TradeLens ou la chaîne de blocs au service des douanes pour la facilitation des échanges et pour une conformité accrue
16 octobre 2018
Par Stewart Jeacocke, expert international en douane d’IBM, and Norbert Kouwenhoven, Chef de projet d’IBM« Vous avez fait votre valise vous-même? » Voilà une question à laquelle nous sommes nombreux à devoir répondre au moment de l’enregistrement à l’aéroport. Pour un conteneur maritime, la situation est un peu plus complexe. La plupart des organisations ne communiquent jamais directement avec la partie qui a rempli le conteneur. Fondée sur la technologie des chaînes de blocs, la plateforme TradeLens pose les fondements nécessaires pour le développement de chaînes logistiques numériques au niveau mondial. TradeLens connecte toutes les parties dans la chaîne logistique afin de permettre un partage d’informations vraies, de promouvoir la collaboration et la confiance et d’encourager l’innovation au niveau de tout le secteur industriel. Les pouvoirs publics qui décident de saisir les opportunités offertes par TradeLens sont mieux à même de contribuer de manière constructive à l’avènement d’une nouvelle ère du commerce international, sans friction et conforme.
Les incohérences des données, un mal omniprésent dans le commerce international
Un acheteur ne peut être certain de ce que contient un conteneur que lorsque ce dernier est ouvert et vidé. Un transporteur maritime ne voit jamais le contenu d’un conteneur et se fie aux documents fournis par l’expéditeur ou le transitaire. Les autorités douanières peuvent rencontrer des difficultés pour déterminer quel est l’acheteur de certaines marchandises importées. Une étude a permis d’établir que, pour un seul chargement d’avocats expédié du Kenya aux Pays-Bas, quelque 30 organisations différentes et plus de 100 personnes seront appelées à intervenir et près de 200 échanges de renseignements individuels seront exigés. Chaque échange d’information suppose un risque : celui d’introduire des incohérences dans les données. TradeLens réduit ces incertitudes et incohérences en fournissant aux parties autorisées un accès aux données d’origine ; dans le cas des avocats, les parties accèderont donc aux informations réellement fournies par l’organisation qui s’est chargée de remplir le conteneur au Kenya.
Chaque jour, un million de données en plus sur TradeLens
TradeLens est le fruit de la collaboration entre Maersk et IBM. Il s’agit d’une plateforme mondiale fondée sur une chaîne de blocs qui permet de suivre le mouvement des marchandises depuis l’origine jusqu’à destination et qui relie les différentes parties impliquées dans un envoi. Ouverte et neutre, la plateforme permet aussi à toutes les organisations intervenant dans un envoi international d’échanger, de manière simple et sûre, des informations sur les événements et les documents de transport en temps réel, offrant ainsi aux expéditeurs une meilleure visibilité du statut, de la localisation et du contenu de leur envoi. En outre, les participants à la plateforme peuvent créer des applications supplémentaires qui tirent profit de l’écosystème de la plateforme et les mettre à disposition de tous.
Cette année, une version à « disponibilité limitée » a été lancée, étape importante dans l’évolution de la plateforme. Il est déjà assuré que près de 20 % du trafic mondial de conteneurs maritimes sera suivi via cette dernière. Plus de 90 organisations ont convenu de participer à la plateforme, dont trois lignes maritimes (Pacific International Lines, Hamburg Süd et Maersk Line). Grâce à ces nombreuses entités et aux administrations douanières d’Australie, des Pays-Bas, du Pérou, d’Arabie saoudite et de Singapour, le volume de données de TradeLens ne cesse de croître à un rythme de près d’un million d’événements par jour.
Un pipeline mondial de données
TradeLens est l’expression concrète du concept de « pipeline de données » mis au point par les douaniers Frank Heijmann et David Hesketh et étudié dans le cadre de plusieurs projets de recherche de l’Union européenne (UE) tels que ITaide, Cassandra et Integrity. La collaboration concernant TradeLens a débuté en juin 2016, le projet étant alors connu sous l’appellation de Global Trade Digitization (GTD). La plateforme a été utilisée par CORE, un projet axé sur la sécurité financé par l’UE et auquel ont participé la Douane néerlandaise, le Service de la douane et de la protection des frontières des États-Unis et la Direction Sciences et technologies du Département américain de la sécurité intérieure.
Une petite révolution en soi
La blockchain permet aux participants de se fier en toute certitude aux données de TradeLens, sachant qu’il est impossible pour n’importe quelle organisation ou pour un individu quelconque de modifier les informations sur le réseau. La technologie des chaînes de blocs utilisée par TradeLens partage quelques-unes de ses caractéristiques avec la chaîne de blocs anonyme qui sous-tend le bitcoin. Elle s’en distingue, toutefois, à bien des égards. Six facteurs sont absolument essentiels pour son succès.
- Le registre dupliqué et partagé : chaque organisation qui participe directement au réseau de la chaîne de blocs supervise un nœud dans la blockchain. Ces nœuds gardent chacun une copie de la chaîne de blocs. Lorsque des données sont ajoutées, la copie de chaque nœud est mise à jour automatiquement.
- L’immuabilité : le réseau de la chaîne de blocs ne fonctionne que par ajout seulement. Une fois les données publiées, elles ne peuvent plus être modifiées. Si une erreur s’est glissée dans les données, alors une nouvelle version doit être ajoutée et tant l’ancienne que la nouvelle sont visibles dans la blockchain.
- Les permissions : les parties peuvent être identifiées et seules les parties participantes à un envoi spécifique peuvent voir, soumettre ou valider les données. Cette caractéristique distingue clairement TradeLens du réseau de chaîne de blocs au cœur du bitcoin, où toutes les parties sont complètement anonymes.
- Les canaux : les canaux divisent le réseau de la chaîne en sous-réseaux distincts. Les données dans un canal spécifique ne sont distribuées qu’aux nœuds qui font partie de ce même canal.
- L’approbation sélective : grâce à cet attribut, le réseau TradeLens ne souffrira jamais des contraintes de consommation d’énergie qui hantent le bitcoin. Le bitcoin doit vérifier les transactions tout en préservant l’anonymat et il utilise un mécanisme dit de la preuve de travail (en anglais, proof of work) à cette fin. C’est justement ce mécanisme de preuve de travail qui rend le bitcoin si énergivore. Les membres de TradeLens ne sont pas anonymes et, dès lors, une démarche de validation sélective beaucoup plus efficace peut être mise en place pour vérifier les transactions.
- Les contrats intelligents : des parties de code de logiciel sont intégrées au réseau de la chaîne de blocs. Elles contiennent les règles opérationnelles pour une transaction donnée et peuvent être utilisées pour mettre en œuvre des processus automatisés.
Les avantages des plateformes telles que TradeLens sont vastes et variés.
Visibilité accrue au bénéfice du secteur privé
Dans de nombreux pays, il est encore difficile pour un opérateur commercial de bénéficier d’une vision consolidée du statut de son envoi. Les douanes et autres autorités de règlementation peuvent améliorer la visibilité de l’information sur le statut des envois en rendant publics les événements et informations principales sur TradeLens. Le secteur privé peut dès lors mieux planifier ses activités et, par la même occasion, économiser tant du temps que de l’argent.
La vérité en amont et à la source
Aujourd’hui, le principal interlocuteur dans la plupart des régimes douaniers reste l’importateur. Il revient en effet à l’importateur, ou à son agent, de se charger de déposer la déclaration en douane. À cette fin, il utilise les renseignements fournis par l’exportateur mais il n’a généralement pas l’occasion de vérifier le contenu matériel d’un envoi avant de remplir la déclaration. La partie la mieux placée pour fournir des informations exactes sur un chargement est donc l’exportateur. Après tout, c’est à lui que revient la tâche de « faire la valise ».
Des plateformes telles que TradeLens permettent aux douanes et autres organes gouvernementaux d’appuyer leurs processus de contrôle sur les informations commerciales existantes. Dès que le conteneur est rempli dans le pays d’exportation, la douane du pays d’importation pourrait extraire le bon de commande et la liste de colisage sur TradeLens et les utiliser pour mener son évaluation des risques.
“Les pipelines de données normalisés peuvent permettre aux autorités douanières d’examiner plus en détail les points logistiques par lesquels passe un envoi. Une connaissance accrue des nombreux points logistiques peut permettre de traiter les risques tout au long du cycle de vie d’une expédition »
Directeur, Centre national de ciblage
Un réseau mondial de communautés locales
Dans de nombreux pays, des initiatives telles que les guichets uniques et les systèmes portuaires électroniques nationaux ont réussi à améliorer l’efficacité et la coordination des procédures aux frontières. TradeLens peut s’intégrer à ces initiatives et les compléter en fournissant un accès à son réseau mondial de membres. TradeLens peut également accélérer la tendance émergente qui consiste à connecter les guichets uniques ou les systèmes portuaires afin de créer des réseaux régionaux, en permettant à ces différents interlocuteurs de partager des données à l’échelon mondial.
Vers un commerce dématérialisé
Depuis les années 1970, nombreux sont ceux qui ont annoncé à grands cris l’arrivée du bureau dématérialisé. Au cours des quarante dernières années, toutefois, les documents papier dominent encore le commerce international. Connaissements, certificats d’origine, certificats phytosanitaires… la liste est longue. Les plateformes de chaînes de blocs comme TradeLens fournissent le mécanisme idéal pour numériser ces documents. Les canaux, les permissions et le cryptage garantissent que même les informations les plus confidentielles demeurent à l’abri des regards indiscrets.
Les contrats intelligents permettent de créer des procédures automatisées qui traversent les frontières nationales et organisationnelles. Ils rendent possible, par exemple, la mise en place d’un processus dématérialisé de bout à bout pour les certificats phytosanitaires, depuis la délivrance dans le pays d’exportation jusqu’à la vérification dans le pays d’importation. Dans le cadre d’une telle procédure, l’approbation du certificat dans le pays d’exportation est visible en temps réel et la technologie des chaînes de blocs garantit que personne ne puisse manipuler le certificat.
Des plateformes qui simplifient l’adoption de la blockchain
Nœuds, réseaux, contrats intelligents, consensus… La mise en place d’une première solution de chaîne de blocs peut exiger l’apprentissage de toute une terminologie nouvelle et l’acquisition de tout un savoir technologique. Ce n’est pourtant pas toujours nécessaire. Des plateformes comme TradeLens permettent de bénéficier de la technologie des chaînes de blocs et de ses avantages sous un format facile à déployer et à utiliser.
Les membres de TradeLens peuvent se connecter à la plateforme en utilisant des méthodes standard telles que les interfaces de programmes d’application (API) sur le web. Cela étant, ils peuvent tout aussi bien utiliser les interfaces d’utilisateur prêtes à l’emploi offertes par la plateforme. Une administration douanière peut établir une connexion en quelques jours seulement, à l’aide d’une petite équipe, sans devoir exiger de son personnel qu’il se spécialise dans la technologie des blockchains.
Afin de simplifier encore l’adoption de la chaîne des blocs, TradeLens s’engage à promouvoir les normes sectorielles et l’interopérabilité des plateformes. Elle continue de s’aligner sur les organisations de normalisation pertinentes telles que le CEFACT/ONU et d’étudier les mécanismes spécifiques d’interopérabilité pour les chaînes de blocs.
“ Nous adoptons des technologies qui facilitent l’accès à l’information et renforcent la surveillance et la traçabilité tout au long du parcours suivi par les marchandises. C’est pour cela que nous nous sommes joints à TradeLens : il s’agit d’une solution mondiale, fondée sur la chaîne de blocs, pour faciliter le processus de contrôle du commerce. »
Rafael Garcia, Directeur général des douanes, SUNAT
Avantages immédiats pour la douane
En rejoignant TradeLens, les douanes et autres autorités de règlementation peuvent avoir immédiatement accès en temps plus opportun à des données plus précises et facilement vérifiables et les utiliser afin d’améliorer leurs procédures de ciblage et de sélection. Elles peuvent ainsi contribuer à faciliter le commerce légitime et à accroître la conformité.
L’équipe chargée de TradeLens se réjouit de poursuivre la collaboration avec les pouvoirs publics qui veulent saisir les opportunités que la plateforme leur offre. Construisons son avenir ensemble et ouvrons la voie à une nouvelle ère du commerce international, sans friction et conforme.
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stewart.jeacocke@uk.ibm.com
Norbert.Kouwenhoven@nl.ibm.com
www.tradelens.com