Dossier

L’essentiel sur le commerce illicite de pesticides

28 juin 2016
Par M.H. van Diesen, inspecteur principal, Agence pour la sécurité des produits et des aliments, Pays-Bas

Le commerce mondial des pesticides illégaux est en plein essor, comme le montre la multiplication des saisies et des incidents liés aux produits de ce genre constatés un peu partout dans le monde. Cette évolution s’explique non seulement par une meilleure connaissance du phénomène de la part des autorités de contrôle, mais aussi par le fait que les contrevenants impliqués dans la production et la distribution de ces marchandises opèrent désormais à une échelle mondiale.

En témoignent les résultats d’une opération organisée par l’Office européen de police (Europol) en novembre 2015. Durant les 12 jours qu’a duré l’opération, 100 cas d’infraction ont été relevés au cours de 350 inspections menées dans de grands ports et aéroports de sept pays de l’Union européenne. Rien qu’au port de Rotterdam, les fonctionnaires de l’Agence néerlandaise pour la sécurité des produits et des aliments (NVWA) et des douanes ont inspecté huit cargaisons, dont six se sont révélées suspectes.

Les pesticides comptent parmi les produits les plus réglementés sur le marché. Dans la plupart des pays, ils doivent être homologués par un organisme public national qui est chargé de déterminer, avant que le produit ne puisse être vendu, si celui-ci satisfait aux normes de sécurité en vigueur. La procédure d’homologation est longue (il s’écoule généralement 10 ans entre le moment de la découverte et la première vente) et coûteuse (jusqu’à 280 millions d’euros).

Ce n’est pas un hasard si les lois régissant les pesticides sont strictes. Les pesticides sont conçus pour détériorer ou tuer les organismes nuisibles, tels que les insectes, les champignons et les mauvaises herbes. Par ailleurs, lorsque ces pesticides sont épandus sur les terres, l’eau et les cultures vivrières, les êtres humains et la vie sauvage peuvent y être exposés. Qui plus est, des résidus pénètrent dans la chaîne alimentaire et peuvent s’accumuler, et les substances chimiques peuvent parfois constituer une menace pour des insectes bénéfiques, tels que les abeilles. Les pesticides peuvent aussi être nocifs pour l’utilisateur direct, voire pour les cultures elles-mêmes, si l’on ne respecte pas les prescriptions d’utilisation indiquées sur l’étiquette, par exemple le port de vêtements de protection appropriés.

Les pesticides de nouvelle génération sont très spécifiques et ciblent un seul organisme nuisible dans une culture, tandis que les autres, généralement d’une génération plus ancienne, ont un large spectre. Les pesticides d’ancienne génération sont interdits dans de nombreux pays ; ils ne peuvent pas être homologués.

Sont considérés comme illégaux tant les pesticides contrefaisants que ceux qui ne sont pas enregistrés dans le pays de destination. Ces pesticides « non homologués » constituent une menace importante car ils sont peut-être bien plus toxiques que les produits légaux. Ainsi, par exemple, il se peut qu’aucun organisme public ne les ait évalués pour garantir leur innocuité pour les êtres humains et l’environnement, et ils ne sont souvent accompagnés d’aucune instruction correcte ni d’aucun avertissement sur l’étiquette.

Quant aux pesticides contrefaisants, ils sont généralement conditionnés de façon à ressembler aux produits légaux, mais leur composition peut différer de ce qui est écrit sur l’étiquette. Par exemple, il se peut qu’ils contiennent moins de substance active que le produit légal, ou qu’ils contiennent des substances actives moins chères, et potentiellement plus toxiques. Ainsi, les pesticides contrefaisants peuvent être soit inutiles (ne pas donner le résultat attendu), soit très dangereux (contenir trop de poison), tout en restant toxiques.

L’agriculture est un pilier de l’économie de nombreux pays, et les enjeux sont donc énormes ; l’utilisation de pesticides illégaux peut avoir de graves conséquences : interdiction de commercialiser les produits contaminés, y compris sur les marchés d’exportation, détérioration des cultures et ruine des agriculteurs. En 2015, en Inde du Nord, les agriculteurs ont entamé une grève pour exiger une enquête judiciaire sur la vente de pesticides contrefaisants qui avaient détérioré leurs cultures ou leur avaient fait perdre toute valeur.

État des lieux

Plusieurs raisons expliquent pourquoi le commerce des pesticides illicites et contrefaisants s’est développé ces dernières années. La demande de pesticides bon marché est forte, les pesticides à large spectre sont de plus en plus souvent interdits sur de nombreux marchés un peu partout dans le monde, les bénéfices sont élevés et, enfin, les contrevenants ont peu de risques de se faire prendre.

L’application des lois est en effet difficile dans ce domaine. Au côté des réseaux criminels dont les activités impliquent le recours à des chaînes logistiques compliquées et délibérément longues (les produits traversent de nombreuses frontières) et à des faux documents, il existe aussi des groupes de moindre envergure – parfois composés de quelques individus seulement – qui recherchent un gain rapide. Par ailleurs, il est fréquent que les pesticides soient vendus directement aux agriculteurs.

À mesure que l’on prend de plus en plus conscience, partout dans le monde, du commerce des pesticides illicites et contrefaisants, il apparaît que l’élément clé pour lutter efficacement contre cette forme de criminalité est de combiner les connaissances venant des autorités compétentes et du secteur privé. Les douanes, plus particulièrement, ont un rôle essentiel à jouer dans la détection des cargaisons illicites. En coopération avec les organismes de réglementation et/ou les forces de police et les procureurs, il est possible de traduire les malfaiteurs en justice et ainsi de les dissuader de faire entrer ces produits sur le marché et dans la chaîne alimentaire.

La coopération entre les organismes étatiques, au sein d’un même pays et entre différents pays, est un facteur clé de réussite des États qui luttent contre ce phénomène avec succès. Aux Pays-Bas, c’est la NVWA qui fait appliquer les règlements relatifs aux pesticides. La NVWA travaille avec la douane, la police et le ministère public en vue d’empêcher la commercialisation de pesticides non homologués. Toutes les parties concernées utilisent les moyens de communication de la douane pour échanger des informations. Les activités de contrôles sont centrées sur le port de Rotterdam et l’aéroport de Schiphol, les deux grands points d’entrée du pays.

La NVWA est chargée de définir les profils de risque et d’introduire des indicateurs dans le système automatique de gestion des risques de la douane. La référence à une substance active, la manière de décrire un produit ou encore le nom d’une société importatrice sont autant d’éléments qui peuvent indiquer s’il y a un risque de se trouver en présence de pesticides illégaux. Les indicateurs sont mis à jour régulièrement, par exemple après une découverte faite lors d’une inspection de la NVWA et de la douane.

La douane joue un rôle central dans la coordination des inspections conjointes des cargaisons. Les cargaisons sélectionnées par le système de gestion des risques sont inspectées par les deux organismes ; la douane vérifie que la cargaison est bien arrimée et aussi qu’aucun droit de propriété intellectuelle ne fait l’objet d’une infraction.

En coordonnant les inspections et en faisant en sorte qu’il n’y ait qu’une seule vérification physique, la douane réduit à un minimum les pertes de temps dans la chaîne logistique. La NVWA communique le résultat de son inspection à la douane, afin d’éviter que les marchandises concernées ne soient mises en libre pratique. Le principe de la vérification unique a l’autre avantage de permettre à tous les partenaires de bénéficier des connaissances et de l’expertise des autres. Si nécessaire, la NVWA peut dispenser des formations aux fonctionnaires de la douane.

À quoi faut-il s’attendre ?

Les violations délibérées de la loi peuvent prendre les formes suivantes : étiquetage non conforme (nom incorrect, faute d’orthographe, format d’étiquette non approuvé, etc.), mention de renseignements trompeurs concernant la marque ou la nature du produit (entraînant des violations d’un brevet ou d’une marque), composition inappropriée, utilisation de mauvaises substances actives ou de mauvais coformulants, présence d’impuretés préoccupantes, bouteilles ou contenants inadaptés ou encore pesticides obsolètes.

Pour contrôler les importations de pesticides, il faut inspecter les documents justificatifs, procéder à un examen visuel de l’emballage et de l’étiquetage et, si l’on suspecte une contrebande, prendre des échantillons et procéder à une analyse en laboratoire.

Concernant les documents justificatifs, les trafiquants de pesticides illicites utilisent souvent des fausses déclarations et des documents falsifiés. Bien souvent les produits illégaux ne seront pas déclarés comme des « marchandises dangereuses », les documents d’expédition ne seront pas clairs et les contrevenants utiliseront des faux noms et des étiquettes mensongères ou trompeuses. Par ailleurs, il est possible que les documents d’expédition mentionnent un pesticide différent de celui qui est vraiment transporté, qui contiendra une substance active différente, surtout lorsque la véritable substance active est toujours protégée par un brevet.

Il est extrêmement important d’examiner l’emballage. Le transport des marchandises dangereuses est soumis à des réglementations qui visent à garantir la sécurité des travailleurs et des opérateurs, du véhicule qui sert au transport et des autres marchandises transportées. L’emballage doit donc satisfaire à certaines normes définies par l’Organisation des Nations Unies (ONU) et être homologué par l’autorité nationale compétente.

On parle souvent, pour ces types d’emballages, d’homologation ONU ou de certification ONU ; on appose sur ces emballages le symbole de l’ONU, suivi de certains codes. Le système de marquage de l’ONU présente différentes informations, par exemple les caractéristiques de l’emballage et les niveaux des tests qui ont été passés avec succès. Étant donné que les niveaux de ces tests sont fonction de la dangerosité et des caractéristiques physiques et chimiques de la substance, le marquage donne aussi des informations sur certaines des propriétés des matières que peuvent contenir les différents contenants. Sont également précisés le pays dans lequel le contenant a été fabriqué et le nom de l’entreprise qui l’a fabriqué.

Étant donné que la plupart des pesticides sont classés parmi les marchandises dangereuses, il sera, je le répète, essentiel, pendant l’inspection, d’examiner l’emballage de près. On a constaté que les marquages ONU étaient parfois incomplets, voire inexistants, sur certains contenants. Sur l’image 1, par exemple, le code pays est absent, tout comme les initiales du fabricant, toujours représentées par le dernier caractère à la fin du code. Avec un tel indice, l’agent qui procède à l’inspection doit s’interroger sur la légitimité de la cargaison.

Il n’est pas rare de mettre la main sur des matériaux d’emballage qui ne conviennent pas au transport de pesticides et qui risquent donc d’engendrer des accidents. Les cargaisons de pesticides doivent être stockées et arrimées dans des zones bien précises des navires, mais ces conditions ne sont bien souvent pas respectées en raison des fausses déclarations concernant les marchandises. Des cargaisons dangereuses avec des points d’éclair très bas (inférieurs à 20 °C) peuvent ainsi se retrouver à bord d’un navire sans être pourvues des signes d’avertissement nécessaires.

Les dessins ou modèles et les marques sur l’emballage des grands noms sont souvent copiés de façon intentionnellement discrète. L’image 2 montre le fond d’un contenant de cinq litres : il n’y a pas de code ONU et on constate une violation claire de la marque Spac® de Syngenta.

Parfois, les marques figurent sur des éléments séparés de l’emballage, comme le montre l’image 3. Dans ce cas de figure, le droit de propriété intellectuelle s’applique seulement au capuchon de la bouteille, qui sert à mesurer. Dès lors, on pourrait seulement confisquer les capuchons. On notera ici qu’il faudrait utiliser les marques sur tous les éléments de l’emballage afin de mieux protéger les marchandises. Ceci dit, dans ce cas précis, il y avait violation de la loi réglementant les pesticides étant donné que la bouteille contenait un pesticide non homologué.

Image 1
Image 2
Image 3

Comme cela a été dit plus haut, la vérification des cargaisons et la détection des infractions nécessitent l’intervention de laboratoires capables de réaliser rapidement des analyses chimiques. Il s’agira dès lors de disposer d’un réseau efficace de laboratoires douaniers parfaitement équipés et capables d’analyser les pesticides conformément aux méthodes acceptées au niveau international, ainsi que de laboratoires mobiles pour effectuer rapidement certains tests sur les pesticides.

Coopération internationale

Il est évident que les pays doivent coopérer. Si une cargaison a été immobilisée dans un port d’entrée, les trafiquants changeront leur itinéraire et tenteront de faire passer leurs produits par un autre port, selon une logique de « vases communicants ». C’est aussi la raison pour laquelle il faut éviter autant que possible de renvoyer des pesticides illégaux à l’exportateur. Les cargaisons renvoyées seront bien souvent expédiées vers d’autres pays du fait des marges importantes dégagées de la vente de ces marchandises.

Les opérations internationales de lutte contre la fraude, telles que celles qu’organise Europol, sont utiles pour renforcer la coopération. Le réseau NOPCE (Network of Officials for Pesticide Compliance and Enforcement), créé et géré par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), est une autre initiative intéressante. Les membres du NOPCE – des organismes de réglementation des pesticides de pays membres et non membres de l’OCDE – utilisent un système pour informer les autres fonctionnaires de l’arrivée de pesticides non homologués et potentiellement illégaux.

En plus d’améliorer l’échange des informations, les organismes étatiques et le secteur privé devraient aussi renforcer leur capacité à réagir face aux nouvelles méthodes d’importation des trafiquants. Plus spécialement, il est possible que ces trafiquants arrêtent d’importer les produits formulés (c’est-à-dire les pesticides prêts à l’emploi) et se tournent plutôt vers l’importation des « substances techniques » qui composent le produit pour ensuite en assurer la fabrication dans le pays de destination. À l’heure actuelle, dans certains pays, l’importation des substances techniques ne fait, en effet, pas l’objet d’une réglementation aussi stricte que celle des pesticides prêts à l’emploi.

 

En savoir +
m.h.vandiesen@nvwa.nl
https://english.nvwa.nl
www.europol.europa.eu
www.oecd.org/chemicalsafety/pesticide-compliance/nopce-authorities.htm