La pandémie de COVID-19 a engendré de nombreuses difficultés pour les acteurs du commerce international. Elles étaient souvent inédites pour les agents de la Direction centrale des impôts indirects et des douanes (CBIC), organe du gouvernement indien chargé de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques relatives à la fiscalité indirecte. Ces agents ont ainsi pris conscience de la nécessité d’analyser certains de leurs systèmes informatiques pour s’assurer qu’ils répondaient toujours aux exigences de l’administration. Parmi ces systèmes figurait le système national de gestion des infractions douanières, « DIGIT », qui permet de recueillir et gérer les données relatives à toutes les infractions douanières constatées en Inde, et qui est comparable au Réseau douanier national de lutte contre la fraude (nCEN) développé par l’OMD. L’analyse opérée a permis d’améliorer sensiblement le système DIGIT, comme on peut le lire ci-après.
Les autorités indiennes ont créé leur système national de gestion des infractions douanières (DIGIT) il y a de nombreuses années pour aider le principal organisme de lutte contre la contrebande, la Direction des renseignements fiscaux (DRI), à mettre au jour les activités de contrebande et les personnes impliquées. Au début, seuls les agents de la DRI étaient habilités à saisir des données dans le système. Cela a changé il y a quelques années et les agents des douanes de première ligne chargés du dédouanement sont désormais également invités à alimenter la base de données afin que DIGIT puisse servir à la détection d’un éventail d’infractions plus large. On notera que l’enregistrement des informations sur les contrevenants et les infractions représentait un travail supplémentaire pour des agents qui devaient déjà dédouaner les passagers et le fret dans des délais serrés. Il y a certes eu des problèmes au départ, mais les agents se sont progressivement habitués à alimenter DIGIT.
Grâce à la DRI et aux unités de terrain, de nombreuses données étaient versées dans DIGIT début 2019. Pour chaque cas, on recueillait les éléments ci-après :
- les détails concernant l’infraction détectée (mode opératoire des contrevenants) ;
- les personnes impliquées et leurs rôles ;
- les marchandises concernées ;
- le montant des droits recouvrés (en cas d’évasion fiscale) ;
- l’ordonnance de justification, document officiel remis à une partie à un litige qui expose les détails d’une infraction présumée et donne à ladite partie la possibilité de s’expliquer, faute de quoi d’autres conséquences suivront ;
- la décision de justice.
Au début de la pandémie de COVID-19, l’équipe DIGIT a décidé qu’il était temps de réexaminer le système pour s’assurer qu’il était toujours adapté à son objectif et pour trouver des moyens de l’améliorer. Elle s’est d’abord attachée à analyser la qualité des données saisies et à mettre en évidence les points à améliorer. Pour cela, l’équipe a :
- cartographié le processus de saisie des données ;
- vérifié que le système était à jour au regard des dispositions légales en vigueur en matière d’infractions douanières ;
- vérifié la véracité des données, en particulier de celles concernant les marchandises saisies et les contrevenants (par exemple, dans certains cas, la quantité semblait étrange ou certains détails étaient différents de ceux rapportés par d’autres canaux) ;
- débattu régulièrement de certains points avec les personnes utilisant souvent l’application ;
- mis au point des moyens de simplifier la saisie des données et de réduire autant que possible les erreurs ;
- produit des rapports périodiques ;
- analysé les données pour améliorer les capacités de formulation des politiques et de ciblage ;
- publié des documents, tels que des bulletins d’information, pour familiariser les utilisateurs avec l’application ;
- créé et organisé des formations pour motiver le personnel et améliorer la saisie des données.
L’analyse de l’application a été très instructive et a permis de recenser de nombreuses fonctionnalités à améliorer. Il a ainsi été proposé :
- de créer un nouveau champ de données concernant la catégorie de marchandises saisies, en plus de celui sur la marchandise concernée, par exemple faune et flore, matières dangereuses, médicaments et produits pharmaceutiques ou encore marchandises commerciales ;
- d’ajouter une catégorie d’infractions distincte pour les stupéfiants ;
- d’harmoniser la saisie s’agissant du code de quantité unique (UQC) : les agents utilisaient des codes différents pour la même marchandise. Par exemple, l’or saisi était déclaré en grammes, en unités, en cartons, en paquets, en carats, etc. ;
- de faciliter le rapport des données en permettant aux agents d’afficher tous les champs de données sur un seul écran : pour communiquer certaines données telles que le lieu de saisie, le numéro de tarif douanier ou le pays d’origine, il fallait ouvrir des écrans différents, et cela n’était donc pas fait de façon systématique ;
- de créer une liste de catégories de contrevenants et de la présenter dans un menu déroulant vertical. Le champ de données relatif à la fonction jouée par le contrevenant était en format texte libre et n’était souvent pas bien rempli. Même s’il ressortait des enquêtes, par exemple, que du personnel des compagnies aériennes, des contractants de l’aéroport ou des organismes publics opérant dans les aéroports étaient impliqués, ces informations n’étaient pas facilement consultables dans l’application ;
- de créer un nouveau champ de données relatif au type d’infraction présumée : la délivrance d’une ordonnance de justification est un événement important dans une enquête. Si le document était bien saisi dans DIGIT, il n’était pas facile de consulter les informations sur les dispositions précises en vertu desquelles l’ordonnance avait été émise ;
- de créer un nouveau champ sur le type d’endroit où les marchandises ont été saisies (aéroports, ports maritimes, dépôts de conteneurs terrestres, terminaux de courrier ou de fret ou frontières terrestres, par exemple).
Susciter l’intérêt des parties prenantes
Pour contribuer au travail d’analyse et en association avec l’Académie nationale des douanes, des impôts indirects et des stupéfiants, l’équipe DIGIT a organisé des webinaires avec les utilisateurs de l’application afin de leur rappeler les fonctionnalités existantes et de recueillir leurs commentaires sur l’outil. Plus de 600 agents venant de tout le pays y ont participé. Ensuite, l’équipe a diffusé des bulletins d’information mensuels, qui ont permis aux lecteurs d’approfondir leurs connaissances sur les différents modules de DIGIT. Chaque bulletin portait sur un module en particulier et présentait une série de questions fréquemment posées. Enfin, au fur et à mesure que de nouvelles fonctionnalités étaient mises en place, tous les utilisateurs recevaient des communications détaillées qui expliquaient la fonctionnalité mise en place, les raisons de la modification et les choses à garder à l’esprit lors de la saisie des données.
Une impulsion venant d’en haut
Cette analyse complète de DIGIT a été non seulement soutenue mais aussi impulsée par les plus hauts échelons de la Douane indienne, et elle a abouti à l’élaboration d’un tableau de bord pour la Ministre des finances qui a permis à celle-ci de visualiser les infractions douanières sur la base des données figurant dans le système. En 2020 et 2021, le président de la Douane et le chef du département de gestion de la conformité ont envoyé des courriers pour exhorter les agents de terrain à communiquer régulièrement et avec exactitude les données relatives aux infractions douanières, ce qui a beaucoup contribué à faire connaître DIGIT et à faire comprendre qu’il était important de communiquer en temps voulu des données exactes.
Trois types de changements
Après avoir listé les améliorations à apporter, l’équipe DIGIT a entrepris d’apporter les changements nécessaires à l’arrière-plan de l’application de manière progressive. Ces changements peuvent être classés en trois catégories.
Changements apportés à l’interface utilisateur (UI), c’est-à-dire l’élément d’un dispositif qui permet l’interaction et la communication entre l’homme et l’ordinateur :
- adoption de listes déroulantes pour différents champs, tels que la quantité de marchandises, le lieu de la saisie ou encore le type de marchandises, pour garantir l’exactitude des données ;
- ajout de catégories pré-remplies concernant le rôle des contrevenants ;
- suppression des champs redondants concernant les contrevenants ;
- ajout d’une catégorie « affaires critiques » pour faciliter le repérage des affaires nécessitant un suivi étroit ;
- refonte de la page du tableau de bord de sorte à pouvoir consulter, en un coup d’œil, différents chiffres tels que le nombre d’enquêtes en cours ou achevées, ou le nombre d’affaires en attente de jugement ;
- rationalisation des termes utilisés dans l’application – par exemple, les termes « accusé » et « contrevenant » étaient utilisés de manière interchangeable ;
- simplification du « module des poursuites » pour faciliter le suivi de l’évolution des affaires.
Changements de comportement
Changements apportés s’agissant des pratiques des utilisateurs :
- mise en place d’un minuteur pour la sauvegarde des informations détaillées sur la saisie afin que ces informations soient enregistrées en temps voulu ;
- affichage sur un seul écran de tous les champs de données du module relatif aux marchandises afin de faciliter l’entrée des données ;
- diffusion d’instructions et de directives pour une saisie fluide des données ;
- incitation des utilisateurs à se fier aux données DIGIT pour l’établissement des rapports – en fin de compte, la qualité des données s’améliorera à mesure que les utilisateurs se rendront compte qu’il est pratique de recevoir des rapports automatisés ;
- création de champs pour enregistrer les dispositions précises invoquées dans les ordonnances de justification afin d’encourager les agents à tenir compte de ces données dans leur analyse, y compris lorsqu’ils analysent les tendances ;
- création de champs relatifs aux langues connues par les contrevenants afin d’assurer un profilage plus complet.
Changements purement techniques :
- inclusion d’une catégorie de saisies pour les stupéfiants et les substances psychotropes ;
- normalisation de l’UQC pour les principaux produits de base :
- or – grammes
- argent – kilogrammes
- cigarettes – nombre de cigarettes
- faux-santal rouge – tonnes
- stupéfiants – kilogrammes, litres ou comprimés
- devise étrangère – montant dans la devise en question et montant équivalent en roupies indiennes
- inclusion de données sur la disposition précise en vertu de laquelle l’ordonnance de justification a été délivrée ;
- possibilité de charger des documents dans certains cas pour les retrouver facilement ;
- possibilité de générer des rapports personnalisés ;
- restriction de la saisie à certains types de valeurs pour garantir l’exactitude des données – par exemple, désactivation du texte dans les champs numériques ou limitation à huit chiffres du champ du code de la nomenclature du SH.
Grâce à tous ces changements, DIGIT est devenu une application agile, robuste, intuitive et conviviale qui facilite la saisie des données et qui est aussi plus conforme aux exigences administratives et juridiques de l’Administration. La méthode de saisie des données a été améliorée et l’application a reçu le soutien des agents qui interviennent dans la détection des infractions et la saisie des données, ainsi que dans la formulation des politiques.
Synergie avec le CEN de l’OMD
La Douane indienne est un membre actif de l’OMD et communique régulièrement ses données nationales sur les saisies au Réseau douanier de lutte contre la fraude (CEN) de l’OMD qui vise à être un répertoire mondial central pour les informations relatives à la lutte contre la fraude, permettant aux administrations douanières et au Secrétariat de l’OMD de produire des analyses précieuses sur le commerce illicite.
Lors de la révision de DIGIT, la Douane indienne a veillé à ce que les changements apportés soient alignés sur la structure de données du CEN et permettent un échange automatique des données si les deux systèmes devaient être connectés. La création de grandes catégories de marchandises (stupéfiants, métaux précieux et pierres précieuses, produits du tabac et déchets dangereux, par exemple) était motivée en partie par cet impératif, et les noms des catégories correspondent à ceux du CEN avec très peu de différences.
Dans l’intervalle, la Douane indienne continuera à communiquer des données dans le CEN et à soutenir les initiatives visant à améliorer le système. Par exemple, à la dix-neuvième réunion de l’équipe de gestion du CEN, tenue en 2021, elle a présenté ses pratiques visant à améliorer la qualité des données, a approuvé l’élaboration d’une charte de l’OMD sur l’augmentation de la quantité et l’amélioration de la qualité des données dans le CEN et a soutenu la création d’un groupe de travail sur la collecte des données pour examiner les données saisies jusqu’à présent dans le CEN. À la quarante-deuxième réunion du Comité de la lutte contre la fraude, tenue en 2022, la Douane indienne s’est dite très favorable à la proposition du Secrétariat de l’OMD de lancer un projet de visualisation des données du CEN qui permettrait aux utilisateurs d’obtenir facilement des informations à partir des données enregistrées dans le système.
En 2022, le Secrétaire général de l’OMD a encouragé les administrations douanières à « accélérer la transformation numérique de la douane en développant une culture de la donnée et un écosystème performant ». En revoyant DIGIT, la Douane indienne a montré son engagement en ce sens.
L’Inde a l’avantage d’être une puissance technologique et l’Administration des douanes n’a aucun problème à recruter des spécialistes informatiques talentueux. Toutefois, la mise à niveau du système a été rendue possible non seulement grâce à l’équipe DIGIT, mais aussi grâce à la participation active de la haute direction de l’Administration et des principaux utilisateurs de l’application.
Grâce à ce soutien généralisé, l’équipe DIGIT est désormais équipée pour travailler sur les points suivants :
- le calcul du délai moyen d’achèvement d’une enquête ;
- l’analyse des affaires en cours ;
- l’élaboration de profils de risque pour les entités ;
- l’analyse des modes opératoires ;
- le suivi des décisions et des procédures postérieures aux enquêtes ;
- la réalisation d’une analyse prédictive fondée sur les infractions passées pour comprendre l’avenir et répondre à la question de savoir ce qui va probablement arriver.
La technologie, combinée à une passion inlassable pour l’amélioration systémique, a donné des résultats positifs, et d’autres sont en préparation. DIGIT recèle un immense potentiel s’agissant d’améliorer le suivi des enquêtes douanières en Inde et d’éclairer les politiques en fonction des données.
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