Le présent article défend l’hypothèse que, pour qu’une société de courtage en douane soit efficace, elle doit se doter d’un plan formel de création et de gestion des connaissances douanières. Il passe en revue les composantes nécessaires pour un tel plan ainsi que les facteurs qui peuvent peser sur les choix que l’entreprise aura à faire. L’article couvre plus généralement la question de l’acquisition, de la gestion et de la tenue à jour des connaissances douanières. Les réflexions présentées ci-après s’appliquent à tous les praticiens des douanes et du commerce.
Selon le mathématicien américain Claude Shannon, le nombre de parties d’échecs possibles est supérieur au nombre d’atomes dans l’univers observable. En douane, le nombre de variables dépasse de loin les 32 pièces de l’échiquier. Pour une transaction quelconque, il faut prendre en compte les parties intéressées, le type de transaction, les marchandises visées, l’itinéraire suivi, la procédure visée, les contrôles non tarifaires, le taux de droit et la responsabilité du paiement, chacun de ces éléments pouvant présenter à son tour de nombreuses variations et combinaisons possibles et être assorti de plusieurs types de preuves justificatives. Face à cette réalité, il ne serait pas exagéré d’affirmer que tout mouvement de marchandises à travers une frontière douanière est unique, du moins dans une certaine mesure. Comment un agent en douane peut-il dès lors répondre aux attentes de son client qui exige de lui qu’il connaisse toutes les variantes possibles ?
De plus, comme si la complexité inhérente à son activité ne suffisait pas, l’agent en douane est censé tenir des écritures de toutes les transactions, qu’il doit pouvoir présenter dans différents formats en fonction de ce que les clients ou les administrations des douanes lui demandent.
Dans la pratique, bien sûr, nous trouvons toujours une façon de faire des choses qui semblent impossibles en théorie. La plupart des mouvements en douane entrent dans certaines catégories et sont traités en conséquence par les opérateurs qui connaissent l’une ou l’autre de ces catégories. Les transactions complexes à haute valeur sont gérées par des équipes aux compétences diverses et variées, à un coût considérable. Les envois de faible valeur sont soumis à des régimes simplifiés et à des contrôles réduits. Il ressort des données[1] que les transactions suivent leur cours « contre vents et marées », parfois malgré des erreurs qui peuvent avoir de lourdes conséquences. Ainsi, lorsqu’on se penche sur « les connaissances douanières », il est essentiel de faire la distinction entre ce que tout un chacun doit absolument savoir et ce qu’il faut savoir uniquement dans le cadre de certaines fonctions.
Tous les opérateurs économiques doivent généralement comprendre ce que fait la douane, comment elle contrôle les échanges commerciaux, quelle en est la structure juridique, quels sont les droits et les obligations des opérateurs et des autorités douanières, à quel point le respect des exigences légales est important, et quels sont les coûts associés à l’inobservation des règles. Les connaissances de bon nombre des acteurs impliqués dans la vente et l’achat de marchandises à l’échelon international ne vont pas beaucoup plus loin que ce cadre général, sauf peut-être pour certains détails spécifiques aux produits particuliers dont ils font le commerce.
Pour un agent en douane, pourtant, ce niveau de connaissances n’est qu’un début.
Qu’est-ce qu’un agent en douane ?
La fonction la plus fondamentale de l’agent en douane est de remplir et de déposer les déclarations en douane et les autres documents connexes auprès de l’administration douanière. De surcroît, l’agent en douane doit être capable de conseiller son client à propos des exigences qui doivent être remplies pour que la déclaration soit conforme – permis, agréments, licences, etc. Ce service de conseil peut aller plus loin et englober éventuellement une formation à l’adresse du client pour s’assurer qu’il comprenne bien ses obligations et qu’il déploie ses activités de manière à renforcer son niveau de conformité et à minimiser autant que possible le risque de problèmes avec les autorités.
En outre, de nombreuses entreprises offrent leurs services de courtage en conjonction avec d’autres services, comme le transport, l’entreposage, le stockage, ou encore la gestion des obligations non tarifaires comme les certificats sanitaires ou les inspections aux postes-frontières.
Très souvent, le client cherchera à confier toute la gestion des activités en lien avec la conformité à l’agent en douane, dans l’attente que ce dernier gère efficacement le mouvement des marchandises et s’assure que tout se passe comme il faut. L’agent en douane peut devenir la première interface avec les autorités douanières au nom du client. L’implication et le soutien approfondis d’un agent en douane vis-à-vis de son client supposent toutefois des risques que l’agent doit être capable d’assumer.
Différents types et différentes sources de connaissances
La plupart des agents en douane développent leurs connaissances à travers leur expérience pratique, d’abord en se basant sur les directives de leurs collègues plus expérimentés, puis à force de trouver des solutions aux problèmes qu’ils doivent résoudre, ce qui leur permet d’accroître leur expertise. Avant que la douane ne commence à travailler avec des données électroniques, l’expérience était de la plus haute importance, en particulier l’expérience locale, et la familiarité avec les procédures et les douaniers à un port pouvait s’avérer bien plus utile qu’une connaissance détaillée du code douanier.
Malheureusement, les connaissances acquises uniquement à travers l’expérience restent souvent lacunaires. Ainsi, l’agent en douane fera un excellent travail en terrain connu mais il pourrait avoir d’énormes difficultés face à un problème qui exige une compréhension plus pointue de la législation douanière nationale et internationale. Dans de tels cas, il n’est pas inhabituel pour un agent en douane de demander l’avis d’un expert ou d’un consultant douanier. Les agents en douane décident souvent aussi de recourir à des pratiques « qui ont fait leur preuve », voire de procéder par tâtonnement, en testant plusieurs solutions, quitte à se tromper et à recommencer, jusqu’à ce qu’ils trouvent, par exemple, les codes qui leur permettront d’obtenir le dédouanement d’un envoi. Ces pratiques sont tout à fait compréhensibles dans un métier où le travail ne manque pas, et où il est difficile et onéreux de procéder à des recherches légales exhaustives, mais elles comportent leur lot de risques car des erreurs peuvent se glisser dans les documents. L’analyse informatique menée par la douane ne va pas déceler toutes les erreurs – une analyse détaillée dans le cadre d’un contrôle a posteriori peut être nécessaire – et l’agent en douane peut dès lors exposer son client à des pénalités et à des frais importants.
Le passage vers l’échange intégralement électronique des données douanières, associé à l’analyse des risques automatisée, restreint petit à petit le périmètre de l’approche traditionnelle basée uniquement sur l’expérience. Par exemple, le projet CERTEX de l’Union européenne[1], qui aboutira à la création d’un guichet unique pour les contrôles douaniers et non tarifaires, exige une exactitude et une cohérence absolues dans toutes les déclarations, autorisations et certifications, y compris celles provenant des systèmes parallèles tels que TRACES, la plateforme en ligne de la Commission européenne pour la certification sanitaire et phytosanitaire requise pour l’importation d’animaux, de produits animaux, de denrées alimentaires, d’aliments pour animaux d’origine non animale et de végétaux dans l’Union européenne, ainsi que pour les échanges intracommunautaires et les exportations européennes d’animaux et de certains produits animaux.
En outre, face à la volonté manifeste des autorités douanières d’éloigner les activités de conformité des points de passage à la frontière et de s’appuyer davantage sur l’évaluation des risques, les contrôles a posteriori, les audits et les vérifications des systèmes, il serait dangereux de considérer que l’octroi du dédouanement représente la fin du processus. Les erreurs qui pouvaient passer inaperçues par le passé sont détectées de plus en plus souvent par les systèmes de contrôle, qui ont été améliorés entre-temps, et l’agent en douane est désormais mis au défi de soumettre toutes les informations correctement du premier coup s’il veut éviter des surprises désagréables plus avant.
Un agent en douane peut encore choisir de limiter son activité aux domaines dans lesquels ses connaissances et son expertise sont d’un bon niveau et de refuser les dossiers qu’il ne connaît pas. Il est peu probable toutefois que cette option soit attrayante pour les agents en douane qui souhaitent étendre et développer leur activité ; même pour ceux qui n’ont pas d’ambition de croissance, le développement des connaissances demeure essentiel pour rester compétents dans un environnement réglementaire en constante évolution.
Les sociétés de courtage en douane ont dès lors tout intérêt à faire en sorte qu’au moins une partie de leur personnel possède des qualifications formelles de haut niveau sur des sujets relatifs à la législation douanière (nationale et internationale), aux taxes exigibles et aux contrôles non tarifaires. En fonction de la nature de l’activité, les effectifs peuvent également avoir besoin d’une formation en droit et en pratiques du commerce international, ainsi qu’en comptabilité et en logistique. Autres éléments importants : la recherche, c’est-à-dire comment trouver la solution à un problème, et l’actualisation, c’est-à-dire comment s’assurer que les connaissances restent toujours à jour.
Aucun niveau d’expérience ne peut compenser l’absence de formation, mais l’expérience reste essentielle aussi, bien entendu. Ce n’est qu’en voyant comment les lois et règlements sont appliqués dans des situations pratiques que l’on peut vraiment les comprendre entièrement.
Ainsi, les connaissances de l’agent en douane comprennent différents types de savoirs, qui proviennent de plusieurs sources :
- la formation ou éducation formelle qui permet de comprendre les tenants et les aboutissants d’un domaine donné et de développer et d’améliorer les connaissances existantes ; les opérateurs formés sont capables de s’appuyer sur un large éventail de connaissances et de sources pour répondre aux questions, résoudre les problèmes, détecter les risques et anticiper les difficultés.
- l’expérience qui donne de l’assurance dans la gestion des activités habituelles et est gage de compétence dans l’application pratique des règles juridiques ; les opérateurs expérimentés peuvent puiser dans leur vivier de connaissances pour réduire la complexité technique d’un problème à ses paramètres essentiels et fournir rapidement une solution pratique.
- les flux d’informations provenant des pouvoirs publics, des publications en ligne et d’autres sources qui permettent de maintenir à jour le réservoir de connaissances des agents en douane ; ils permettent souvent aussi d’anticiper les évolutions au niveau politique et les changements intervenant dans la règlementation, et ils facilitent ainsi la planification. Ils sont également essentiels pour garantir que les conseils donnés restent précis et opportuns.
- les travaux de recherche qui doivent être conduits lorsqu’un nouveau problème ou défi se présente. Des recherches correctement documentées constituent un atout précieux pour la société de courtage qui, au fil du temps, pourra se constituer des archives précieuses qui élargiront son champ d’action et amélioreront ses capacités de service.
Si certains professionnels de la douane sont capables d’acquérir et de maintenir un niveau impressionnant de connaissances spécialisées grâce à leur méthode de travail personnelle, la plupart ont besoin d’une structure et d’un système sur lesquels s’appuyer.
Une personne nouvellement recrutée pour travailler dans une société de courtage en douane est potentiellement mieux placée pour juger de l’efficacité des systèmes basés sur la connaissance. Quelle serait son expérience idéale ?
- Initiation au métier
- L’entreprise partira du principe que cette personne n’a aucune connaissance préalable et qu’elle aura besoin d’une formation ou d’un recyclage professionnel.
- La personne sera présentée à son chef d’équipe et la hiérarchie du service lui sera clairement expliquée, idéalement par écrit.
- Ses fonctions seront clairement décrites et elle aura l’occasion de discuter avec ses supérieurs de son niveau de connaissances ou de compétences dans les différents domaines.
- Elle prendra connaissance des protocoles de travail et du matériel de formation ou sera orientée en ce sens, et elle sera informée du moment et du lieu où elle suivra une formation formelle.
- Elle sera présentée à l’équipe.
- Au travail
- La nouvelle recrue se verra confier un travail qu’elle effectuera sous supervision.
- Elle présentera son travail pour un contrôle régulier, conformément aux instructions qu’elle aura reçues.
- Si elle rencontre des problèmes, elle
- recevra des instructions,
- se verra remettre des comptes rendus de solutions qui ont été appliquées par le passé face à des problèmes similaires et qui ont été puisées dans les archives des connaissances de l’entreprise,
- recevra des références la renvoyant vers des ressources pertinentes où elle devra chercher les réponses à ses questions.
- Une fois qu’elle aura trouvé la solution à son problème, elle sera tenue de rédiger un bref compte-rendu du problème et de la solution appliquée et, avec l’approbation du chef d’équipe, elle pourra l’ajouter aux archives des connaissances de l’entreprise.
- Renforcement des connaissances
- Chaque membre de l’équipe participera à une réunion hebdomadaire pour discuter de l’avancement des travaux et des problèmes éventuels.
- Le chef d’équipe (au moins) participera à des réunions régulières (hebdomadaires ou bimensuelles) avec la direction générale de l’entreprise.
- Un membre de l’équipe sera chargé de surveiller les flux d’informations et de faire circuler un résumé chaque semaine ou aussi souvent que nécessaire.
- Les archives des connaissances de l’entreprise seront tenues à jour et indexées par un membre de l’équipe spécifiquement chargé de s’en occuper.
- Les séminaires, webinaires et cours de formation disponibles feront l’objet d’un suivi par le chef d’équipe qui informera le personnel et la direction des opportunités de formation qui devraient être exploitées.
- Le chef d’équipe est le principal responsable de la communication avec les autorités douanières et avec ses pairs travaillant pour d’autres entreprises. Il veille à ce que la direction et l’équipe connaissent les principaux contacts.
- Enregistrement/stockage
- Le chef d’équipe, en collaboration avec les collègues de l’entreprise n’appartenant pas à l’unité chargée des questions douanières (éventuellement les collègues de la comptabilité, de la finance ou de l’informatique), veillera à ce qu’un contrôle de la qualité soit effectué au moins une fois par mois sur le travail accompli.
- Le stockage et la récupération des données, des formulaires, etc. seront normalement mis en place et gérés en dehors de l’unité douanière, mais seront soumis à une validation de la qualité par le chef d’équipe.
Le présent article est évidemment une présentation sommaire d’un sujet très compliqué mais nous espérons qu’il apportera quelques orientations sur la manière d’aborder le domaine extrêmement complexe, exigeant et risqué des connaissances en douane.
En savoir +
cki@customsknowledgeinstitute.org
[1]« Putting more Union in the European Customs » – https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_22_2181
[2] https://taxation-customs.ec.europa.eu/eu-single-window-environment-customs_fr