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Panorama

Commerce illicite d’espèces sauvages : comment le Pérou compte relever le défi

28 octobre 2015
Par Par l'équipe chargée du renseignement et des opérations tactiques de la Douane du Pérou

Le Pérou compte trois types de paysages naturels : la région côtière, les montagnes et les forêts. Toutes ces régions accueillent des populations de faune et de flore différentes, faisant du Pérou un pays à la biodiversité riche et variée abritant des espèces particulièrement prisées par les collectionneurs du monde entier. Le trafic illicite constitue l’une des plus grandes menaces pour la faune et la flore sauvages péruviennes et c’est pourquoi les exportations d’espèces sauvages et de leurs produits dérivés sont désormais au centre des préoccupations de la Douane péruvienne, la SUNAT. Le présent article présente les efforts de la douane afin de contrecarrer le commerce illicite d’espèces sauvages.

Règlementation du commerce de faune et de flore sauvages

L’article 68 de la Constitution péruvienne stipule que l’État est obligé de promouvoir la préservation de la diversité biologique et des zones naturelles protégées tandis que l’article 364 alinéa f) de la « loi sur la règlementation forestière et en matière de faune sauvage » prévoit que la chasse, la capture, la collecte, la possession, le transport, la commercialisation ou l’exportation de spécimens de faune sauvage sans agrément correspondant constituent une violation au titre de cette même législation.

L’acheminement sur le territoire national, le commerce et/ou l’exportation de spécimens de faune sauvage doivent ainsi être documentés par les titres appropriés, qu’il s’agisse d’une licence pour le transport d’espèces de faune sauvage ou encore d’un permis ou d’un certificat CITES, pour les espèces protégées par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction (CITES).

Les permis CITES sont octroyés par les deux instances en charge de la gestion de la CITES, à savoir :

  • le Service national des forêts et des espèces sauvages (SERFOR), sous la tutelle du Ministère de l’agriculture et de l’irrigation (MINAGRI), qui se charge de la gestion des espèces sauvages se reproduisant sur le territoire national, y compris tous les types d’amphibiens. Bien que ce soit le SERFOR qui se charge des forêts, l’Organe de surveillance des ressources forestières et des espèces de faune et de flore sauvages (OSINFOR) représente l’instance responsable pour la délivrance des licences forestières.
  • le Ministère de la production et du commerce extérieur (PRODUCE) qui se charge quant à lui de gérer la flore aquatique et les espèces hydrobiologiques marines et continentales, y compris les espèces couvertes par les appendices I, II et III de la CITES.

Les trafiquants spécialisés dans le commerce illicite d’espèces sauvages utilisent de façon illégale les permis délivrés à de tierces parties ou encore des agréments frauduleux afin de vendre des espèces contrôlées. Un ensemble d’acteurs participent à cette chaîne, dont le point de départ se situe au sein des communautés proches des espèces sauvages pour s’étendre ensuite aux intermédiaires et aux collectionneurs.

Un commerce meurtrier

Le trafic des espèces sauvages, que ce soient des animaux vivants ou morts, des plantes et de leurs parties immédiatement reconnaissables ou de leurs produits dérivés, constitue une activité très lucrative. Les frais de transport sont bas et nul ne s’embarrasse de considérations telles que des salaires décents ou encore les dégâts potentiels causés à l’environnement. Selon le SERFOR, ce trafic constitue le troisième commerce le plus important au monde après le trafic illicite de drogues et d’armes.

Il s’agit aussi d’un commerce odieux et potentiellement fatal. Les experts du groupe pour la préservation de la nature WWF ont estimé qu’entre 60 % et 80 % des animaux vivants ciblés par les contrebandiers meurent au cours de leur capture, de leur transport ou de la transaction commerciale ultérieure dont ils font l’objet. De plus, la saisie d’un animal n’en garantit pas la survie. Il est dès lors capital d’utiliser les bonnes méthodes de traitement des animaux au cours des saisies (et donc, de calculer au mieux la période de temps entre la saisie et le transfert d’un animal vers un établissement agréé) car elles peuvent contribuer, entre autres, à la survie d’une espèce.

Les trafiquants surexploitent les espèces autorisées ou alors se centrent sur les espèces en danger et rares, menaçant ainsi directement la biodiversité du pays. Le gouvernement péruvien estime que 400 espèces de faune et de flore sauvages sont menacées d’extinction. En outre, le commerce illicite crée une concurrence déloyale au détriment des opérateurs licites respectueux des règles. 

Opération FLYAWAY

Au cours de la 12ème réunion des correspondants nationaux du Bureau régional de liaison chargé du renseignement (BRLR) de l’OMD pour l’Amérique du Sud, les États-Unis ont proposé de mettre sur pied une opération de lutte contre la fraude à l’échelle internationale ciblant le commerce illicite d’espèces sauvages, et ont encouragé les Membres d’Amérique du Sud et du Nord ainsi que d’Europe à y participer.

La proposition a été pleinement avalisée et l’opération, nom de code FLYAWAY, s’est déroulée de février à juillet 2015 avec la participation de 14 administrations douanières, à savoir le Brésil, le Chili, la Colombie, le Pérou, le Mexique, l’Uruguay, le Vénézuela et les États-Unis, ainsi que l’Allemagne, les Pays-Bas, le Portugal, l’Espagne, la Suisse et le Royaume-Uni. L’opération s’est déroulée en trois étapes : la phase pré-opérationnelle, la phase opérationnelle et la phase post-opérationnelle. Les contrôles nationaux  se sont intensifiés lors de la phase opérationnelle, du 17 au 26 juin.

L’Opération FLYAWAY a réuni au plan national les services de la douane, de la police et des autorités chargées des espèces sauvages pour cibler le commerce et le transport illégaux de spécimens protégés

Les pays ont procédé à un échange d’informations sur les saisies ainsi que sur les indicateurs de risque. Ils ont également envoyé des messages d’alerte lorsqu’un envoi suspect partait du pays d’origine sans avoir été soumis à un contrôle. Par exemple, le Pérou a alerté les douaniers de la Customs and Border Protection (CBP) des États-Unis sur le fait qu’un envoi de 170 oiseaux allait passer par leur territoire national à destination du Koweït, probablement en violation des lois et traités sur les espèces sauvages. A cet égard, les autorités péruviennes ont proposé qu’un spécialiste de la faune et de la flore sauvage soit présent au moment du contrôle par les États-Unis de l’espèce par rapport aux documents justificatifs

Les autorités américaines n’ont pas permis le transit du chargement étant donné que l’espèce était protégée en vertu du Migration Bird Act (loi sur la migration des oiseaux) et l’ont renvoyé au Pérou. Comme l’opération d’exportation avait été réalisée en conformité avec les normes nationales du Pérou, la SUNAT n’a pas procédé à la saisie des oiseaux.

Au niveau national, la SUNAT a pris contact durant l’opération avec le Service du Ministère public spécialisé dans l’environnement (FEMA), la division environnement de la police nationale péruvienne (PNP), OSINFOR, PRODUCE et le SERFOR afin de générer les renseignements permettant de constituer une base de données d’indicateurs qui permettrait de surveiller les destinations, destinataires et expéditeurs posant un risque.

La participation d’OSINFOR, de PRODUCE et du SERFOR a été essentielle pour garantir que les produits contrôlés étaient couverts par un titre documentaire ayant été vérifié préalablement ou contrôlé et dont la conformité avec la législation nationale était avérée. En coordination avec ces services gouvernementaux, la SUNAT a mené des opérations dans des zones dites primaires, telles que les aéroports, les terminaux terrestres et les postes de contrôle aux frontières, mais aussi dans les zones dites secondaires comme les autoroutes ou encore des établissements spécifiques.

Ces interventions ont débouché sur 35 résultats positifs en matière d’espèces sauvages au niveau national, dont 32 ont été l’aboutissement de l’intensification des vérifications aux différents points de contrôle dans les zones dites primaires, tandis que trois cas ont été identifiés grâce aux opérations conjointes avec les différents organes de l’État tels que le SERFOR, la PNP et le FEMA dans les zones dites secondaires. Par ailleurs, diverses opérations nationales conjointes ont été menées pour lesquelles aucun résultat positif n’a été enregistré.

Types de fraude

L’Opération FLYAWAY a révélé ou confirmé l’existence de certains types de pratiques frauduleuses :

  • déclaration d’animaux vivants comme étant morts ;
  • classement incorrect, débouchant sur un détournement de la position tarifaire pour laquelle un permis est exigé ;
  • exportations de spécimens non autorisés parmi des spécimens autorisés ;
  • exportations de quantités plus élevées que celles autorisées ;
  • exportations vers des destinataires autres que ceux indiqués sur les permis ;
  • exportations vers des destinations autres que celles indiquées sur les permis ;
  • utilisation non autorisée de permis délivrés à une tierce personne, et ce, en dépit du fait que les permis sont transférables ;
  • changement de numéro du permis ;
  • code d’identification de l’entité délivrante différent de celui de l’autorité administrative responsable ou omission de telles informations sur la déclaration en douane.

Défis et perspectives

S’exprimant à propos de l’opération, le Secrétaire général de l’OMD, M. Kunio Mikuriya a déclaré que « les opérations comme FLYAWAY sont une excellente occasion pour garantir que les organisations joignent le geste à la parole […] et acquièrent une expérience ou encore partagent leurs connaissances. »

Au Pérou, l’opération a révélé le manque de sensibilisation des fonctionnaires de la douane chargés du dédouanement concernant les caractéristiques techniques d’identification des espèces protégées par la CITES et a clairement montré qu’il était nécessaire d’établir des mécanismes de communication robustes avec d’autres instances. Elle a également permis de mettre en lumière un élément critique lié à la déclaration en douane : cette dernière n’exige pas de l’exportateur qu’il indique le nom scientifique de l’espèce présentée à l’exportation, ce qui complique la tâche du douanier qui essaie de déterminer si l’espèce rapportée dans le document est protégée par la CITES ou non.

L’Opération FLYAWAY a permis également de mettre en lumière un problème applicable à l’ensemble du commerce international des plantes et de la faune : le tampon d’une autorité sur un document officiel n’est pas une garantie suffisante de légalité d’un produit dans de nombreux pays. Pour relever le défi que représente le contrôle douanier dans un tel environnement, toutes les institutions gouvernementales ayant pour mission de superviser et de contrôler les titres légaux doivent coopérer. Sans cette coopération, la pérennité des espèces menacées ne peut être garantie, conséquence directe d’un commerce insensible à toute considération de ce genre.

La SUNAT, quant à elle, a l’intention de renforcer ses liens avec le SERFOR et PRODUCE. Un accord inter-institutionnel est recommandé ainsi que des cours de formation et la mise en place d’un mécanisme permettant aux fonctionnaires d’échanger des informations sur les espèces de faune et de flore sauvage protégées par la CITES. Trop souvent, surtout pour ce qui a trait au renforcement des capacités et à l’approfondissement des compétences, des activités sont menées de façon unilatérale, empêchant toute évaluation et échange d’idées et faisant également obstacle à une unification et normalisation des politiques en la matière.

Un tel accord inter-institutionnel existe déjà entre la SUNAT et le MINAGRI. Les deux organes s’aident mutuellement dans la poursuite de leurs objectifs inter-institutionnels en menant des opérations, en échangeant des informations et en mettant en place des activités conjointes, notamment en matière de formation. Le SERFOR relevant du MINAGRI, la conclusion d’un accord de coopération supplémentaire pourrait sembler inutile. Cependant, la SUNAT estime que cela aiderait à stimuler la collaboration dans le domaine de la formation et de l’échange d’informations.

Enfin, les lacunes identifiées dans la législation nationale péruvienne doivent également faire l’objet d’un examen détaillé. En particulier, tout nouveau cadre législatif national doit établir des mesures de contrôle renforcé et s’assurer que les déclarations à l’importation et/ou à l’exportation incluent le nom scientifique des espèces échangées, élément qui n’est pas adéquatement couvert par le cadre législatif actuel.

 

En savoir +
msanchezpe@sunat.gob.pe
calmiron@sunat.gob.pe