Panorama

La « Trade and Transparency Unit », bras armé de la lutte contre le blanchiment de capitaux aux Etats-Unis

3 juin 2015
Par Bernadette Smith, journaliste, Service de l’immigration et de la lutte contre la fraude douanière des États-Unis

La lutte contre le blanchiment de capitaux sous toutes ses formes constitue une priorité absolue pour la Direction des enquêtes sur la sécurité intérieure (HSI) du Service de l’immigration et de la lutte contre la fraude douanière (ICE) des Etats-Unis. Le Service ICE, qui dépend du Département de la sécurité intérieure (DHS), est investi d’une vaste mission de police, notamment la lutte contre le terrorisme international et la criminalité transnationale.

« Une méthode efficace adoptée par la HSI pour cibler les organisations criminelles transnationales consiste à couper les criminels de leurs rentrées financières », explique Peter T. Edge, Directeur exécutif adjoint de la HSI. « Les criminels font preuve d’ingéniosité quand il s’agit de dissimuler le fruit de leurs larcins. Le but de la HSI est de décrypter leurs modes opératoires, d’arrêter les coupables et de transformer leurs activités criminelles en un jeu à somme nulle. »

La HSI combat les méthodes auxquelles recourent les organisations criminelles pour blanchir des fonds, déplacer des capitaux, exploiter les réseaux du commerce mondial, mettre en place des régimes d’assurance illicites et utiliser des systèmes financiers en ligne ainsi que les technologies Internet pour dissimuler leurs gains frauduleusement acquis. La HSI a ainsi procédé à 6 805 saisies distinctes dont plus de 720 millions de dollars en espèces.

« C’est difficile à croire mais, jusqu’à la fin des années 80, il était parfaitement légal pour des trafiquants de drogues de déposer à la banque des valises remplies de billets sans qu’aucune question ne soit posée, » fait remarquer M. Edge. Les autorités américaines concernées se sont insurgées contre cette situation et ont réclamé un changement. Il en est résulté l’adoption en 1986 de la loi sur la prévention et le contrôle du blanchiment d’argent (Money Laundering Control Act). Cette loi, ainsi que les normes anti-blanchiment, la loi relative au secret bancaire (Bank Secrecy Act) et les partenariats entre les régulateurs et les services chargés de la lutte contre la criminalité d’une part et le secteur privé d’autre part, a créé des conditions beaucoup moins propices à la commission d’actes de blanchiment de capitaux. Toutefois, le blanchiment de fonds constitue toujours pour le commerce légal une menace sérieuse qui a de graves répercussions au niveau mondial.

Corruption, criminalité et pauvreté

Le déplacement de capitaux frauduleusement acquis par le biais d’institutions financières comme s’il s’agissait de fonds licites met à mal l’état de droit, favorise la corruption des fonctionnaires et déstabilise des économies. En 1998, le Fonds monétaire international a estimé qu’entre deux et cinq pour cent du produit intérieur brut mondial sont blanchis, soit entre 590 milliards et 1 500 milliards de dollars.

Au fur et à mesure que les organisations criminelles accumulent leurs richesses, elles deviennent plus puissantes, menaçant la sécurité nationale, la gouvernance et la souveraineté des Etats. Elles en défient l’autorité par le biais d’une confrontation directe ou d’actes de corruption, elles recourent à la violence et violent les droits de l’homme, elles minent les réglementations relatives aux produits et sapent les échanges et le commerce.

Selon le Groupe d’action financière internationale, organisme intergouvernemental qui joue un rôle prépondérant dans la lutte contre l’exploitation criminelle du système financier international, les personnes politiquement exposées constituent l’un des groupes les plus ciblés aux fins de blanchiment de capitaux et « les pays où règne un niveau élevé de corruption se caractérisent par un faible taux d’alphabétisation, des taux de mortalité plus élevés et sont dans l’ensemble moins avancés en matière de développement humain. »

Blanchiment de capitaux et transactions commerciales

Afin d’éviter de se faire repérer, les organisations criminelles transnationales exploitent le système commercial international pour blanchir leurs capitaux, se servant des documents complexes et parfois difficiles à interpréter utilisés lors des transactions commerciales légitimes. Profitant de l’augmentation des échanges commerciaux et de la complexité des transactions, ces individus dissimulent des profits illicites et transfèrent des fonds dans diverses régions, tout en se soustrayant au règlement des taxes et droits de douane.

Le concept de TTU

En 2004, la HSI a créé les « Trade and Transparency Units » ou TTU afin de cibler de manière plus radicale la fraude commerciale et le blanchiment de fonds par le biais de transactions commerciales. Le principe directeur sur lequel se fondent les TTU veut que les autorités gouvernementales intervenant aux deux extrémités de toute transaction commerciale soient en mesure de comparer et d’analyser les données échangées aux fins d’identification d’anomalies.

Travaillant en coopération étroite avec l’Administration douanière et de protection des frontières (CBP), les TTU offrent des compétences ainsi qu’un soutien en matière d’enquêtes aux bureaux nationaux et internationaux de la HSI ainsi qu’aux partenaires nationaux et internationaux avec lesquels elles collaborent. Les TTU travaillent main dans la main avec les cellules de renseignement financier, repèrent et analysent les anomalies révélatrices d’infractions douanières, et aident les pays à accroître leurs capacités d’enquête dans le cadre de leur politique de lutte contre le blanchiment de capitaux par le biais d’opérations commerciales.

« Au fil du temps, les organisations criminelles transnationales ont adapté, mondialisé et affiné leurs techniques pour maximiser leurs profits », explique Hector X. Colon, responsable du concept TTU de la HSI. « Ce faisant, elles n’ont eu de cesse d’utiliser les échanges commerciaux comme moyen de réintégrer des gains frauduleusement acquis dans les systèmes financiers mondiaux. En fait, le blanchiment d’argent par le truchement de transactions commerciales constitue aujourd’hui pour les criminels et les financiers du terrorisme la méthode de choix pour déplacer des fonds, masquer leur origine et les réintégrer dans les circuits économiques légaux. »

Comment blanchit-on des capitaux par le truchement d’opérations commerciales ? Ce type d’activités criminelles suppose le recours à toute une série de techniques destinées à en dissimuler les revenus. Ces techniques impliquent le transfert de biens illicites, la falsification de documents commerciaux et la fausse déclaration de transactions financières liées à des opérations commerciales afin de réinjecter le produit d’activités criminelles dans le circuit économique légal. Ce type de blanchiment se caractérise par des transactions commerciales internationales donnant lieu à des activités frauduleuses, par exemple une collusion entre un importateur et un exportateur. Ainsi, deux sociétés peuvent s’entendre pour manipuler des prix en surfacturant ou sous-facturant des biens et services ou en émettant plusieurs factures correspondant à la même transaction commerciale internationale. Les escrocs peuvent également fournir une description erronée des biens et services en mentant sur leur nature ou leur qualité.

Black Market Peso Exchange

Une autre méthode de blanchiment qui continue d’être pratiquée sur une grande échelle par les organisations criminelles est celle dite du « Black Market Peso Exchange » (BMPE ou marché noir du peso). Il s’agit d’une transaction illégale impliquant un échange de devises qui s’est répandue en Colombie où les trafiquants de drogues recourent à des tiers ou à des professionnels du blanchiment de capitaux pour déplacer, stocker ou blanchir leurs fonds illicites via des transactions commerciales.

Voici comment ils procèdent. Des narcotrafiquants colombiens détiennent de grandes quantités de dollars, fruit de la vente de stupéfiants aux Etats-Unis. Ils doivent trouver le moyen d’échanger ces dollars contre la devise locale qu’ils pourront ensuite utiliser en Colombie. Parallèlement, des importateurs et contrebandiers colombiens ont besoin de dollars pour payer les marchandises importées. Toutefois, ils veulent échapper à la vigilance des autorités, se soustraire aux droits à l’importation, taxes sur les ventes et autres impôts sur le revenu, ainsi qu’aux taux de change souvent défavorables liés aux mécanismes officiels de taux de change colombiens. En outre, ils veulent également échapper aux exigences en matière de déclaration qui révèleraient au grand jour leurs opérations de contrebande.

Les contrebandiers choisissent donc d’échanger leurs pesos colombiens contre les dollars des narcotrafiquants. Ce système de contrepartie satisfait les besoins monétaires des deux organisations qui peuvent par ailleurs poursuivre leurs activités criminelles en toute impunité. Cette méthode de blanchiment n’est pas limitée à la Colombie. Des milliards de narcodollars sont ainsi blanchis via le BMPE dans l’hémisphère occidental et dans le monde entier. Les marchandises utilisées dans ces systèmes de transfert de valeurs sont principalement fabriquées en Chine.

Opération Fashion Police

Dans le cadre d’une opération appelée « Opération Fashion Police » menée par la HSI, il s’est avéré que des blanchisseurs de capitaux professionnels mexicains avaient joué le rôle d’intermédiaires pour mettre en place un BMPE entre les cartels de la drogue et des magasins de vêtements américains situés dans le « fashion district » (quartier de l’habillement) de Los Angeles. En septembre 2014, la HSI de Los Angeles a procédé à 51 perquisitions dans des magasins et résidences de Los Angeles et de sa région. Neuf individus ont été arrêtés et plus de 90 millions de dollars en espèces ont été saisis. La HSI de Los Angeles a également procédé à la saisie de 34 comptes bancaires nationaux et d’un compte basé à Taïwan contenant plus de 37 millions de dollars.

FALCON DARTTS

Les TTU reposent sur deux piliers. Le premier est leur système informatique de pointe, baptisé Système FALCON de recherche et d’analyse de données pour la transparence du commerce (FALCON DARTTS), outil d’investigation qui permet de repérer les transactions anormales et de procéder à une analyse rapide d’énormes quantités de données.

Les échanges de données commerciales entre les TTU et leurs homologues au niveau international, formalisés par les Accords douaniers d’assistance mutuelle, sont tout aussi indispensables aux fins d’identification des transactions commerciales anormales. Lorsque les anomalies constatées révèlent d’éventuelles opérations de blanchiment de capitaux par le truchement de transactions commerciales, une enquête est lancée.

Les accords d’échange de renseignements constituent le deuxième pilier des TTU. La HSI a mis en place de tels partenariats avec l’Argentine, l’Australie, le Brésil, la Colombie, la République dominicaine, l’Équateur, le Guatemala, le Mexique, le Paraguay et les Philippines. Il est à noter que la HSI est le seul service d’enquête des États-Unis à échanger des données commerciales avec des pays étrangers.

En outre, en décembre 2013, les TTU ont été intégrées dans une division de l’unité d’enquêtes du National Targeting Center (NTC-I) sous la direction de la HSI. La NTC-I est le fruit d’un partenariat avec le CBP et joue un rôle essentiel en matière de renforcement de la sécurité des frontières et de garantie de la sécurité nationale et des citoyens grâce à l’identification des organisations criminelles transnationales et aux enquêtes menées afin de déjouer leurs tentatives de saper les efforts déployés par le Département de la sécurité intérieure aux fins de garantie de la sécurité des frontières.

Cette mise en commun a accru la capacité de la HSI et du CBP à échanger des informations susceptibles d’identifier, perturber et démanteler des organisations criminelles et leurs réseaux. Les TTU, telles qu’intégrées dans la NTC-I, lancent et appuient des enquêtes criminelles internationales en lien avec des affaires de fraude douanière, évasion fiscale, blanchiment de capitaux et autres délits financiers. Au cours de l’exercice 2014, elles ont permis l’arrestation de 173 individus ainsi que des saisies pour une valeur totale de plus de 168 millions de dollars. Trois de ces affaires sont présentées ci-dessous.

  • Trafic de téléphones portables

En avril 2014, la Douane paraguayenne a notifié à la HSI de Buenos Aires la saisie de téléphones portables et d’accessoires d’une valeur supérieure à 5 millions de dollars (estimée par rapport au prix de détail suggéré par le fabricant). Cette affaire a révélé des infractions commerciales, notamment des articles sous-facturés et des marchandises non déclarées ou ayant fait l’objet de fausses déclarations. La Douane paraguayenne avait bénéficié d’une formation sur le ciblage et l’identification d’activités illicites, notamment les méthodes employées par les trafiquants pour importer au Paraguay de grandes quantités de marchandises contrefaites, illicites et sur- ou sous-facturées.

  • Saisie de compléments alimentaires de contrefaçon

Dans une autre affaire, la Douane paraguayenne a notifié à la HSI de Buenos Aires la saisie de 58 044 unités de compléments alimentaires de contrefaçon ainsi que des produits de beauté et de soin d’une valeur supérieure à 329 000 dollars (estimée par rapport au prix suggéré par le fabricant).

  • Véhicules expédiés en Espagne

En Espagne, le bureau de la HSI à Madrid, la TTU et les services répressifs espagnols ont mené une enquête sur une affaire qui a permis l’arrestation de cinq personnes pour fraude et blanchiment de capitaux. Les auteurs des faits avaient utilisé des documents falsifiés pour importer frauduleusement en Espagne plus de 200 véhicules provenant de différents pays, dont les États-Unis. Afin d’éviter de devoir s’acquitter de fortes sommes au titre de la taxe sur la valeur ajoutée et autres droits exigibles, des centaines d’expéditeurs et de destinataires sous-évaluaient et/ou surévaluaient systématiquement les véhicules importés en Espagne.

Avantages de la méthode TTU

Le programme TTU de la HSI a été reconnu par le GAFI en tant que « meilleure pratique » aux fins de la lutte contre le blanchiment de capitaux par le biais de transactions commerciales. Grâce aux TTU, les pays partenaires sont désormais plus au fait de la problématique, ils ont renforcé leurs mesures d’identification des cas de blanchiment de fonds par le biais d’opérations commerciales et ont amélioré leur coopération internationale.

La méthode des TTU présente de nombreux avantages. Les TTU protègent les entreprises respectueuses de la loi vis-à-vis de pratiques commerciales déloyales impliquant des violations des droits de propriété intellectuelle et d’autres fraudes douanières, elles aident les pays à récupérer des recettes non perçues et elles ont effectivement contribué au recouvrement de millions de dollars non perçus au titre des droits et taxes en raison de la falsification de documents douaniers. Les TTU permettent également que soient menées des enquêtes plus approfondies en matière de blanchiment de capitaux et elles améliorent la sécurité aux frontières.

En outre, les TTU contribuent à prévenir, détecter et combattre la corruption des entreprises et des États, ce qui constitue un facteur de stabilisation des frontières, du commerce international et des systèmes financiers. Le programme TTU de la HSI va continuer, avec l’aide de ses partenaires, à poursuivre activement et énergiquement les délits de blanchiment de capitaux par le biais de transactions commerciales.

Pour obtenir davantage d’informations sur le programme TTU de la HSI : www.ice.gov/trade-transparency.

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www.ice.gov