Point de vue

Trafic illicite de déchets : il est temps de tirer la sonnette d’alarme et de se mobiliser

6 juin 2019
Par Col. John M. Simon, Port Collector, terminal international à conteneurs de Mindanao, bureau des douanes, Philippines

Selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement, le continent asiatique est le plus grand dépotoir au monde de déchets ayant fait l’objet d’un trafic illicite. C’est aussi une région aux prises avec l’énorme quantité de déchets plastiques qu’elle produit elle-même et qui a déjà fait des ravages dans les écosystèmes locaux. Dans un rapport de 2017[1], l’ONG Ocean Conservancy affirme que la Chine, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Viet Nam déversent plus de plastique dans les océans que le reste des pays du monde réunis.

La situation des pays de la région s’est détériorée après que la Chine a décidé l’année dernière d’interdire les importations des déchets de plastique d’un taux de pureté en-dessous de 99,5 %, de nombreux exportateurs dirigeant désormais leurs cargaisons vers les pays d’Asie du Sud-Est où ils avaient trouvé des acheteurs.

Certains pays ont réagi à cette situation en prenant des mesures drastiques. En mai 2018, le Viet Nam a ainsi temporairement interdit l’importation de déchets plastiques après la forte augmentation du nombre de cargaisons de déchets, provoquée par l’interdiction chinoise, qui a congestionné plusieurs de ses ports. Deux mois plus tard, la Malaisie a définitivement cessé de délivrer des permis d’importation pour les déchets plastiques.

Malgré et en contravention avec les réglementations nationale et internationale, de larges quantités de déchets sont toujours exportées comme en témoignent les récents événements qui ont touché les Philippines.

Traffic

Un nombre croissant de cargaisons de déchets parvient aux Philippines. Si certaines contiennent des déchets légitimes qui peuvent être recyclés, d’autres renferment des immondices et des ordures ménagères qui ne peuvent être qu’incinérés ou mis en décharge.

Le bureau des douanes est extrêmement préoccupé par ce trafic et cherche à y mettre un terme. Voici cinq exemples d’importation illégale d’ordures et de déchets ménagers qui donnent une idée de l’ampleur de ce problème dans le pays.

  • Entre juin et août 2013, 103 conteneurs sont arrivés du Canada, en six lots, au terminal international à conteneurs de Manille. La cargaison pesait 2 500 tonnes et devait contenir, selon la déclaration qui avait été faite, des débris de plastique recyclé ; elle se composait en fait de bouteilles en plastique, de sacs en plastique, de journaux, de couches pour adultes et d’autres ordures ménagères. Cette cargaison n’a toujours pas été réclamée et elle a été réexportée au Canada le 31 mai dernier, soit presque six ans après son arrivée.
  • En janvier 2017, une cargaison en provenance de Corée du Sud, contenant selon la déclaration des copeaux de bois (1 700 tonnes) et de la résine synthétique recyclée (2 500 tonnes), pour un poids total de 4 200 tonnes, est arrivée au port de Cebu. Elle contenait en fait différents types de plastiques, parmi lesquels des sacs en plastique, du polyéthylène basse densité et des plastiques solides comme des manches de brosses à dents et des emballages pour aliments. Une partie de la cargaison, qui n’avait pas encore été déchargée du navire (2 500 tonnes), a été renvoyée en Corée du Sud.
  • En juillet 2018, une cargaison en provenance de Corée du Sud est arrivée dans un port privé de la municipalité de Villanueva. Censée contenir des flocons de plastique, elle contenait en fait différentes sortes d’ordures ménagères. Une injonction de réexportation a été émise en décembre, mais les déchets se trouvent toujours dans les locaux de l’importateur.
  • En octobre 2018, une cargaison en provenance de Corée du Sud est arrivée au terminal international à conteneurs de Mindanao. Il s’agissait de 51 conteneurs pesant 1 500 tonnes censés contenir des flocons de plastique. En réalité, la cargaison contenait différentes sortes de déchets ménagers tels que des déchets de papier, du caoutchouc, des bouteilles, du cellophane, des boîtes en aluminium, des fils électriques et des chaussures en caoutchouc. Interceptée par la Douane dans la zone de mise à quai, la cargaison n’a pu quitter le terminal jusqu’à sa réexportation en janvier 2019.
  • En février 2019, une cargaison en provenance de Hong Kong (Chine) est arrivée au terminal international à conteneurs de Mindanao. Censée contenir divers accessoires électroniques, elle contenait en fait différentes sortes d’ordures ménagères. Interceptée dans la zone de mise à quai, elle n’a pu quitter le terminal jusqu’à sa réexportation. Un mandat de saisie et d’immobilisation a été délivré le 5 mars 2019 et le conteneur a été réexporté le 3 juin dernier.

Aucune des sociétés importatrices impliquées dans les cas mentionnés ci-dessus ne disposait d’un permis d’importation qui les aurait autorisées à importer des ordures ménagères aux Philippines, et toutes ont fait de fausses déclarations pour leurs cargaisons.

L’un des 103 conteneurs arrivés au terminal international à conteneurs de Manille en 2013. Déclarée comme des débris de plastique recyclé, la cargaison consistait en réalité en un mélange de bouteilles en plastique, de sacs en plastique, de journaux, de couches pour adultes et d’autres déchets ménagers. Photo: Douane des Philippines

Cadre international

Le Canada, Hong Kong (Chine), les Philippines et la Corée du Sud sont tous Parties à la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination. Cette convention définit ce qui doit être considéré comme un déchet « dangereux » et permet à ses 186 Parties d’établir leur propre liste de déchets considérés comme dangereux selon leur droit interne.

Elle reconnaît également le droit des Parties de fixer leurs propres exigences concernant les procédures relatives aux mouvements transfrontières applicables à ces déchets (art. 3.1).

Il est interdit aux Parties d’exporter des déchets considérés comme dangereux sans consentement préalable, et les Parties ont le droit de refuser l’importation de déchets considérés comme dangereux (article 4.1). Le pays d’où proviennent les déchets est responsable du retour des déchets à leur port d’origine « dans un délai de 30 jours à compter du moment où l’État d’exportation a été informé du trafic illicite ». La Convention dispose également que l’obligation de traitement de ces déchets selon des méthodes écologiquement rationnelles « ne peut en aucun cas être transférée à l’État d’importation ou de transit ».

Accords bilatéraux

La Douane des Philippines a conclu des accords de coopération bilatérale avec chacun des pays exportateurs cités, chaque partie s’étant engagée à apporter son soutien et à empêcher l’entrée de marchandises illégales. Toutefois, les autorités des pays exportateurs n’assument pas leur rôle, comme le montrent les cinq exemples d’entrée illégale cités plus haut. Ces importations illégales ont été repérées grâce à des réseaux locaux de renseignement et non grâce à une collaboration renforcée entre les administrations douanières.

Les autorités des États exportateurs et des États importateurs devraient travailler de concert pour détecter les opérations illicites et poursuivre les entreprises et les personnes impliquées dans ce trafic. Il faudrait recueillir des renseignements et recenser les indicateurs de risque des deux côtés. On pourrait même imaginer que des pays entreprennent conjointement des analyses de risques, des interceptions, des enquêtes, des activités opérationnelles et des livraisons surveillées. Une telle coopération permettrait certainement d’améliorer la lutte contre ce trafic illicite.

Données et renseignements

Comme le souligne l’OMD dans un article publié dans l’édition de février 2019 de ce magazine, « il n’existe pas suffisamment de données pour disposer d’une image claire et détaillée des flux de déchets illicites au niveau international. Pour pouvoir détecter les tendances en matière de trafic aussi précisément que possible et améliorer la gestion des risques en conséquence, il faut que les pays consignent leurs saisies dans leur base de données nationale de lutte contre la fraude ainsi que dans celle du Réseau douanier de lutte contre la fraude (CEN) de l’OMD.  Ces données permettront d’affiner le ciblage des opérations douanières et de lutte contre la fraude, tout en fournissant des renseignements qualitatifs. »

La lutte contre la criminalité transfrontière est une nouveauté pour la Douane des Philippines. Par conséquent, l’administration ne dispose d’aucune base de données nationale pour la collecte, l’analyse et l’échange d’informations sur les infractions et les contrevenants, et n’a pas établi de profils de risque pour les entreprises susceptibles de se livrer à un trafic illicite. Toutefois, les saisies effectuées au terminal international à conteneurs de Mindanao ont été signalées au Bureau régional de liaison chargé du renseignement de l’OMD pour la région Asie-Pacifique afin que ces informations puissent être communiquées à l’OMD et à ses Membres.

S’agissant de la coopération entre les organismes au niveau national, des représentants de la Douane et du ministère de l’environnement et des ressources naturelles se réunissent régulièrement pour s’attaquer aux importations illégales de déchets. Toutefois, pour recueillir des renseignements à des fins de ciblage, il est nécessaire d’améliorer fortement la coordination entre la Douane et les organismes environnementaux aux niveaux national, régional et international. Idéalement, les personnes chargées de la coordination aux différents niveaux devraient être habilitées à décider rapidement qui doit être nommé dans chaque pays. Cette coordination devrait comprendre une communication et une coopération renforcées, ainsi que le partage obligatoire des données et des renseignements.

Solution possible

La persistance de l’entrée illicite d’ordures et de déchets dangereux prouve qu’il faut redoubler d’efforts pour lutter contre ce trafic. Une solution pourrait être de créer une commission internationale ou des commissions régionales, voire des commissions binationales, qui seraient chargées de lutter contre la criminalité environnementale transfrontière.

Compte tenu de l’ampleur du trafic illicite en provenance de Corée du Sud, on pourrait par exemple créer une commission philippino-coréenne de lutte contre les déchets, qui serait chargée de veiller à ce que les services de contrôle des ports philippins soient correctement formés et équipés pour détecter les importations illicites de déchets.

Ces commissions devraient être composées de représentants du secteur public et du secteur privé. Outre les activités de lutte contre la fraude, elles devraient également mettre en œuvre des programmes d’éducation du public et, plus important encore, s’employer à améliorer la gestion globale des déchets aux deux extrémités de la filière.

 

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les points de vue officiels du Gouvernement des Philippines ou de son bureau des douanes.

 

En savoir +
www.basel.int
www.unenvironment.org/explore-topics/chemicals-waste

 

[1] https://oceanconservancy.org/wp-content/uploads/2017/04/full-report-stemming-the.pdf