Événements

La Conférence PICARD sous le signe de l’interdisciplinarité

14 février 2016
Par Sylvie Degryse, Service communication, Organisation mondiale des douanes

L’édition 2015 de la Conférence PICARD de l’OMD, qui s’est déroulée à Bakou, Azerbaïdjan, du 8 au 10 septembre 2015, a donné lieu à d’intéressants débats interdisciplinaires autour des thèmes suivants : les chaînes de valeur globales (CVG), la taxation et la contrebande.

Suite à l’appel à communications lancé en amont de la conférence, l’OMD avait reçu plus de 65 contributions, un chiffre inégalé depuis la création de la conférence il y dix ans. Le Comité scientifique, chargé de sélectionner les travaux qui feraient l’objet d’une présentation lors de la Conférence, en a retenu quelque 25 émanant de professionnels de la douane et d’universitaires spécialisés dans des domaines comme l’anthropologie, la criminologie, l’économie, le droit et les sciences politiques.

Depuis 2006, le Partenariat avec les universités pour la recherche et le développement en matière douanière (PICARD) contribue activement à un échange de vues dynamique entre administrations douanières, universités et instituts de recherche sur des questions liées à la douane et au commerce international, dans le but d’alimenter de manière constructive les processus décisionnels.

Environ 240 personnes de plus de 50 pays différents, représentant des administrations douanières, des universités, des instituts de recherche et des organisations régionales et internationales ainsi que le secteur privé, ont assisté à la Conférence qui représente une occasion unique de nouer des contacts et d’échanger des idées sur des sujets très spécifiques.

Présidée par Robert Ireland, Chef de l’Unité de Recherche et communication de l’OMD, et organisée en coopération avec la Douane d’Azerbaïdjan, la Conférence PICARD a débuté par les discours du Secrétaire général de l’OMD, Kunio Mikuriya, du Président du Comité d’État des douanes de l’Azerbaïdjan, Aydin Aliyev, du Premier ministre adjoint de l’Azerbaïdjan, Son Excellence Abid Sharifov ainsi que du Directeur adjoint du Service des douanes coréennes, Donh-Hyun Lee.

Le Secrétaire général a notamment rappelé que « Les fonctionnaires ont besoin d’informations de qualité et d’analyses fiables sur lesquelles s’appuyer pour prendre des décisions permettant de gérer les changements et de guider les organisations ».

Trois lauréats du Prix Nobel d’économie exerçant aux États-Unis ont, en outre, été invités à s’adresser aux participants tout au long de la Conférence sur des sujets variés : le Dr Eric Maskin, professeur à l’Université Harvard, le Dr Edward Prescott, professeur à l’Université de l’État de l’Arizona et le Dr Finn Kydland, professeur à l’Université de Californie, Santa Barbara.

Autre invité spécial, le Dr Mick Moore, économiste politique et directeur général de l’International Centre for Tax and Development au Royaume-Uni, a introduit les sujets qui allaient être traités lors de la Conférence.  Il a tout d’abord comparé l’évolution des tarifs douaniers et celle des impôts sur les sociétés, en liaison avec les spécificités du contexte commercial international. Si ce dernier connaît une expansion massive depuis dix ans, en revanche l’évolution des impôts payés par les multinationales ne suit pas cette même tendance à la hausse.

Le soutien de plus en plus important au recours à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), aux mesures de facilitation des échanges et aux CVG par des organisations faisant autorité comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a eu des répercussions positives sur la croissance des échanges. Cependant, les recettes fiscales ont pâti de l’augmentation des pratiques d’évasion fiscale par les multinationales et de la multiplication des paradis fiscaux.

Le Professeur Moore a mis l’accent sur la possible manipulation des prix de transfert dans un tel contexte et sur la situation désavantageuse dans laquelle se trouvent les pays en voie de développement qui restent largement tributaires des impôts sur les sociétés tout en ayant des capacités organisationnelles faibles. Selon lui, la solution passe par une coopération accrue entre  administrations douanières et fiscales pour recueillir les informations concernant les multinationales et  comparer les données collectées.

Ont également pris la parole des représentants de revues publiant des articles sur les questions douanières et frontalières, telles que le Global Trade and Customs Journal, le Journal of Borderland Studies et le World Customs Journal, ainsi des représentants du Réseau international des universités douanières (INCU).

Enfin, pour porter un regard sur l’avenir, un Forum de la jeunesse a été organisé à la suite de la Conférence. Quelque 70 étudiants venant de différentes universités y ont discuté des problématiques soulevées par les orateurs, ainsi que des perspectives de carrière dans les domaines de la douane et du commerce international.

Thèmes principaux de la Conférence

Mesures d’incitation

Intervenants : Siv Rebekka Runhovde, Université de la police norvégienne ; Minette Libom, Directrice générale de la Douane camerounaise ; M.R. Rajmohan, Douane du Sri Lanka.

Les administrations douanières ont souvent recours à des mesures d’incitation pour encourager les douaniers dans leur travail quotidien. A partir d’exemples concrets, différentes méthodes utilisées par les administrations douanières du Cameroun, de Norvège et du Sri Lanka ont été présentées ainsi que leurs manquements.

L’exemple présenté par la Norvège portait sur les saisies de produits protégés par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Celles-ci sont en effet trop souvent fortuites, rarement inscrites comme prioritaires dans les systèmes de gestion des risques utilisés par la Douane, car souvent considérées comme moins valorisantes que des saisies dans d’autres domaines, comme, par exemple, les stupéfiants. Par conséquent, la contribution des douaniers dans ce domaine semble pouvoir dépendre directement de la méthode d’incitation en place, qui elle-même dépendra à son tour des stratégies et politiques internes de l’administration.

Chaînes de valeur globales

Intervenants : Antoine Vion, Université d’Aix-Marseille (France) ; Gaëlle Balineau, Agence française de développement (France) ; Nicholas Humphries, Douane australienne ; Dylan Geraets, Centre for Global Governance Studies (Belgique).

La mondialisation de l’économie conduit de plus en plus à la fragmentation des processus de production et à la circulation de produits intermédiaires. Les chaînes de valeur globales (CVG) présentent donc un intérêt majeur pour les professionnels de la douane aux frontières. Durant cette session, il a été expliqué comment les exigences normatives en matière de développement durable pour certains produits de consommation pouvaient avoir des incidences sur les CVG.

Les CVG et leurs conséquences directes pour la Douane ont également été examinées, avec des données faisant apparaître l’existence de corrélations entre celles-ci et le niveau de facilitation des échanges, ou encore avec la perception des recettes.

Très intéressantes aussi furent les propositions exprimées sur la manière dont un pays, au travers d’une révision de sa stratégie gouvernementale et ses politiques économiques, pourrait accroître sa participation aux CVG. Compte tenu de la nature des CVG, une approche multidimensionnelle s’avère nécessaire, ce qui implique non seulement des réformes pour soutenir la facilitation des échanges par l’élimination des barrières douanières et non douanières, mais également la mise en place de politiques favorisant le développement de compétences, le recours à l’innovation et le développement des infrastructures.

Enfin, les CVG ont été examinées aussi sous l’angle des règles d’origine. Les CVG ayant radicalement transformé l’environnement commercial international, et les entreprises renonçant parfois à l’application d’un traitement tarifaire préférentiel suite à la complexité des règles d’origine, une approche de l’origine davantage basée sur la notion de valeur ajoutée serait mieux à même de répondre aux réalités économiques actuelles.

Innovation

Intervenants : Igbal Babayev, Comité d’État des douanes de l’Azerbaïdjan ; Valeriya Ermakova, Institut de droit législatif et comparé (Russie) ; Min Wang, École supérieure des douanes de Shanghai (Chine).

Le commerce international évolue sans cesse et la Douane doit innover pour s’adapter aux dernières tendances. Ce sujet a été abordé d’un point de vue systémique, stratégique et sectoriel.

Dans un premier temps, les composantes nécessaires à la réussite d’un projet ont été passées en revue. Cet exercice a révélé qu’outre le simple fait de concevoir de nouvelles idées, il était crucial de bien comprendre les risques inhérents et de connaître les exigences en matière de capacité de gestion et les compétences du personnel dont on dispose.

Dans un second temps, ont été présentés certains systèmes informatiques en cours de développement visant à garantir un échange d’informations international entre administrations douanières dans un contexte d’intégration économique régionale.

Enfin, la situation du commerce transfrontalier de produits électroniques a été abordée, et l’urgence d’unifier les règles régissant ce secteur dans un environnement commercial mondialisé a été mise en avant, l’objectif étant d’assurer une plus grande prévisibilité aux opérateurs commerciaux de ce secteur industriel stratégique.

Questions fiscales et tarifaires

Intervenants : Theo Colesky, Service des recettes fiscales d’Afrique du Sud (SARS) ; Juha Hintsa, Cross-Border Research Association (Suisse) ; Robert Luessi, Douane suisse.

La Douane s’occupe quotidiennement de classement tarifaire, activité à caractère très technique et indispensable au recouvrement des recettes. La première présentation a porté sur les dispositions et les pratiques relatives au règlement de litiges portant sur des questions de classement tarifaire, en comparant les systèmes en place en Afrique du Sud à ceux de l’Australie et du Canada. La nature extrêmement technique de ces questions exige soit la création d’un tribunal indépendant et spécialisé, soit l’élargissement des compétences des tribunaux fiscaux existants pour garantir l’exactitude du classement tarifaire. Cela contribuerait du même coup à faciliter les échanges en permettant de réduire les coûts et les délais de traitement des litiges tout en assurant une plus grande transparence.

La deuxième présentation a fait part des résultats d’une enquête sur les avantages qu’apporterait le développement d’une base de données mondiale comparant les systèmes de perception des recettes douanières. Les administrations douanières pourraient ainsi partager des informations sur les flux des recettes fiscales et les coûts liés à la perception des taxes.

Enfin, puisque la Douane assure le recouvrement des recettes et agit dans des domaines qui impliquent d’autres services gouvernementaux, comme l’économie, la sécurité, l’immigration, la santé et l’environnement, la dernière intervention de cette session a porté sur les avantages qu’apporterait une base de données partagée entre différents services. Une telle coopération conduirait notamment à une réduction des coûts informatiques, à une plus grande transparence et à une certitude juridique accrue.

Fraude et données

Intervenants : Cristina Mitaritonna, CEPII (France) ; Cyril Chalendard, CERDI (France) ; Lofti Ayadi, chercheur (Tunisie) ; Rong Hu, École supérieure des douanes de Shanghai (Chine) ; Shintaro Hamanaka, Banque asiatique de développement.

La circulation des marchandises génère l’échange d’un volume élevé de données, source possible d’incidents réclamant une gestion plus stricte aux frontières.  Cette session a abordé la problématique de l’évasion fiscale en termes de droits de douane, question qui ne peut être traitée que par une série de réformes. L’impact positif des solutions automatisées de traitement des données douanières, de même que, dans certains cas, des inspections avant embarquement, a été évoqué dans le détail.

Sur base d’exemples pris de la Tunisie, certains types de fraude, liés à la manière dont certains entrepôts douaniers et zones de dédouanement sont gérés, ont été présentés, ainsi que les solutions possibles au titre desquelles figure la mise en place d’un système efficace de gestion des risques.

Pour répondre aux problèmes générés par le développement du commerce électronique, un des présentateurs a expliqué que la Douane chinoise a adopté une nouvelle approche pour lutter contre la contrebande. Elle a ainsi recours à des entreprises qui sont à même de répondre aux besoins des opérateurs commerciaux et aux exigences des gouvernements.

Enfin, de manière plus générale, il a été démontré que la disponibilité de statistiques commerciales de qualité dans un pays peut être considérée comme un bon indicateur de bonne gouvernance commerciale.

Protection des biens culturels

Intervenants : Tomasz Nowak, Douane polonaise, et Cezary Sowiński, DHL Express ; Esther Portela Vázquez, chercheur (Espagne).

Les zones de conflit semblent propices au trafic de biens culturels. Il est donc urgent de mettre en place des stratégies de lutte contre la contrebande pour protéger l’héritage culturel dans ces régions. Les exposés réalisés sur ce sujet ont présenté les méthodes possibles pour mieux cerner cette forme de trafic géré par des organisations criminelles, essentiellement dans les pays en situation de conflit. La question de comment protéger au mieux les biens culturels dans le cadre de la politique sécuritaire de l’Union européenne (UE) a aussi été abordée. Les niveaux de protection seront bien sûr ajustés en fonction des modalités du trafic et de la situation du pays.

L’analyse des données provenant des saisies réalisées par le Service de l’immigration et de la lutte contre la fraude douanière des États-Unis dans ce domaine a révélé de nombreuses failles dans les méthodes utilisées actuellement pour rendre compte des saisies effectuées, entravant ainsi notre connaissance précise de ce trafic. L’utilisation d’un logiciel normalisé pourrait aider à remédier à cette situation.

Gestion des risques

Intervenants : Yulia Mazanik, Comité d’État des douanes de la République du Bélarus ; Oleg Komarov, Service fiscal d’État de l’Ukraine.

La gestion des risques est un outil douanier essentiel pour contrôler les marchandises aux frontières. Deux exemples pertinents ont été présentés pendant cette session : premièrement, les systèmes automatisés de gestion des risques de la Douane du Belarus, qui aident les douaniers à contrôler la valeur et à calculer les taxes et droits de douane à percevoir ; ensuite, les avantages tirés par l’Ukraine de l’utilisation de systèmes automatisés dans le domaine de la lutte contre la fraude.

Commerce informel

Intervenants : Sami Bensassi, Birmingham Business School (Royaume-Uni) ; Vanessa van den Boogard, Université de Toronto (Canada) ; Cyril Roussel, Institut français du Proche-Orient (France).

For revenue collection and tax revenue purposes, looking at the potential existence of informal trade in a region is highly relevant to Customs.

Dans une optique de recouvrement des recettes fiscales, la Douane a tout intérêt à se pencher sur l’existence potentielle du commerce informel présent dans une région. Cette dernière session a présenté en détail les types de commerce informel pratiqués aux frontières entre l’Algérie et le nord du Mali, entre l’Iran, l’Irak et la Turquie et au Sierra Leone, ainsi que les répercussions de ce commerce sur les économies locales de ces pays. Il a été conclu qu’il est important de tenir compte des caractéristiques spécifiques du commerce informel transfrontalier au moment d’envisager des réformes douanières et fiscales.

Conclusion

La Conférence PICARD 2015 a réussi à faire valoir les avantages de l’adoption d’une démarche interdisciplinaire pour mieux comprendre le commerce international, les frontières et les questions douanières.

Christine Msemburi, Directrice du Bureau régional de renforcement des capacités de l’OMD pour la région Afrique orientale et australe, a clôturé la deuxième journée en appelant à davantage de recherche pour s’assurer d’exprimer correctement et de bien faire comprendre les réalités douanières et frontalières. « Racontons nos histoires », a-t-elle suggéré.

Dans son discours de clôture, Robert Ireland a remercié chaleureusement les participants et a conclu, paraphrasant l’écrivain David Simon, que « la Conférence PICARD pose les fondements d’une bâtisse ici et toutes les briques comptent ».

 

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http://www.wcoomd.org/fr/topics/research.aspx