Panorama

Le commerce électronique transfrontalier en Chine

13 octobre 2017
Par Hao Wu etRobert Ireland

 

Le commerce électronique, c’est-à-dire le commerce de biens et services par le biais d’Internet, est devenu un secteur important de l’économie mondiale, et son volet transfrontalier un grand thème de discussions pour les autorités douanières. L’OMD ne pouvait manquer d’en faire un sujet prioritaire de son programme de travail, ce qu’elle a fait :

  • en créant un Groupe de travail sur le commerce électronique (GT-CE), plateforme d’échange entre les douanes et le secteur privé afin de discuter des stratégies visant à garantir la facilitation et le contrôle des transactions de commerce électronique ;
  • en entreprenant un travail de terrain et de recherche afin de recueillir et d’analyser les expériences des administrations douanières dans ce domaine.

La première mission menée dans le cadre des travaux de recherche de l’OMD s’est déroulée en Chine, où le commerce électronique remporte un franc succès et ne cesse de croître. Le travail de terrain a été mené à Shenzhen, à Shanghai et à Hangzhou, du 21 au 28 mars 2017, avec le soutien de la Douane chinoise. L’objectif était d’obtenir des informations de première main qui permettraient à l’OMD d’élaborer les normes, instruments et outils adéquats.

En amont de la mission, les experts de l’OMD avait envoyé un questionnaire aux représentants des services gouvernementaux et entreprises qu’ils avaient prévu de rencontrer. Parmi ceux-ci figuraient les bureaux de douane de Shenzhen, de Shanghai et de Hangzhou, la Commission sur la douane et la facilitation des échanges de la Chambre de commerce internationale (ICC) en Chine, le Comité chargé de la zone pilote pour le commerce électronique transfrontalier de Hangzhou, l’Autorité de Qianhai à Shenzhen, ainsi que Alibaba, SF Express et YTO Express. Lors des rencontres, les participants ont présenté leurs expériences dans la supervision et la gestion des transactions transfrontalières et ont discuté des défis rencontrés et des instruments et normes internationaux qui permettraient de les relever. La délégation de l’OMD s’est également rendue sur les sites opérationnels des bureaux de douane de Shenzhen et de Shanghai, dans l’entrepôt sous douane appartenant au China Merchants Group, sur le site de traitement du service « OneTouch Business » d’Alibaba, au parc Hi-Tech Caohejin et au centre de logistique de SF Express.

Le e-commerce en Chine

Le commerce électronique connaît une popularité grandissante en Chine depuis 1997. Après deux décennies de croissance continue, cette industrie poursuit son expansion tout en adoptant de nouvelles modalités (échanges B2B, B2C, C2C ou encore O2O pour les services en ligne destinés à générer des ventes en magasin et vice-versa). Le e-commerce transfrontalier a commencé à enregistrer une hausse significative en 2011 et représente aujourd’hui une part importante du commerce extérieur chinois. Selon le E-Commerce Connectivity Index (ECI) créé par Alibaba, les principaux partenaires commerciaux de la Chine en matière de ventes en ligne sont les États-Unis, la Russie, le Brésil, l’Espagne, le Royaume-Uni, l’Australie, la France, l’Italie, le Japon, le Canada, l’Allemagne et la Corée du Sud.

Les échanges relevant du commerce électronique transfrontalier, en particulier dans le cadre des ventes de l’entreprise au consommateur, impliquent le recours à des transactions électroniques, des paiements électroniques et à des services logistiques. Il existe pléthore d’acteurs sur le marché en Chine, dont les plateformes en ligne, les prestataires de services de paiement électronique, les prestataires de services d’entreposage ainsi que les transporteurs express, qui contribuent ensemble au bon déroulement des transactions en ligne et des livraisons hors ligne.

Le commerce électronique transfrontalier a un impact sur les économies à plusieurs niveaux :

1) il permet aux consommateurs de se fournir en produits divers et variés en provenance du monde entier ;

2) il encourage les petites et moyennes entreprises (PME) à participer au commerce international ;

3) il améliore la compétitivité économique ;

4) il promeut l’innovation (par exemple, de nombreuses plateformes en ligne chinoises utilisent les mégadonnées pour analyser les transactions et en assurer le suivi) ;

5) il crée de l’emploi (selon le Ali Research Institute, organe de recherche du groupe Alibaba, plus de 2 millions de personnes travaillent dans ce secteur en Chine, et SF Express, le plus grand transporteur express chinois, déclare compter quelque 124.000 employés).

Promotion

Conscient des avantages que le secteur économique offre, le gouvernement chinois s’est lancé dans l’élaboration d’une série de politiques visant à le promouvoir. L’Assemblée nationale populaire chinoise travaille sur un projet de loi sur le commerce électronique qui comprend un chapitre spécifique consacré aux transactions transfrontalières. Le texte exige explicitement des agences gouvernementales qu’elles prennent des mesures visant à faciliter le traitement des transactions et à en garantir la conformité, notamment en mettant sur pied des régimes adéquats pour le partage d’informations et en utilisant des systèmes dématérialisés.

Il convient toutefois de souligner que les politiques d’encouragement au développement de ce secteur ne datent pas d’hier. En août 2013, le gouvernement chinois promulguait une note exigeant aux services gouvernementaux pertinents de mettre en place des mesures pour appuyer le secteur, en réponse aux nouvelles tendances qui commençaient à se dégager en matière de commerce extérieur et aux besoins émergents des opérateurs commerciaux et des consommateurs. Plus tard, en juin 2015, il publiait ses « Lignes directrices sur la promotion du développement sain et rapide du commerce électronique transfrontalier » où figuraient un certain nombre de mesures visant à encourager les entreprises à se lancer dans le commerce international par le biais du commerce électronique, à renforcer les grandes plateformes de vente en ligne, à améliorer les procédures douanières et de quarantaine, à perfectionner les services de paiement transfrontalier, à fournir un soutien financier aux entreprises de commerce électronique et à promouvoir les fonctions des associations professionnelles.

Au niveau local, les autorités municipales dans certaines villes sont encouragées à intégrer différentes structures administratives pour fournir des services complets aux opérateurs du commerce électronique transfrontalier. Par exemple, à Shenzhen, quatrième plus grande ville de Chine, 99 % des opérations de commerce électronique transfrontalier sont traitées à Qianhai, qui fait partie de la zone franche pilote de Guangdong. L’Autorité de Qianhai a créé une division spéciale pour attirer les entreprises de commerce électronique. La division organise régulièrement des réunions avec les différents acteurs du secteur au sein de la zone franche dans le but de clarifier les politiques en vigueur sur la zone et recueille leurs questions, qui sont ensuite relayées auprès des autres services gouvernementaux compétents. Par ailleurs, comme Qianhai est située dans une zone franche, les marchandises exportées depuis Qianhai peuvent être importées dans une zone de libre-échange étrangère et entreposées sous contrôle douanier. En cas d’achat, les marchandises peuvent être transportées depuis la zone franche vers le marché étranger après dédouanement. Sinon, elles peuvent être expédiées vers un pays tiers ou renvoyées vers Qianhai sans aucun paiement de droit.

Le gouvernement chinois a également autorisé une dizaine de villes à fonder une zone pilote dédiée au secteur. Hangzhou, connue comme la capitale chinoise du commerce électronique, a été la première ville à recevoir un tel agrément compte tenu de ses excellents résultats en matière de mobilisation de ses différentes structures administratives. Afin de permettre la participation des PME et l’apparition de nouveaux acteurs dans ce secteur, le gouvernement municipal de Hangzhou a établi des systèmes qui permettent aux plateformes de vente en ligne, aux banques, aux prestataires de services de logistique et aux services gouvernementaux de partager des données et des informations. Ces données sont aussi utilisées pour identifier les risques de violations des droits de propriété intellectuelle, faciliter les flux financiers, suivre le comportement des entreprises, compiler les statistiques, assurer le respect des règlementations sanitaires et phytosanitaires, etc. En outre, les autorités municipales, en partenariat avec quelques-unes des plateformes de vente en ligne (comme Alibaba et Amazon), organisent des ateliers de renforcement des capacités et de formation pour les PME et pour les nouveaux arrivants sur le marché du commerce électronique.

Règlementations douanières

La Circulaire n° 26 d’avril 2016 sur les questions concernant la supervision des importations et exportations au détail relevant du commerce électronique transfrontalier constitue la principale règlementation publiée par la Direction générale de la Douane chinoise sur le secteur. La circulaire s’applique à toutes personnes et sociétés engagées dans les importations et exportations au détail via des plateformes de vente en ligne, dont les marchands en ligne, les opérateurs de systèmes de paiement électronique, les prestataires de plateformes de vente en ligne (soit autogérées, soit pour le compte d’une tierce partie), et les opérateurs de services de logistique.

Tous les acteurs du commerce électronique transfrontalier sont obligés de s’enregistrer auprès de leur bureau de douane local et sur la « Plateforme de dédouanement du commerce électronique transfrontalier », qui fait partie du portail E-port géré par la Direction générale de la douane. En outre, avant toute transaction d’importation ou d’exportation, ils sont obligés de saisir les informations relatives à ladite transaction (par exemple le bon de commande) et au paiement ou à la logistique (par exemple la lettre de transport) sur cette plateforme. Ainsi, les fonctionnaires des douanes sont en mesure de comparer les renseignements sur une même transaction provenant de différentes sources et de déterminer l’existence d’un quelconque risque potentiel. Les marchands ou plateformes de vente en ligne doivent également déclarer leurs importations ou exportations par voie électronique à la Douane. La déclaration peut se faire à travers le « Manifeste pour les envois de commerce électronique transfrontalier au détail ». S’il est établi que l’envoi n’est pas légalement conforme, il fera l’objet d’une enquête.

Comme le commerce électronique dépend dans une grande mesure de la garantie d’une livraison juste-à-temps, la Direction générale de la douane exige depuis mai 2015 que les bureaux de douane fournissent des services toute l’année et qu’ils veillent à garantir que les procédures de dédouanement soient menées, dans des circonstances normales, dans les 24 heures suivant l’arrivée des envois.

La Douane chinoise prélève les droits de douane, les taxes à la valeur ajoutée (TVA) et les accises sur les importations au détail relevant du e-commerce. La valeur imposable est calculée sur la base du prix réellement payé pour la transaction, coût, assurance et fret (CAF) inclus. Si c’est bien à l’acheteur de verser des droits et taxes, les plateformes et marchands en ligne peuvent les payer pour ensuite en demander le remboursement auprès de l’acheteur, pour autant qu’ils aient déposé les garanties suffisantes. Quelques sociétés dûment agréées peuvent acquitter les droits et taxes auprès de la douane pour une période donnée, plutôt que par envoi individuel.

Afin d’aider les consommateurs, la Direction générale de la douane a publié une liste de marchandises soumises à une procédure particulière. Lorsqu’un consommateur achète une marchandise répertoriée, il n’est pas soumis au prélèvement du droit y afférent et ne doit acquitter que 70 % de la TVA et des accises applicables, à condition que le colis importé à lui seul ne dépasse pas les 2 000 yuans chinois et que la valeur cumulée des importations par le même individu au cours d’une année calendaire n’atteigne pas le seuil de 20 000 yuans. En d’autres termes, chaque acheteur dispose d’un quota sur certaines marchandises qu’il peut acquérir à un taux de droit zéro et avec une remise de 30 % sur la TVA et les accises. La Douane chinoise considère que cette politique encourage non seulement les achats de la part des consommateurs mais aussi les importations, et qu’elle débouche sur un recouvrement accru de recettes. De plus, étant donné que les transactions de commerce électronique transfrontalier sont supervisées par le biais de la « Plateforme de dédouanement », l’évasion des droits et taxes est considérablement réduite.

À venir

Le commerce électronique transfrontalier est engagé sur la voie d’une croissance rapide. S’il contribue de façon évidente à la croissance économique d’un pays, il ne saurait être question de perdre de vue certaines des problématiques qu’il présente liées à la sécurité et à la sûreté -comme l’impact sur l’environnement, le commerce de contrefaçons ou encore la contrebande de marchandises – qui constituent autant de défis à relever.

Plusieurs bonnes pratiques peuvent être tirées de l’expérience chinoise. Il convient de noter en particulier a) que le gouvernement chinois met au point des stratégies pour promouvoir le commerce électronique transfrontalier au niveau national ; b) que toutes les agences gouvernementales adoptent en la matière les politiques et règlementations spécifiques à leur domaine de compétences tout en veillant à ce que ces dernières restent alignées les unes par rapport aux autres ; c) enfin, que les autorités municipales ont le droit de lancer les mesures qu’elles jugent les mieux adaptées aux conditions locales à titre expérimental.

 

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hao.wu@wcoomd.org