Dossier

Coup de projecteur sur les mouvements transfrontaliers de déchets

26 février 2020
Par le Secrétariat de la Convention de Bâle

Depuis longtemps, les échanges commerciaux de déchets dangereux et autres sont sources d’inquiétude étant donné les répercussions négatives sur la santé humaine et sur l’environnement que peuvent avoir ces déchets dans les pays qui ne peuvent les gérer correctement. Le commerce de déchets est pourtant une nécessité pour les États qui ne disposent pas de l’infrastructure nécessaire pour administrer leurs propres déchets d’une manière écologiquement responsable. Les déchets peuvent également constituer une ressource qui contribue à réduire l’utilisation de matières premières et à générer de l’énergie. Un marché mondial de matières tirées des déchets (non dangereux) est d’ailleurs apparu. Le présent article se penche sur les développements récents en matière de réglementation des mouvements transfrontaliers de déchets et met l’accent sur certains des défis liés à leur mise en œuvre.

La Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, qui vient de fêter son 30e anniversaire, est l’un des principaux aboutissements des efforts mondiaux consentis par les gouvernements pour contrôler les mouvements transfrontaliers de déchets. La Convention prévoit un système de contrôle afin de garantir la transparence au niveau de ces transactions, que ce soit à l’exportation, en transit ou à l’importation.

La Convention couvre divers types de déchets définis comme dangereux, compte tenu de leur origine, de leur composition ou de leurs caractéristiques, ainsi que deux types de déchets définis comme « autres », à savoir les déchets ménagers et les cendres d’incinérateurs. Les déchets considérés comme n’étant pas dangereux par la Convention, mais qui ont été contaminés par des éléments les rendant dangereux, ainsi que les déchets définis par la législation nationale comme dangereux entrent aussi dans le champ d’application de la Convention.

Avec ses 187 Parties, la Convention fait l’objet d’une application presque universelle, puisque les mouvements transfrontaliers impliquant des pays qui ne sont pas Parties à la Convention sont normalement interdits. En somme, au titre de la Convention, toutes les exportations et les importations des types de déchets couverts par la Convention doivent suivre des procédures similaires dans tous les pays, ce qui rend le contrôle des mouvements transfrontaliers bien plus facile.

Les Parties à la Convention sont invitées à contrôler strictement les échanges internationaux de déchets qui ont effectivement cours à travers une procédure de notification et de consentement plus connue comme « procédure d’information et de consentement préalables », administrée dans la pratique par des « autorités compétentes » qui sont désignées par les pouvoirs publics. La Convention contraint également ses Parties à s’assurer que ces déchets soient gérés et éliminés d’une manière respectueuse de l’environnement, que les quantités soient minimisées, que le traitement et l’élimination des déchets se fassent à un endroit aussi près possible du lieu où ils ont été générés et que la production de déchets soit endiguée ou limitée le plus possible à la source. Le contrôle de ce commerce international doit donc également être envisagé dans le cadre des efforts visant à minimiser la génération de déchets et à garantir leur gestion dans le respect de l’environnement.

Dernières évolutions

En mai 2019, la Conférence des Parties à la Convention de Bâle, qui est l’organe décisionnel de la Convention, a adopté plusieurs décisions, parmi lesquelles les « amendements sur les déchets plastiques » qui visent à imposer des contrôles plus stricts sur les mouvements de déchets de matières plastiques en plaçant des types supplémentaires de plastiques dans le champ d’application de la procédure de contrôle de Bâle.

En conséquence, à partir du 1er janvier 2021, l’exportation et l’importation d’une gamme plus large de déchets plastiques sera soumise à la procédure d’information et de consentement préalables. Les gouvernements des parties exportatrices devront fournir des documents aux gouvernements des pays de transit et de destination concernant la trajectoire prévue pour ces déchets, et confirmer que les déchets en question seront gérés d’une manière respectueuse de l’environnement. Le mouvement de ces produits peut s’effectuer uniquement une fois que les pays d’importation et de transit auront donné leur consentement.

Lors de la même réunion, un « Partenariat sur les déchets plastiques » a été établi sous l’égide de la Convention de Bâle pour mobiliser les entreprises, les pouvoirs publics et les interlocuteurs du monde académique et de la société civile en vue d’améliorer et de promouvoir la gestion écologiquement rationnelle des déchets plastiques au niveau mondial, régional et national et d’en empêcher, ou tout au moins d’en minimiser, la génération. Autre élément important, des travaux techniques ont été lancés afin d’offrir aux pays et aux autres parties prenantes les orientations nécessaires sur la manière d’élaborer un inventaire des déchets plastiques et sur la façon de gérer ce flux de déchets sans porter atteinte à la santé humaine et à l’environnement. Une fois adopté par la Conférence des Parties, le document qui sera élaboré servira de base pour une recommandation officielle au niveau mondial.

Une autre priorité est d’améliorer la gestion des déchets d’appareils électriques et électroniques, également appelés DEEE. L’un des écueils rencontrés en matière de mise en œuvre de la Convention de Bâle a trait à la difficulté à distinguer ici les déchets des non-déchets. Face à ce problème particulier, la Conférence des parties a adopté une version améliorée des « Directives techniques sur les mouvements transfrontières de déchets d’équipements électriques et électroniques et d’équipements électriques et électroniques usagés ». Le document établit une liste de critères pour distinguer les déchets des non-déchets au titre de la Convention de Bâle et énonce les documents qui devraient être exigés par les autorités afin d’empêcher le trafic illicite de ces produits.

Outre ces importantes décisions, il convient de tenir compte de l’entrée en vigueur, le 5 décembre 2019, d’un amendement à la Convention qui interdit l’exportation de certains déchets dangereux. Connu sous le nom de « Ban Amendment » ou d’amendement « portant interdiction », cet amendement exige que les Parties qui l’ont ratifié et qui représentent les gouvernements des pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), de l’Union européenne ainsi que le Liechtenstein, interdisent les mouvements transfrontaliers de déchets dangereux si ces derniers sont voués à des opérations d’élimination définitive ou de réutilisation, recyclage ou récupération dans d’autres pays.

L’amendement ne couvre pas les envois « d’autres déchets » au titre de la Convention, qui inclut pour le moment les déchets ménagers et les cendres provenant d’opérations d’incinération, mais il comprendra une gamme plus large de déchets plastiques à partir du 21 janvier 2021, en vertu des amendements sur les déchets plastiques dont nous avons parlé plus haut.

L’entrée en vigueur de l’amendement « portant interdiction » revêt une importance politique toute particulière dans la mesure où il traduit la volonté au niveau international de s’assurer que les pays ayant la capacité de gérer leurs propres déchets d’une manière écologiquement viable en assument la responsabilité, tout en permettant aux pays qui le souhaitent de recevoir les déchets dont ils ont besoin comme matières premières pour leurs secteurs du recyclage ou de la récupération.

L’adoption des amendements sur les déchets plastiques et l’entrée en vigueur de l’amendement portant interdiction sont des avancées historiques et une réussite pour la Convention de Bâle qui a su mobiliser la communauté internationale afin de relever certains des défis les plus urgents en matière de pollution auxquels la planète est confrontée.

Mise en œuvre

Comme pour la plupart des accords environnementaux multilatéraux (AEM) existants, la mise en œuvre de la Convention de Bâle exige des États signataires qu’ils établissent un cadre juridique approprié au niveau national et qu’ils le fassent strictement respecter. Tous les acteurs impliqués dans ce commerce mondial, c’est-à-dire les autorités compétentes et les parties prenantes impliquées dans un mouvement transfrontalier (le producteur, le transporteur et l’éliminateur), doivent être conscients des exigences stipulées par le traité international et par le cadre juridique national. Concernant les différentes autorités chargées d’assurer le respect des dispositions légales, elles devraient disposer d’agents bien formés dans ce domaine, établir des mécanismes adéquats de partage d’informations et de coopération, se focaliser non seulement sur les contrôles à l’importation mais aussi à l’exportation et en transit, et avoir accès à des laboratoires ainsi qu’à des infrastructures adéquates d’entreposage et d’élimination. La corruption est évidemment un autre aspect qui pose un défi à part entière.

QUAND PEUT-ON PARLER DE TRAFIC ILLICITE ?

Est réputé constituer un trafic illicite tout mouvement transfrontière de déchets couverts par la réglementation nationale ou internationale :

  • effectué sans qu’une notification ait été donnée à tous les États concernés ;
  • effectué sans le consentement que doit donner l’État intéressé ;
  • avec le consentement des États intéressés obtenu par falsification, fausse déclaration ou fraude ;
  • qui n’est pas conforme matériellement aux documents ;
  • qui entraîne une élimination délibérée de déchets (par exemple, déversement).

Toutefois, même s’il y a des similitudes entre AEM quant aux défis qu’ils posent et aux dispositifs à mettre en place, la gestion écologiquement rationnelle des types de déchets qui sont couverts par la Convention présente des spécificités et des défis propres. Tout d’abord, la définition et la classification des déchets, des débris et des matières secondaires peuvent varier d’un pays à l’autre. Si la Convention énumère les catégories de déchets dangereux, comme indiqué plus haut, les Parties peuvent également définir d’autres types de déchets comme étant dangereux dans leur législation nationale et introduire des exigences concernant les procédures s’appliquant aux mouvements transfrontières de ces déchets. En outre, ce que l’on entend par produits en fin de vie, déchets non dangereux et matières secondaires peut varier d’une juridiction à l’autre et, par conséquent, un même produit pourra ne pas faire l’objet d’un examen approfondi ou d’une procédure particulière partout. Un exemple patent de cet état de fait est la gestion des appareils en fin de vie : cette filière de déchets connaît la croissance la plus rapide aujourd’hui et est ainsi devenue un énorme problème pour de nombreux pays en développement. L’une des raisons expliquant en partie l’essor de ce commerce est liée au fait que certains pays considèrent comme déchets ce que d’autres considèrent comme des appareils en fin de vie mais fonctionnels.

Par ailleurs, l’une des grandes difficultés rencontrées par la douane est d’identifier, sur la base du code du Système harmonisé (SH), si une marchandise destinée à être exportée ou importée constitue un déchet. Pour couronner le tout, le SH se centre sur la nature, la composition et les propriétés physiques d’une marchandise aux fins de son classement, tandis que la Convention de Bâle fonde sa définition du déchet sur l’intention de l’éliminer, stipulant que les déchets sont « des substances ou objets qu’on élimine, qu’on a l’intention d’éliminer ou qu’on est tenu d’éliminer en vertu des dispositions du droit national ».

La Conférence des Parties à la Convention de Bâle a souligné à quel point il est important d’établir, autant que possible, une relation directe entre les codes des déchets couverts par la Convention et le Système harmonisé (SH), en adoptant des codes spécifiques dans le SH pour les différentes filières de déchets entrant dans le champ d’application de la Convention, afin d’établir pour chaque type de produits une distinction claire entre les déchets et les non-déchets.

Il convient de noter en particulier que la version 2022 du SH inclut des dispositions spécifiques pour le classement des DEEE afin d’aider les pays à mener leur travail et à respecter leurs obligations au titre de la Convention. Cependant, pour ce qui a trait aux déchets plastiques, les dispositions du SH sont restées inchangées avec le temps. Deux des polymères les plus couramment utilisés, à savoir le polyéthylène et le polypropylène, ne sont pas couverts par des codes commerciaux harmonisés. Cela étant, en 2019, la Conférence des Parties a demandé au Secrétariat de la Convention de Bâle de soumettre une proposition à l’OMD visant à identifier spécifiquement les différents types de déchets, y compris les déchets plastiques, dans la nomenclature du SH.

D’autres défis restent à relever, notamment au niveau des procédures de manipulation et de sécurité pour les déchets dangereux, de la complexité de la procédure de reprise en charge en cas de trafic illicite lié à une détection initiale d’envois suspects, du recueil de preuves et de la préparation d’un dossier à des fins de poursuites judiciaires. De manière générale, le défi qui se pose en matière de mise en œuvre est dû au manque de coopération entre les entités concernées dans la chaîne d’application de la loi, étant donné que le respect de la Convention de Bâle exige une coopération effective entre les autorités compétentes chargées de la Convention, les douanes et les autres services répressifs.

MODES OPÉRATOIRES COMMUNÉMENT OBSERVÉS

Documentation

  • Non-conformité avec la procédure de consentement préalable de la Convention de Bâle (absence de document de notification et absence de consentement préalable à l’exportation, pas de document justificatif joint à l’envoi concernant son mouvement).
  • Erreur d’étiquetage délibérée ou accidentelle (par exemple, divers, effets personnels, articles d’occasion, matières non dangereuses).
  • Utilisation de codes incorrects du SH ou de Bâle.
  • Manque de correspondance entre le contenu déclaré et le contenu véritable d’un envoi (par exemple, au niveau des quantités de déchets, du degré de contamination, de la nature du déchet).
  • Falsification des certificats de test indiquant l’état des marchandises.

Emballage

  • Mélange de produits légaux et illégaux.
  • Moyens cachés et dissimulation.

Appui disponible

Quatorze centres régionaux de formation et de transfert de technologies en vue de gérer les déchets dangereux et autres, et de minimiser leur génération, ont été établis pour renforcer l’application de la Convention. Ils se chargent de mener des activités de formation et de renforcement des capacités dans les régions où ils sont situés, notamment à l’adresse des douaniers. Ces activités viennent compléter les activités entreprises directement par le Secrétariat de la Convention de Bâle.

Elles incluent notamment l’examen des cadres juridiques, des mesures de contrôle du commerce et des mesures de prévention et de contrôle du trafic illégal, en vue de leur renforcement. Par exemple, au Bangladesh et au Ghana, dans le cadre d’un projet en cours intitulé « Promouvoir la gestion écologiquement rationnelle des déchets plastiques et assurer la prévention et la minimisation de la génération de déchets plastiques », une formation spécifique est impartie à la douane et aux autres autorités chargées de l’application de la loi. Des ateliers de formation similaires axés sur les déchets plastiques seront organisés par les centres régionaux dans d’autres pays en 2021 et 2022.

Le trafic illégal et le déversement des déchets posent non seulement une menace sérieuse pour la santé humaine et l’environnement mais ils peuvent potentiellement avoir des répercussions négatives sur la jouissance des droits humains et des libertés fondamentales, comme l’a expliqué le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme[1], y compris sur la jouissance « des droits à la vie, à la santé, à des conditions de travail sûres et saines, à une alimentation adéquate, à l’eau potable, à l’accès aux informations, à la participation à la vie publique et des autres droits humains inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les traités internationaux et régionaux afférents ».

Le taux élevé d’adoption de la Convention de Bâle par les pays indique clairement que le sujet intéresse les États du monde entier. Toutefois, comme le montrent les résultats de l’enquête récemment menée par l’OMD sur les AEM, des efforts restent à faire pour assurer une mise en œuvre effective des dispositions de la Convention et entraver le trafic illégal de déchets.

En savoir +
Tatiana.Terekhova@un.org
Tatiana.Terekhova@brsmeas.org
www.brsmeas.org

[1] Adverse Effects of the Illicit Movement and Dumping of Toxic and Dangerous Products and Wastes on the Enjoyment of Human Rights, https://www2.ohchr.org/english/issues/environment/waste/docs/StefanoSensiPresentation.pdf