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Point de vue

Interdépendance et fragmentation : perspectives sur la chaîne d’approvisionnement maritime d’aujourd’hui

18 juin 2021
Par la Fédération internationale des associations de transitaires et assimilés (FIATA)

Par l’intermédiaire de son groupe de travail sur le transport maritime, la FIATA joue un rôle essentiel dans les discussions stratégiques internationales sur les questions maritimes et douanières, en étroite collaboration avec des organisations internationales et régionales. Par l’intermédiaire de son institut des affaires douanières, elle est en contact régulier avec l’OMD pour apporter l’éclairage essentiel du secteur privé quant aux difficultés que pose la perturbation de la chaîne d’approvisionnement maritime et pour favoriser la facilitation des échanges. Dans cet article, nous souhaitons aborder certaines des difficultés que rencontrent les transitaires et présenter un point de vue sur la façon dont les gouvernements et les acteurs du secteur peuvent aller de l’avant.

 

Aujourd’hui, la chaîne d’approvisionnement maritime est perturbée. Les difficultés qui existaient avant 2020 se sont exacerbées depuis la pandémie de COVID-19. La fiabilité, en termes de transit et de fréquence, n’a jamais été aussi faible, ce qui nuit à la prévisibilité et rend toute planification extrêmement difficile. Sans certitude dans la planification, la gestion de la chaîne d’approvisionnement est devenue mission impossible.

Les transitaires, entreprises spécialisées dans l’organisation de l’entreposage et de l’expédition de marchandises pour le compte de leurs expéditeurs, vivotent et rencontrent chaque jour des problèmes nouveaux et inattendus. Les changements fréquents dans les arrivées des navires, à la dernière minute, et les fenêtres restreintes pour la livraison des conteneurs d’exportation entraînent de longs temps d’attente, des reports ou des reprogrammations fréquents et, par conséquent, la non-utilisation de certains modes de transport.

L’alourdissement de la charge administrative des prestataires de services, combinée à une forte augmentation des dépenses de repositionnement des conteneurs vides, ont également un impact significatif sur la structure des coûts de la navigation intérieure. Les expéditeurs ont souligné ne pas avoir accès à des conteneurs vides pour les exportations et faire face à des annulations d’escale (blank sailings)[1] et à des taux de frets élevés.

Enfin, les déséquilibres constatés actuellement dans la chaîne d’approvisionnement maritime contrecarrent les efforts que les transitaires déploient en vue de faire évoluer le transport intérieur vers des modes de transport plus respectueux de l’environnement (transfert modal).

Garantir des conditions de concurrence équitables

Certes, plusieurs raisons peuvent expliquer la pénurie de conteneurs et de l’offre de capacité, parmi lesquelles les perturbations engendrées par la pandémie et les restrictions qui en découlent. Cela étant,  les autorités nationales et les décideurs internationaux devraient surveiller l’évolution de la situation afin de garantir des conditions de concurrence équitables, dans l’intérêt de la fluidité des échanges internationaux. Il est essentiel de s’assurer que les politiques protègent les expéditeurs de toutes tailles et de veiller à ce que les petits et moyens expéditeurs ne soient pas désavantagés. Il s’agit, par exemple, de garantir que ces derniers reçoivent la même valeur, en termes de prix et de protection de l’espace, lorsqu’ils combinent des volumes par l’intermédiaire de transporteurs non exploitants de navires, que les grands expéditeurs qui apportent assez de fret pour négocier des contrats directement avec un transporteur exploitant de navires.

Besoin d’une plus grande facilitation

Les responsables politiques doivent continuer de renforcer la surveillance réglementaire du transport maritime. Les autorités douanières doivent coopérer et travailler selon des politiques strictes d’évaluation des risques, en se concentrant sur l’adoption de moyens numériques pour l’échange d’informations plutôt que de s’appuyer sur des contrôles papier ou physiques. L’interface qui permet d’acheminer les marchandises vers les marchés doit être aussi fluide que possible pour les négociants et les importateurs qui manutentionnent les marchandises de manière professionnelle et de bonne foi. Les transitaires et les agents en douane de toutes tailles doivent avoir accès aux programmes d’opérateurs économiques agréés dans le cadre desquels ils peuvent bénéficier d’avantages tangibles qui facilitent les échanges sans leur imposer de charge supplémentaire. Cette approche ne doit pas être menée en vase clos au niveau national mais bien d’une manière harmonisée qui encourage l’adoption d’accords de reconnaissance mutuelle.

Le problème du récent incident du canal de Suez, par exemple, n’était pas le blocage en tant que tel, mais bien le moment où il s’est produit. La chaîne d’approvisionnement maritime est vulnérable et ce blocage est survenu au pire moment. De ce fait, le blocage de l’Ever Given a eu un énorme impact sur la chaîne d’approvisionnement maritime, et, au final, sur le commerce international, avec des effets sur la fluidité de la chaîne d’approvisionnement et des conséquences à long terme en termes de congestions, de délais et de prévisibilité. Il est également à craindre que ces effets ne se limitent pas à l’Europe et à l’Amérique du Nord, mais se fassent également sentir sur les voies commerciales de l’Extrême-Orient et de l’Océanie, car les effets domino sont inévitables. À long terme, il n’y aura malheureusement que des perdants, car ce sont les économies et surtout les consommateurs qui en paieront le prix.

Comme pour la pandémie de COVID-19, cette situation montre combien il est important que toutes les parties prenantes travaillent ensemble afin d’exploiter les meilleures pratiques et les synergies pour une chaîne d’approvisionnement plus forte et plus résiliente. Véritables « architectes du transport », les transitaires jouent un rôle clé d’organisation pour répondre aux besoins de transport de leurs clients grâce à leur savoir-faire et à leur capacité à trouver des solutions sur mesure en utilisant les différents modes de transport. Ils ont en outre les connaissances et les contacts nécessaires pour organiser les polices d’assurance appropriées qui couvrent les pertes, et pour aider les expéditeurs à répondre aux exigences d’assurance et aux procédures de traitement des réclamations. Ces compétences peuvent être importantes, surtout lorsque les armateurs déclarent une « avarie commune »[2], comme l’a fait le propriétaire de l’Ever Given.

Voie à suivre

Globalement, il y a beaucoup à améliorer. La fragmentation de la chaîne d’approvisionnement maritime entraîne des inefficacités qui engendrent des coûts pour une ou plusieurs des parties prenantes de la chaîne. Trouver une solution à ces inefficacités en fluidifiant les interfaces entre les différentes parties prenantes de la chaîne d’approvisionnement maritime nécessite une collaboration – notamment entre les navires, les installations portuaires, les transitaires et les administrations douanières – qui souvent ne se concrétise pas. Il est essentiel de mettre en place cette collaboration pour améliorer la performance de la chaîne d’approvisionnement maritime dans son ensemble et de ses différentes parties. La digitalisation jouera un rôle clé pour faciliter cette évolution.

Les secteurs de la chaîne d’approvisionnement sont interdépendants : leurs performances dépendent du comportement des autres secteurs de la chaîne. Face à cette interdépendance, les parties prenantes tout au long de la chaîne d’approvisionnement maritime doivent coordonner leur action, se concerter et collaborer. La capacité de chaque acteur à communiquer et à échanger des données en temps utile et avec exactitude est cruciale, non seulement entre le secteur et le gouvernement, mais aussi au sein du secteur lui-même. Si les systèmes de communication numérique sont appelés à jouer un rôle important à cet égard, il faut redoubler d’efforts pour s’assurer que tous les acteurs, quelle que soit leur taille, aient accès à ces plateformes et les moyens de les utiliser. S’ils avaient été présents, cette communication et cet échange de données auraient joué un rôle essentiel dans la coordination des navires entrant et sortant du canal de Suez après le déblocage de l’Ever Given, ce qui aurait réduit la congestion et aurait permis une meilleure planification des heures d’arrivée.

En savoir +
www.fiata.com

La FIATA remercie Jens Roemer, président du groupe de travail sur le transport maritime, pour sa contribution à cet article.

[1] Pour diverses raisons, un opérateur de services de ligne peut décider d’annuler l’escale d’un navire dans un port ou une région afin de respecter son calendrier. En cas de blank sailing, les conteneurs qui devaient être débarqués au port annulé devront attendre au port d’embarquement jusqu’à l’arrivée du prochain navire ayant les mêmes destinations.

[2] L’avarie commune est un principe de droit maritime qui impose à tous les propriétaires de la cargaison d’un navire d’intervenir dans les frais en cas de perte, même si leur cargaison n’est pas endommagée. Une fois que le propriétaire du navire a déclaré l’avarie commune, les experts répartiteurs désignés évaluent la valeur de chaque cargaison à bord et appliquent une formule qui détermine la contribution financière de chaque propriétaire de cargaison. Les propriétaires devront alors déposer une garantie d’avarie commune pour récupérer leur cargaison. Source : « Ever Given vessel owner declares general average », Will Waters, 6 avril 2021 https://www.lloydsloadinglist.com.