Raviver la coopération entre les ports et les douanes
17 octobre 2023
Par Kunio Mikuriya, Secrétaire général de l'OMDLe transport maritime gère 90 % des marchandises échangées au niveau international et toute entrave à la chaîne logistique portuaire a des répercussions tangibles en termes d’augmentation des coûts commerciaux, voire de pénurie de marchandises et de matériaux. Cette chaîne implique de nombreuses entités, dont les compagnies maritimes, les agents de transport, les opérateurs de terminaux, les transitaires, les transporteurs routiers, les opérateurs ferroviaires, ainsi que les administrations douanières et autres autorités de régulation.
Les autorités portuaires, qu’elles soient gouvernementales ou privées, jouent un rôle clé en assurant la coordination entre ce grand nombre d’acteurs qui peuvent avoir des intérêts divergents, voire opposés, mais qui dépendent dans une certaine mesure des activités et des actions des uns et des autres. D’une part, les ports doivent mettre en œuvre les mesures d’application de la loi imposées par les organismes de réglementation transfrontaliers ; d’autre part, ils doivent éviter de gêner les activités commerciales en générant des coûts et des délais de dédouanement plus longs.
Lorsqu’un navire entre dans un port, toute une série de tâches administratives commence. Il s’agit notamment de soumettre les déclarations en douane pour la cargaison et les provisions de bord, de remplir les formalités d’immigration pour l’équipage, les passagers et leurs bagages, ou encore d’obtenir les permis d’importation et d’exportation. Lorsque le navire quitte le port, le même processus recommence. Ces activités sont régies par un traité international appelé Convention visant à faciliter le trafic maritime international (Convention FAL) et géré par l’Organisation maritime internationale (OMI).
Les gouvernements sont tenus, au niveau international, d’utiliser l’échange électronique d’informations dans le cadre de ce processus. Depuis avril 2019, les dispositions de la Convention FAL prévoient que la transmission des informations requises concernant l’arrivée, le séjour et le départ des navires dans les ports doit d’ailleurs se fasse par échange de données informatisées (EDI). En outre, suite à l’adoption d’amendements à la Convention, à partir du 1er janvier 2024, l’utilisation d’un guichet unique maritime (MSW) sera obligatoire dans les ports du monde entier. Le MSW est une plateforme de collaboration qui permet de soumettre des informations standardisées et harmonisées à un point d’entrée unique. Il couvre les procédures réglementaires maritimes, mais pourrait être étendu à d’autres procédures administratives, nautiques et opérationnelles, ainsi qu’à d’autres informations connexes entre le secteur privé et les autorités publiques dans les ports, en relation avec le processus de dédouanement des navires et le « Processus d’escale ».
Dans certains cas, des plateformes numériques ont été développées pour gérer les flux de données. Toutefois, dans plusieurs pays, les processus de déclaration navire-terre et de dédouanement sont lourds et inefficaces car ils reposent toujours sur des transactions papier (formulaires, documents et certificats), des interactions humaines, des courriels et des applications telles que WhatsApp.
Directives sur la coopération entre la douane et les autorités portuaires
En juin 2020, en pleine pandémie, l’Association internationale des ports a lancé un appel à l’industrie pour accélérer la numérisation de la chaîne de transport maritime. Cette organisation non gouvernementale (ONG) a mené une enquête sur l’état de mise en œuvre des exigences de l’OMI en matière d’échange de données informatisées (EDI). La majorité des 111 répondants ont déclaré qu’ils avaient du mal à se conformer à ces exigences.
Les douanes jouant un rôle central dans les processus de dédouanement dans les ports, l’OMD et l’Association internationale des ports ont créé en 2022 un groupe de travail conjoint chargé de relever un certain nombre de défis liés à la coopération entre les douanes et les autorités portuaires, notamment en vue de la numérisation des flux de données. Ce travail a abouti à l’élaboration de Directives sur la coopération entre la douane et les autorités portuaires.
Les Directives offrent des orientations pour renforcer la coopération et expliquent notamment comment l’institutionnaliser en partenariat, établir une politique de gouvernance des données, et assurer une compréhension mutuelle des activités de chacun. Elles décrivent également les processus commerciaux, les systèmes informatiques qui les soutiennent et les acteurs concernés, et abordent l’utilisation innovante des technologies. Elles examinent ensuite comment mettre en œuvre l’interopérabilité entre les systèmes automatisés des douanes et des ports afin de permettre la soumission unique d’ensembles de données logistiques et opérationnelles, en soulignant la nécessité de se conformer aux modèles de données de l’OMD et de l’OMI.
Il convient de noter ici que le modèle de données de l’OMD est aligné sur le Répertoire de l’OMI sur la simplification des formalités et le commerce électronique (également connu sous le nom Répertoire FAL de l’OMI). Ce Répertoire est un outil destiné aux développeurs informatiques qui travaillent à la conception des systèmes nécessaires pour transmettre ou recevoir, via l’échange de données électroniques, les informations requises pour l’arrivée, le séjour et le départ des navires, des personnes et du fret, et pour pouvoir y répondre. Les composants du modèle de données de l’OMD sont organisés en petits blocs de construction appelés paquets d’information (IP), et le travail effectué avec l’OMI a abouti au développement du paquet d’information dérivé (DIP) du FAL de l’OMI. En outre, des conseils pratiques sur la mise en œuvre du recueil FAL de l’OMI à l’aide du modèle de données de l’OMD ont été élaborés et publiés, y compris un Guide de mise en œuvre des messages qui fournit des informations techniques supplémentaires aux personnes chargées de la mise en œuvre.
Les Directives recommandent également que les douanes et les ports élaborent une stratégie commune en matière de données et expliquent comment cette stratégie devrait être mise en œuvre. Enfin, des explications détaillées sont fournies sur la manière d’aligner le programme d’opérateur économique agréé et le code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires (ISPS), ainsi que sur la transmission numérique des renseignements préalables concernant le fret et les navires.
Contenu de ce dossier
Les Directives stimuleront, nous l’espérons, un dialogue entre les autorités portuaires et douanières et feront avancer le programme de numérisation. Pour cette édition du Magazine, nous abordons l’environnement portuaire sous différents angles.
Nous commençons par un article écrit par la Douane d’Abu Dhabi et le AD Ports Group qui présente les diverses initiatives numériques que ces deux entités ont menées conjointement ces dernières années afin d’améliorer les opérations et l’efficacité des processus douaniers dans les ports. Ces initiatives comprennent le développement d’une plateforme numérique qui rassemble plus de 800 services informatiques développés par 70 entités des secteurs public et privé. Cette plateforme offre aux opérateurs commerciaux un écosystème informatique unique qui regroupe tout ce dont ils ont besoin en termes de procédures administratives.
Le deuxième article nous emmène en Bulgarie et dans le port de Varna. La Douane bulgare explique le modèle d’analyse des risques appliqué par le bureau en charge du port, évoquant également les différentes plateformes numériques employées par l’administration et, enfin, certains des défis auxquels les agents des douanes de première ligne doivent faire face. « Si un modèle de gestion des risques approfondi et rationalisé est en place et que les mesures de contrôle sont exécutées efficacement, la numérisation peut aboutir à la création de frontières intelligentes », conclut l’auteur.
Nous nous penchons ensuite sur des questions plus techniques, avec un article rédigé par un fournisseur de services qui soutient que l’intégration des systèmes d’information des ports et des douanes dans un environnement de nuage informatique change la donne en matière de transformation numérique. L’article souligne également que, pour choisir entre une infrastructure sur site et une infrastructure de nuage informatique, plusieurs facteurs doivent être pris en compte tels que le volume des échanges, le budget informatique, la souveraineté des données et les aspirations de croissance à moyen et long terme.
L’article suivant, rédigé par le Centre de service à la clientèle de l’autorité portuaire de Géorgie, explique comment l’autorité a favorisé un partenariat de confiance avec le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (CBP). Une équipe spécialisée, axée sur les douanes, a notamment été créée pour aider les clients des ports à résoudre les problèmes relatifs à la mainlevée. Ont également été mis en place, dans le port de Savannah qui exploite ses propres terminaux, un espace pour les inspections douanières ainsi qu’une équipe de services gouvernementaux qui travaille main dans la main avec la station de contrôle centralisé de la CBP et les clients du port pour aider à accélérer le flux de marchandises.
Un article du Maritime Anti-Corruption Network examine ensuite l’impact de la corruption dans les ports et présente les mesures anti-corruption adoptées par le gouvernement nigérian après plusieurs années d’engagement avec de multiples acteurs du gouvernement, du monde des affaires et de la société civile. L’article montre qu’il est possible de s’attaquer à la corruption systémique en construisant des alliances solides entre les secteurs public et privé.
Le dernier article du dossier présente l’Opération Tin Can de l’OMD, première initiative de lutte contre la fraude impliquant activement le secteur du transport maritime afin de lutter contre l’exploitation du fret légitime aux fins de trafic de drogues à travers la méthode du rip-on / rip-off. Cette méthode exige que les trafiquants travaillent avec des complices, à escient ou sous coercition, qui profitent de leur autorisation d’accès en zone portuaire pour s’occuper de la logistique. L’article explique comment l’opération Tin Can a ouvert de nouveaux horizons pour améliorer la capacité des douanes à lutter contre le trafic de stupéfiants, en particulier à travers une coopération renforcée avec les compagnies maritimes et l’utilisation de diverses technologies.
Un thème commun traverse ces articles : la coopération. Dans l’environnement complexe du commerce maritime, les efforts visant à améliorer les opérations et à déployer les technologies nécessitent une coopération solide. Les ports et leurs parties prenantes peuvent soutenir le rôle et les responsabilités de la douane et vice-versa. J’espère que les articles de ce dossier inciteront les administrations douanières à examiner la pertinence et la possibilité d’établir de nouvelles pratiques ou des relations plus approfondies avec ces acteurs.