Aperçu des programmes d’OEA en Amérique du Sud
27 février 2020
Par Sebastian Galindo-Cantor, assistant de recherche and Gloria Isabel Rodriguez-Lozano, professeure associée, Universidad Nacional de ColombiaClé de voûte du Cadre de normes SAFE visant à sécuriser et faciliter le commerce mondial, adopté par l’OMD en 2005, le concept d’opérateur économique agréé (OEA) a été largement mis en œuvre par les administrations des douanes partout dans le monde. Dans la région d’Amérique du Sud, les préparatifs pour la mise en œuvre de programmes d’OEA ont commencé au début de l’année 2008, avec le soutien de la Banque interaméricaine de développement (BID) et de l’OMD. Aujourd’hui, 12 ans plus tard, neuf pays sur les douze que compte la région disposent de programmes d’OEA opérationnels, à savoir l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie, l’Équateur, le Paraguay, le Pérou et l’Uruguay.
À propos des programmes
Bien qu’ils offrent tous une certification axée sur la sécurité, comme l’exige le Cadre de normes SAFE de l’OMD, les programmes ne sont toutefois pas semblables et tous ne peuvent être considérés comme portant déjà leurs fruits. Le programme d’OEA du Brésil est le plus solide de la région : lancé en 2014, il est ouvert à une grande variété d’acteurs de la chaîne logistique et compte le plus grand nombre d’OEA, 378 entreprises ayant été agréées à ce jour. En comparaison, le programme du Paraguay n’a été déployé qu’en 2018 et ne compte que deux sociétés certifiées. Pour ce qui est du Chili, bien que le programme ait été établi en 2017, aucune entreprise n’était encore agréée à la fin du troisième trimestre de 2019. Le Pérou compte 129 opérateurs agréés, la Colombie 86, l’Uruguay 63, la Bolivie 34, l’Équateur 5 et l’Argentine 4.
En soi, ces chiffres n’indiquent pas grand-chose et il convient donc de les comparer au nombre total d’importateurs. Procédons à un exercice avec la Colombie. Dans ce pays, 920 entreprises sont reconnues comme étant de grands importateurs et bénéficient déjà d’un régime de facilitation. Étant donné que la plupart des OEA existants et potentiels relèvent de cette catégorie d’importateurs, nous pouvons en déduire que seuls 9,34% des entreprises cibles ont rejoint le programme. Par ailleurs, des 177 agents en douane en Colombie, seuls 3 sont des OEA, soit 2,25% des sociétés de courtage.
Tous les programmes d’OEA ont été mis en œuvre par étapes : une fois la législation d’habilitation adoptée, les programmes ont été progressivement mis en place et différentes catégories d’opérateurs ont pu s’y joindre à des moments différents. Ces différences de calendrier s’expliquent par le fait que les exigences auxquelles les opérateurs doivent se conformer ont dû être adaptées selon le rôle qu’ils jouent dans la chaîne logistique. Certains pays ont également décidé d’impliquer d’autres organismes gouvernementaux dans leur programme, tels que les autorités sanitaires ou phytosanitaires, dans l’idée qu’un statut d’OEA transversal présenterait des avantages accrus pour les opérateurs commerciaux.
Le programme d’OEA de la Colombie est unique en ce sens, dans la mesure où il a été conçu dès le départ comme un programme interinstitutionnel, impliquant toutes les autorités intervenant directement dans le contrôle du commerce extérieur, en particulier les services sanitaires et phytosanitaires. Toutefois, à ce jour, sur les 86 entreprises agréées en Colombie, seules cinq participent à des échanges de marchandises assujetties à des exigences sanitaires et phytosanitaires.
Défis rencontrés
Les pays de la région sont souvent confrontés à des défis identiques. Le premier est d’assurer aux entreprises qui rejoignent le programme des avantages concrets, comme une diminution des délais et des coûts de traitement des transactions. L’existence d’autres régimes de facilitation qui offrent des avantages aux sociétés déployant des activités de commerce extérieur est problématique. Certains pays ont décidé de supprimer quelques-uns des avantages liés à ces autres régimes, tels que le paiement différé des droits en Colombie. Le programme d’OEA colombien a d’ailleurs eu du mal à démarrer jusqu’à ce que le gouvernement national décide de limiter la jouissance de certains privilèges aux OEA uniquement.
Le deuxième défi consiste à changer la mentalité des entrepreneurs et des autorités de réglementation, étant donné que les chefs d’entreprise ne connaissent pas très bien le rôle de la douane ou en ont une perception négative et que certaines agences gouvernementales n’entendent pas la notion de gestion des risques de la même manière que la douane.
Un autre défi a trait à la possibilité d’échanger des informations exactes et en temps opportun entre pays, afin d’appliquer correctement les accords de reconnaissance mutuelle (ARM). Ces ARM prennent la forme d’accords bilatéraux « traditionnels » mais aussi d’accords multilatéraux. De fait, un ARM multilatéral a été conclu en 2018 par les administrations douanières de la Colombie, du Chili, du Mexique et du Pérou, ces quatre pays formant le bloc commercial de l’Alliance du Pacifique. En 2019, deux ARM multilatéraux supplémentaires ont été signés, le premier entre les pays de la Communauté andine (la Bolivie, la Colombie, l’Équateur et le Pérou) et le second entre les membres du Mercosur (l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay). Afin de résoudre les problèmes liés à l’utilisation de courriels pour l’échange de données sur les agréments d’OEA et de créer un mécanisme sûr d’échange d’informations, les fonctionnaires chargés du programme d’OEA et les spécialistes en technologies de l’information (TI) des douanes du Costa Rica, du Mexique et du Pérou travaillent pour le moment, ensemble avec Microsoft et la BID, sur la mise au point des fonctions informatiques et de l’architecture technologique d’une application baptisée CADENA (« chaîne » en espagnol), fondée sur la technologie des chaînes de blocs. La solution en est encore à la phase pilote.
Il est aussi clairement nécessaire que la Colombie, le Chili, l’Équateur, le Paraguay et le Pérou ouvrent leur programme d’OEA à d’autres catégories d’opérateurs commerciaux, afin de renforcer encore la sécurité de la chaîne logistique. La plupart des programmes sont d’abord accessibles aux exportateurs. En outre, comme l’a souligné l’OMD dans son Cadre de normes sur le commerce électronique transfrontalier, l’une des voies à suivre pourrait être d’élargir les programmes d’OEA aux intervenants du commerce électronique. À l’heure actuelle, que ce soit en Amérique du Sud ou ailleurs, la plupart des programmes d’OEA ne sont pas ouverts aux plateformes ou aux places de marché du commerce électronique ni aux opérateurs postaux et transporteurs exprès.
Dans un tel contexte, l’élargissement des programmes d’OEA dans la région, tant au niveau du nombre et du type d’entreprises agréées que des autorités de réglementation impliquées et des ARM négociés, reste encore en chantier. Par conséquent, il est essentiel d’entreprendre des études visant à mesurer l’efficacité de ces programmes dans la région d’Amérique du Sud et de partager les expériences sur les défis que rencontre encore chaque pays, et ce afin d’améliorer les dispositions et pratiques existantes, en particulier dans les pays où le programme n’a pas encore porté ses fruits à ce jour.
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