Point de vue

Pourquoi les gouvernements et les douanes ont encore besoin de leur propre système de classement des marchandises

16 octobre 2018
Par Gael Grooby, Directrice adjointe, Direction des questions tarifaires et commerciales de l’OMD

Le Système harmonisé (SH) de l’OMD représente un pilier fondamental pour les douanes. Cela étant, les systèmes de classement sont courants et une question se pose dès lors : est-il si important de disposer d’un système spécialisé propre aux douanes étant donné les efforts et le temps que les administrations doivent y investir ?

Il existe pléthore de systèmes de classement dans la pratique. CTCI, CPC, CPA, NAPCS, GPC, SGH : quelle que soit la combinaison des lettres à laquelle vous pensez, elle correspond sans doute à l’acronyme d’un système de classement des marchandises international, national, public ou privé. Un produit peut être classé dans plusieurs systèmes et porter plusieurs codes en conséquence. Cette multitude de systèmes témoigne de l’utilité et de l’ubiquité du classement. Certains de ces systèmes sont de nature règlementaire : ils existent de façon à pouvoir appliquer des conditions. D’autres ont une vocation commerciale et sont établis pour faciliter la commercialisation des marchandises, la gestion des stocks ou encore d’autres aspects liés au commerce. D’autres encore sont créés à des fins statistiques et leur objet premier est de fournir des données pour analyse.

Avec autant de systèmes, pourquoi le SH est-il si important pour les administrations des douanes ? La réponse est simple : il a été créé par les douanes et existe pour elles.

Objectif et évolution

L’objectif du SH est de fournir un outil pratique pour la mise en œuvre des politiques publiques. Dans la mesure où il joue un rôle important dans la collecte de données, il est de plus en plus utilisé par le secteur privé et par les instituts universitaires et de recherche, mais il n’en reste pas moins un instrument établi et tenu à jour afin que les pouvoirs publics sachent quelles sont les marchandises qui traversent les frontières nationales. Ces informations sont utilisées pour la mise en œuvre d’un vaste éventail de mesures. Qu’il s’agisse de droits pour alimenter les recettes de l’État, de la mise en place d’accords commerciaux ou de l’identification des importations et exportations de produits soumis à des restrictions ou à une surveillance, le SH joue un rôle direct et intrinsèque dans de nombreux programmes gouvernementaux.

Il représente aussi l’instrument de choix dans la plupart des accords commerciaux afin de garantir que les parties signataires partagent bien un entendement commun des marchandises concernées par les arrangements pris. En fournissant des données aux fins de l’analyse statistique, par ailleurs, le SH joue également un rôle indirect dans de nombreux domaines de la politique publique. Certaines mises à jour du SH visent spécifiquement à aider le secteur privé, mais cet objectif reste toujours dans la lignée du rôle des gouvernements qui consiste à élaborer des politiques qui contribuent au développement économique et apportent une assistance aux différents secteurs d’activité. La priorité du SH n’est pas le commerce mais bien la règlementation. Il permet aux administrations douanières de remplir leurs fonctions. Si ces dernières doivent surveiller un sous-ensemble de marchandises donné, rendre des comptes à leur sujet, les règlementer, les arrêter, les contrôler et percevoir des recettes les concernant, elles utiliseront le SH et les sous-positions tarifaires qui y ont été ajoutées au niveau national. Les douanes contrôlent la mise à jour et l’évolution du SH afin qu’il puisse continuer à servir ces objectifs.

Champ d’application

Certains systèmes de classement n’ont nul besoin de couvrir toutes les marchandises, comme ceux visant un secteur spécifique (par exemple, les systèmes de classement règlementaires pour les produits chimiques ou pharmaceutiques) et d’autres ne s’intéressent qu’aux marchandises présentant certains attributs (les produits dangereux ou leurs parties, notamment). Par ailleurs, certains systèmes de classement sont liés à un autre système et ne sont donc pas universels, dans la mesure où ils ne portent que sur certaines marchandises couvertes par ce régime particulier ; c’est le cas du système de classement de produits GPC (Global Product Classification) pour les produits auxquels un code article international (Global Trade Item Number ou GTIN) a été attribué. Pour les douanes, néanmoins, si une marchandise arrive à la frontière dans le cadre d’une transaction commerciale légitime, même s’il s’agit de la dernière invention d’une marque et que le produit est tout à fait nouveau, il faut pouvoir la classer afin d’appliquer le traitement légal correspondant à l’article en cause et, le cas échéant, recouvrer les droits ou les taxes indirectes qui s’imposent. C’est pourquoi le SH est conçu pour pouvoir couvrir toutes les marchandises échangées, y compris celles qui sont encore inconnues.

Outre la couverture du SH, qui doit être la plus large possible, le niveau de granularité ou de détail revêt également une importance particulière eu égard à l’objectif de la nomenclature. Pour une nomenclature commerciale, il peut être très important de distinguer le classement de « vêtements de marque pour l’extérieur destinés au segment de la population féminine âgée entre 18 et 24 ans » des « vêtements de marque pour l’extérieur destinés au segment de la population féminine âgée entre 55 et 64 ans », mais une nomenclature douanière est très peu susceptible d’exiger une telle distinction. Les nomenclatures douanières peuvent inclure des sous-divisions qui ne présentent pas un intérêt particulier pour les douanes mais qui répondent aux désidératas d’un secteur industriel particulier ou aux besoins des statisticiens. Cela étant, le niveau de détail de nombreux systèmes de classement commerciaux ne permettrait sans doute pas à une personne extérieure au secteur d’activité concerné de s’y retrouver et de les utiliser correctement et de manière cohérente. Ainsi, au moment de décider s’il convient d’établir un classement compte tenu de son utilité pour le secteur privé, voire d’établir un système de classement tout court, il est important de tenir compte de la capacité des administrations des douanes à appliquer un classement dans la pratique ou à veiller à ce qu’il soit respecté.

Un autre aspect important concernant le champ d’application a trait à la gestion des positions dites résiduelles où sont rangés les produits classés comme des articles « autres » ou « non dénommés ni compris ailleurs ». Le numéro, l’emplacement et le libellé de telles positions sont importants pour déterminer si les règlementations seront appliquées à tous les produits concernés. Par exemple, les exigences pour l’importation et l’exportation de navires, d’appareils médicaux, de plantes vivantes ou de viandes propres à la consommation humaine non dénommés sont très différentes. Un classement de type général dans une position résiduelle numérotée 9999.99 pour tous ces produits non dénommés ni compris ailleurs serait inadapté pour un système de classement règlementaire couvrant une variété aussi vaste de produits. Si l’on prend les navires, par exemple, une disposition couvrant les « autres navires non dénommés ni compris ailleurs » ne serait pas utile aux fins de la nomenclature douanière dans la mesure où les exigences pour l’importation ou l’exportation des navires de passagers et de charge sont normalement différentes de celles imposées aux bateaux de plaisance. Dans le cadre d’une nomenclature douanière, contrairement à la plupart des autres nomenclatures, il est essentiel de se donner le temps nécessaire à la réflexion pour déterminer comment traiter des produits inconnus ou dont les échanges sont faibles.

Stabilité et prévisibilité

Le SH est destiné à être un instrument légal devant être mis en œuvre dans le cadre des systèmes juridiques individuels de ses Parties contractantes. Les lois ne sont pas facultatives. Par conséquent, il est essentiel que les changements au SH soient le résultat d’un examen détaillé et global et qu’ils soient connus bien à l’avance. Une nouvelle édition du SH constitue un événement majeur pour les secteurs d’activité qui sont concernés par les amendements apportés. Compte tenu du nombre et de la portée des accords commerciaux et autres mesures sur lesquels ces modifications auront une incidence et eu égard au nombre de systèmes qui devront également être changés en conséquence, l’évaluation de l’impact et les préparatifs entrepris pour la mise en œuvre d’une nouvelle version du SH peuvent prendre un temps considérable. Il est donc important que les parties concernées soient averties suffisamment à l’avance de l’entrée en vigueur d’un nouvel SH.

Cet élément est d’autant plus important du point de vue des pouvoirs publics et des administrations douanières. Quel que soit le pays, la préparation d’amendements à la législation nationale représente généralement un processus long et compliqué. Cette tâche n’est certainement pas à prendre à la légère. Même s’ils disposent de deux années d’avance dans le cycle de révision, depuis la validation des amendements au SH jusqu’à leur date de mise en œuvre obligatoire, certains pays ont du mal à appliquer la nouvelle version du SH à temps. Il est également important de tenir compte d’un autre élément, à savoir le fait que la jurisprudence ne cesse d’évoluer dans chaque pays appliquant le SH. Il est donc essentiel de garantir autant de cohérence que possible entre les nouvelles dispositions et les règles existantes, dans leur libellé mais aussi en ce qui concerne les principes les sous-tendant. Il s’agit de permettre aux administrations de se référer aux précédents et d’utiliser les connaissances acquises en guise d’orientations afin de garantir une application correcte du SH et de réduire le nombre de différends.

Solidité

Les systèmes de classement commerciaux ne sont généralement destinés qu’à leurs utilisateurs. Il ne serait pas vraiment avantageux pour quiconque d’essayer de fausser un classement ou encore de tenter de l’interpréter d’une manière autre que l’intention d’origine. Malheureusement, les systèmes de classement règlementaires sont souvent liés à des mesures que les utilisateurs préféreraient pouvoir éviter. Pour le SH, ces mesures peuvent inclure l’application de droits, de taxes indirectes, de droits anti-dumping ou compensateurs, de restrictions à l’importation ou à l’exportation et d’exigences en matière de contrôles ou de documents. Si les opérateurs commerciaux, dans leur grande majorité, acceptent simplement de rester conformes aux prescriptions légales qui leur sont imposées, certains s’efforceront toujours de contourner toute décision ou intention allant à leur encontre.

En d’autres mots, dans un système de classement commercial, les utilisateurs sont tout à fait d’accord pour classer une pomme en tant que telle, mais, dans le cadre d’un système de classement règlementaire, ils peuvent parfois aller très loin pour prouver qu’une pomme devrait être rangée avec les poires. Un système de classement règlementaire comme le SH doit se fonder sur un classement qui résiste aux questionnements et aux abus, même lorsqu’il est traduit dans différentes langues et est appliqué dans des juridictions différentes. En conséquence, la rédaction d’un système de classement règlementaire peut sembler quelque peu étrange, comparé au langage plus naturel utilisé dans certains systèmes commerciaux. La structure peut paraître trop complexe et le nombre de règles et de conditions ridicule. Parfois, le système semble délibérément difficile. Dans les faits, cette formalité, cette complexité et la rédaction trop tatillonne ne sont que le résultat malheureux de la nature litigieuse du classement. Il est plus difficile de soutenir, devant un tribunal, qu’il est légalement juste de classer une Panthera Tigris Altaica en tant que Felis Catus qu’un tigre de Sibérie en tant que chat.

Travailler ensemble

Compte tenu de leur rôle différent, les divers systèmes de classement sont nécessaires dans le monde du commerce. Le SH ne fournit pas d’informations suffisantes pour classer, par exemple, toutes les pièces de stock de manière à ce que les clients puissent s’y retrouver et, comme indiqué plus haut, les systèmes de classement commerciaux ne sont pas conçus à des fins règlementaires. Ces derniers sont bien trop spécifiques et détaillés pour permettre aux douaniers de faciliter les échanges de marchandises en temps opportun. En règle générale, une douane ne se soucie pas de savoir si une pelle possède un bout arrondi ou carré et les douaniers sur le terrain ne sont certainement pas en mesure de déterminer si le beurre qui leur est présenté est biologique et équitable.

Toutefois, en faisant en sorte que les gestionnaires de ces divers systèmes travaillent ensemble, il est possible de créer un meilleur environnement commercial. La création de corrélations entre les plus grands systèmes commerciaux et règlementaires présente d’énormes avantages, en particulier pour les fabricants et les commerçants qui peuvent ainsi mieux comprendre la position de leurs produits dans un système comme le SH à travers l’emplacement que ces produits occupent dans les systèmes commerciaux avec lesquels ils travaillent, qui leur sont plus familiers et qui sont aussi plus spécifiques à leur secteur industriel. Pour un système de règlementation du commerce comme le SH, l’un des plus grands avantages d’un tel rapprochement des systèmes est qu’il permet aux autorités de mieux cerner ce qui est important pour les secteurs d’activité et comment s’articulent les différences entre les produits. L’un des objectifs des gouvernements est d’appuyer le commerce et le but du SH est d’aider le secteur privé tant en matière de facilitation que de collecte d’informations à des fins statistiques.

Aller de l’avant contre vents et marées

En présentant les problèmes et les défis auxquels le SH est confronté, nous espérons que le lecteur est plus à même d’apprécier en quoi le SH est un outil si remarquable et pourquoi il constitue un instrument incontournable pour permettre aux douanes de remplir leur mission. Il convient toutefois de faire preuve de prudence également. Le commerce passe par de grands changements : chaînes de production distribuée et chaînes de valeur mondiales, produits intégrés, une innovation et des délais de mise au point de nouveaux produits bien plus rapides que par le passé… À de nombreux égards, le commerce a dépassé la capacité des systèmes règlementaires, notamment du SH, à suivre le rythme.

Par ailleurs, comme pour tout système qui vieillit, les attaques contre son intégrité sont de plus en plus variées et sophistiquées. Le nombre d’arrêts des tribunaux qui viennent contredire les mêmes dispositions du SH révèle quelques-unes de ambiguïtés du système qui le rendent vulnérable face aux abus. Si le système a bien fonctionné pendant des années, il n’en est pas moins vrai qu’il aurait besoin d’une bonne cure de jouvence afin de pouvoir être amélioré. La communauté douanière devra simplement s’assurer de préserver l’objet premier et les points forts du SH dans tout exercice de révision.

 

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