Focus sur la collecte des données relatives à la fraude

Le nCEN : un point sur les pratiques des usagers et sur les prochains développements

12 octobre 2022
Par le Secrétariat de l’OMD avec la contribution de Marjan Duevski, Inspecteur en chef de la Douane de Macédoine du Nord, et de Giorgi Kvaratskhelia de la Douane de Géorgie

La détection du commerce illicite de produits interdits ou réglementés comporte son lot de défis. Une manière d’améliorer les capacités de détection consiste à analyser les données relatives aux saisies et aux rétentions et à mettre au point un ensemble de règles : des règles déductives basées sur des listes de surveillance, des règles inductives utilisant des indicateurs ou des anomalies pour évaluer le risque associé à une transaction, et des règles prédictives qui sont des outils mathématiques basés sur une analyse des tendances et sur des scénarios. Une telle démarche exige des douanes qu’elles recueillent, conservent et analysent les données relatives aux saisies et aux rétentions. De plus, les données doivent être de haute qualité, exhaustives et détaillées.

Consciente que de nombreuses administrations ne disposaient pas des outils nécessaires à cet effet, l’OMD a mis au point l’application du Réseau douanier national de lutte contre la fraude ou nCEN. Le nCEN se compose de quatre bases de données indépendantes. La base de données principale portant sur les saisies et les délits au niveau national couvre les données requises aux fins de l’analyse, ainsi que sur les moyens de transport et les itinéraires suivis ; elle offre la possibilité de consulter des photos illustrant les méthodes les plus inhabituelles qui sont utilisées comme moyens cachés. Deux autres bases de données contiennent des informations sur les individus et les entreprises présentant un intérêt pour la douane. Enfin, une base de données couvrant les personnes ou entités suspectes permet aux administrations de rassembler des informations de manière structurée et de suivre l’évolution des enquêtes en lien avec ces informations dans le système.

L’application contient une fonction de base en matière d’analyse des données, permettant notamment des recherches automatisées sur les nouvelles données et des règles d’appariement qui offrent aux utilisateurs la possibilité d’identifier les liens entre les éléments de données dans l’application. Toutes les bases de données sont reliées entre elles, de sorte que les liens entre les personnes, les entreprises et leurs activités illicites sont enregistrés et suivis par le système.

Enfin, une interface de communication, l’Icomm, permet d’échanger des données entre le nCEN et les deux autres applications de la Suite CEN, à savoir l’application CEN, qui est le répertoire central réunissant des informations en lien avec la lutte contre la fraude au niveau mondial, et la plateforme de communication CENcomm, qui permet à un groupe d’usagers d’échanger des données durant une opération de lutte contre la fraude. Les applications de la Suite CEN peuvent « se parler » les unes aux autres, ce qui signifie que les utilisateurs du nCEN peuvent tous s’échanger des informations. En outre, en principe, le transfert de données vers le nCEN depuis les bases de données des systèmes nationaux existants est possible.

Pour comprendre comment l’outil est actuellement utilisé, nous avons demandé à deux administrations des douanes de partager leur expérience : la Douane de Géorgie, qui utilise l’outil depuis 2015, et la Douane de Macédoine du Nord, qui l’a déployé fin 2020. Vers la fin du présent article, nous revenons aussi sur les dernières fonctionnalités ajoutées à l’application et sur les améliorations qui sont prévues à l’avenir.

Analyse des données : le cas de la Douane de Géorgie

« Les tendances et les modalités en matière de contrebande changent très rapidement. Il est donc essentiel de compter sur des données de haute qualité pour identifier les risques émergents au niveau des marchandises et des modes opératoires », explique un représentant de la Douane de Géorgie[1]. Avant de déployer le nCEN, les données sur les saisies et les rétentions d’articles prohibés ou réglementés étaient recueillies dans d’autre systèmes. Plusieurs raisons ont motivé la décision de la Douane de Géorgie de déployer le nCEN, notamment sa volonté de :

  • saisir les données de manière normalisée ;
  • pouvoir procéder à une analyse détaillée des données ;
  • pouvoir envoyer les données notifiées par les agents sur le terrain directement à la base de données CEN de la manière la plus simple et la plus rapide.

Toutes les infractions ne sont pas communiquées au nCEN de Géorgie. Les notifications au nCEN sont régies par certains critères, tels que la gravité des faits, et les données sur des infractions mineures ou administratives sont conservées uniquement dans le système automatisé de la douane. L’Administration a commencé à mener des analyses dès que l’outil a été déployé en 2015. Les données doivent être notifiées au plus tard 10 jours après que la saisie ou la rétention a eu lieu.

Les champs de données couvrent non seulement la catégorie des produits, les moyens de transport, les entreprises et les individus impliqués mais aussi les résultats de l’enquête. Les données sont utilisées pour créer des profils de risque et/ou pour modifier les profils existants. L’analyse et le croisement des données sur les moyens cachés, sur le type de produits déclarés, les itinéraires suivis, les contrevenants, les nationalités et les pays d’enregistrement des moyens de transport, par exemple, se sont révélés particulièrement efficaces pour la Douane de Géorgie, qui a constaté une augmentation du nombre des saisies au cours de ces dernières années.

L’Icomm est utilisé pour le transfert de données du nCEN au CENComm et du nCEN au CEN, qui est la base de données centrale de l’OMD, ce qui permet d’éviter une répétition inutile des tâches. Cela dit, l’Icomm n’est pas employé pour l’échange de données avec d’autres administrations des douanes dans la mesure où il n’existe pas de base légale pour ce faire.

L’interface de communication : le cas de la Douane de Macédoine du Nord

Les déploiements de l’application nCEN auprès des administrations des douanes possédant déjà un système centralisé de recueil de données de lutte contre la fraude montrent que le nCEN peut contribuer à la mise en place de mécanismes de coopération au niveau régional et au-delà, dans la mesure où tous les utilisateurs de l’application font partie du Réseau mondial du nCEN.

L’Administration des douanes de Macédoine du Nord a commencé à utiliser le nCEN en 2020 et gère l’application en parallèle avec sa base de données historique SIM qui est utilisée pour enregistrer les données sur tous les contrôles menés par les douaniers (même les vérifications où aucune irrégularité ou infraction n’est constatée). La base de données SIM inclut également des modules de collecte et d’analyse de données spécifiques. L’un de ces modules est le module de contrôle des passagers aériens qui recueille les renseignements préalables concernant les voyageurs (RPCV) auprès des lignes aériennes et les croise avec les listes de personnes présentant un intérêt, comme la liste centrale des suspects, la liste des personnes impliquées dans des saisies précédentes et la liste des personnes qui ont précédemment déclaré de l’argent en espèces.

La Douane de Macédoine du Nord gère également une base de données du renseignement douanier, une base de données sur les poursuites pour infraction, une base de données des notifications concernant les fonds en espèces et les saisies d’argent liquide, ainsi qu’une base de données sur les atteintes aux droits de propriété intellectuelle, parmi de nombreuses autres.

En attendant que le nCEN et ces bases de données nationales soient connectées, seuls certains douaniers de la Division du renseignement sont autorisés à encoder les données dans le nCEN. Ces douaniers ont accumulé une solide expérience d’utilisation de l’application, ainsi que du CEN et du CENcomm. Cette décision a été prise afin de garantir la qualité des données. Pour les agents de terrain, la saisie des données représente une contrainte. Dans la mesure où ils travaillent avec des échéances très courtes, ils ont tendance à encoder les données aussi rapidement que possible, ne remplissent que les champs qui sont obligatoires et commettent des erreurs d’inattention. L’application n’a pas et ne sera pas traduite en macédonien, ce qui veut dire que les données sont saisies en anglais.

En Macédoine du Nord, le nCEN est donc surtout utilisé pour le téléversement d’informations du CENcomm vers le nCEN et pour la notification des saisies nationales dans le CEN de l’OMD. L’application a également été utilisée pour échanger des données avec la Douane du Kosovo qui utilise également le nCEN. Des informations seront également partagées avec d’autres utilisateurs du nCEN, le cas échéant, à l’avenir.

Améliorations apportées et prévues

L’application nCEN gagne en utilité à chaque nouvelle version que l’OMD rend publique puisque toutes les améliorations apportées se fondent sur les demandes des utilisateurs finaux. Les 55 pays équipés du nCEN n’utilisent pas encore tous la même version, toutefois, et l’OMD se donne notamment comme objectif stratégique d’assurer la transition de tous les pays vers la toute dernière version du logiciel.

Lors de la dernière phase de perfectionnement, une base de données a été ajoutée contenant des informations sur les individus. Cette base de données permet de conserver l’historique du casier d’un individu et de repérer les liens entre cet individu et d’autres affaires.

Toutes les bases de données sont reliées et, si une personne enregistrée est mêlée à une nouvelle affaire, il n’est nullement nécessaire de saisir les données encore une fois. Il en va de même pour les entreprises ou les suspects. Comme nous l’avons déjà expliqué, ce processus de mise en lien des données est vital aux fins de l’analyse.

Dans la version la plus récente de l’application, deux fonctionnalités ont été ajoutées dans le but de faciliter la saisie de données dans le nCEN[2] :

  • un formulaire de saisie simplifié qui donne la possibilité aux administrations dont les ressources sont mises à rude épreuve de ne saisir que des données minimales à des fins statistiques ;
  • une application de bureau qui est à l’image de l’application principale et possède les mêmes fonctionnalités.  Bien que plus limitée, l’application de bureau permet aux agents de saisir des données depuis n’importe quel endroit, à tout moment, qu’ils aient une connexion Internet ou pas. Les saisies qui sont encodées dans l’application de bureau peuvent être exportées, par exemple sur une clé USB afin d’être téléversées sur le nCEN une fois qu’une connexion Internet est disponible.

De plus, pour montrer la valeur ajoutée de l’application et des données en soi, une fonction de visualisation des données a été mise au point, permettant d’afficher les résultats d’une recherche sous la forme d’un tableau ou d’un diagramme pour un aperçu rapide de la situation.

Une fois que des fonds seront disponibles, une base de données sur les moyens de transport sera ajoutée à l’application. Encore une fois, si un moyen de transport qui a déjà été enregistré dans la base de données apparaît dans le cadre d’autres infractions, il ne sera pas nécessaire de saisir à nouveau les données. Le Secrétariat de l’OMD envisage également d’aider certains pays qui ont demandé une assistance afin de connecter leurs bases de données nationales au nCEN. Toutefois, il ne pourra le faire que s’il réussit là aussi à mobiliser des fonds.

Pour l’OMD, la stratégie mondiale de promotion du projet nCEN repose sur quelques piliers fondamentaux. D’une part, il s’agit d’introduire davantage de fonctionnalités de pointe dans le nCEN pour améliorer ses capacités analytiques et assurer la sécurité des données, d’élargir l’interopérabilité du nCEN avec d’autres bases de données nationales pour accroître le flux de données vers le nCEN, et de garantir la durabilité de l’application à travers une assistance technique ciblée. D’autre part, il s’agit de stimuler la coopération entre les membres du Réseau mondial nCEN, d’augmenter le nombre d’activités, d’offrir davantage de formations et d’assurer l’échange d’un nombre croissant de données, non seulement avec le CEN mais aussi entre les pays équipés du nCEN. Les administrations des douanes et les donateurs qui souhaitent contribuer au développement du nCEN sont invités à contacter le Secrétariat.

En savoir +
ncen@wcoomd.org

[1] Voir https://mag.wcoomd.org/fr/magazine/omd-actualites-81/la-georgie-premier-pays-deurope-a-utiliser-le-ncen/.

[2] Ces fonctionnalités ont également été ajoutées au CEN