, pourtant, encore récemment, la profession de douanier n’était reconnue par aucun diplôme universitaire. À la différence des avocats, des comptables ou des ingénieurs qui peuvent présenter un diplôme ou un certificat officiel sanctionnant leurs compétences dans leur domaine, il n’existait auparavant pas d’équivalent pour les douaniers. La situation a commencé à changer dans les années 1990, lorsque trois professeurs partageant la même vision[1] se sont mis à travailler à l’élaboration de programmes d’études spécifiques à la douane au sein de leur université respective – Münster en Allemagne, Riga en Lettonie et Canberra en Australie.
Les trois enseignants ont fondé le Réseau international d’étude des questions douanières (INCU de son acronyme anglais) et ont collaboré avec le Secrétariat de l’OMD pour établir un cadre qui permette à l’OMD de reconnaître les diplômes universitaires dans le domaine douanier, et pour mettre au point des normes professionnelles qui puissent servir de fondement à la conception de programmes académiques dans ce domaine. Ainsi, en 2010, les programmes proposés par les trois universités étaient homologués par l’OMD et la douane devenait une discipline académique reconnue à l’échelon international.
Ni l’INCU ni l’OMD n’auraient pu aboutir à ce résultat isolément. Les universités ne sont pas en mesure de déterminer à elles seules les exigences pédagogiques nécessaires pour former les douaniers, et l’OMD n’est pas à même de mettre au point des programmes d’enseignement de cycle supérieur ni de les dispenser. Cette coopération est donc avantageuse pour tout le monde : les universités peuvent à présent élargir la portée de leurs programmes d’études et les douaniers ont accès à des programmes homologués par l’OMD et conçus pour répondre aux normes internationales régissant le métier de la douane.
Le partenariat entre les administrations des douanes et les institutions académiques ne cesse de se consolider : un nombre croissant d’administrations offrent à leurs effectifs des possibilités de perfectionnement professionnel durant leur carrière, ce qui leur est d’une grande utilité s’ils entreprennent des projets plus complexes, s’ils recherchent un nouveau poste ou, tout simplement, s’ils souhaitent être mieux équipés pour faire leur travail. Eu égard à ce contexte, le présent article s’attarde sur quelques tendances qui ont été observées en matière de formations douanières.
Un accent mis sur les technologies émergentes
Les Normes professionnelles à l’attention des responsables opérationnels et stratégiques de la douane ont été actualisées en 2019. Un accent plus particulier a été mis sur les technologies émergentes, la gestion des risques et de la conformité, la sécurité de la chaîne logistique et la facilitation des échanges. Les programmes académiques sont, eux aussi, en cours de révision afin de refléter la mise à jour des normes. Certains programmes d’études sont en train d’être élargis afin de couvrir des thèmes tels que l’interprétation de vastes jeux de données, l’exploitation et l’application éthique de l’intelligence artificielle, et l’application de l’apprentissage automatique dans le cadre de la prise de décisions opérationnelles. Des travaux sont en cours, par exemple en Australie, en vue d’inclure des cours sur les fondements de l’analyse des mégadonnées, sur l’intelligence artificielle dans les applications-métiers, sur l’exploration et la visualisation des données aux fins de l’informatique décisionnelle et, enfin, sur la gestion des données.
Les modèles d’apprentissage évoluent
Les modèles d’apprentissage évoluent, eux aussi, et l’offre pédagogique est repensée et reformulée afin de satisfaire les besoins et les attentes des administrations et du secteur privé qui exigent plus de souplesse. Les modèles d’apprentissage comme les cours dispensés en salle et dans les amphithéâtres, avec des horaires de classes précis, tombent lentement en désuétude et l’apprentissage commence à transcender ses limites traditionnelles, surtout à travers l’utilisation de la technologie.
Si de nombreuses organisations, parmi lesquelles les pouvoirs publics, ont compris depuis longtemps les avantages de l’apprentissage en ligne, d’autres ont été plus réticentes à cet égard, et, dans certains cas, se sont même activement opposées à cette pratique. Nous observons toutefois aujourd’hui qu’un nombre croissant d’administrations et d’autorités nationales chargées de l’éducation changent d’avis concernant les qualifications qui ont été acquises à travers l’étude en ligne. Ce qui semblait inacceptable par le passé dans certains pays est à présent fortement encouragé et promu comme une approche légitime et progressiste de la formation et de l’enseignement.
L’attention portée à l’apprentissage en ligne fait que ce mode d’enseignement a largement dépassé le statut de simple tendance, tandis que des salles de cours virtuelles asynchrones et synchrones voient le jour un peu partout et s’établissent comme les modèles d’apprentissage du futur. Nous observons aussi que de plus en plus de stages sont organisés en mode virtuel, ce qui offre aux étudiants la possibilité d’entreprendre des projets « sur le lieu de travail », au sein d’une administration, dans le cadre de leur programme d’études universitaires.
Cours et études de cycle court
Les études universitaires traditionnelles de premier cycle s’étalant sur trois ou quatre ans commencent à disparaître et une palette de plus en plus variée de diplômes est à présent proposée. Les études pour un certificat d’études de troisième cycle ou un diplôme postuniversitaire, qui offrent une passerelle précieuse vers de nouvelles compétences, ne prennent normalement pas plus de six mois pour un étudiant à plein temps. Certaines universités proposent également des micro-certifications qui attestent des résultats d’apprentissage pour les programmes de cycle court que les étudiants peuvent suivre par eux-mêmes. Ces micro-crédits peuvent également être regroupés et associés pour l’obtention d’une qualification formelle. Afin de tenir compte de ces changements, l’OMD a autorisé les universités à promouvoir ces matières individuelles ou ces groupes de sujets lorsqu’ils font partie intégrante des programmes académiques homologués par l’Organisation[2]. Cette évolution est particulièrement importante pour les administrations qui cherchent à s’assurer que tous les programmes d’enseignement et de formation proposés à leurs employés répondent aux normes établies par l’OMD.
Préserver l’actualité, la pertinence et l’utilité des cours
La mise au point initiale des programmes élaborés expressément pour la profession douanière ne s’est pas faite sans difficultés, surtout en l’absence de normes reconnues à l’échelle internationale. Celles et ceux qui connaissent et comprennent la diversité et la complexité des missions de la douane ont pensé dès le début qu’il était tout à fait envisageable de créer des cours qui seraient non seulement pertinents mais aussi crédibles d’un point de vue académique. Le défi, toutefois, a été de convaincre les universités et les ministères nationaux de l’Éducation, imprégnés de leurs traditions, d’investir du temps et des efforts dans le développement d’une nouvelle discipline académique. Je me souviens encore fort bien d’une réunion de la commission pédagogique où un professeur m’a demandé pourquoi il fallait un programme de mastère pour apprendre aux gens comment fouiller une valise !
À présent que les programmes reconnus par l’OMD sont disponibles partout dans le monde, le défi consiste à en préserver l’actualité, la pertinence et l’utilité. À cette fin, il faudra compter sur des élaborateurs de cours et sur un corps professoral aux qualifications dûment attestées par un diplôme universitaire, qui possèdent une connaissance approfondie de l’environnement douanier actuel, qui soient des enseignants compétents et qui comprennent concrètement comment la théorie se traduit dans la réalité opérationnelle. Ces qualités se retrouvent habituellement chez les agents, tant généralistes que spécialistes, pouvant se targuer d’une longue expérience, qui se passionnent pour l’enseignement et qui peuvent aisément faire la transition vers le monde académique. Dans certains domaines, il sera néanmoins préférable d’engager un professionnel ou un universitaire expérimenté spécialisé dans une autre discipline (comme les sciences informatiques) et qui aura la capacité d’appliquer ses connaissances et ses compétences au domaine de la douane.
En savoir +
www.incu.org
[1] Le Professeur Hans-Michael Wolffgang, de l’université de Münster en Allemagne, le Professeur Aivars Krastins de l’Université technique de Riga, et le Professeur David Widdowson de l’université de Canberra (aujourd’hui université Charles-Sturt) en Australie.
[2] Directives de Reconnaissance par l’OMD des programmes douaniers universitaires (2019), clause 15.