Scanning des conteneurs: analyse de l’impact du dispositif dans la procédure de dédouanement au Cameroun
6 juin 2019
Par l’Administration des douanes camerounaisesEn 2016, le Gouvernement camerounais a pris l’option d’imposer une politique de scanning systématique des conteneurs tant à l’importation qu’à l’exportation. Cet article analyse l’impact du dispositif dans la procédure de dédouanement en se penchant tour à tour sur la rentabilité du dispositif, sa perception générale par les importateurs et acteurs du secteur privé ainsi que les difficultés générées par sa mise en œuvre.
Le 26 juin 2006, un premier scanner mobile est installé au Port de Douala, conformément aux résolutions issues du processus de réforme de l’Administration des douanes camerounaises qui stipulent qu’un processus de scannage doit être intégré à la procédure de dédouanement à l’importation des conteneurs maritimes. Ces résolutions sont le résultat de concertations entre représentants d’une société d’inspection, du Port Autonome de Douala (PAD), d’entreprises du secteur privé et des intervenants de la chaîne logistique portuaire regroupés au sein du Comité National de Facilitation des Échanges.
L’objectif principal du déploiement d’un scanner est de réduire significativement les délais de passage des marchandises conteneurisées en substituant le contrôle non intrusif au contrôle physique des marchandises, source de coûts, de lourdeurs et de tracasseries multiples pour les importateurs.
Bien que l’essentiel des acteurs de la chaîne logistique portuaire se soient accordés sur sa nécessité, l’initiative a généré quelques « résistances internes »[1] de la part d’une frange non négligeable des fonctionnaires des douanes qui questionnaient la rentabilité du dispositif ainsi que la méthodologie de son utilisation dans le processus de dédouanement.
Ce premier scanner était un appareil de première génération de scanner mobile acquis dans le cadre d’une Convention passée entre l’État du Cameroun et la société d’inspection, et installé sur un site de 60 mètres sur 35 attenant au parc des conteneurs du Douala International Terminal (DIT), exploitant agréé du terminal à conteneurs du Port de Douala. L’appareil disposait d’une capacité d’opération maximale de vingt conteneurs par heure et était en service de 6h00 à 18h00.
L’accroissement du volume des conteneurs débarqués au Port de Douala, les pannes récurrentes de l’appareil au fil des ans, les lourdeurs procédurales inhérentes au protocole de passage au scanner, la nécessité de renforcer la lutte contre la fraude et les grands trafics ainsi que les problématiques sécuritaires générées par les crises de la sous-région Afrique Centrale et de la région anglophone du Cameroun ont conduit le Gouvernement à prendre le pari de technologies de scanning plus perfectionnées et mieux adaptées aux réalités contemporaines.
C’est ainsi qu’en septembre 2016, trois scanners fixes d’une capacité totale réelle de 150 conteneurs par heure, ont été mis en service, toujours dans le cadre d’un partenariat État du Cameroun/Société d’inspection. Fait majeur, le gouvernement a pris l’option d’imposer une politique de scanning systématique des conteneurs tant à l’importation qu’à l’exportation.
Afin d’apprécier l’impact de cette politique dans la mise en œuvre globale du processus de dédouanement des conteneurs au Port de Douala, il nous semble nécessaire d’examiner le positionnement actuel du passage au scanner dans le mécanisme de vérification des marchandises conteneurisées, la rentabilité du dispositif, sa perception générale par les importateurs et acteurs du secteur privé ainsi que les difficultés générées par sa mise en œuvre.
Le repositionnement du scanner en amont de la procédure de dédouanement
En 2006, le scanner mobile avait été positionné en fin de procédure de dédouanement et les conteneurs étaient astreints au passage au scanner uniquement lorsque :
- la déclaration était en circuit rouge ;
- la déclaration était en circuit jaune et faisait l’objet d’une contestation par l’inspecteur de visite traitant ;
- le chargement de par sa nature avait été orienté vers une visite physique, en raison d’une alerte de sécurité notamment ;
- il s’agissait d’une procédure accélérée : enlèvements sous palans (du navire au camion ce qui évite le stockage ou le dépôt sur les quais) et enlèvements directs (du navire à un entrepôt sous douane sous le couvert d’une déclaration sommaire) ;
- la marchandise était en transfert vers les magasins extérieurs sous douane.
Ce premier dispositif a été fortement critiqué : l’accès aux images était limité aux seuls agents en service à l’Unité de Gestion du Scanner, avec les risques de collusion que cela comporte, la capacité du scanner mobile était réduite et la qualité des images produites relativement faible. Enfin et surtout, les usagers se plaignaient de la lourdeur du processus entre la prise de rendez-vous, l’opération de scanning proprement dite et le contrôle physique qui suivait en cas de suspicion, contrôle qui générait bien entendu de nouveaux coûts.
Avec la mise en service des nouveaux scanners fin 2016, les choses ont changé. Le balayage par rayons X s’opère en deux dimensions et il est systématique. À l’importation, l’opération de scanning est donc désormais un préalable au stockage du conteneur sur le terminal à conteneurs du Port de Douala après son débarquement. Les inspecteurs de visite des bureaux de première ligne sont systématiquement tenus de consulter les images de scanning avant de délivrer le « Bon à Enlever » sur les marchandises. Le fait de disposer d’images sur leur réseau informatique permet aux inspecteurs des douanes de prendre des décisions plus rapidement. Tout le monde au sein de l’administration des douanes a accès à l’image, ce qui signifie que lorsque l’inspecteur de première ligne a pris une décision, l’inspecteur de deuxième ligne et les autorités portuaires peuvent revoir plus facilement les instructions données.
Quant aux services de contrôle différé, ils disposent désormais d’une base de données leur permettant d’apprécier et d’opérer certains recoupements et analyses sur des cargaisons déjà enlevées, ou encore de confirmer des suspicions soulevées lors d’un audit ou suite à des renseignements particuliers.
D’après le représentant de la société d’inspection en charge de l’exploitation des nouveaux scanners au Port de Douala, l’entreprise procède en moyenne au scanning effectif de trente-cinq conteneurs par heure, avec une capacité théorique de 50 conteneurs par heure. Le tableau 1 présente le volume des contrôles non intrusifs opérés sur les marchandises conteneurisées au Port de Douala tant à l’import qu’à l’export sur la période 2016-2018.
Rentabilité de la nouvelle approche de scanning
S’il est certainement très difficile d’apprécier et de quantifier de manière précise la rentabilité de l’outil scanner sur le processus de dédouanement, l’on ne saurait négliger l’incidence de cet outil sur le délai de traitement des dossiers par les services des douanes de marchandises conteneurisées. Les résultats d’une étude récente sur les délais de passage à l’import des marchandises au Port de Douala indiquent en effet une réduction du délai de passage par rapport à la dernière étude publiée en 2012.
Sur le plan de la lutte contre la fraude, le scanning systématique a permis la détection de nombreux cas de contrebande de marchandises fortement taxées (vins et champagnes dissimulés dans des cargaisons dites de personnels diplomatiques) et de marchandises prohibées (saisie de 75kg de cocaïne et d’armes et munitions non déclarées dans divers conteneurs de particuliers).
Perception des opérateurs
Les importateurs et commissionnaires en douane agréés se félicitent de la baisse considérable du nombre de visites à quai, notamment en raison des surcoûts que ces dernières généraient. Les frais de relevage import, c’est-à-dire l’opération de prise du conteneur sur le terre-plein du terminal et son chargement sur le moyen de transport s’élevait à 105 000 FCFA pour un conteneur de 20 pieds (environ 150 euros) et 180 000 FCFA pour un conteneur de 40 pieds (environ 270 euros), auxquels s’ajoutaient les frais de détention du moyen de transport, soit 100 000 FCFA par jour en moyenne.
Selon M. Nguene Nteppe, Secrétaire permanent du Comité National de Facilitation des Échanges (CONAFE) qui rassemble opérateurs des secteurs public et privé autour des problématiques du commerce transfrontalier, le repositionnement du scanner a eu un effet positif sur le plan de la simplification des formalités, induisant ainsi plus de cohérence sur le plan procédural.
Difficultés
Si les développements précédents semblent dépeindre un tableau plutôt idyllique, il n’en demeure pas moins que certains aspects du dispositif d’utilisation des nouveaux scanners sont critiquables.
Coûts de passage
L’essentiel des récriminations porte sur les coûts de passage. Toujours selon M. Nguene Nteppe, le passage systématique au scannage a alourdi les coûts des transactions, aussi bien à l’importation qu’à l’exportation, et cette augmentation est une préoccupation majeure pour les opérateurs. Les tarifs appliqués n’ont en effet pas été déterminés selon la procédure habituelle d’homologation des tarifs portuaires au cours de laquelle sont analysés tous les éléments objectifs permettant de fixer un tarif équilibré et juste. En dépit de l’interpellation du Ministre des Finances par le CONAFE, cette procédure n’a toujours pas été observée.
Le tarif actuel du passage au scanner, détaillé dans le tableau 2, est donc jugé très élevé et mériterait d’être révisé. Toutefois, suite aux fortes critiques de la part des exportateurs et des consignataires de navires, il a été modifié[2] et le passage des conteneurs vides n’est plus assujetti au paiement de la « contribution scanner ».
Autre fait souligné par M. Nguene Nteppe, la taxe d’inspection est toujours à 0,95 % de la valeur FOB de la marchandise avec un minimum de perception de 110 000 FCFA[3], alors que, simultanément à la mise en œuvre du scanning systématique des conteneurs, le contrat liant l’État du Cameroun à la société d’inspection dans le cadre du Programme de Vérification des Importations a été révisé en supprimant la procédure d’inspection avant embarquement.
Rapports avec les concessionnaires du service de scanning
L’architecture du dispositif de scanning systématique au Port de Douala fait cohabiter deux acteurs distincts que sont le Douala International Terminal (DIT), exploitant du terminal à conteneurs, et une société d’inspection, concessionnaire du service public de scanning.
Les statistiques sur la période 2016-2018 (voir tableau 1) traduisent qu’au sens strict, le scanning systématique des conteneurs n’est pas encore véritablement opérationnel. À l’importation, l’une des explications de l’écart entre le nombre de conteneurs débarqués et le nombre de conteneurs scannés réside dans le fait que le DIT a négocié des conventions particulières avec certains acconiers qui permettent à ces derniers d’assurer suivant le timing qui leur convient les opérations de manutention portuaire des cargaisons dont ils ont la charge. Si une défaillance est relevée dans la mise à disposition des équipements de manutention (tracteurs et semi-remorques, élévateurs, etc.), le passage au scanner est parfois non réalisé.
À l’exportation, on note une absence de statistiques concernant les conteneurs vides. Comme nous l’avons expliqué, le gouvernement, après négociations avec les acteurs de la chaîne logistique, a décidé que le scanning des conteneurs vides à l’export serait gratuit. Cependant, en raison des coûts d’exploitation supportés par le concessionnaire, ce dernier a cessé de procéder à ces opérations. Cette situation peut être source de risques. Il a d’ailleurs été rapporté qu’un conteneur, parti du Cameroun supposément vide, a été retrouvé en Italie avec un véhicule chargé à bord.
Procédure export
Le positionnement actuel des scanners reste inapproprié au regard des exigences inhérentes à la procédure d’exportation en vigueur au Port de Douala. Toujours de l’avis de M. Nguene Nteppe, il devrait se situer hors de l’enceinte du terminal à conteneurs pour des raisons de cohérence avec l’ordonnancement des procédures à l’export.
Ceci est d’autant plus pertinent que les conteneurs destinés à l’export sont acheminés sur le terminal par des transporteurs mandatés par les exportateurs ou leurs commissionnaires en douane agréés et que les protocoles d’orientation et de circulation à l’intérieur du terminal ne garantissent pas que tous ces conteneurs subissent systématiquement l’opération de scanning avant sortie des matériels roulants les ayant convoyés. Ainsi, certains sont entreposés sans avoir été scannés et doivent faire l’objet d’un nouveau relevage, générant de nouveaux frais.
Conclusion
Il est sans conteste que l’usage systématique du scanner dans les procédures de dédouanement offre de nombreux avantages tant au plan de la simplification que de la facilitation plus large des procédures. Cependant, la mise en œuvre d’un tel dispositif, surtout dans les pays en voie de développement qui s’appuient sur l’expertise des sociétés d’inspection et d’exploitation des terminaux portuaires, requiert une concertation optimale avec tous les opérateurs économiques et intervenants de la chaîne logistique.
[1] Thomas CANTENS dans son article « Un scanner de conteneurs en « Terre Promise » camerounaise : adopter et s’approprier une technologie de contrôle », publié sur le site www.openedition.org en 2015, illustre fort pertinemment les contingences observées dans l’adoption et l’appropriation de cet outil par la Douane camerounaise.
[2] Cf Circulaire N° 013 du 27/01/2017 fixant les modalités de liquidation et de paiement de la contribution scanner et Instruction N° 016605/MINFI/CAB du 10/11/2017 définissant les procédures de liquidation, d’encaissement et de reversement de la contribution scanner (CDS) du Ministre des Finances.
[3] Instruction Ministérielle portant PVI du 30/11/2016