Publication des données sur le temps nécessaire à la mainlevée: l’expérience concluante de la Pologne
28 juin 2016
Par Tomasz Michalak, Directeur, Département de la douane, Ministère des finances, PologneLes chiffres sont une langue universelle et traduisent la réalité de terrain, sur un ton neutre et intelligible. Voilà pourquoi tout service douanier désireux d’améliorer ses procédures dans un souci de plus grande compétitivité économique devrait faire de l’évaluation chiffrée son quotidien. Le présent article explique comment la Douane polonaise utilise les études sur le temps nécessaire à la mainlevée (Time Release Studies ou TRS) pour améliorer ses procédures de dédouanement et met en lumière les avantages d’une large publication des résultats obtenus.
L’Article 7 (paragraphe 6) de l’Accord sur la facilitation des échanges (AFE) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) stipule très clairement que « les Membres sont encouragés à mesurer et à publier le temps moyen qui leur est nécessaire pour la mainlevée des marchandises, périodiquement et d’une manière uniforme, au moyen d’outils tels que, entre autres, l’étude de l’OMD sur le temps nécessaire à la mainlevée ».
Les pays désireux de mener une TRS peuvent se référer au Guide de l’OMD sur la TRS qui propose une gamme complète d’outils pratiques à des fins de mise en œuvre de l’étude et d’analyse des résultats. Le guide souligne, très à propos, les trois phases de l’étude: la phase préparatoire, la compilation des données et l’analyse des résultats. J’estime qu’on pourrait y ajouter une autre étape utile qui consisterait à optimiser les procédures lorsque les résultats ne sont pas satisfaisants et à procéder, ensuite, à une nouvelle évaluation qui clôturerait le processus.
Les résultats de ces études et de toute autre évaluation de la performance devraient être publiés, comme le prévoit la Norme 9.1 de la Convention de Kyoto révisée de l’OMD selon laquelle « la douane fait en sorte que toute personne intéressée puisse se procurer sans difficulté tous renseignements utiles de portée générale concernant la législation douanière ». Cette idée fondamentale est d’ailleurs reprise dans les Directives de l’OMD en matière de transparence et de prévisibilité qui dressent la liste des données que la douane est invitée à publier, au titre desquelles figurent les « résultats de l’évaluation des performances ».
Au-delà de la publication de ces résultats, il conviendrait aussi de partager les informations concernant « les expériences en matière de mesure des temps moyens nécessaires à la mainlevée, y compris les méthodes utilisées, les goulets d’étranglement identifiés, et toutes répercussions sur le plan de l’efficacité », conformément à l’Article 7 (paragraphe 6.2) de l’AFE de l’OMC.
L’OMD étant une plateforme d’échange d’informations et de coopération qui porte depuis quelques années une attention toute particulière à l’évaluation de la performance, je voudrais vous exposer ici l’expérience polonaise de la TRS et mon avis sur la publication des résultats.
L’utilité des chiffres
L’adoption de la « Stratégie de développement de la Douane » pour la période 2014 – 2020 a été une étape clé dans la mise en œuvre d’une politique d’évaluation de la performance en Pologne. Cette stratégie fixe en effet des objectifs qui ont suscité des projets et fait naître le besoin de mesurer. Satisfaire les attentes des opérateurs commerciaux et des voyageurs pour ce qui concerne les délais était un autre impératif primordial.
Dès lors, un jeu d’indicateurs, continuellement soumis à vérification et mis à jour, a été conçu et rendu public, au même titre que les résultats engrangés par rapport aux objectifs énoncés dans la stratégie. Deux de ces indicateurs portent directement sur le temps nécessaire à la mainlevée des marchandises et la durée des formalités pour les personnes se présentant aux frontières, procédures auxquelles prennent part, non seulement, les agents douaniers, mais aussi d’autres services frontaliers.
Aux frontières terrestres
En collaboration avec la Garde frontalière, la Douane polonaise s’efforce de réunir les données sur la durée moyenne des procédures frontalières. Les chiffres officiels sont corroborés par les informations obtenues auprès des chauffeurs de poids lourds et des voyageurs transfrontaliers. De plus, de temps à autre, les résultats sont vérifiés par des organisations non gouvernementales. Les données agrégées sont mises en ligne.
Un projet visant à améliorer la méthode d’évaluation est actuellement en phase de test. Il prévoit le recours à des technologies plus pointues qui permettent aux conducteurs de confirmer leur position aux frontières au moyen d’une application dédiée installée sur GPS et/ou téléphone mobile.
La méthode de TRS a été minutieusement pensée par une équipe de fonctionnaires de la Douane et de la Garde frontalière, avant d’être approuvée par les plus hautes instances. Des agents de service locaux analysent quotidiennement les résultats et, si les temps d’attente dépassent des valeurs considérées comme admissibles (et publiquement déclarées comme telles), la Direction de la Douane est tenue de prendre les mesures adéquates, énoncées dans un plan de réaction. Les résultats sont régulièrement discutés en conseil d’administration, de même que les études comparatives entre postes frontières.
Porter les résultats des TRS à la connaissance du public est considéré comme impératif. Les temps d’attente sont publiés par différents canaux :
- un site web dédié (granica.gov.pl) où s’affiche la durée des procédures de dédouanement des marchandises et de traitement des voyageurs entrant et sortant, à tous les postes frontaliers, les temps concernant les voyageurs étant présentés indépendamment des délais applicables aux chauffeurs de poids lourds. Ces données sont également disponibles via une application mobile.
- des émissions radio dédiées aux questions de trafic routier qui diffusent régulièrement des annonces utiles.
- de grands panneaux d’affichage installés aux carrefours autoroutiers proches des frontières.
Quiconque douterait de la véracité des informations diffusées par ces canaux peut s’assurer de la situation au poste frontalier de son choix grâce aux webcams installées sur les routes qui y mènent.
Le site granica.gov.pl offre une mine d’informations en plusieurs langues (dispositions douanières et mesures d’immigration, adresses utiles et documents demandés). Ce site va jusqu’à proposer la visite virtuelle d’un poste frontalier et explique la procédure d’inspection. Cette visite est très prisée des touristes qui se rendent en Europe de l’Est pour la première fois.
La publication des temps d’attente a influencé le travail des services douaniers. Plusieurs mesures de facilitation ont été prises aux postes frontières terrestres, des « voies vertes » ont notamment été créées pour les produits et véhicules présentant un risque faible, des voies rapides pour les opérateurs économiques agréés (OEA) et les camions circulant à vide. Il est également possible de s’inscrire à l’avance pour la procédure de dédouanement.
Un accord quadripartite a été signé entre la Garde frontalière et la Douane polonaise d’une part et, de l’autre, leurs homologues des pays limitrophes. Chaque partie à l’accord y précise le nombre quotidien minimum et maximum de voitures et de camions à dédouaner, le temps nécessaire et les mesures à prendre en cas d’irrégularités ou de fraudes.
Cet accord de gestion frontalière permet d’éviter les goulets d’étranglement et, si les temps d’attente sont excessifs, les parties savent comment réagir. Sa mise en œuvre est vérifiée régulièrement et approuvée par la Direction générale, au même titre que le respect des seuils fixés. Enfin, comme nous le disions auparavant, les ONG ont également un rôle à jouer dans la supervision des performances de dédouanement et leurs rapports sont examinés par les services de la Douane et de la Garde frontalière.
Aux ports maritimes
La prospérité de nombreux pays est tributaire des points de passage que sont les ports maritimes et les flux de marchandises doivent donc absolument y être traités en toute fluidité, d’autant plus que la concurrence internationale et nationale est rude.
Il y a quelques années de cela, la situation qui prévalait aux ports maritimes nationaux était tout autre et pour le moins inquiétante. Les opérateurs commerciaux se plaignaient des temps d’attente (il fallait parfois jusqu’à trois jours pour dédouaner une cargaison). Toutes les parties prenantes actives au niveau portuaire travaillaient chacune de leur côté et certaines procédures ou données étaient redondantes. La compétitivité des ports polonais s’en ressentait.
Les autorités ont donc décidé de redresser la barre et la Douane a été appelée à assurer la coordination des réformes nécessaires, avec l’aide de plus de 15 services habilités à contrôler les importations et les exportations. Le projet « Porty 24h » (Ports maritimes 24h) a été lancé, l’idée étant que toutes les procédures liées notamment au dédouanement des marchandises et au transfert des conteneurs devaient s’effectuer dans un délai de 24 heures, sauf cas particulier (déclaration d’entrée manquante, entreposage temporaire des marchandises, quarantaine, etc.). Des procédures précises ont été arrêtées et les solutions informatiques requises ont été développées.
La « règle des 24h » a ensuite été entérinée par le parlement national et a acquis force de loi. Pour veiller à la coordination des contrôles, tous les services sont appelés à soumettre leurs demandes d’inspections physiques à l’avance, à l’issue d’une évaluation individuelle des risques. C’est la Douane qui décidera de l’heure et du lieu des contrôles, qui se font selon le modèle du guichet unique.
Les résultats de tous ces contrôles et des mesures prises par la Douane, par les services d’inspection vétérinaire, les services sanitaires ou tout autre service, sont alors envoyés vers une plateforme informatique commune, accessible à tous. La Douane, coordinatrice du projet Porty 24h, présente ensuite les résultats consolidés de tous les services sur son site web (http://pkc.gdynia.uc.gov.pl/statystyki/gdynia). Les données sont ventilées par port, avec la liste des temps d’attente moyens, la durée de la procédure de mainlevée la plus courte et la plus longue.
Les rapports sur la TRS sont mis en ligne quotidiennement. Depuis le lancement du projet, moins de 0,5 % des contrôles exercés par les services ont dépassé le seuil des 24h. Le temps de traitement d’un envoi est en moyenne de 10 à 12 heures.
La réussite du projet s’explique, en grande partie, par l’application de la règle contraignante des 24h. Mais il convient de noter qu’aucune sanction n’est imposée en cas de dépassement et que, dès lors, le respect des règles s’explique, avant tout, par le fait que les résultats sont rendus publics! C’était, et cela reste, un facteur incitatif majeur pour toutes les parties au projet, qui motive davantage les agents que l’évaluation interne de la performance des services par la Direction.
La Banque mondiale s’est félicitée des résultats du projet et, dans le rapport Doing Business 2016 la Pologne se place en tête du classement relatif à l’indice « Commerce transfrontalier », qui mesure la durée et le coût (à l’exclusion des droits de douane) de trois séries de procédures (conformité des documents, respect de la réglementation douanière, transport intérieur), dans le cadre général de l’import-export de cargaisons de marchandises.
Enseignements
Habituellement, les projets TRS s’accompagnent de l’avertissement suivant : « les données ne peuvent être publiées et aucun classement des participants ne pourra être effectué ». Cette approche me semble incorrecte.
Les exemples susmentionnés nous montrent que la publication des résultats peut être un facteur de motivation très efficace pour les services douaniers et autres organes gouvernementaux ou non gouvernementaux. Elle ouvre la voie à une meilleure collaboration interinstitutionnelle, à l’instauration de mécanismes clairs de communication et permet de satisfaire les attentes du secteur commercial, tout en respectant l’obligation de transparence. Les analyses comparatives sont un bon point de départ pour l’examen des pratiques et l’amélioration du travail des administrations et des recommandations peuvent ainsi être élaborées et défendues sur la scène internationale.
Un autre argument solide plaide en faveur de la publication des résultats des études sur le temps nécessaire à la mainlevée et autres statistiques relatives aux performances : faute de données officielles, le public n’aurait d’autre choix que de se référer à des informations peu fiables, certes, mais qu’il serait difficile de réfuter, et pourrait se faire une perception négative de la réalité. Cela occulterait le travail et les efforts consentis, et d’aucuns pourraient prétendre que nous avons des choses à cacher ou que nous nous croisons les bras.
Certains avancent l’argument selon lequel, en raison de la nature particulièrement sensible de certains indicateurs associés aux programmes d’évaluation de la performance, ceux-ci ne devraient pas (ou ne peuvent pas) être rendus publics. Pourtant, les études ne recèlent aucune donnée confidentielle. Par conséquent, si nos données sont fiables et les résultats satisfaisants, nous n’avons aucune raison de ne pas le clamer haut et fort.
En savoir +
www.mf.gov.pl
granica.gov.pl
http://pkc.gdynia.uc.gov.pl/statystyki/gdynia