Panorama

Comment le Brésil a mis en place un partenariat digne de ce nom

24 février 2022
Par John E. Mein, coordonnateur exécutif, Procomex, et Jackson Corbari, coordonnateur général de l’Administration des douanes au secrétariat du Trésor fédéral du Brésil

Les autorités douanières se targuent souvent de travailler en étroite collaboration et en partenariat avec le secteur privé, mais qu’en est-il exactement ? Trop souvent, il s’avère que cette « collaboration » se limite à cocher quelques cases sur un formulaire, éventuellement au terme de deux réunions annuelles improductives. Pour tirer de réels avantages d’une coopération entre le secteur public et le secteur privé, une solide approche de partenariat est nécessaire. Celle-ci doit se fonder sur une communication constante et sincère et sur la volonté de partager des informations et des expériences et, surtout, d’instaurer une confiance véritable entre toutes les parties.

Lorsque Procomex, une alliance d’associations professionnelles, a commencé à travailler en partenariat avec le gouvernement brésilien pour améliorer et simplifier les procédures relatives au commerce extérieur, elle s’est fixée comme objectif premier de moderniser les procédures douanières. Au fil des ans, la transformation a bel et bien eu lieu et les travaux se poursuivent aujourd’hui. Ils portent sur plusieurs projets, notamment le développement du guichet unique brésilien, la mise en place d’un système pour la communauté portuaire et la révision des processus logistiques nationaux.

Une telle avancée n’aurait pas été possible sans la contribution proactive et le travail acharné des autorités douanières et des divers acteurs du commerce international. Les membres de Procomex et les douanes ont travaillé de concert pour relever les défis et trouver de nouvelles façons de simplifier et de rationaliser les processus du commerce extérieur. Quels étaient ces défis ? Un système historique lourd, la bureaucratie et une méfiance réciproque en sont quelques-uns.

Un système hérité

Les solutions informatiques existantes étaient bureaucratiques et nécessitaient des informations qui ne renforçaient pas les capacités de contrôle, mais créaient des obstacles au commerce extérieur. Clecy Lionço, qui était à la tête de la Douane brésilienne de 2001 à 2008, explique : « La Douane brésilienne était informatisée. Le Système intégré de commerce extérieur (Siscomex), mis en place au début des années 90, avait permis de faire considérablement progresser la gestion des échanges, introduisant même le concept d’un flux unique d’informations, améliorant les statistiques et réduisant le pouvoir discrétionnaire. Mais l’émergence de nouvelles structures commerciales et de nouveaux modèles économiques et l’évolution des technologies de l’information ont rendu nécessaire un nouvel effort de modernisation. »

Pour ce faire, la Douane a dû faire appel aux opérateurs économiques. Clecy Lionço déclare : « La Douane avait besoin du secteur privé pour concevoir et légitimer de nouvelles façons de gérer les flux commerciaux qui garantiraient un renforcement des capacités de contrôle – une nécessité après les attentats du 11 septembre – tout en facilitant les échanges légitimes. » Les pourparlers ont débuté en 2013 et ont finalement abouti à la création d’un guichet unique. Dans ce contexte, PROCOMEX a été le principal canal de dialogue avec le secteur privé.

Un acteur neutre

Procomex a vu le jour sous la forme d’une alliance informelle d’associations professionnelles, en 2004. Elle comptait alors 54 membres, mais c’était une organisation virtuelle sans structure fonctionnelle appropriée. Regina Terezin, courtier en douane auprès de Cualidad Assessoria e Despachos Aduaneiros, membre de Procomex, se souvient : « Au départ, nous pensions qu’il suffirait d’une année pour moderniser la Douane. Mais nous avons rapidement compris que les choses n’iraient pas aussi vite et que cela demanderait bien plus d’efforts. Nous avions donc besoin d’un cadre institutionnel. » L’Institut Procomex a ainsi été créé en 2005. « Il compte aujourd’hui 125 membres. »

Procomex et la Douane brésilienne ont officialisé leurs relations par la signature d’un accord. La première tâche de Procomex a été d’expliquer à la Douane quels étaient les problèmes. « Nous devions comparer les points de vue de chacun et décider de ce que nous voulions pour l’avenir, puis établir comment nous pouvions aider la Douane à résoudre les problèmes relevés », précise Regina Terezin.

Il y a un avantage certain pour les autorités douanières à ne pas avoir à traiter avec trop d’organisations. Procomex ne représente pas un intérêt ou un acteur particulier dans la chaîne de valeur logistique. Son objectif est d’aider le secteur privé et le secteur public à travailler ensemble sur les questions de commerce extérieur et, à mesure que les processus avancent, sur les questions de logistique intérieure.

Une méfiance réciproque

Le principal défi de la mise en place d’une coopération efficace, d’après Clecy Lionço, était d’ordre culturel – il fallait dissiper la peur ou les préjugés qui existaient au sein de la Douane s’agissant des relations avec le secteur privé. La Douane devait « associer le secteur privé à un processus proactif et participatif, en cherchant à améliorer la gestion des échanges ».

C’était une première pour les membres de l’équipe douanière. Bien sûr, ils avaient déjà collaboré avec le secteur privé, mais jamais dans une telle mesure. Par conséquent, il y avait quelques réticences au début.

Flavio Scorza, ancien directeur de la facilitation du commerce au Secrétariat du commerce extérieur, note qu’il y avait également une résistance de la part des fonctionnaires à changer la bureaucratie bien établie, « non pas par malveillance, mais parce que cette façon de procéder était profondément enracinée dans la culture de l’organisation ».

Les craintes et les appréhensions à tous les niveaux de l’organisation n’ont commencé à se dissiper qu’au fil du temps, lorsque tous se sont rendu compte de l’efficacité de ce modus operandi. Ce changement au sein de la Douane s’est construit au fur et à mesure, par la pratique. Le fort soutien reçu des plus hauts niveaux de l’administration douanière, du département du commerce et de la présidence a été essentiel pour maintenir l’élan, surmonter la résistance et, en fin de compte, changer les mentalités.

Les représentants du secteur privé se sont eux aussi montrés circonspects au début. Flavio Scorza explique que la plupart des participants au projet n’étaient pas habitués à ce genre de relations avec les agences gouvernementales. « Dans certaines situations, si vous venez du secteur privé, vous ne tenez pas à exposer vos problèmes au gouvernement parce que vous craignez qu’il les utilise contre vous. Mais comment résoudre les problèmes si on n’en parle pas ? »

Il ajoute : « Au début, il y avait un certain scepticisme quant à la volonté réelle du gouvernement de promouvoir les changements. Par conséquent, les premières contributions sont restées limitées par l’idée que se faisaient nos interlocuteurs de notre volonté de changer. Il a fallu un certain temps pour que la confiance s’instaure et que les participants osent aller au-delà de suggestions mineures pour améliorer les étapes inefficaces du processus. En sa qualité d’intervenant neutre, Procomex a su rendre les choses équitables pour les deux parties et créer un environnement de confiance. »

André Zanin, représentant l’Association des agents maritimes, collabore avec Procomex depuis 2006. Il raconte : « Pour la première fois dans l’histoire, la Douane était ouverte aux points de vue du secteur privé sur les nouvelles réglementations et faisaient preuve de beaucoup de bonne volonté. Auparavant, elle nous aurait simplement dit : Voici un nouveau règlement, vous devez le suivre. Pour nous, ce fut un changement incroyable. »

Lucas Sanches, lui aussi issu du secteur privé, renchérit : « Ce ne sont pas les organismes gouvernementaux qui doivent appliquer les procédures. Ils ne font que réglementer. Procomex a permis d’établir une relation de confiance avec eux afin que nous puissions tous nous asseoir autour de la même table, discuter des problèmes et trouver des solutions. La Douane est devenue une  aide et a montré sa volonté de résoudre les problèmes, plutôt que de simplement nous infliger des amendes. »

Sortir de sa zone de confort

Clecy Lionço souligne en outre que « la signature d’un accord de coopération entre Procomex et la Douane brésilienne a démontré que le secteur privé était plus conscient de son rôle dans la formulation et la mise en œuvre de propositions visant à améliorer la gestion des échanges, et de la nécessité de sortir de sa zone de confort qui consistait à se borner à demander des améliorations. Procomex, en encourageant et en maintenant la communication entre toutes les parties intéressées, a joué un rôle fondamental dans la participation du secteur privé. »

Méthodologie

La méthodologie développée par Procomex est unique en son genre. Elle part du principe qu’une véritable collaboration consiste à faire sentir à tous les intervenants qu’ils sont parties prenantes au processus et qu’ils peuvent faire la différence. Le projet de modernisation de la Douane a été lancé en réunissant les différentes parties autour de la table, afin qu’elles puissent présenter leurs problèmes et leurs suggestions. Une consultation a été menée auprès des associations et de leurs membres sur les questions qui nécessitaient que l’on s’y attèle. Des réunions ont été organisées pour hiérarchiser les points à traiter et, sur cette base, des groupes de travail spécifiques ont été mis en place.

« L’accent a été mis sur la facilitation des échanges et la réduction de la bureaucratie et des coûts », déclare André Zanin, de l’Association des agents maritimes. « Nous avons réalisé que ce qui est bon pour l’un ne l’est pas forcément toujours pour l’autre. Nos agents maritimes, qui doivent composer avec les processus dans leur routine quotidienne, ont joué un rôle précieux en partageant leur expertise et leurs points de vue sur les améliorations possibles. »

Les parties prenantes du secteur public et du secteur privé ont été invitées à contribuer à l’élaboration d’un gigantesque état des lieux, sur papier, sur un mur immense. Cette « carte » met en lumière la législation, les processus, les problèmes, les goulets d’étranglement, etc. Il a fallu de nombreuses heures pour dresser cet inventaire. Chacun avait une vision différente de la façon dont il gérait les processus. Les participants ont pu voir non seulement les différences entre eux, mais aussi ce qu’ils avaient en commun. Cet exercice s’est révélé très gratifiant. Depuis l’épidémie de COVID-19, ce travail se poursuit par vidéoconférence, à l’aide de post-it numériques.

La société GE-CELMA a joué un rôle proactif dans le projet Procomex. Faisant partie de GE Aviation, elle fabriquait historiquement des pièces et des moteurs d’aéronefs et effectuait des révisions de moteurs pour la région de l’Amérique du Sud. Après le 11 septembre, elle a dû repenser sa stratégie et développer ses échanges internationaux pour pouvoir survivre. Ricardo Keiper, directeur de la chaîne d’approvisionnement de GE-CELMA pour l’Amérique du Sud, s’est rapidement rendu compte que si l’entreprise entendait être compétitive à l’échelle internationale, il lui fallait élaborer des processus pour réduire les délais de dédouanement de ses importations et exportations de pièces. « Nous avons mis au point une chaîne logistique très sûre dans le monde entier, mais ce n’était pas suffisant, car nous devions encore faire face à la bureaucratie brésilienne », explique-t-il.

Et d’ajouter : « Pour la première fois, nous avons pu dire aux représentants de la Douane présents à nos côtés quelles seraient les meilleures solutions pour nous, et eux ont pu nous indiquer ce qui était faisable ou non, et quelles possibilités s’offraient à nous. » Il se réjouit que les participants aient pu faire des suggestions et expliquer le fonctionnement du système. « Nous ne demandons pas mieux que de nous conformer aux règles. Si les processus sont efficaces et alignés sur le fonctionnement des différents secteurs, c’est nettement plus facile. »

Ruy Jorge, ancien conseiller du président de Petrobras et partisan de la première heure de la collaboration entre Procomex et la Douane, déclare : « Le recours à ce processus de cartographie pour recueillir les idées de chacun a montré toute sa valeur. Chaque personne a son point de vue unique, sa propre vérité. Cet exercice a permis à tous d’avoir une vision de l’ensemble du processus et de l’impact de chaque action particulière sur celui-ci. C’était inédit. »

Les gouvernements adoptent souvent des réglementations « qui font vraiment obstacle à la résolution du problème », déplore Ruy Jorge. « Cette fois, les choses étaient différentes. Lorsque vous avez deux camps, ceux-ci ne se font généralement pas confiance. Ils croient presque toujours que l’autre essaie de tirer profit de la situation ou n’est pas totalement honnête. Par conséquent, il était important que Procomex soit là, en tant qu’interlocuteur neutre représentant tous les secteurs, et pas seulement chaque secteur avec son propre agenda. »

Cet état des lieux et la représentation des processus sous forme visuelle plutôt qu’écrite ont fait que les défis sont devenus techniques plutôt que politiques. « Les représentants de la Douane avaient l’habitude de nous écouter, et nous ne leur parlions souvent que des points négatifs. Ils se sentaient mis sur la sellette et étaient sur la défensive », souligne R. Jorge. « Mais représenter un processus sous la forme d’une carte ou d’un dessin facilite grandement le changement de point de vue. Il devient évident que nous faisons tous partie d’un système et que personne n’est isolé, ce qui crée une base de dialogue. Tout le monde peut alors travailler vers un objectif commun d’harmonie. »

Guichet unique

Le Brésil est réputé pour « la main lourde de l’État et sa bureaucratie » explique Tiago Barbosa, codirecteur du projet de guichet unique du Brésil au Secrétariat du commerce extérieur. « Mais au cours de la dernière décennie, la vision de l’État a changé et le Brésil a gagné en efficacité. Le projet de guichet unique vise à éliminer la bureaucratie, à simplifier tous les processus et à réduire les coûts. »

Sergio Garcia da Silva Alencar, coordonnateur opérationnel à la Douane, travaille directement avec l’équipe chargée du développement de l’environnement de guichet unique. « L’intégration des systèmes et des exigences du secteur public et du secteur privé est, à mon avis, l’une des questions les plus importantes dans un tel projet », estime-t-il. Ce point de vue est appuyé par son collègue Alexandre da Rocha Zambrano, codirecteur du projet de guichet unique à la Douane : « Pour garantir l’accès aux informations requises, vous devez associer toutes les parties prenantes. Ce faisant, vous pouvez leur permettre d’être plus compétitives, tout en sécurisant les flux commerciaux ».

Procomex a facilité la mise au point d’une solution qui fonctionnerait pour tous. « Depuis le début du développement des nouvelles solutions informatiques, nous nous réunissons tous les mois avec les acteurs du secteur privé pour discuter des problèmes opérationnels et permettre des ajustements appropriés aux systèmes », explique Alexandre da Rocha Zambrano.

Le guichet unique est conçu comme un système unique reliant les autorités chargées des taxes, des licences et de la surveillance. Ricardo Keiper indique : « L’idée est qu’au lieu de faire arriver votre cargaison au Brésil, de soumettre des documents puis d’attendre la mainlevée, vous pouvez entamer ces procédures pendant que l’avion est en route vers le Brésil, afin que les articles à inspecter soient déjà recensés à l’atterrissage. Auparavant, 10 % de nos envois étaient inspectés. Vous imaginez les perturbations pour nos ateliers ? Maintenant, avec les nouveaux processus, le taux d’inspection est passé à 0,4 %. »

Ricardo Keiper l’assure : « La Douane n’était pas le problème. C’était la réglementation. Avec la mise en place d’un guichet unique pour gérer les importations et les autres processus soutenus par Procomex, nos vies sont plus faciles. Tout le monde y gagne. » D’après les estimations, les opérateurs économiques devraient ainsi pouvoir économiser plus de 25 milliards de dollars des États-Unis.

Un forum consultatif pour les OEA

Procomex a également pris part à l’élaboration du programme des opérateurs économiques agréés (OEA) du Brésil. Tous les OEA sont invités à participer à un forum consultatif pour discuter des exigences et des avantages liés à ce statut. Fabiano Diniz, responsable du programme OEA, explique : « Nous échangeons régulièrement. La Douane demande l’avis du secteur privé pour améliorer le programme. »

Beaucoup reste à faire

La cartographie des processus, utilisée pour mettre en place à la fois le guichet unique et le programme OEA, a joué un rôle essentiel dans l’accélération de la circulation des marchandises importées et exportées au Brésil. Bien que le projet de guichet unique ne soit pas encore achevé, la Douane et les entreprises ont déjà obtenu des résultats concrets, tels que la réduction de moitié des délais de dédouanement et l’optimisation de la sélection des marchandises par la Douane.

Cette dernière s’emploie à finaliser le guichet unique, mais d’autres projets nécessiteront une coopération avec les entreprises. Le partenariat avec le secteur privé est maintenant solide, souligne Clecy Lionço : « La continuité du partenariat douane-entreprises démontre sa solidité. Il n’y a d’ailleurs pas que la Douane qui collabore régulièrement avec les entreprises, d’autres organismes publics qui contrôlent le commerce extérieur s’y sont mis ». Le courtier en douane Regina Terezin appuie son point de vue et ajoute : « C’est un dialogue constant. Nous formons une communauté avec beaucoup d’interactions. »

Ruy Jorge tient à saluer les efforts déployés par toutes les parties et propose que ce type d’approche soit utilisé par d’autres organismes gouvernementaux – et pas seulement ceux qui participent au commerce extérieur et aux activités économiques. « Nous sommes porteurs d’une vision qui permettrait de rendre le pays plus compétitif », déclare-t-il. « Elle se situe au-delà des intérêts individuels ; il s’agit de conjuguer nos forces pour travailler ensemble au bien commun. »

Son enthousiasme pour le partenariat entre la Douane et Procomex et pour le guichet unique est compréhensible. Sa société, GE-CELMA, a déjà vu une réduction sensible de la bureaucratie et enregistré des gains de temps substantiels dans le dédouanement de ses exportations. Ruy Jorge s’attend à ce que le déploiement du guichet unique pour gérer les importations apporte encore plus d’avantages.

En savoir+
www.procomex.org.br